La Marche à la lumière, Bodhicaryavatara/10

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Traduction par Louis Finot.
Editions Bossard (p. 153-161).

X

APPLICATION DU MÉRITE


1. Par le mérite que j’ai acquis en composant le Bodhičaryâvatâra, puissent tous les hommes se parer de la pratique des Bodhisattvas !

2. Puissent tous ceux qui, à tous les coins du monde, souffrent les douleurs du corps ou de l’esprit, obtenir par mes mérites des océans de plaisir et de joie !

3. Tant que durera pour eux la transmigration, que leur bonheur ne subisse aucune éclipse ! Que les hommes parviennent sans cesse à la félicité des Bodhisattvas !

4. Que dans tous les enfers de tous les mondes les êtres jouissent des plaisirs et des joies de Sukhâvatî !

5. Que les damnés du froid obtiennent la chaleur ! Que les damnés de la chaleur soient rafraîchis par les ondes immenses versées par ces grands nuages que sont les Bodhisattvas !

6. Que la forêt des lames d’épée devienne pour eux aussi belle que le parc Nandana, et que les arbres Kûṭaçâlmalî aux épines aiguës se changent en autant d’arbres des souhaits59 !

7. Que les régions infernales connaissent le charme des lacs égayés par le joyeux tumulte des oiseaux d’eau et le parfum des lotus luxuriants !

8. Que le monceau de charbons ardents devienne un monceau de gemmes ! Que le sol brûlant devienne un pavé de cristal ! Que les « montagnes écrasantes » deviennent des palais célestes peuplés de Buddhas !

9. Que la pluie de charbons, de pierres brûlantes et d’épées soit désormais une pluie de fleurs ! Que la bataille au sabre soit une joyeuse bataille de fleurs !

10. Que les êtres plongés dans la Vaitaraṇî aux ondes brûlantes comme le feu, avec leurs chairs en lambeaux, leurs corps et leurs os pâles comme le jasmin, obtiennent, par la puissance de mes mérites, une nature céleste et se jouent dans la Mandâkinî avec les Apsaras60 !

11. Que les serviteurs de Yama, que les corbeaux et les vautours horribles, voyant tout à coup avec crainte les ténèbres partout dissipées, se disent : « Quelle est cette douce, charmante et délicieuse lumière ? »

Et que, levant les yeux, à la vue du flamboyant Vajrapâṇi debout dans le ciel, ils se sentent délivrés de leurs péchés et volent le rejoindre avec un joyeux empressement !

12. Voici que tombe une pluie de lotus mêlée d’eau parfumée ; ô bonheur ! on voit s’éteindre sous son onde le feu des enfers. « Qu’est-ce que cela ? » se disent les damnés brusquement inondés de plaisir. C’est l’apparition de Padmapâṇi : puisse-t-elle se montrer à eux !

13. « Frères, s’écrient-ils, venez, venez vite ! Bannissez toute crainte ! Nous sommes rappelés à la vie ! Voici venir à nous, apportant la paix dans la géhenne, un jeune prince coiffé de bandelettes61. Celle dont la puissance élimine toutes les calamités et fait couler les torrents de la joie, la Pensée de la Bodhi est née et, avec elle, la Compassion, mère du salut de tous les hommes.

14. « Regardez-le ! Sur les lotus de ses pieds brillent les diadèmes de centaines de dieux prosternés ; ses yeux sont humides de pitié ; sur sa tête une pluie de fleurs tombe des palais charmants où résonnent les chants de milliers d’Apsaras célébrant ses louanges : c’est Mañjughosha ! En le voyant devant eux, que les damnés l’acclament ! »

15. Par l’effet de mes mérites, que les damnés aient la joie de voir Samantabhadra et les autres Bodhisattvas, nuages qui versent des pluies et suscitent des brises délicieuses, fraîches et parfumées !

16. Puissent s’apaiser les souffrances cuisantes et les épouvantes des damnés ! Que tous ceux qui demeurent dans les mauvaises destinées en soient affranchis !

17. Que les animaux cessent de se dévorer entre eux ! Que les Pretas62 soient heureux comme les hommes de l’Uttarakuru !

18. Que les Pretas soient rassasiés ! Qu’ils soient baignés et rafraîchis par les ruisseaux de lait coulant des doigts d’Avalokiteçvara !

19. Que les aveugles voient, que les sourds entendent, que les femmes enfantent sans douleur, comme Mâyâ Devî !

20. Que les hommes reçoivent vêtements, nourriture, boisson, guirlandes, santal, parures, tout ce qui flatte leur cœur, tout ce qui leur est bienfaisant !

21. Que les peureux se rassurent, que les affligés reçoivent la joie, que les cœurs troublés soient sans trouble et paisibles !

22. La santé aux malades, la liberté aux captifs, la force aux débiles, l’affection réciproque à tous les hommes !

23. Que toutes les Régions soient propices aux voyageurs et qu’elles les aident au succès de leur voyage !

24. Que les navigateurs réalisent leurs désirs ! Qu’ils rentrent paisiblement au port et se réjouissent avec leurs parents !

25. Que les voyageurs égarés dans la jungle rencontrent une caravane et qu’ils fassent route sans fatigue, à l’abri du danger des voleurs et des tigres !

26. Que les Génies gardent les dormeurs, les fous, les négligents, les abandonnés, les faibles, les vieillards, dans les périls des maladies et des forêts !

27. Que les hommes soient toujours exempts de tout contre-temps, doués de foi, de sagesse, de compassion, de bonne mine et de bonne conduite, se souvenant de leurs naissances antérieures !

28. Qu’ils aient des trésors inépuisables comme Gaganagañja63 ; qu’ils vivent dans la concorde, le repos, l’indépendance !

29. Que les ascètes sans énergie deviennent énergiques ! S’ils sont laids, qu’ils deviennent beaux !

30. Que toutes les femmes arrivent au sexe masculin ! Que les humbles deviennent grands, mais qu’ils demeurent sans orgueil !

31. Que, par la puissance de mes mérites, tous les êtres sans exception, se détournant du péché, pratiquent toujours le bien !

32. Qu’ils ne se séparent jamais de la pensée de la Bodhi ; qu’ils s’appliquent toujours à la pratique de la Bodhi ; qu’ils soient favorisés de la grâce des Buddhas et exempts des entreprises de Mâra !

33. Que tous les êtres jouissent d’une vie illimitée ! Qu’ils vivent éternellement heureux ! Que le nom même de la mort disparaisse !

34. Que toutes les régions de l’espace soient remplies de Buddhas et de Bodhisattvas, embellies de parcs plantés d’arbres merveilleux et enchantés par le son de la Loi !

35. Que la terre soit partout sans gravier et autres aspérités, unie comme la paume de la main, douce, remplie de pierres précieuses !

36. Que de grandes assemblées de Bodhisattvas siègent partout, décorant la terre de leur éclat.

37. Que les oiseaux, les arbres, les rayons, le ciel fassent entendre sans cesse aux hommes la voix de la Loi !

38. Que les hommes soient sans cesse en compagnie des Buddhas et des Bodhisattvas et qu’ils honorent par des nuages d’offrandes le Précepteur du monde !

39. Qu’il pleuve dans la saison, que les moissons soient abondantes, que le monde soit prospère, que le roi soit juste !

40. Que les plantes soient des remèdes efficaces, que les formules magiques réussissent, que les Ḍâkinîs, les Râkshasas et autres démons soient pitoyables !

41. Qu’aucun être ne soit malheureux, pécheur, malade, abject, vaincu, méchant !

42. Que les monastères soient de florissants asiles d’étude ! Que l’harmonie règne dans l’Église et que son œuvre réussisse !

43. Que les religieux acquièrent le discernement et aient l’amour de l’étude ! Qu’ils méditent avec un esprit diligent, exempts de toute dissipation !

44. Que les religieuses reçoivent des dons ; qu’elles demeurent sans querelles et sans troubles ! Que tous les religieux observent exactement les règles morales !

45. Que les moines vicieux s’émeuvent et s’appliquent à détruire en eux le péché ! Que ceux qui sont fidèles à leurs vœux atteignent l’état de Buddha !

46. Qu’ils soient sages, bien élevés, honorés de dons, nourris par l’aumône, d’un caractère pur, d’une réputation universelle !

47. Que, sans avoir subi les tourments de l’enfer, sans une carrière pénible, par un unique corps divin, les hommes atteignent l’état de Buddha !

48. Que tous les Buddhas soient honorés de toutes manières par tous les êtres et qu’ils soient souverainement heureux de leur inconcevable félicité de Buddha !

49. Que les vœux formés par les Bodhisattvas pour le monde s’accomplissent ! Que les pensées de ces Protecteurs se réalisent pour les êtres !

50. Que les Pratyekabuddhas et les Auditeurs soient heureux, toujours honorés avec respect par les dieux, les Asuras, les hommes !

51. Puissé-je arriver à la mémoire de mes vies antérieures et obtenir pour toujours la Terre de Joie64 par la grâce de Mañjughosha !

52. Dans quelque posture que je passe le temps, puissé-je garder mes forces ! Dans toutes mes naissances, puissé-je obtenir le discernement complet !

53. Lorsque je désirerai le voir ou l’interroger, puissé-je voir sans obstacle mon protecteur Mañjughosha !

54. Comme Mañjuçrî marche dans les dix directions et jusqu’aux extrémités du ciel pour le bien des êtres, puissé-je, moi aussi, parcourir ma carrière !

55. Aussi longtemps que durera l’espace et le monde, aussi longtemps puissé-je travailler à détruire les douleurs du monde !

56. Que toute la douleur du monde mûrisse en moi, et que le monde soit heureux par les bonnes œuvres des Bodhisattvas !

57. Unique remède à la douleur du monde, source de toute prospérité et de tout bonheur, que la religion dure longtemps, investie de profits et d’honneurs !

58. Je salue Mañjughosha, par la grâce de qui ma pensée est dirigée vers le bien. J’honore le saint Ami par la grâce de qui elle se développe !


NOTES


59. Le parc Nandana est le jardin du palais d’Indra. Sur les arbres taçâlmalî et les arbres des souhaits, v. notes 36 et 28.

60. Vaitaranî, rivière des enfers ; Mandâkinî, rivière du ciel ; Apsaras, nymphes célestes.

61. Cîrî kumârah. Il s’agit de Mañjuçrî, qui est caractérisé par les épithètes de kumâra « prince » et de tricira ou pañcacira « aux trois ou cinq bandelettes ». Cf. Foucher. Iconographie bouddhique, p. 42.

62. Pretas : classe de damnés qui souffrent constamment de la faim.

63. Nom d’un Bodhisattva. Cf. Lalitavistara, chap. xx.

64. Pramuditabhûmi : un des dix stades de la carrière de buddha.