La Muse au cabaret/Escargots

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La Muse au cabaretLibrairie Charpentier et Fasquelle (p. 146-148).


ESCARGOTS


À Louis de Monard.
On signale des fraudes dans le commerce des escargots.


La fraude — nerf du commerce —
À notre époque s’exerce
Sur les escargots itou :
Ainsi des gens, sans vergogne,
Vont déclarant de « Bourgogne »
Ceux qu’ils cueillent n’importe où.
 
Tel escargotier cupide,
Dans une coquille vide
Et Bourguignonne, vous vend
Un escargot fantaisiste…
C’est le geai du Fabuliste
Paré des plumes du paon.


Mais ceci n’est rien encore ;
Tel autre, nul ne l’ignore,
Sans surmener son cerveau
Autrement, vaille que vaille,
Ses escargots il les taille
Dans un simple mou de veau.

C’est ce qui fait qu’en Bourgogne
Les Bourguignons sont en rogne,
Mènent un grand branle-bas :
« — Les escargots de nos vignes —
Disent-ils — sont les seuls dignes,
Les autres n’existent pas. »
 
Ils exagèrent sans doute.
Des escargots, somme toute,
Viendraient-ils de Chicago,
Des Balkans ou de la Flandre,
Peuvent de même prétendre
À ce titre d’escargots.

À parler franc, j’irai jusques
À dire que ces mollusques
Rappellent ce caoutchouc,
Soit cette élastique gomme
Mâchée au collège comme
Si c’eût été du cachou.


Mais la savante industrie
Des Vatels de ma patrie
Est admirable à ce point,
Qu’ils vous feraient, ma parole,
Bouilli dans leur casserole,
Manger votre propre poing.

Aussi, quand ils accommodent
Ces rudes gastéropodes,
Selon les lois d’un « farci »
D’essence supérieure,
En les maniant de beurre,
Force épice, ail et persil ;

Ma foi, leur chair élastique
Devient assez sympathique.
— Tout dépend de la façon —
Ici, plus qu’ailleurs, j’estime
Que c’est la sauce qui prime
Et fait passer le poisson.