La Muse qui trotte/13

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Calmann Lévy, éditeurs (p. 67-70).


PARIS LE MATIN





Celle-là, c’est la fête intime et sans apprêts,

Sans oriflamme tricolore,

La fête de Paris s’éveillant dans l'air frais

Au premier appel de l'aurore.


Fête exquise, où Belloir ne pose ni tréteaux,

Ni mâts, ni velums, ni tentures ;

Mais où le clair soleil, en traits horizontaux,

Glisse sur le zinc des toitures ;


Où, soulevant le voile étoilé de la nuit,

Tel qu'un gavroche qu’on épie,

Le matin se faufile et chatouille sans bruit

Les flancs de la ville assoupie.


La voilà qui s’agite et très, très lentement,

Encore lasse de la veille,

Ouvre les yeux, hésite, et, dans un bâillement,

Sourit à la clarté vermeille.


Bientôt, sur les trottoirs dont les minces traits blancs

Encadrent les brunes chaussées,

De rares passants vont, actifs ou nonchalants,

D’allures lentes ou pressées.


Les lourds chariots pleins de gros blocs cahotés

Suivent leur chemin ordinaire ;

Les laitiers, au galop de leurs chevaux crottés,

Passent dans un bruit de tonnerre.


D’un mouvement tranquille et lent, le balayeur

Accomplit sa tâche modeste,

Et, dans le jour douteux, l'ombre du travailleur

S’ennoblit par l’ampleur du geste.


Sous les arbres feuillus des squares, les oiseaux

Joyeusement chantent matines,

Et les Buttes-Chaumont avec le parc Monceaux

Font un assaut de cavatines.


La Seine coule, en un ruissellement d’argent,

Entre les quais sombres et vides,

Et là-haut, dans le ciel, un rayon s’allongeant

A casqué d’or les Invalides.


Oui, c’est la fête calme et douce du matin,

Moitié sommeil et moitié rêve ;

C’est, sous la claire brume aux reflets de satin,

L’heure pâle où Paris se lève.