La Négresse blonde (recueil)/La Négresse blonde

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La Négresse blonde, Texte établi par Willy Voir et modifier les données sur WikidataA. Messein (p. 9-16).
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LA NÉGRESSE BLONDE


Quamvis ille niger quamvis tu candidus esses.
Virgile.
Electro similes auroque capilos.
Ovide.
Fulvoque nitet coma gratior auro.
Calpurnius.
Et Flavicomis radiantia lergora villis.
Claudien.


I


Elle est noire comme cirage,
comme un nuage
au ciel d’orage,
et le plumage
du corbeau,
et la lettre A, selon Rimbaud ;
comme la nuit,
comme l’ennui,

l’encre et la suie !
Mais ses cheveux,
ses doux cheveux,
soyeux et longs
sont blonds, plus blonds
que le soleil
et que le miel
doux et vermeil,
que le vermeil,
plus qu’Ève, Hélène et Marguerite,
que le cuivre des léchefrites,
qu’un épi d’or
de Messidor,
et l’on croirait d’ébène et d’or
La Belle Négresse, la Négresse Blonde !


II


Cannibale, mais ingénue,
elle est assise, toute nue,
sur une peau de kanguroo,
dans l’île de Tamamourou !
Là, pétauristes, potourous,
ornithorrynques et wombats,
phascolomes prompts au combat,
près d’elle prennent leurs ébats !
Selon le mode Papoua,
sa mère, enfant la tatoua :
en jaune, en vert, en vermillon,
en zinzolin, par millions
oiseaux, crapauds, serpents, lézards,
fleurs polychromes et bizarres,

chauves-souris, monstres ailés,
laids, violets, bariolés,
sur son corps noir sont dessinés.
Sur ses fesses bariolées
on écrivit en violet
deux sonnets sybillins rimés
par le poète Mallarmé,
et sur son ventre peint en bleu,
fantastique se mord la queue
un amphisbène.
L’arête d’un poisson lui traverse le nez ;
de sa dextre aux doigts terminés
par des ongles teints au henné,
elle caresse un échidné,
et parfois elle fait sonner
en souriant d’un air amène
à son col souple un beau collier
de dents humaines,
La Belle Négresse, la Négresse blonde !


III


Or des Pierrots,
de blancs Pierrots, de doux Pierrots
blancs comme des poiriers en fleurs,
comme la fleur
des pâles nymphéas sur l’eau,
comme l’écorce des bouleaux,
comme le cygne, oiseau des eaux,
comme les os
d’un vieux squelette,
blancs comme un blanc papier de riz,
blancs comme un blanc Mois-de-Marie
de doux Pierrots, de blancs Pierrots
dansent le falot boléro,
la fanfoulla, la bamboula,

éperdument au son de la
maigre guzla,
autour de la
Négresse Blonde.


IV


Parfois un Pierrot tombe, alors
brandissant un scalpel en or
et riant un rire sonore,
un triomphant rire d’enfant,
vainqueur, moqueur et triomphant,
en grinçant la négresse fend
la poitrine de l’enfant blême
et puis scalpe l’enfant blême,
et, de ses dents que le bétel
teint en ébène, bien vite elle
mange le cœur et la cervelle,
sans poivre, ni sel !
Ah ! buvant — suave liqueur ! —
le sang tout chaud, cervelle et cœur,

à belles dents, sans nul émoi,
elle dévore tout, et moi,
Négresse, je t’apporte ici
mon cœur et ma cervelle aussi,
mon foie itou,
et bâfre tout
trou lai tou !
car, sans mentir, j’ai proclamé
que dans ce monde
laid, sublunaire et terraqué
et détraqué
pour qui n’est pas un paltoquet
comme Floquet[1],
seule fut digne d’être aimée
la Blonde Négresse, la Négresse blonde !…



  1. Il faut bien avouer que le nom du respectable et feu M. Floquet vient ici comme des cheveux sur la soupe. Mais, bah !
    (Note de l’Auteur.)