La Nouvelle Manière de faire son profit des lettres

La bibliothèque libre.


La nouvelle manière de faire son profit des Lettres, traduitte en françois par J. Quintil du Tronssay, en Poictou. Ensemble : le Poëte-Courtisan..
Joachim du Bellay

1559



La nouvelle manière de faire son profit des Lettres, traduitte en
françois par J. Quintil du Tronssay, en Poictou
1.
Ensemble : le Poëte-Courtisan.
À Poictiers.
1559. — In-8º.

Moy à Toy.
Salut.

Quant à ce que tes vers frissonnent de froidure,
Que tes labeurs sont vains, et que pour ta pasture
À grand’peine tu as un morceau de gros pain,
Voire de pain moisi, pour appaiser ta faim ;
Que ton vuide estomac abboye, et ta gencive
Demeure sans mascher le plus souvent oysive,
Comme si le jeusner exprès te feust enjoinct
Par les Juifs retaillez2 ; que tu es mal en poinct,
Mal vestu, mal couché : Amy, ne pren la peine
De faire désormais ceste complainte vaine.

Tu sçais faire des vers, mais tu n’as le sçavoir
De pouvoir par ton chant les hommes decevoir :
Car le dieu Apollon avec le dieu Mercure
S’assemble, ou autrement de ses vers on n’a cure.
Mercure, par finesse et par enchantement,
Dedans les cueurs humains glisse secrètement ;
Il glisse dans les cueurs, il trompe la personne,
Et d’un parler flatteur les ames empoisonne :
Avec tel truchement peut le dieu Délien
Possible quelque chose, autrement ne peut rien.

Celuy qui de Mercure a la science apprise,
En cygne d’Apollon bien souvent se deguise ;
Encore que le brait d’un asne, ou la chanson
D’une importune rane3 ait beaucoup plus doulx son.

Veulx-tu que je te montre un gentil artifice
Pour te faire valoir ? Pousse-toy par service ;
Par art Mercurien trompe les plus rusez,
Et pren à telz appas les hommes abusez :
Tu feras ton profit, et bravement en point
De froid, comme tu fais, tu ne trembleras point.

Premier, comme un marchand qui parle navigage,
S’en va chercher bien loing quelque estrange rivage,
Afin de trafiquer et argent amasser,
Tu dois veoir l’Italie et les Alpes passer,
Car c’est de là que vient la fine marchandise
Qu’en bëant on admire, et que si hault on prise.
Si le rusé marchand est menteur asseuré,
Et s’il sçait pallier d’un fard bien coloré
Mille bourdes qu’il a en France rapportées
Assez pour en charger quatre grandes chartées ;
S’il sçait, parlant de Rome, un chacun estonner ;
Si du nom de Pavie il fait tout resonner ;
Si des Venitiens que la mer environne,
Si des champs de la Pouille il discourt et raisonne ;
Si, vanteur, il sçait bien son art authoriser,
Louer les estrangers, les François mespriser ;
Si des lettres l’honneur à luy seul il reserve
Et desdaigne en crachant la françoise Minerve4.

Il te faut dextrement ces ruses imiter,
Le sçavoir sans cela ne te peut profiter.
Si le sçavoir te fault, et tu entens ces ruses,
Tu jouyras vainqueur de la palme des Muses.
Ne pense toutefois, pour un peu t’estranger
De ces bavardes sœurs, que tu sois en danger
De perdre tant soit peu : tu n’y auras dommage,
Car aux Muses souvent profite un long voyage.
Tu en rapporteras d’un grand cler le renom,
Et de saige sçavant meriteras le nom.
Mais si tu veux icy te morfondre à l’estude,
Chacun t’estimera fol, ignorant et rude.

Doncques en Italie il te convient chercher
La source Cabaline, et le double Rocher,
Et l’arbre qui le front des poëtes honore.
Mais retien ce précepte en ta memoire encore :
C’est que tu pourras bien François partir d’icy,
Mais tu retourneras Italien aussi,
De gestes et d’habits, de port et de langage,
Bref, d’un Italien tu auras le pelaige,
Afin qu’entre les tiens admirable tu sois :
Ce sont les vrays appas pour prendre noz François.
Lors ta Muse sera de cestui la prisée
Auquel auparavant tu servois de risée.

Il sera bon aussi de te faire advoüer
De quelque Cardinal5, ou le faire loüer
Par quelque homme sçavant, afin que tes loüenges
Volent par ce moyen par des bouches estranges.
Mais il faut que le livre où ton nom sera mis
Tu donnes ça et là à tes doctes amys.
Ainsi t’exempteras du rude populaire,
Ainsi ton nom partout illustre pourras faire :
Car c’est un jeu certain, et quiconque l’a sçeu,
Jamais à ce jeu là ne s’est trouvé deçeu,
Surtout courtise ceulx auquelz la court venteuse
Donne d’hommes sçavants la loüenge menteuse,
Qui au bout d’une table, au disner des seigneurs,
Deplient tout cela, dont furent enseigneurs
Les Grecs et les Latins, qui de faulses merveilles
Emplissent, ignorans, les plus grandes oreilles,
Et abusent celuy qui par nom de sçavant
Desire, ambitieux, se pousser en avant.

Ces gentils reciteurs te loüront à la table,
Non comme au temps passé, aux horloges de sable6 ;
Ilz ne dédaigneront avec toi practiquer
Et avecques tes vers les leurs communiquer,
Puisque tu as le goust et l’air de l’Italie,
Mais rendz leur la pareille, et fay que tu n’oublie
De les contre-loüer ; aussi quant à ce point
Le tesmoing mutuel ne se reproche point,
D’en user autrement ce seroit conscience.

Surtout je te conseille apprendre la science
De te faire cognoistre aux dames de la court
Qui ont bruit de sçavoir. C’est le chemin plus court,
Car si tu es un coup aux dames agréable,
Tu seras tout soubdain aux plus grands admirable.
Par art il te convient à ce point parvenir,
Par art semblablement t’y fault entretenir ;
Il te fault quelques fois, soit en vers, soit en prose,
Escrire finement quelque petite chose
Qui sente son Virgile et Ciceron aussi7 ;
Car si tu as des mots tant seulement soucy,
Tu seras bien grossier et lourdault, ce me semble,
Si par art tu ne peux en accoupler ensemble
Quelque peu : car icy par un petit chef-d’œuvre
Assez d’un courtisan le sçavoir se descœuvre.

Je ne veulx toutefois qu’on le face imprimer,
Car ce qui est commun se fait desestimer,
Et la perfection de l’art est de ne faire
Ains monstrer dédaigner ce que faict le vulgaire.
Mesmes, ce qui sera des autres imprimé,
Afin que tu en sois plus sçavant estimé,
Il te le fault blasmer8 ; mais il te fault eslire
Des loüeurs à propoz pour tes ouvraiges lire.
Et n’en fault pas beaucoup. Avec telles faveurs
Recite hardiment aux dames et seigneurs,
Tu seras sçavant homme, et les grands personnages
Te feront des presens, et seras à leurs gages.
Mais si tu veulx au jour quelque chose éventer,
Il fault premièrement la fortune tenter,
Sans y mettre ton nom, de peur de vitupère
Qu’un enfant abortif porte au nom de son père ;
Car en celant ton nom, d’un chacun tu peux bien
Sonder le jugement, sans qu’il te couste rien.
D’autant que tels escripts vaguent sans congnoissance
Ainsi qu’enfans trouvez, publiques de naissance.
Mais ne faulx pas aussi, si tu les voids loüer,
Maistre, père et autheur, pour tiens les advoüer.

Le plus seur toutefois seroit en tout se taire,
Et c’est un beau mestier, et fort facile à faire,
Le faisant dextrement. Fay courir qu’entrepris
Tu as quelque poëme et œuvre de hault pris,
Tout soudain tu seras montré parmy la ville
Et seras estimé de la tourbe civile.

Un vieulx ruzé de court naguières se vantoit
Que de la republique un discours il traitoit ;
Soudain il eut le bruit d’avoir épuisé Romme,
Et le sçavoir de Grèce, et qu’un si sçavant homme
Que luy ne se trouvoit. Par là il se poussa,
Et aux plus haults honneurs du palais s’avança,
Ayant mouché les roys avec telle practique,
Et si n’avoit rien fait touchant la republique.
Toutefois cependant qu’il a esté vivant,
Il a nourry ce bruit qui le meit en avant.
Jusqu’à tant que la mort sa ruse eut descouverte,
Car on ne trouva rien en son estude ouverte,
Ains par la seule mort au jour fut revelé
Le fard dont il s’estoit si longuement celé.

Quelque autre dit avoir entrepris un ouvrage
Des plus illustres noms qu’on lise de nostre age,
Et jà douze ou quinze ans nous deçoit par cet art ;
Mais il accomplira sa promesse plus tard
Que l’an du jugement. Toutefois par sa ruse
Des plus ambitieux l’esperance il abuse :
Car ceulx-là qui sont plus de la gloire envieux,
Le flattent à l’envy, et tachent, curieux,
De gaigner quelque place en ce tant docte livre
Qui peut à tout jamais leur beau nom faire vivre.
Ce trompeur par son art très riche s’est rendu,
Et son silence aux roys chèrement a vendu,
Noyant en l’eau d’oubly les beaux noms dont la gloire
Seroit, sans ses escripts, d’éternelle mémoire :
Car les Parthes menteurs, faulx, il surmontera,
Et nul (comme il promet) n’immortalisera ;
Mais il peindra le nez à tous, et pour sa peine
De les avoir trompez d’une esperance vaine,
Dessus un cheval blanc ses monstres il fera
Par la ville, et du roy aux gages il sera.

C’est un gentil apas pour les oyseaux attraire,
Ce que d’un autre dit le commun populaire,
Qui par les cabaretz tout exprès delaissoit
Quatre lignes d’un livre, et outre ne passoit
Avec un titre au front, qui se donnoit la gloire
D’estre le livre quart de la françoise histoire.
Qui doncques, je te pry, nyra que cestuy cy
Ne soit des plus heureux sans se donner soucy,
Qui quatre livres peult de quatre lignes faire,
Qui du doy pour cela est montré du vulgaire,
Qui pour cela de France est dit l’historien,
Et auquel pour cela on fait beaucoup de bien9 ?

J’ay, filz d’un laboureur, discouru brefvement
Tout ce facheux propoz, moy qui ay bravement
Delaissé les rasteaux pour m’attacher aux Muses.
Tu pourras par usage apprendre d’autres ruses ;
Or à Dieu, pense en moy, et pour attraper l’heur
Suy Mercure, qui est le plus fin oyseleur.

Fin.

In editione latina hæc omissa fuerant.

Area sed fœlix potiusque hæc aucupis illex
Quod fecisse alium narrat plebecula tota,
Urbis qui quandoque in diversoria nota
Venerat, ingressus conclave relinquere fuerat
Ut multi legerent non ferme plura quaternis
Versiculis, titulo charta minioque notata.
En liber historiæ jam quartus in ordine Gallæ,
Quis neget hune nullo fœlicem quæso labore.
Bis duo cui totidem peperere volumina versus ?
Monstrari hinc digito, scriptorque hinc dicier esse
Gallorum historiæ, atque hinc maxima premia ferre10.

Le Poëte courtisan.

Je ne veulx point icy du maistre d’Alexandre
Touchant l’art poëtiq’ les preceptes t’apprendre ;
Tu n’apprendras de moy comment joüer il fault
Les misères des roys dessus un eschafault11 ;
Je ne t’enseigne l’art de l’humble comœdie
Ni du Mëonien la muse plus hardie ;
Bref, je ne montre icy d’un vers Horatien
Les vices et vertuz du poëme ancien,
Je ne depeins aussi le poëte du vide.
La court est mon autheur, mon exemple et ma guide12 ;
Je te veulx peindre icy comme un bon artisan
De toutes ses couleurs l’Apollon courtisan,
Où la longueur surtout il convient que je fuye,
Car de tout long ouvraige à la court on s’ennuye.

Celuy donc qui est né (car il se fault tenter
Premier que l’on se vienne à la court presenter)
À ce gentil mestier, il fault que de jeunesse
Aux ruses et façons de la court il se dresse ;
Ce precepte est commun, car qui veult s’avancer
À la court, de bonne heure il convient commencer.

Je ne veulx que longtemps à l’estude il pallisse,
Je ne veulx que resveur sur le livre il vieillisse,
Fueilletant studieux tous les soirs et matins
Les exemplaires grecs et les autheurs latins.
Ces exercices là font l’homme peu habile,
Le rendent catareux, maladif et debile,
Solitaire, facheux, taciturne et songeard ;
Mais nostre courtisan est beaucoup plus gaillard.
Pour un vers allonger ses ongles il ne ronge,
Il ne frappe sa table, il ne resve, il ne songe,
Se brouillant le cerveau de pensemens divers
Pour tirer de sa teste un miserable vers,
Qui ne rapporte, ingrat, qu’une longue risée
Partout où l’ignorance est plus authorisée.

Toy donc qui as choisi le chemin le plus court
Pour estre mis au ranc des sçavants de la court,
Sans macher le laurier, ny sans prendre la peine
De songer en Parnasse, et boire à la fontaine
Que le cheval volant de son pied fist saillir,
Faisant ce que je dy, tu ne pourras faillir.

Je veulx en premier lieu que sans suivre la trace
(Comme font quelques uns) d’un Pindare et Horace,
Et sans vouloir comme eux voler si haultement,
Ton simple naturel tu suives seulement.
Ce procès tant mené, et qui encore dure,
Lequel des deux vault mieulx, ou l’art, ou la nature,
En matière de vers à la court est vuidé :
Car il suffit icy que tu soyes guidé
Par le seul naturel, sans art et sans doctrine,
Fors cet art qui apprend à faire bonne mine ;
Car un petit sonnet, qui n’ha rien que le son,
Un dixain à propos, ou bien une chanson,
Un rondeau bien troussé, avec une ballade
(Du temps qu’elle couroit13), vaut mieux qu’une Iliade.
Laisse-moy donques là ces Latins et Gregeoys
Qui ne servent de rien au poëte françois,
Et soit la seule court ton Virgile et Homère,
Puis qu’elle est (comme on dict) des bons esprits la mère.
La court te fournira d’arguments suffisants,
Et seras estimé entre les mieulx disants,
Non comme ces resveurs qui rougissent de honte,
Fors entre les sçavants des quelz on ne fait compte.

Or, si les grands seigneurs tu veulx gratifier,
Arguments14 à propoz il te fault espier,
Comme quelque victoire, ou quelque ville prise,
Quelque nopce, ou festin, ou bien quelque entreprise
De masque, ou de tournoy : avoir force desseings,
Des quelz à ceste fin tes coffres seront pleins.

Je veulx qu’aux grands seigneurs tu donnes des devises15 ;
Je veulx que tes chansons en musique soient mises ;
Et à fin que les grands parlent souvent de toy,
Je veulx que l’on les chante en la chambre du roy.
Un sonnet à propoz, un petit épigramme
En faveur d’un grand prince ou de quelque grand’dame,
Ne sera pas mauvais ; mais garde-toy d’user
De mots durs ou nouveaulx qui puissent amuser
Tant soit peu le lisant : car la doulceur du stile
Fait que l’indocte vers aux oreilles distille,
Et ne fault s’enquerir s’il est bien ou mal fait,
Car le vers plus coulant est le vers plus parfaict.

Quelque nouveau poëte à la court se presente :
Je veulx qu’à l’aborder finement on le tente ;
Car s’il est ignorant, tu sçauras bien choisir
Lieu et temps à propoz pour en donner plaisir ;
Tu produiras partout ceste beste, et en somme
Aux despens d’un tel sot tu seras galland homme.

S’il est homme sçavant, il te fault dextrement
Le mener par le nez, le loüer sobrement,
Et d’un petit soubriz et branlement de teste
Devant les grands seigneurs luy faire quelque feste,
Le presenter au roy, et dire qu’il fait bien
Et qu’il a mérité qu’on luy face du bien.
Ainsi, tenant tousjours ce pauvre homme soubz bride,
Tu te feras valoir en luy servant de guide ;
Et, combien que tu sois d’envie époinçonné,
Tu ne seras pour tel toutefois soubsonné.

Je te veulx enseigner un aultre poinct notable,
Pour ce que de la court l’eschole c’est ta table16 ;
Si tu veulx promptement en honneur parvenir,
C’est où plus saigement il te fault maintenir.
Il fault avoir tousjours le petit mot pour rire ;
Il fault des lieux communs qu’à tout propoz on tire
Passer ce qu’on ne sçait, et se montrer sçavant
En ce que l’on ha leu deux ou trois soirs devant.

Mais qui des grands seigneurs veult acquerir la grace
Il ne fault que les vers seulement il embrasse,
Il fault d’aultres propoz son stile déguiser,
Et ne leur fault tousjours des lettres deviser.
Bref, pour estre en cest art des premiers de ton age,
Si tu veulx finement joüer ton personnage,
Entre les courtisans du sçavant tu feras,
Et entre les sçavants courtisan tu seras.

Pour ce te fault choisir matière convenable
Qui rende son autheur aux lecteurs agreable,
Et qui de leur plaisir t’apporte quelque fruict.
Encores pourras tu faire courir le bruit
Que, si tu n’en avois commandement du prince,
Tu ne l’exposerois aux yeulx de ta province,
Ains te contenterois de le tenir secret,
Car ce que tu en fais est à ton grand regret.

Et, à la verité, la ruse coustumière,
Et la meilleure, c’est ne rien mettre en lumière,
Ains, jugeant librement des œuvres d’un chacun,
Ne se rendre subject au jugement d’aulcun,
De peur que quelque fol te rende la pareille,
S’il gaigne comme toy des grands princes l’oreille.

Tel estoit de son temps le premier estimé,
Duquel si on eust leu quelque ouvraige imprimé,
Il eust renouvelé peut-estre la risée
De la montaigne enceinte ; et sa Muse prisée
Si hault auparavant eust perdu (comme on dict)
La reputation qu’on luy donne à credit.

Retien donques ce point, et si tu m’en veulx croire,
Au jugement commun ne hasarde ta gloire ;
Mais, saige, sois content du jugement de ceulx
Lesquelz trouvent tout bon, auxquelz plaire tu veux,
Qui peuvent t’avancer en estats et offices,
Qui te peuvent donner les riches benefices,
Non ce vent populaire et ce frivole bruit
Qui de beaucoup de peine apporte peu de fruict.
Ce faisant, tu tiendras le lieu d’un Aristarque,
Et entre les sçavants seras comme un monarque.
Tu seras bien venu entre les grands seigneurs,
Des quelz tu recevras les biens et les honneurs,
Et non la pauvreté, des Muses l’héritage,
Laquelle est à ceulx-là reservée en partage,
Qui, dedaignant la court, facheux et malplaisans,
Pour allonger leur gloire accourcissent leurs ans.



1. Cette pièce, qui est on ne peut plus rare, a soulevé pour nous des questions fort curieuses et fort délicates. Elle figure, ainsi que Le Poëte courtisan, qui est à la suite, dans les Œuvres de Joachim du Bellay. Le recueil de ce poëte publié en 1560, in-4º, par Frédéric Morel, sous ce titre : La Monomachie de Goliath, ensemble plusieurs autres œuvres poétiques de Joachim du Bellay, Angevin, la reproduit, p. 41 et suiv. ; elle se trouve aussi dans l’édit. de 1574, in-8º, 1re part., p. 288, mais cette fois avec une mention qui manquoit dans l’édition précédente : Traduction d’une épistre latine sur un nouveau moyen de faire son proufit des lettres. De qui est cette épître latine ? C’est ce que nous n’avons pu découvrir. Quel est, d’un autre côté, le véritable auteur de la traduction ? Est-ce du Bellay, dont les œuvres s’en enrichirent ? Est-ce Quintil du Tronssay, dont le nom figure ici sur la première publication qui en ait été faite ? C’est ce que nous n’avons pu savoir davantage. L’opinion la plus probable, à laquelle nous nous sommes arrêtés, c’est que J. Quintil du Tronssay et Joachim du Bellay ne font qu’un même personnage. Du Bellay est le nom, Quintil du Tronssay seroit le pseudonyme. Ce ne peut être en effet autre chose ; nulle part ce nom ne se retrouve. Nous connaissons bien à la même époque un du Tronchet et un du Tronchay (V. l’abbé Goujet, t. XI, p. 135 ; XII, 115, 299) ; mais l’un s’appelle Bonaventure et l’autre Georges, ce qui exclut l’initiale J. Quant à Quintil, c’est un nom cicéronien de fantaisie, que tout le monde pouvoit endosser, mais que du Bellay plus que personne avoit intérêt à prendre ; voici pourquoi. En 1551, le Parisien Charles Fontaine avoit écrit contre La Defense et illustration de la langue françoise, publiée l’année précédente par du Bellay, une critique assez plate, mais souvent juste, intitulée d’abord Quintil horatian, puis Quintil censeur quand on la réimprima, en 1574, à la suite de l’Art poétique françois de Sibilet. Du Bellay ne répondit pas ; mais ayant, quelques années après, donné de l’épître latine sur La Manière de faire son profit des lettres, la traduction en rimes françoises reproduite ici, et dont plus d’un trait va droit à Charles Fontaine, il aura cru bon de prendre le pseudonyme de QuinQuintil, consacré par Fontaine lui-même, et de le combattre ainsi sous son propre pavillon. Ce procédé n’étoit pas contraire aux habitudes de du Bellay. Dans son premier recueil, daté d’octobre 1549, il avoit emprunté à Ronsard sa manière, comme ici à Fontaine son pseudonyme, et il en étoit résulté entre Ronsard et lui un petit différend fort bien raconté par M. Sainte-Beuve, d’après Bayle, Cl. Binet et Guillaume Colletet. (Tableau historique et critique de la poésie françoise au XVIe siècle, 1843, in-18, p. 338.) — Il ne faut pas s’étonner que du Bellay ait joint à son sobriquet latin un autre pseudonyme poitevin, et qu’il ait fait imprimer à Poitiers cette première édition de deux de ses meilleures œuvres. Le Poitou fut autant qu’Angers où il naquit, et Paris où il mourut, la patrie de sa muse. Peut-être y possédoit-il un bien, fief ou métairie portant ce nom de Tronssay, dont il se fait ici une signature. Une chose plus certaine, c’est qu’il alla souvent à Poitiers. Il en revenoit un jour de l’année 1548, lorsqu’il rencontra dans une hôtellerie Ronsard, qui, dès lors, lui fut lié d’amitié. Il y eut toujours des amis. G. Aubert, qui recueillit ses œuvres, étoit de Poitiers. — Nous ne reviendrons pas sur l’auteur de l’épître latine, dont la première de nos deux pièces n’est que la traduction. Peut-être est-ce du Bellay lui-même, qui fut en latin aussi bon poëte qu’en françois. Il se pourroit toutefois qu’il eût traduit le latin d’un autre. Il ne trouvoit pas cette tâche au-dessous de lui. Ses Courtisanes repenties et contre repenties sont traduites du latin de son ami le Tolosain P. Gilbert, sur lequel on peut lire une note excellente de M. de Montaiglon. (Huit sonnets de Joachim du Bellay, 1849, in-8º, p. 17–19.) — J. du Bellay survécut bien peu de temps à la publication des deux pièces données ici. Il mourut le 1er janvier 1560, frappé d’apoplexie, quoiqu’il n’eût que trente-cinq ans : « Ceux, lisons-nous dans la traduction du Théâtre universel de Jehan Bodin, par François de Fougerolles, p. 885–886, seul livre où se trouve ce détail que personne n’y avoit encore repris ; ceux qui sont sujets à l’ébullition de sang, avec inflammation du cerveau, sont en danger d’être suffoqués, en la pleine lune, par la force des esprits qui le dilatent jusques à crever, comme il arriva à Joachim du Bellay, poëte de mon temps, lorsqu’il s’en retournoit en sa maison, venant de souper. »

2. Il veut dire retaillats, épithète ordinaire accolée alors au nom des Juifs convertis. « C’est, dit Laurent Joubert, c’est un Juif ou un Turc qui a quitté sa religion, que les siens nomment depuis retaillat, comme nous disons révolté ; mais c’est en autre sens et pour autre occasion. Quand on le tailla premièrement, quand on le circoncit, et depuis on le retaille pour couvrir le prépuce. » Les Erreurs populaires, 1585, in-8º, 2e part., p. 157.

3. De rana, grenouille. Le nom de rainette en est venu pour certaine espèce de pommes, vertes comme la petite grenouille d’arbre, que l’on continue d’appeler aussi rainette. La rue Chantereine, à Paris, se nomme ainsi d’après une étymologie pareille. Elle remplace un marais où coassoient les grenouilles ou raines. Qui dit Chantereine veut dire Chantegrenouille.

4. Tout ce passage va droit à Charles Fontaine, fils de marchand, qui entreprit le voyage d’Italie pour faire sa cour à Renée de Ferrare, et qui en rapporta, en même temps qu’une grande admiration pour ce qu’on y écrivoit, un grand mépris pour notre littérature nationale, pour la françoise Minerve, comme il est dit ici. Du Bellay devoit d’autant plus s’indigner de ce mépris de Fontaine pour nos muses françoises, qu’il avoit surtout éclaté dans le Quintil horatian, dont le but étoit la critique de sa Défense et illustration de la langue françoise. Au sujet du voyage de Fontaine en Italie, dont font foi plusieurs de ses élégies et de ses épigrammes, on peut consulter la Bibliothèque françoise de l’abbé Goujet, t. XI, p. 120–121.

5. Ici du Bellay critique moins Charles Fontaine qu’il ne se critique lui-même. Fontaine étoit allé en Italie à la suite d’un belliqueur, ainsi qu’on le voit par quelques vers de l’Élégie sur la mort de sa sœur, et Joachim y avoit suivi un cardinal son parent, portant le même nom que lui, et patron de Rabelais avant d’être le sien.

6. Allusion à un usage du Pnyx d’Athènes, où, à l’époque de Périclès, quiconque avoit la parole ne devoit la garder que pendant un certain espace de temps, mesuré sur l’horloge de sable, ou sur le clepsydre. On voulut à l’Assemblée constituante, dès les premières séances, prendre une mesure semblable contre la loquacité des orateurs. M. Bouche fit une motion, dite du sablier, tendant à faire restreindre, pour chaque orateur, le droit de parole à cinq minutes seulement. Un sablier de cinq minutes auroit été placé devant le président, et personne n’auroit dû laisser à son flux de paroles un cours plus long que celui du sable tombant d’un bassin dans l’autre. Quelques phrases spirituelles de M. de Clermont-Tonnerre firent rejeter cette proposition, que l’Assemblée avoit d’abord très-favorablement accueillie.

7. Ceci va droit encore à Charles Fontaine et à son Quintil horatian, où il se montre si pédantesquement infatué du latin d’Horace, de Virgile et de Cicéron.

8. C’est ce que Fontaine avoit fait contre la Défense et illustration de la langue françoise, et ce que du Bellay ne lui avoit pas pardonné.

9. J’ignore à qui du Bellay faisoit allusion tout à l’heure, lorsqu’il parloit : de ce magistrat qu’un livre sur la République, sans cesse promis, jamais publié, avança si bien dans les honneurs ; et de cet autre écrivain qui se fit une même fortune par le livre, toujours en espérance, où quiconque lui auroit fait du bien aurait eu un éloge ; mais je crois volontiers que l’historien dont il parle ici doit être Denys Sauvage, qui, nommé historiographe par Henri II, n’écrivit pourtant rien sur le règne de ce roi.

10. Ces vers, dont l’avant-dernier paragraphe de la pièce françoise est la traduction, ne se trouvent pas dans les éditions de du Bellay, non plus que le reste de l’épître latine.

11. Dans le sens de théâtre. C’étoit celui qu’il avoit alors le plus communément. « Ces provinces, dit Nicolas Pasquier, liv. VIII, lettre 2, serviront d’un échafaud tout public et sanglant, où se joueront tous les actes de cette grande tragédie. »

12. Le mot guide étoit alors du féminin dans toutes ses acceptions, comme il l’est encore dans le sens de rêne pour conduire les chevaux. V. t. I, p. 76.

13. Le genre de la ballade, qui commençoit à n’être plus en faveur, eut une sorte de réveil au XVIIe siècle ; mais Trissotin toutefois pouvoit dire avec raison à Vadius :

Ce n’en est plus la mode, elle sent son vieux temps.

14. Argument est ici dans le sens de sujet de pièce.

15. On sait de quelle importance furent les devises jusqu’au XVIIe siècle, où elles jouoient dans les carrousels le rôle qu’elles avoient eu dans les tournois, et figuroient comme un dernier débris des temps chevaleresques. Dans les Entretiens d’Ariste et d’Eugène, par le P. Bouhours, le VIe leur est tout entier consacré. Les grands seigneurs recouroient aux poëtes pour leur faire des devises, dont beaucoup furent des plus ingénieuses, comme on le voit par les citations du P. Bouhours. Les auteurs gardoient pour eux-mêmes quelque chose de leur marchandise, ils s’étoient presque tous donné des devises, qu’ils apposoient sur leurs œuvres, et qui souvent en étoient la seule signature. V. G. Guiffrey, Poème inédit de Jehan Marot, 1860, in-8, p. 126, note.

16. C’est dans les festins, à l’issue, c’est-à-dire au dessert, qu’on chantoit les chansons nouvelles, comme cela se fait encore dans les provinces, et que les auteurs essayoient leurs ouvrages par des lectures à haute voix. Les comiques y jouoient leurs farces. Cotin, dans sa Satire des Satires, reproche à Boileau d’aller avec son Turlupin, c’est-à-dire avec Primorin, son frère, et non pas avec Molière, comme on l’a prétendu, gagner ainsi, par ses bouffonneries, « de bons dîners chez le sot campagnard ». Montfleury, dans l’Impromptu de l’hôtel de Condé (sc. 3), fait un reproche du même genre à Molière. Il a, fait-il dire à l’un de ses personnages, à propos de l’Impromptu de Versailles, qui, suivant lui, n’étoit rien moins qu’un impromptu,

Il a joué cela vingt fois au bout des tables,
Et l’on sait, dans Paris, que, faute d’un bon mot,
De cela, chez les grands, il payoit son escot.