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La Philosophie de Georges Courteline/I

La bibliothèque libre.
Ernest Flamarion, éditeur (p. 7-13).

I


De la Vérité
et de la difficulté qu’il y a
à la faire sortir de son puits.

Si le propre de la raison est de se méfier d’elle-même, combien est persuasive l’éloquence des déments à prêcher qu’ils sont la sagesse, et qu’il est malaisé de démontrer leur erreur !

Il faut éviter le paradoxe comme une fille publique qu’il est, avec laquelle on couche à l’occasion, pour rire, mais qu’un fou, seul, épouserait.

La difficulté est de savoir à quel point exact il commence. J’en ai entendu soutenir qui rapprochaient si étrangement des vérités dites « premières » !…

Il n’est tel axiome, même inepte, qui ne trouve son admirateur. En revanche, il n’est telle vérité dont le moraliste qui l’émet ne suspecte l’exactitude, de l’instant où il l’a émise.

La vie donne rarement ce qu’on attendait d’elle.

La raison se prononce dans un sens, l’événement solutionne dans l’autre, et l’homme continue gravement à tirer des conclusions et à émettre des pronostics.

La Vérité est faite d’une accumulation de suppositions et de légendes que les pères repassent aux fils comme des souvenirs de famille et qui, à son insu, lentement, sont devenues son armature.

La Vérité philosophique, variable, d’ailleurs, avec les milieux et les civilisations, est une convention comme une autre.

Sortie des commandements de Dieu : « Tu ne tueras pas ; tu ne prendras pas le bien du prochain ; tu ne feras pas de faux témoignages », la Vérité est si relative, si exposée à se modifier au contact de l’individu, que des axiomes philosophiques peuvent parfaitement être contradictoires sans que chacun d’eux cesse, pour cela, d’être probant.

En fait, les moralistes se placent devant la vie comme des peintres devant un motif ; d’où, du motif et de la vie, des études qui n’ont aucun rapport entre elles, et qui, prises isolément, sont cependant d’une ressemblance à crier.

Il est indispensable, dans toute discussion, de se placer au point de vue où se place l’adversaire ; il faut le battre avec ses propres armes, sur son propre terrain, chez lui !

Ainsi seulement (et encore !…) on approchera (et pas beaucoup !…) de ce qu’on est convenu d’appeler un petit rien du tout de tantinet de vague commencement de vérité.

Je ne crois vraiment pas qu’il existe une vérité philosophique à laquelle on ne puisse victorieusement répondre, avec Montaigne : « Que sais-je » ; avec Rabelais : « Peut-être » ; avec le docteur Marphurius : « C’est incertain. Il se peut faire. Il n’y a pas impossibilité. »

Il est consolant de penser que si la folie ne gagne rien au contact de la raison, en revanche, la raison s’altère au contact de la folie.