La Poésie des bêtes/3

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Librairie des Bibliophiles (p. 21-22).

LES OISILLONS


Tu l’as cueilli trop tôt dans le rosier sauvage,
Ce nid qu’un imprudent jardinier te montra,
Jeune fille ! et voilà des pleurs sur ton visage,
Parce que ta couvée avant ce soir mourra.

Vois-tu, sur tes genoux, chaque fois que tu bouges,
Se soulever ces fronts aveugles et rasés,
Et s’ouvrir en criant toutes ces gorges rouges,
Où tu ne peux, hélas ! mettre que des baisers ?

Ils ont froid, ils ont faim ; leur pauvre nid de mousse
Comme un vieux vêtement se déchire et s’en va,
Et ton haleine, encor qu’elle soit chaude et douce,
Ne saurait remplacer l’aile qui les couva.


Ils mourront… Et là-bas, sur sa branche déserte,
Leur mère en gémissant gardera jusqu’au soir,
Frétillante à son bec, quelque chenille verte
Pour ses chers oisillons, qu’elle espère revoir…
 
Va ! cours lui rapporter sa frileuse famille ;
Replace bien le nid au milieu du rosier.
Demain, à ton réveil, au sein de la charmille,
Leur père chantera pour te remercier.

Va vite ! Et puisses-tu, lorsque tu seras mère,
Ne voir jamais tes fils ayant froid, ayant faim,
Et ne connaître point alors l’angoisse amère
De voir ton feu s’éteindre et se tarir ton sein !