La Princesse de Babylone/Chapitre XX

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La Princesse de Babylone
La Princesse de BabyloneGarniertome 21 (p. 421-423).
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CHAPITRE XX.

FORMOSANTE, DÉSESPÉRÉE DE CE QU’ELLE A VU, QUITTE LES GAULES, ET VOUDRAIT Y ÊTRE ENCORE. AMAZAN, INCONSOLABLE DE SON INFIDÉLITÉ, COURT APRÈS FORMOSANTE.


Formosante jeta un cri de douleur qui retentit dans toute la maison, mais qui ne put éveiller ni son cousin ni la fille d’affaire. Elle tomba pâmée entre les bras d’Irla. Dès qu’elle eut repris ses sens, elle sortit de cette chambre fatale avec une douleur mêlée de rage. Irla s’informa quelle était cette jeune demoiselle qui passait des heures si douces avec le bel Amazan. On lui dit que c’était une fille d’affaire fort complaisante, qui joignait à ses talents celui de chanter avec assez de grâce. « Ô juste ciel, ô puissant Orosmade ! s’écriait la belle princesse de Babylone tout en pleurs, par qui suis-je trahie, et pour qui ! Ainsi donc celui qui a refusé pour moi tant de princesses m’abandonne pour une farceuse des Gaules ! Non, je ne pourrai survivre à cet affront.

— Madame, lui dit Irla, voilà comme sont faits tous les jeunes gens d’un bout du monde à l’autre : fussent-ils amoureux d’une beauté descendue du ciel, ils lui feraient, dans de certains moments, des infidélités pour une servante de cabaret.

— C’en est fait, dit la princesse, je ne le reverrai de ma vie ; partons dans l’instant même, et qu’on attelle mes licornes. »

Le phénix la conjura d’attendre au moins qu’Amazan fût éveillé, et qu’il pût lui parler. « Il ne le mérite pas, dit la princesse ; vous m’offenseriez cruellement : il croirait que je vous ai prié de lui faire des reproches, et que je veux me raccommoder avec lui. Si vous m’aimez, n’ajoutez pas cette injure à l’injure qu’il m’a faite. » Le phénix, qui après tout devait la vie à la fille du roi de Babylone, ne put lui désobéir. Elle repartit avec tout son monde.

« Où allons-nous, madame ? lui demandait Irla.

— Je n’en sais rien, répondait la princesse ; nous prendrons le premier chemin que nous trouverons : pourvu que je fuie Amazan pour jamais, je suis contente. »

Le phénix, qui était plus sage que Formosante, parce qu’il était sans passion, la consolait en chemin ; il lui remontrait avec douceur qu’il était triste de se punir pour les fautes d’un autre ; qu’Amazan lui avait donné des preuves assez éclatantes et assez nombreuses de fidélité pour qu’elle pût lui pardonner de s’être oublié un moment ; que c’était un juste à qui la grâce d’Orosmade avait manqué ; qu’il n’en serait que plus constant désormais dans l’amour et dans la vertu ; que le désir d’expier sa faute le mettrait au-dessus de lui-même ; qu’elle n’en serait que plus heureuse ; que plusieurs grandes princesses avant elle avaient pardonné de semblables écarts, et s’en étaient bien trouvées ; il lui en rapportait des exemples, et il possédait tellement l’art de conter que le cœur de Formosante fut enfin plus calme et plus paisible ; elle aurait voulu n’être point si tôt partie : elle trouvait que ses licornes allaient trop vite, mais elle n’osait revenir sur ses pas ; combattue entre l’envie de pardonner et celle de montrer sa colère, entre son amour et sa vanité, elle laissait aller ses licornes ; elle courait le monde selon la prédiction de l’oracle de son père.

Amazan, à son réveil, apprend l’arrivée et le départ de Formosante et du phénix ; il apprend le désespoir et le courroux de la princesse ; on lui dit qu’elle a juré de ne lui pardonner jamais. « Il ne me reste plus, s’écria-t-il, qu’à la suivre et à me tuer à ses pieds. »

Ses amis de la bonne compagnie des oisifs accoururent au bruit de cette aventure ; tous lui remontrèrent qu’il valait infiniment mieux demeurer avec eux ; que rien n’était comparable à la douce vie qu’ils menaient dans le sein des arts et d’une volupté tranquille et délicate ; que plusieurs étrangers et des rois mêmes avaient préféré ce repos, si agréablement occupé et si enchanteur, à leur patrie et à leur trône ; que d’ailleurs sa voiture était brisée, et qu’un sellier lui en faisait une à la nouvelle mode ; que le meilleur tailleur de la ville lui avait déjà coupé une douzaine d’habits du dernier goût ; que les dames les plus spirituelles et les plus aimables de la ville, chez qui on jouait très-bien la comédie, avaient retenu chacune leur jour pour lui donner des fêtes. La fille d’affaire, pendant ce temps-là, prenait son chocolat à sa toilette, riait, chantait, et faisait des agaceries au bel Amazan, qui s’aperçut enfin qu’elle n’avait pas le sens d’un oison.

Comme la sincérité, la cordialité, la franchise, ainsi que la magnanimité et le courage, composaient le caractère de ce grand prince, il avait conté ses malheurs et ses voyages à ses amis ; ils savaient qu’il était cousin issu de germain de la princesse ; ils étaient informés du baiser funeste donné par elle au roi d’Égypte. « On se pardonne, lui dirent-ils, ces petites frasques entre parents, sans quoi il faudrait passer sa vie dans d’éternelles querelles. » Rien n’ébranla son dessein de courir après Formosante ; mais, sa voiture n’étant pas prête, il fut obligé de passer trois jours parmi les oisifs dans les fêtes et dans les plaisirs ; enfin il prit congé d’eux en les embrassant, en leur faisant accepter les diamants de son pays les mieux montés, en leur recommandant d’être toujours légers et frivoles, puisqu’ils n’en étaient que plus aimables et plus heureux. « Les Germains, disait-il, sont les vieillards de l’Europe ; les peuples d’Albion sont les hommes faits ; les habitants de la Gaule sont les enfants, et j’aime à jouer avec eux. »