La Propriété souterraine en France/03

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LA
PROPRIETE SOUTERRAINE
EN FRANCE

III.
L'INDUSTRIE DES COMBUSTIBLES MINERAUX.



La houille, qui a été le sujet d’une étude précédente, n’est pas, on le sait, la seule source de carbone que la croûte du globe procure à l’industrie humaine pour développer de la chaleur ; elle est seulement la plus abondante de ces sources et le plus parfait des combustibles fossiles. L’anthracite, le lignite et la tourbe doivent aussi appeler notre attention. Pour les deux premières substances, les notions géologiques et techniques déjà exposées à propos de la houille nous seront d’une grande utilité. Quant à la troisième, qui se forme en quelque sorte sous nos yeux, elle nous donnera une idée du phénomène général qui a pu successivement présider à l’origine des combustibles minéraux. La tourbe nous montrera de plus un mode de propriété souterraine tout à fait différent de celui des mines, et qui ne pourra en conséquence être étudié que plus tard.

I. — DES COMBUSTIBLES MINERAUX AUTRES QUE LA HOUILLE.

La houille n’est ni le plus moderne ni le plus ancien des dépôts carbonifères qui sont venus successivement enrichir les groupes d’assises régulières dont est constituée la majeure partie de l’écorce de notre globe. Si nous avions soumis ces dépôts à une classification purement géologique, nous aurions dû prendre pour point de départ, soit la tourbe sous le rapport de la formation des matières carbonifères, soit l’anthracite sous le rapport de la superposition des terrains sédimentaires. La houille et le lignite sont les deux termes moyens d’une série où l’anthracite se trouve placé tout à fait à la partie inférieure. La formation houillère peut être considérée comme séparée de la formation d’anthracite par ce calcaire carbonifère qui est, on l’a vu, la roche caractéristique des bassins houillers d’origine pélagienne. Il y a là une ligne de démarcation géologique fort nette qui permet de dire, pour un gisement déterminé de combustible à la limite des terrains primaires et secondaires, s’il s’agit d’anthracite ou de houille. Il suffit en effet de constater l’antériorité ou la postériorité du dépôt carbonifère relativement au dépôt calcaire qui accompagne presque toujours la première de ces deux substances. Cette distinction scientifique n’est pas d’accord cependant avec la distinction industrielle, qui repose sur d’autres bases. On a remarqué que généralement les couches d’un bassin houiller sont d’autant plus bitumineuses qu’elles sont plus élevées, comme si l’influence de la chaleur centrale du globe terrestre avait été en diminuant à mesure que la couche qui la subissait était plus éloignée du foyer. Le même phénomène paraîtrait aussi se produire dans le passage de l’anthracite à la houille. En fait néanmoins, des couches supérieures d’anthracite ont souvent le caractère découches de houille, et des couches inférieures de houille sont aussi maigres que des couches d’anthracite, de telle sorte que la question d’âge du combustible n’a plus, dans certaines localités, aucun intérêt pour l’emploi industriel.

Le terrain anthracifère a du reste une composition analogue à celle du terrain houiller, et l’origine des deux combustibles semble identique. Sans revenir à ce propos sur les systèmes relatifs à la formation de la houille, ou sur la nature des roches stériles du terrain carbonifère, il vaut mieux arriver tout de suite à la distribution des couches d’anthracite en France. L’anthracite se trouve dans le Forez, dans l’Anjou, dans le Maine surtout, où la présence simultanée du doyen des combustibles minéraux et du calcaire auquel il est subordonné, jointe à la nature du sol, a littéralement changé la face du pays en développant la fabrication de la chaux, pour laquelle l’anthracite est particulièrement propre. Si le bassin anthracifère du Maine ne nous présente pas les incidens et les épisodes que nous avons rencontrés dans nos bassins houillers du nord et de l’est, il appelle notre attention à un autre titre. L’industrie minérale et l’industrie agricole, qui n’ont généralement aucune relation, et dont les intérêts sont même souvent opposés, s’y montrent assez intimement unies pour que les progrès de l’une puissent donner, avec une rigueur presque mathématique, la mesure des progrès de l’autre. En effet, l’anthracite produit par les mines de la Sarthe et de la Mayenne est à peu près exclusivement absorbé par les chaufourniers, et les neuf dixièmes au moins de la chaux fabriquée sont employés à l’amendement des terres. Si l’on consulte la série des chiffres annuels de l’extraction particulière à chacun de ces départemens, on en verra l’allure, rapidement progressive pour tous deux, bien plus nettement accusée dans le second que dans le premier : c’est que la plus grande partie du sol de la Mayenne appartient aux terrains anciens, tandis que ceux-ci ne forment dans la Sarthe qu’une bande étroite, longeant des terrains plus modernes et principalement sablonneux. Dans le premier cas, le chaulage est impérieusement réclamé ; dans le second, la marne est le véritable agent de fertilisation.

Il y a cinquante ans, la Mayenne ne suffisait pas à produire les 1,200,000 hectolitres de grains qui représentaient sa consommation annuelle ; il y a vingt ans, l’exportation en froment atteignait précisément ce chiffre, qui représenterait en outre l’excès de la production de cette fertile région sur la production considérée trente ans auparavant. Suivant une publication récente du comité des houillères françaises[1], chacun des 200,000 hectares — dont l’amendement exige annuellement 2,800,000 hectolitres de chaux, correspondant à 800,000 hectolitres d’anthracite, — rapporte environ 30 francs de plus qu’il y a trente ans, d’où une augmentation de 6,000,000 de francs pour le revenu net de la propriété foncière et de 200,000,000 de francs pour la valeur du capital.

Les couches d’anthracite du Maine sont fort irrégulières. Ordinairement assez inclinées et parfois très sinueuses, elles ont une épaisseur singulièrement variable, qui atteint rarement à 1 mètre, sauf dans deux concessions, où le combustible se trouve en amas considérables et anormaux ; elles offrent d’ailleurs au plus haut degré cette série de renflemens et d’amincissemens qui donnent souvent aux couches du terrain houiller l’apparence d’un chapelet. Ainsi que la houille, l’anthracite adhère peu à la roche sur laquelle il repose, et dont il est séparé par une surface si polie, que, pour peu que celle-ci soit assez inclinée, on a beaucoup de peine à s’y tenir debout. Les mines d’anthracite du Maine sont d’ailleurs de fort grandes exploitations[2], que le peu d’épaisseur et l’irrégularité des gîtes rendent très coûteuses : l’extraction du combustible y est nécessairement d’autant plus chère que les travaux deviennent plus promptement étendus et profonds tout à la fois, et que les frais qu’ils entraînent par cela même se répartissent sur une moindre quantité de puits. Ces couches sont situées d’ailleurs au-dessous d’un grès sablonneux, qui nécessite un boisage dispendieux des galeries, et qui, par une grande perméabilité, donne souvent une fâcheuse abondance d’eaux, à laquelle il faut opposer d’énergiques moyens d’épuisement. Les schistes du terrain anthracifère sont parfois tellement pyriteux, qu’ils peuvent prendre feu spontanément sous l’influence de l’air, et les eaux qui les ont lessivés, devenues excessivement acides, acquièrent une force corrosive dont on a de nombreux exemples. À la suite de la rupture d’un organe essentiel d’une forte machine à vapeur fonctionnant sur une mine située aux environs de Sablé, on avait dû, pendant une semaine, suspendre les travaux pour l’épuisement des eaux. Quand la machine eut été réparée, elle ne put fonctionner, un clapet de piston ayant été complètement mis hors de service par l’action corrosive des eaux, qui, en remontant dans l’intérieur durant le chômage involontaire, avaient baigné les schistes ; en quelques heures, les pistons en fonte étaient attaqués au point de se laisser entamer au couteau, et les boulons étaient réduits de moitié. L’habile directeur de la concession ne put se tirer de ce mauvais pas qu’en neutralisant l’acidité des eaux par une addition convenable de chaux. Cette saturation incomplète permit du moins d’attendre l’arrivée de pistons en bronze, qui seuls purent élever au jour les 15,000 mètres cubes d’eau qui avaient envahi la mine. Dans une exploitation voisine, située sur les bords de la Sarthe, un tube en tôle, d’une quarantaine de mètres, qui retenait les eaux sur le pourtour d’un puits, s’est inopinément rompu sous cette action corrosive, s’exerçant sur un métal dont l’épaisseur était insuffisante, et s’est aplati sur une dizaine de mètres. — On n’a constaté qu’exceptionnellement la présence du redoutable grisou dans les mines d’anthracite du Maine ; bien que peu abondant et ne donnant ordinairement lieu qu’à de petites inflammations sans danger, ce gaz a cependant provoqué parfois de véritables explosions suivies de la mort d’ouvriers.

La découverte de l’anthracite du Maine est uniquement due au hasard. À la fin de 1813, un négociant de Nantes, qui connaissait les mines de la Loire-Inférieure, ayant fait creuser un puits domestique dans une ferme dont il était propriétaire dans la Sarthe, y remarqua des traces d’une substance noirâtre qu’il prit pour de la houille, et en envoya un échantillon à la Société des Arts du Mans. L’inventeur se livra à quelques recherches, mais avec des ouvriers si inexpérimentés, qu’ils dépassèrent la couche d’anthracite sans s’en apercevoir. En 1816 seulement, lorsque des tracés de routes, des creusemens de fossés eurent fortuitement fait reconnaître les affleuremens de quelques gîtes, l’attention des propriétaires du sol fut éveillée, et ils commencèrent de petites exploitations, allant aussi profondément qu’ils le pouvaient, poussant de courtes galeries jusqu’à ce qu’ils fussent chassés par les eaux, puis se reportant ailleurs. Quelques-uns, se réunissant, demandèrent dès cette époque des concessions au gouvernement ; mais on ne les institua qu’en 1822, date réelle de l’origine des exploitations régulières. Les premiers concessionnaires eurent du reste à lutter contre les extracteurs illicites, qui, n’ayant pas des idées bien nettes sur le droit de propriété souterraine, et voyant dans le tracé du périmètre concédé une garantie de succès, venaient s’y installer et préparer ainsi de fâcheuses entraves aux exploitations régulières. Les transactions mêmes qui intervinrent entre les concessionnaires et les extracteurs, trop facilement tolérés, perpétuèrent ce fâcheux état de choses, qui du moins développa activement l’industrie minérale du pays. L’heureuse influence de cette conquête se manifesta immédiatement par une baisse de moitié dans le prix de la chaux et par le brillant essor de l’agriculture locale.

L’histoire du bassin anthracifère du Maine présente à peu près les mêmes phases que celle du bassin houiller de la Loire, et il y a là quelques faits d’économie locale et industrielle qui, bien que relatifs à une fraction minime de notre propriété souterraine, ne sont cependant pas dénués de tout intérêt. Le développement de l’industrie minérale ne s’est fait dans la Sarthe et la Mayenne qu’au prix de grands sacrifices, notamment par la construction de chemins nombreux, sans lesquels elle ne pouvait même prendre naissance. Maintenant encore les concessionnaires subissent, pour les charbons qu’ils livrent aux chaufourniers, un mode de paiement qui les condamne à un crédit à long terme vraiment exorbitant, résultat presque obligatoire de la concurrence acharnée que ces chaufourniers se font entre eux. Afin d’attirer le consommateur de chaux, ils lui donnent des délais de plusieurs années pour le paiement des livraisons ; et les propriétaires de mines ont naturellement été conduits à entrer dans la même voie que leur clientèle. Telle est la force des habitudes industrielles et commerciales d’un pays, alors même qu’elles sont radicalement vicieuses, qu’une tentative de modification a complètement échoué, bien qu’elle eût été faite par des concessionnaires à la fois riches et puissans. En vain, pour obtenir que la vente de la chaux se fit au comptant, ont-ils représenté aux chaufourniers que ceux qui l’achètent sont des fermiers habitués à opérer de cette manière, et qui, dans une région où le système progressif de la culture à moitié est en vigueur sur une grande échelle, partagent avec les propriétaires les dépenses d’engrais : ces représentations, appuyées par un manifeste habile et ferme, lancé au moment de la crise financière qui a suivi la révolution de 1848, produisirent un effet médiocre et vinrent échouer devant la résistance inerte des chaufourniers. Les audacieux novateurs se virent bientôt contraints de remettre en vigueur le système classique, sous peine de voir leur clientèle se porter vers les mines des autres concessionnaires, qui, ne changeant rien à la routine locale, auraient ainsi bénéficié du mécontentement provoqué par la tentative inopportune de leurs rivaux. Dans un défaut d’entente et surtout d’inopportunité est évidemment la cause de l’insuccès d’une tentative qui n’a du reste plus été reproduite. Donc vers le 1er novembre de chaque année, époque du commencement de la campagne, les chaufourniers remettent aux concessionnaires un état de leurs besoins présumés d’anthracite, et souscrivent des billets à ordre en quatre échéances, trimestriellement échelonnées au bout de onze mois révolus, et parfois prorogées bénévolement de trois autres mois par les concessionnaires, qui supportent ainsi la perte de plus d’une année d’intérêt.

Comme pendant de cette lutte terminée à l’avantage des chaufourniers du Maine, je dois mentionner la guerre que se sont longtemps faite les producteurs d’anthracite, guerre dont les effets ne tardèrent pas à devenir assez désastreux pour compromettre l’existence de quelques mines du bassin. Chacun des concessionnaires cherchait à étendre le rayon naturel de ses débouchés au détriment du voisin ; d’autres, se faisant en même temps chaufourniers et mineurs, entraient à ce double titre dans le conflit industriel dont la Sarthe et la Mayenne étaient le théâtre, et s’y épuisaient doublement. Cet antagonisme tient aux conditions naturelles des deux départemens, dont le premier ne présente que dans la partie occidentale le sol argilo-siliceux qui réclame l’amendement calcaire, et produit plus d’anthracite qu’il n’en consomme, tandis que le second, dont ce sol particulier recouvre presque entièrement la superficie, joue un rôle inverse. De cet état de choses invariable et de la situation topographique des mines d’anthracite est résultée la formation de deux groupes rivaux de mines dont Sablé et Laval sont les centres, et l’infériorité du groupe de Sablé, sous le rapport du placement des charbons, a excité les concessionnaires de cette région à poursuivre un accroissement de débouchés par tous les moyens, même par une réduction excessive du prix de vente. Comme cela arrive souvent, chaque concessionnaire comprenait parfaitement les inconvéniens immédiats de cette concurrence effrénée ; mais aussi il attendait l’époque où son voisin ne viendrait plus, par des bonifications exagérées, qui étaient presque insignifiantes pour les consommateurs, lui enlever l’approvisionnement des fours à chaux situés dans le rayon naturel de ses débouchés. De 1845 à 1848, la lutte ne subsista plus qu’entre les mines du groupe de Laval et celles du groupe de Sablé, ces dernières ayant été réunies par un traité consenti pour trois ans, au bout desquels d’ailleurs cette association momentanée fut dissoute. Vers le milieu de 1848, une tentative de réunion de toutes les mines du Maine eut lieu à Laval ; mais la production annuelle, à laquelle chacune devait concourir dans une proportion convenue, excédant de 5,000 hectolitres à peine la consommation présumée des deux départemens, les membres du petit congrès industriel ne purent s’entendre sur la répartition de cette diminution. Derrière cet entêtement puéril se cachait, on le devine, le désir de plusieurs concessionnaires de conserver la liberté de produire autant que bon leur semblerait. Les rivalités industrielles poussées à ce degré manquent rarement d’amener une fusion des intérêts en présence : c’est ce qui se produisit à la fin de 1850 par la formation de la compagnie générale des mines de Sarthe et Mayenne, qui réunit six des huit compagnies et quatorze des dix-sept concessions du bassin anthracifère du Maine. On voit qu’elle venait, comme la société des mines de la Loire, réparer les conséquences fâcheuses pour tous d’un état de choses réellement anarchique, sauver en quelque sorte d’une ruine prochaine la propriété souterraine d’un département, qui se trouvait aménagée, par suite d’une concurrence excessive, contrairement aux principes conservateurs dont cette propriété exige impérieusement le respect. Cependant, comme la compagnie des mines de la Loire, celle des mines du Maine a encouru le reproche de se préoccuper beaucoup plus du prix de revient que du prix de vente dans la direction donnée à l’ensemble de ses exploitations, d’en laisser un trop grand nombre en réserve (8 sur 14), pour concentrer sa production sur les plus importantes. Comme dans la Loire le mot de monopole a été prononcé, et l’opinion publique a été, il y a quelque temps, très émue au sujet des dangers que la grande compagnie faisait courir à l’industrie locale, — dangers un peu imaginaires toutefois, par suite de la concurrence que viennent faire les charbons anglais et ceux du nord de la France à l’anthracite du Maine. Il n’y a peut-être au fond, en ce moment, qu’à reprocher à cette compagnie de n’avoir point poussé avec assez d’activité les travaux d’aménagement, de telle sorte que sa production a décru à la suite d’une complication dans ces irrégularités de gisement dont je parlais tout à l’heure : les grains du chapelet anthraciteux sont devenus rares sur certains points, et l’intervalle qui les sépare a augmenté de manière à faire craindre la disparition totale du gîte. Les réclamations les plus vives auxquelles la compagnie ait été en butte ont du reste été provoquées par une augmentation du prix de la chaux, qui coïncidait précisément avec un abaissement du prix de l’anthracite, et qui en tout cas était l’œuvre des chaufourniers.

Dans le bassin de l’Anjou, bien qu’il offre un exemple de la présence dans les terrains de transition d’un combustible qui participe à la fois de la houille et de l’anthracite, les charbons servent aussi à peu près exclusivement à la fabrication de la chaux, dont la majeure partie est encore employée dans l’agriculture. C’est au point où ce bassin coupe la vallée de la Basse-Loire qu’a été appliquée par M. Triger la méthode ingénieuse et hardie du creusement des puits au moyen de l’air comprimé. Aux mines de l’Anjou se rattache un arrêt important de la cour de cassation. Il y a une vingtaine d’années, dans un procès engagé à propos d’une concession dont le titulaire primitif était le munitionnaire Foulon, cette première victime de la révolution de 1789, la cour suprême a proclamé que « dans l’ancien droit commun de la France, et quelles qu’aient pu être, à certaines époques, les prétentions des seigneurs haut-justiciers, les mines étaient de droit régalien. » Il n’y a guère qu’un souvenir du même ordre à mentionner au sujet de l’anthracite du Forez, dont l’essor est naturellement comprimé par l’important bassin houiller de la même province. Une contestation féconde en incidens est venue ici donner lieu au conseil d’état de poser les principes fondamentaux de la compétence exclusive et distincte du pouvoir administratif pour le règlement des droits du propriétaire du sol sur les produits d’une mine, et de l’autorité judiciaire pour le règlement des indemnités dues au sujet de recherches illicitement entreprises dans un terrain.

Enfin il existe en France un autre bassin anthracifère que je ne puis passer sous silence à cause de l’anomalie scientifique qui le signale à l’attention des géologues, et qui est, depuis tantôt trente ans, le sujet d’une controverse animée, non-seulement en France, mais en Angleterre et en Italie. Je veux parler de l’anthracite des Alpes, de l’existence dans une formation secondaire d’un combustible appartenant géologiquement partout ailleurs à la formation primaire. La région alpine, où l’ordre naturel des couches est entièrement bouleversé et où toutes les roches sont profondément altérées par des phénomènes de métamorphisme, a de tout temps été un champ de bataille pour les géologues ; mais nul fait ne les a aussi profondément émus que cette présence simultanée et incontestable (au milieu de bancs de grès et de schistes renfermant des couches d’anthracite et subordonnés au calcaire supérieur du lias) de coquilles fossiles qui caractérisent les terrains jurassiques et de végétaux fossiles particuliers au terrain houiller. Cette anomalie, qui semble venir donner un démenti à la théorie, si universellement consacrée par la pratique, de la superposition fondamentale et constante des formations géologiques, a servi de prétexte à quelques savans pour infirmer le caractère de généralité qui est ordinairement attribué aux lois de la paléontologie. D’autres, se refusant à reconnaître un fait aussi contraire aux principes les plus essentiels de la géologie, sont disposés à laisser à l’avenir le soin de démontrer un renversement local de couches appartenant les unes au terrain jurassique, les autres au terrain de transition. D’autres encore prétendent que le terrain anthracifère des Alpes est véritablement un terrain houiller dans lequel auraient vécu des mollusques de la période liasique, tandis que l’auteur d’un utile ouvrage sur les combustibles minéraux[3] préfère supposer un phénomène local et exceptionnel produisant dans la région alpine une réapparition anormale des conditions de température propices à la végétation anthracifère. Je bornerai là mes indications sur le conflit d’opinions qu’a suscité le terrain carbonifère des Alpes[4]. Il me suffira de dire, en terminant, que M. Adolphe Brongniart, le botaniste paléontologue, après avoir constaté la complète identité de la flore du terrain anthracifère des Alpes, entièrement différente de celle du terrain jurassique, avec la flore d’un terrain houiller quelconque, ne penche pas pour l’âge récent du combustible litigieux, tandis que M. Élie de Beaumont, qui a tout d’abord émis l’idée qu’il appartenait à la formation jurassique, n’a jamais cru devoir modifier sa première opinion. L’éminent secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences a pensé que les débris animaux méritaient en cette occurrence une plus sérieuse attention, et, rappelant ces graines du Mexique qui viennent s’échouer sur les côtes de la Norvège, a fait remarquer combien il était permis de supposer l’arrivée, par des courans, de débris végétaux qui se trouvaient au fond d’une mer lointaine. La superficie de la région anthracifère des Alpes peut être évaluée à 900,000 hectares, c’est-à-dire à la moitié environ de la surface totale des terrains houillers de la Grande-Bretagne, de la Belgique et de la France, et à près de trois fois la superficie de nos seuls bassins ; mais la discontinuité des dépôts de combustible, parfois d’ailleurs d’une épaisseur considérable, empêche que cette importance relative passe du domaine géologique dans le domaine industriel. Les mines y sont généralement si peu riches, que la plupart des habitans de deux villages voisins d’un groupe de ces exploitations « se chauffent, dit M. Elie de Beaumont, pendant un hiver de neuf mois, avec de la fiente de vache desséchée au soleil. Afin d’avoir moins froid, ils habitent dans leurs étables. » On ne s’étonnera donc pas de voir le bassin des Alpes figurer seulement dans la production française en anthracite pour un peu plus du quart, c’est-à-dire pour fort peu de chose dans l’extraction indigène des combustibles minéraux.

Il ne me reste plus à parler que du lignite, combustible minéral qui peut, sans anomalie aucune, appartenir à la formation secondaire, mais qui se trouve plus ordinairement disséminé dans la formation tertiaire, notamment dans l’argile plastique, où sa présence accidentelle est la cause de ces recherches de houille qui ont été tentées à plusieurs reprises dans le bassin de Paris. Les explorateurs, — je parle de ceux qui étaient honnêtes, mais ignorans, — étaient trompés par l’extrême ressemblance qui existe dans certains cas entre le lignite et la houille. En effet, ce combustible, dont l’aspect est très variable, tient tantôt du bois fossile, tantôt de la houille ordinaire. Dans le premier cas, il ressemble à du bois dont la couleur serait foncée, et se rapproche tout à fait de la tourbe ; il est telle mine de lignite où l’œil distingue très nettement l’essence du bois fossile, et où l’outil d’abatage du mineur est pour ainsi dire la hache du bûcheron. Dans le second cas, le lignite a véritablement l’aspect de la houille, bien qu’un œil exercé y retrouve généralement la texture du bois ; néanmoins il peut arriver que les traces de la structure organique des végétaux, qui n’ont plus le caractère de ceux des terrains anthracifère et houiller, mais sont au contraire analogues à ceux de la période actuelle, soient à peine visibles et même disparaissent tout à fait. Il en est particulièrement ainsi pour les lignites de la Provence, qui forment le plus remarquable des îlots de ce combustible spécial connus en France. Sans aucune importance commerciale et n’ayant, à un degré encore moindre que l’anthracite, qu’une valeur purement locale, qui pourra cependant croître avec les progrès de l’industrie, le lignite n’existe pour ainsi dire qu’à l’état d’accident géologique. Les dépôts ne présentent plus cette continuité et ces roches caractéristiques que nous avons remarquées dans les terrains carbonifères anciens ; aucun indice ne vient donc guider l’explorateur, qui n’a plus rien à attendre des notions géologiques, et que le hasard seul peut servir. Enfin l’épaisseur des gîtes est infime. Ce combustible est malheureusement le seul dont il soit possible d’espérer l’existence dans le nord de l’Algérie, où aucun lambeau de terrain houiller n’a encore été constaté.

Les lignites des Bouches-du-Rhône, dont Marseille est le débouché naturel et indéfini, forment sept couches, dont deux seulement sont exploitées, et qui ont ensemble une puissance de 3 ou 4 mètres ; elles alternent avec des calcaires d’eau douce bitumineux ou marneux. Le grisou se montre quelquefois dans les mines de lignite, et l’abondance des pyrites y provoque des phénomènes très singuliers de décomposition du combustible, qui disparaissent d’ailleurs à mesure que l’on s’éloigne de la surface. On fait remonter vers la moitié du XVIIIe siècle les premiers essais d’emploi des lignites dans les savonneries de Marseille ; plus de 1,000 ouvriers extraient aujourd’hui d’une dizaine de mines en activité 1,200,000 quintaux métriques de ce combustible[5], qui est très peu inférieur à la houille, et qu’on recherche pour le chauffage des chaudières à vapeur. On trouvera sans doute que cette quantité de produits est peu en rapport avec le nombre de contestations survenues au sujet des mines provençales, qui ont motivé, dans le cours d’une trentaine d’années, jusqu’à vingt-cinq arrêts de la cour de cassation ou avis au contentieux du conseil d’état. Il est vraisemblable que quelque concessionnaire processif se sera rencontré dans le bassin des lignites des Bouches-du-Rhône, mais il faut s’en féliciter, car il a fait résoudre plusieurs questions fort intéressantes de propriété souterraine.

En résumé, tous les combustibles fossiles sont le résultat d’une minéralisation de végétaux produite par un phénomène constant dont la cause est encore inconnue, et dont l’énergie semble avoir été en diminuant pour disparaître de nos jours. Ces combustibles existent dans toutes les formations géologiques, et, à mesure qu’on s’élève dans la série des terrains, ils se rapprochent de plus en plus des matières végétales intactes, à ce point que la transition entre les lignites les plus modernes et la tourbe est à peu près insensible. Si, en dehors du terrain houiller proprement dit, il peut exister des gîtes intéressans de combustibles minéraux, ils n’ont, du moins en France, sous le rapport de la qualité et de la rareté[6], qu’une valeur purement locale. Tous, il ne faut point l’oublier, appartiennent aux mines, à cette seule catégorie de propriété souterraine que nous ayons eu jusqu’à présent à considérer.


II. — PRODUCTION ET EMPLOI DES COMBUSTIBLES MINERAUX.

Les classifications des combustibles minéraux sont nombreuses et variées suivant les considérations dont on les fait dépendre. On vient de voir l’ordre dans lequel le géologue doit nécessairement les placer. Le minéralogiste, qui se guide principalement par les caractères extérieurs, rangera dans la même catégorie les combustibles du même âge, mais introduira des divisions et des sous-divisions qui nous sont un indice de la difficulté que présenterait scientifiquement une spécification un peu nette. Le chimiste théorique, soumettant les corps à l’analyse médiate, y déterminera la proportion des principes élémentaires, comme l’a fait M. Regnault, en 1837, dans un travail très important sur la composition élémentaire des combustibles fossiles. Le chimiste pratique, se bornant à l’analyse immédiate, qui seule peut mettre en lumière les propriétés essentielles à connaître, recherchera les produits de la combustion et de la carbonisation, calculera la proportion des cendres que laisse la première de ces opérations, la nature et la quantité des gaz, des liquides aqueux ou bitumineux, et surtout du résidu charbonneux que fournit la seconde. L’industriel enfin, peu disposé à se préoccuper des considérations théoriques, quelles qu’elles soient, ne demandera guère qu’à la chimie pratique des indications sur un charbon minéral, et se placera surtout à un point de vue que je ne puis passer ici sous silence.

La carbonisation d’un combustible quelconque, — c’est-à-dire le chauffage hors du contact de l’air, contrairement à ce qui se fait dans la combustion — a pour but d’expulser toutes les matières volatiles, gazeuses ou liquides, que la substance contient, et le résidu solide de cette opération, si elle est suffisamment prolongée à une température convenable, est le charbon. Chacun connaît le produit utile que fournit la carbonisation du bois : l’agglutination des élémens fixes et la diminution du volume primitif qui caractérisent le charbon de bois, et aussi le charbon de tourbe, ne se retrouvent plus indistinctement dans les combustibles minéraux. Chez les uns, cette agglutination fait défaut au point de donner au charbon un degré insuffisant de solidité : tels sont les anthracites, les houilles anthraciteuses et les lignites. Chez les autres, le résidu, auquel on donne le nom particulier de coke, dont le poids peut varier de 45 à 75 pour 100 du poids du combustible soumis à la calcination, et dont le volume est toujours plus considérable que le volume de celui-ci, a une consistance remarquable dont le degré varie, ainsi que ce poids et ce volume, avec la qualité du combustible primitifs telles sont toutes les houilles autres que celles dont je viens de parler. L’administration des mines, dans ses publications officielles, fait, suivant le poids du résidu charbonneux, deux catégories extrêmes de la première de ces classes de combustibles minéraux, et partage la seconde en quatre catégories intermédiaires, déterminées par la manière dont la houille se comporte, suivant sa nature, sur la grille d’un foyer en ignition, et par la nature de la flamme qu’elle y produit On conçoit en effet qu’une houille bonne à la fabrication du coke, faisant bien cette voûte si recherchée dans les feux de maréchaux ; sera très mauvaise à brûler sur une grille par suite de l’obstruction qu’elle occasionnera. En un mot, suivant la manière dont il se comporte au feu, le combustible présente des qualités très variées, et répond à des besoins très divers, tels que le chauffage des foyers domestiques où des générateurs de vapeur, l’emploi dans les fourneaux métallurgiques, la production du gaz d’éclairage, la cuisson de la chaux, etc. À côté de cette classification industrielle, chaque bassin présente encore une classification locale qui a une grande importance commerciale, mais dont je dois me contenter d’indiquer l’existence.

La combustion, — durant laquelle se produit la chaleur dont l’homme tire parti, et qui est très variable suivant la nature du combustible, — a lieu à une température également variable ; elle produit de la flamme ou n’en produit pas, suivant que ses élémens sont combinés de telle ou telle manière. Sous ce rapport, la classification géologique ne perd pas entièrement son empire, attendu que les combustibles des différens âges ne peuvent généralement pas se suppléer dans les arts métallurgiques ou dans la production de la chaleur. L’anthracite, dont le nom est précisément tiré de la difficulté d’embrasement, nous représente du carbone presque pur, et par cela même brûle très lentement, plus lentement encore que le coke ; il détermine d’ailleurs comme lui une température très élevée ; en somme, il est rarement utilisé dans les feux domestiques, mais peut être employé en métallurgie avec le concours d’un courant d’air artificiel. Le lignite, qui emprunte son nom à sa structure, n’est pas propre à la production d’une chaleur un peu intense. Enfin la houille, — l’étymologie du mot est fort incertaine, mais vient à coup sûr de la Belgique, — peut réunir tous les défauts et toutes les qualités qu’offre un combustible minéral, pourvu qu’on la choisisse convenablement.

Mélangée en toutes proportions avec les schistes qui l’avoisinent dans le gisement, elle offre toutes les dégradations, depuis la houille relativement pure, qui ne contient que quelques centièmes de cendres, jusqu’à la houille trop argileuse pour valoir la peine d’être extraite de la mine. Elle renferme en outre plusieurs substances étrangères, parmi lesquelles je citerai la pyrite de fer, qui est à tous égards la plus nuisible, parce qu’elle rend le charbon d’un mauvais usage, puis parce qu’elle peut déterminer des incendies, soit dans l’intérieur de la mine, soit dans les magasins, ainsi que cela est arrivé tout récemment encore dans une fabrique de sucre de la Somme, où une combustion spontanée s’est produite dans un approvisionnement de charbon de 10,000 hectolitres environ, et en a détruit une quantité assez notable. Sous l’influence d’un air humide, la pyrite est transformée en sulfate, et la réaction chimique engendre un dégagement de chaleur capable d’enflammer la houille. J’ai eu l’occasion à propos de l’anthracite du Maine, de mentionner d’autres inconvéniens résultant de la présence de ce minéral. Le fait des incendies spontanés qui se déclarent dans l’intérieur des houillères n’est rare en aucun pays, pas même en France, bien qu’il y soit combattu préventivement par une disposition du cahier des charges, qui impose au concessionnaire d’une mine l’obligation de transporter régulièrement au jour les matières susceptibles de prendre ainsi feu. Le meilleur moyen de mettre fin au sinistre quand il se produit est d’isoler avec soin la partie de la mine où il s’est déclaré, en faisant la part du feu, et d’aérer activement les travaux. L’inondation qu’on produit en laissant remonter les eaux dans la houillère n’est pas toujours un remède efficace à cause des substances chimiques qu’elles peuvent contenir et de l’action qui peut s’exercer sur les pyrites. Dans une mine des environs de Saint-Étienne, il existe un embrasement souterrain qui date de temps immémorial, peu actif du reste et se manifestant au jour par de simples altérations du terrain et des vapeurs sulfureuses. Ailleurs la lente propagation du feu a littéralement fabriqué du coke. Je ne parle point ici des incendies qui sont souvent la conséquence des explosions de grisou, ou qui résultent d’un accident déterminé, soit par un foyer d’aérage, soit par le fourneau d’une machine à vapeur intérieure[7] ; mais je dois mentionner, — ne fût-ce que pour citer un curieux exemple des guerres souterraines auxquelles pourrait donner lieu la propriété minérale, et dont Turgot ne se préoccupait pas en voulant soumettre celle-ci à son utopie, — l’incendie allumé à Falizolles en Belgique. Les habitans y exploitaient pêle-mêle les affleuremens d’une couche de houille, et continuaient au fond les combats quotidiens qu’ils se livraient entre eux à la superficie ; ils avaient finalement imaginé, pour se chasser, de s’infecter mutuellement en brûlant de vieux cuirs. Un beau jour ils mirent le feu aux travaux, ne purent ni éteindre l’incendie ni s’entendre pour en faire la part, et il dure encore. Dans le cas où le feu prend à un dépôt de charbon, il suffit d’y pratiquer des canaux d’aérage pour le rafraîchir, ou de supprimer, par un moyen quelconque, tout contact de ce dépôt avec l’atmosphère.

La houille s’emploie crue ou carbonisée. On sait que le coke, dont on fait un si grand usage dans la métallurgie, est supérieur à tout autre combustible pour l’intensité de la chaleur qu’il produit, mais qu’il est d’une combustion difficile, et nécessite l’emploi en grandes masses, ainsi que l’action d’un fort courant d’air. La transformation de la houille en coke se fait, soit en tas, comme le charbon de bois, lorsque la houille est peu chère, soit dans des fours spéciaux munis d’une cheminée qui permet de régler la marche de l’opération. La première méthode exige que la houille soit en gros morceaux et occasionne un déchet considérable. La seconde est à la fois régulière et économique ; fort lente, elle dure parfois quatre-vingt-seize heures ; les produits gazeux qui se dégagent renferment une grande quantité de chaleur qui est autant que possible utilisée pour le chauffage. Quant à la chaleur nécessaire à l’opération même, elle est fournie simultanément par la combustion d’une partie des produits de la distillation de la houille et par la combustion d’une certaine quantité de celle-ci, quantité qui doit naturellement être aussi faible que possible. La qualité d’un coke se détermine principalement par la proportion de cendres, puis par le degré de consistance. Les cendres devant reproduire toutes les substances étrangères primitivement contenues dans la houille, on a été conduit à épurer celle-ci et à utiliser alors des charbons qui étaient autrefois sans aucun emploi, par suite de la petitesse des morceaux et de l’impureté qu’engendre la présence de pyrites et de schistes dans la houille. Il n’y a pas bien longtemps que les charbons menus du célèbre bassin houiller de Newcastle étaient employés simplement à faire des remblais, ou même étaient brûlés sur place pour éviter l’encombrement aux abords de la mine. Depuis qu’on est parvenu, au moyen d’une opération vraiment pratique, à débarrasser ces menus des matières étrangères qui les souillent, on ne perd plus rien d’un minéral si précieux, dont la consommation semble croître avec une rapidité qui finira, dans un avenir assez éloigné, il est vrai, par devenir inquiétante.

D’abord tentée sur des charbons pyriteux des Vosges pratiquée en 1840 dans l’Allier, bientôt répandue à Saint-Étienne, essayée en 1846 par des fabricans de coke de Valenciennes, l’épuration de la houille est devenue depuis 1848, époque à laquelle elle a été adoptée en Belgique, une opération commune. On commence par amener les charbons à un état convenable de grosseur, en les tamisant sur une grille qui en retient une partie et laisse passer l’autre, broyée alors entre des cylindres cannelés. Ce classement par ordre de grosseur ; ayant une grande importance, est souvent l’objet de soins multipliés. Qu’on se figure maintenant une caisse en bois pleine d’eau, divisée en deux compartimens inégaux, que dans le plus grand, sur un grillage, soient placés les morceaux de houille à épurer, que dans le plus petit se meuve verticalement un piston : l’eau, refoulée par ce piston à travers le grillage, soulèvera les morceaux de charbon, qui, puisqu’ils sont censés avoir à peu près le même volume, se classeront, au bout de quelques coups de piston, suivant la loi élémentaire des densités. En d’autres termes, les matières déposées sur le grillage se seront placées par couches sensiblement horizontales, et de telle sorte que les plus lourdes, c’est-à-dire les substances étrangères, seront au fond, et que les plus légères, c’est-à-dire la houille, seront à la surface. On n’aura donc qu’à enlever avec précaution, à l’aide d’une pelle, toute la partie supérieure du dépôt, ou mieux un système mécanique opérera cet enlèvement de manière à ne point donner de temps d’arrêt, et on retirera de temps en temps les matières stériles. Tel est le procédé d’épuration de la houille réduit à sa plus simple expression ; poussé à une grande limite de perfectionnement, c’est-à-dire à ce point où le charbon est réellement pur et où les matières stériles ne retiennent plus de charbon, il devient compliqué et dispendieux, et il y a un calcul très précis à faire pour savoir si la valeur supérieure ainsi donnée aux produits compense les frais qu’ils ont coûté.

Parmi les combustibles minéraux produits artificiellement, il faut encore mentionner ce qu’on appelle les agglomérés, sorte de charbon qu’on forme en mélangeant à chaud des menus pulvérulens avec des matières goudronneuses fournies par la fabrication du gaz d’éclairage, et en les comprimant fortement dans des moules. Les briquettes ainsi obtenues conviennent bien au chauffage des navires à vapeur, parce que le chargement est d’un facile arrimage ; elles ont aussi été employées par quelques-unes de nos compagnies de chemins de fer, notamment par celle du Nord. D’un bon usage au point de vue de la production de la vapeur, elles offrent réellement tous les avantages de la houille en gros morceaux. On connaît enfin un autre combustible artificiel qui, sous le nom de coke d’anthracite (deux mots qui jurent ensemble d’après ce que l’on a vu tout à l’heure), fait quelque bruit en ce moment, et mérite d’être soumis sérieusement à l’épreuve de la pratique : il s’agit cette fois d’un mélange intime de houille grasse et d’anthracite dans la proportion de 1 à 2, qui, sous l’action d’une forte chaleur, donnerait un produit homogène bien agglutiné et très propre aux usages industriels.

Sur les 448 concessions de mines de charbon qui existaient en France en 1852 et embrassaient environ 4,776 kilomètres carrés, 286 seulement étaient exploitées ; répandues dans 29 départemens, elles avaient en feu 460 machines à vapeur, représentant ensemble une force de 12,880 chevaux, et 79 manèges. La Loire, le Gard et l’Aveyron étaient les trois départemens qui offraient le plus grand nombre de concessions houillères : ils en contenaient respectivement 70,45 et 33. En 1852, sur les 512,781 francs qui forment la totalité de la redevance proportionnelle perçue, au taux du vingtième, sur le produit net de l’exploitation des mines nationales de toute nature, 485,193 francs représentent la part de la seule extraction des combustibles minéraux, et sur cette somme plus de 300,000 fr. viennent du département de la Loire (183,764 fr.) et de celui du Nord (120,340 fr.). Cet impôt correspondrait à un bénéfice annuel de 9 millions de francs au moins, après qu’on aurait défalqué la redevance proportionnelle elle-même, la redevance fixe et le décime de guerre, du produit net calculé d’après la base de perception. D’après l’évaluation du comité des houillères françaises, l’établissement d’une exploitation livrant annuellement 1 million de quintaux métriques de charbon exige, suivant les bassins, un capital de 3 à 5 millions de francs, soit en moyenne de 4 millions au moins, ce qui correspondrait aujourd’hui à un capital total de 250 millions de francs engagé dans l’industrie indigène. En 1852 toutefois, l’extraction était beaucoup plus faible, et la même proportion n’indique plus qu’un capital de 204 millions de francs, qui, comparé au bénéfice correspondant ; donne un intérêt de 4 fr. 40 pour 100, et le comité des houillères ne l’estime pas, de son côté, à 5 pour 100. S’il est possible d’accepter un chiffre aussi modique comme représentant en moyenne le bénéfice de l’industrie des combustibles minéraux, je ne puis admettre qu’un revenu aussi minime soit celui du capital immobilisé dans les grandes entreprises de nos compagnies d’Anzin, du département de la Loire, de Blanzy, de Commentry, de la Grand-Combe, qui absorbent certainement ensemble les quatre cinquièmes des capitaux engagés dans cette branche de l’industrie minérale. Il n’est permis du reste, on le conçoit, d’émettre en cette matière que de simples conjectures, et des difficultés presque insurmontables s’opposent à ce qu’on recueille des renseignemens un peu exacts sur la valeur relative des exploitations houillères.

Il existe en France soixante-deux bassins houillers, dont les principaux sont ceux de la Loire et du Nord ; ceux de Saône-et-Loire et du Gard viennent ensuite par ordre d’importance, tout en ne produisant ensemble que 10 millions de quintaux métriques ; puis il n’y a plus que cinquante-huit petits bassins, qui jouent un rôle tout à fait secondaire vis-à-vis des précédens, — vis-à-vis surtout des deux premiers, dont les productions réunies sont égales à la moitié de notre production totale, — mais dont quelques-uns sont susceptibles de recevoir un grand développement. En 1836, le résumé des travaux statistiques de l’administration des mines a donné un tableau de l’exploitation des combustibles minéraux à partir de 1814. Antérieurement à cette date, on connaît quelques chiffres relatifs soit aux dernières années du XVIIIe siècle, soit aux premières du XIXe ; postérieurement à 1835, les publications officielles permettent d’apprécier l’importance successivement croissante de notre industrie houillère. Elles ne nous font défaut que pour la période la plus récente, puisque le dernier résumé s’arrête à l’année 1852. On peut essayer de combler cette lacune regrettable au moyen d’une remarque faite pour la première fois par M. Adolphe Brongniart. Le savant académicien a observé que la production française doublait tous les treize ans. Dès lors, si cette loi de progression, qu’aucun fait n’est venu infirmer encore, n’a pas cessé de s’appliquer, la production française, qui était en 1842 de 35,920,843 quintaux métriques, devait être en 1855 de 71,841,686 quintaux métriques, et très certainement ce chiffre est encore au-dessous de la vérité. Si nous nous en tenons aux nombres parfaitement sûrs, nous trouvons que la production indigène, qui était en 1787 de 2,150,000 quint. métriques, en 1802 de 8,441,800 quintaux métriques, a atteint à peu près le même chiffre en 1814, et a fourni successivement à notre industrie en 1820 10,936,578 quint. métriques, — en 1830 18,626,653 quint. métriques, — en 1840 30,033,820 quint. métriques, — en 1850 44,335,700 quintaux métriques. On a vu déjà qu’en 1852 elle ne dépassait point encore 50 millions de quintaux métriques, chiffre inférieur de 1,500,000 environ à celui de notre production en 1847 : telle a été l’influence de la révolution de 1848 sur la partie la plus importante de notre propriété souterraine. La révolution de 1830 n’avait eu qu’un contre-coup insignifiant : en 1831, la production houillère avait diminué de 1 million de quintaux métriques, mais elle avait crû du double en 1832. D’après le classement rationnel adopté par l’administration des mines, l’emploi du combustible minéral en France se répartit ainsi entre les groupes principaux de consommateurs : l’industrie en général en prend à elle seule les deux tiers ; le reste se partage entre le chauffage domestique (un cinquième), l’industrie des transports terrestre, fluviale et maritime (un douzième), et l’extraction des substances minérales (un vingtième). Le remarquable développement de nos chemins de fer, qui consomment en ce moment par année 7 millions de quintaux métriques environ, explique la part considérable qui revient surtout dans l’accroissement de la consommation à l’industrie des transports.

Le tableau de l’industrie des combustibles minéraux en France appelle quelques rapprochemens naturels avec l’Angleterre et aussi avec la Belgique[8], qui nous a récemment dépassés et nous a relégués au troisième rang dans l’ordre de la production houillère. Un bulletin très utile, inséré depuis la fin de 1851 dans les Annales des Mines, nous donne sur l’industrie étrangère, et notamment sur l’industrie anglaise, de précieux renseignemens extraits en grande partie des communications faites au gouvernement par ses agens consulaires et diplomatiques. Un savant et intéressant article publié, il y a un an.[9], sur le bassin houiller de Newcastle, nous apporte aussi d’utiles informations sur la puissance gigantesque de l’industrie et du commerce des combustibles minéraux dans la Grande-Bretagne. Tout d’abord nous y trouvons une preuve éclatante de la supériorité prodigieuse de l’industrie houillère anglaise. Le capital engagé dans la totalité des mines de charbon françaises est précisément égal au montant des sommes que représente le seul ensemble des houillères du nord de l’Angleterre, et le vingtième, soit 12,500,000 francs, correspond à l’une quelconque des principales entreprises. Les entreprises de deuxième, troisième et quatrième ordre sont respectivement formées au capital de 5 millions, 1 million et 400,000 francs environ et ces petits établissemens sont de beaucoup les plus nombreux. Comme les industriels sont un peu les mêmes en tous pays, l’auteur anglais constate qu’il s’est heurté, dans ses tentatives d’évaluation, contre des difficultés semblables à celles qu’une enquête industrielle rencontre infailliblement en France. « Les propriétaires dit-il, sont ordinairement silencieux sur de tels sujets, et toutes recherches de cette nature sont regardées avec grande jalousie. » Lorsqu’il a procédé à ses investigations relativement aux bénéfices probables des industriels houillers, il a rencontré comme nous-même une estimation fort basse et il incline du reste à croire que ces bénéfices sont généralement exagérés par l’opinion publique. Quand il cite ensuite l’appréciation d’un directeur expérimenté de houillère qui suppose un revenu moyen de 10 pour 100, en ne tenant pas compte de l’amortissement du capital enfoui dans la mine, on voit du moins qu’il met en avant un chiffre vraisemblable pour estimer ce profit industriel.

La grande houillère de Stelton, dans le comté de Durham, produit par ses huit puits environ 12,000 quintaux métriques de charbon par jour, et le double dans les momens de grande activité commerciale. La maison Andrew Knowles et fils, du Lancashire, extrait quotidiennement 24,000 quintaux métriques ! Il est tel de ces établissemens exceptionnels dont la production ne peut se comparer qu’a celle d’un pays tout entier. L’extraction journalière dont je viens de parler correspond à une extraction annuelle de 7,200,000, quintaux métriques au moins ; si on se rappelle à quel chiffre se montait notre production indigène en 1852, on voit alors que sept industriels semblables pourraient remplacer la France entière dans la part pour laquelle ses mines contribuent à la consommation houillère. Nous savons que la compagnie des mines d’Anzin offre un chiffre annuel encore plus élevé. On a fait, au sujet du géant maritime dont le lancement laborieux préoccupe depuis quelque temps l’attention du public européen, un curieux rapprochement : c’est que son tonnage, de 23,000 tonneaux équivalait à peu près au double du tonnage, de toute la marine britannique sous le règne de Henri VIII. J’ignore s’il existait à cette époque un relevé régulier de cette marine ; mais, en nous bornant aux navires spécialement affectés au service militaire, dont la plus ancienne liste daterait d’Edouard VI (1546), nous trouverons un tonnage total qui n’est que la moitié de celui du Léviathan. Lorsque l’Angleterre voulut résister à la fameuse Armada de Philippe II, on chercha tous les bâtimens en état de servir, et on en trouva 197, qui offraient ensemble un tonnage de ; 30,000 tonneaux, peu supérieur, comme on le voit, à celui du Léviathan. Il n’est pas besoin de remonter aussi loin dans les annales de l’industrie houillère pour trouver un terme analogue de comparaison à ces véritables Léviathans qu’elle aussi peut mettre en ligne. Le chiffre actuel de la production d’Anzin représente celui que l’extraction de toute la France atteignait en 1823. Relativement à la production de l’Angleterre, il est impossible de donner une série de nombres analogue à celle qui m’a servi à montrer l’augmentation progressive de la nôtre. Je trouve seulement dans divers documens que la Grande-Bretagne produisait en 1839 310,244,470 quintaux métriques de houille, — en 1848 347,547 500 quint, métr., — en 1854 646,614,010 quint, métr., — en 1855, 644,530,700 quint. ; met., — en 1856 677,117,770 quint., métriques. Il faut admettre que l’extraction anglaise est aujourd’hui à peu près décuple de l’extraction française.

En Belgique d’après le document officiel le plus récent, qui ne va pas au-delà de l’année 1850, il y avait à cette date, sur 592 sièges d’exploitation 408 sièges actifs, sur lesquels étaient en feu 605 machines à vapeur d’une force totale de 29,406, chevaux, et qui produisaient 58,205,880 quintaux métriques, c’est-à-dire déjà 14 millions de plus que la France. Pour l’année 1855, l’extraction belge aurait été de 82,584,160 quintaux métriques ; l’écart est donc toujours dans le même sens, mais un peu moins considérable.

L’homme, j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’insister, sur ce point, a fatalement procédé en sens contraire de l’aménagement rationnel de la propriété souterraine : il a naturellement commencé à prendre ce qu’il lui était le plus facile d’atteindre. Après avoir extrait le charbon à ciel ouvert, il s’est attaqué à celui qui se trouvait immédiatement à sa portée. Maigre une appréciation de plus en plus exacte des véritables conditions de l’exploitation des mines, il n’est finalement descendu qu’à quelques centaines de mètres, et n’a aujourd’hui touché, principalement en France, qu’à la partie tout à fait supérieure des bassins. Le plus profond de nos puits houillers est ce puits du bassin de la Loire qui a le premier atteint le prolongement des couches du système de Rive-de-Gier sous celui de Saint-Étienne, et qui doit être cité comme un exemple de l’obstination et de la hardiesse que réclame souvent l’industrie minérale ; il a plus de 600 mètres, mais c’est un ouvrage tout à fait exceptionnel. Partout ailleurs le chiffre oscille généralement entre 300 et 400 mètres. Néanmoins, dans quelques régions carbonifères, commence à être soulevée sérieusement la question si intéressante de l’approfondissement des mines. Déjà en Belgique, où les puits sont plus profonds qu’en France, le gouvernement a fait de ce problème industriel l’objet d’un concours extraordinaire, et l’a posé ainsi : « indiquer un système complet de moyens rationnels et pratiques de porter l’exploitation des houillères à 1,000 mètres au moins de profondeur, sans aggraver sensiblement les conditions économiques dans lesquelles on opère aujourd’hui. » En effet, dès que, prenant le contre-pied de la devise bien connue de Fouquet, le mineur voudra descendre, il se trouvera aux prises avec des difficultés très sérieuses, mais qui ne seront pas, tout porte à le croire, vraiment insurmontables. Le mineur s’est trouvé à coup sûr dans une position bien plus défavorable quand il lui a fallu creuser un puits, traverser des niveaux d’eau comme dans le nord de la France, assécher régulièrement les travaux souterrains, les aérer ; cependant il est ainsi arrivé à plusieurs centaines de mètres : il ira plus loin encore.

Les capitaux qu’absorbera l’industrie houillère seront de plus en plus considérables, à en juger par ceux qu’elle exige aujourd’hui : le seul creusement d’un puits de quelques centaines de mètres engloutit en quelques années plusieurs centaines de mille francs. En 1843, une compagnie houillère du Nord a dépensé 1,700,000 francs pour atteindre le terrain houiller à 140 mètres seulement de profondeur. Bien que le fait soit exceptionnel, il semble presque sur le point de se renouveler en ce moment dans la même région. On le voit cependant, les dépenses de creusement ne sont point en relation directe avec la profondeur des puits à foncer. Le comité des houillères françaises porte à 250 millions de francs déjà le capital total engagé dans les exploitations de cette nature. — L’accroissement inévitable de température, qui peut se calculer en ajoutant à la température moyenne de l’extérieur (qui est de 10 degrés environ) 1 degré par trentaine de mètres, ne constituera pas la difficulté la plus grande pour le mineur : il pourra être combattu par un aérage perfectionné. Quant à l’extraction et à l’épuisement des eaux, les poids des câbles et des tiges de pompes créeront des obstacles qui ne pourront être vraisemblablement surmontés que par l’introduction de relais. En effet, dans le premier cas par exemple, il se passera quelque chose d’analogue à ce qui avait lieu lors de l’immersion, malheureusement manquée à la première tentative, du câble sous-marin destiné à établir une communication télégraphique entre l’Angleterre et les États-Unis[10], opération où le poids de la partie qui sortait du vaisseau obligeait à en modérer le déroulement par l’action de freins très puissans. Si la longueur d’un câble de mines n’est pas comparable à celle du câble atlantique, le poids par mètre courant du premier, du moins s’il est fait avec du chanvre, est certainement quintuple du poids du second. Admettons qu’il soit sextuple, c’est-à-dire qu’il ait la valeur moyenne de 3 kilogrammes : le poids total d’un câble d’un kilomètre serait de 3,000 kilogrammes, et engendrerait ainsi, en supposant que 20 quintaux métriques de charbon fussent enlevés à la fois, une résistance de 5,000 kilogrammes au moins, à l’instant où la charge quitte le bas du puits, c’est-à-dire à l’instant où cette résistance, qui diminue d’ailleurs rapidement et devient même négative, est maximum. Enfin j’ai dit précédemment combien la circulation des ouvriers dans les puits de mines offrait déjà de difficultés : on ne s’étonnera donc pas de voir le gouvernement belge mettre, parmi les points principaux du problème minéral qu’il pose aux ingénieurs de tous les pays, l’invention, « pour la descente et l’ascension des ouvriers mineurs, d’un moyen présentant toutes les conditions désirables au triple point de vue de la sûreté, de l’absence de fatigue et de l’économie. » M. Amédée Burat propose hardiment « d’organiser dans l’intérieur des mines des logemens d’ouvriers qui permettraient à ceux-ci de ne remonter au jour que deux fois la semaine. » Cette proposition, que je ne crois guère pratique, m’amène à dire quelques mots des conditions hygiéniques au milieu desquelles s’accomplit le travail du mineur, et d’un dernier ordre de précautions imposé à l’exploitant de ce genre de propriété souterraine.


III. — CONDITIONS PARTICULIERES DU TRAVAIL DES MINES.

Le travail des enfans dans les mines n’est pas régi par la loi de 1841 sur les usines et manufactures dont les prescriptions concernant la durée du repos et la suppression des occupations nocturnes eussent été difficilement applicables aux exploitations souterraines. Il n’existe à l’égard des enfans qu’une mesure réglementaire, inscrite dans le décret impérial du 3 janvier 1813, aux termes duquel ils ne peuvent être employés dans les mines avant d’avoir atteint l’âge de dix ans : on sait que dans les usines et manufactures les enfans peuvent être reçus dès l’âge de huit ans. La même limite est naturellement adoptée en Belgique, où notre décret de police minérale est resté en vigueur ; elle a même été empruntée par l’Angleterre, qui, avec l’acte fondamental de 1842, a fait un premier pas dans la voie d’une surveillance administrative des houillères. Il est à remarquer à ce propos que le gouvernement anglais avait été littéralement contraint par l’opinion publique à se départir de l’extrême réserve qu’il apporte habituellement dans ses relations avec l’industrie. Les détails les plus affligeans pour l’humanité avaient été révélés par les enquêtes faites dans les mines de houille. La tâche habituellement confiée aux plus jeunes enfans est la manœuvre de ces portes d’aérage qui dirigent le courant d’air à l’aide duquel est créée l’atmosphère artificielle de la mine, portes qu’il convient de n’ouvrir que pour donner passage aux wagons et de refermer aussitôt après. Ce n’est pas sans une émotion pénible qu’on pense à ces pauvres petits serfs de l’industrie minérale, qui, au lieu de jouir de l’air et de la lumière si nécessaires à leur développement physique et moral, passaient leurs jeunes années accroupis dans l’obscurité et occupés à un travail d’une si abrutissante monotonie qu’il les conduisait fréquemment à l’idiotisme. Le bill de 1842 a d’ailleurs apporté une grande modification dans les habitudes des industriels houillers, en prohibant complètement l’emploi des femmes dans les mines de charbon. La France n’a jamais connu, il faut le dire, cet usage barbare ; mais, dans certaines mines de la Belgique, les jeunes filles sont encore occupées concurremment avec les jeunes garçons au transport intérieur de la houille, sans qu’aucune différence dans le costume vienne désigner la différence des sexes à l’œil du voyageur souterrain. Je n’ai pas besoin d’insister sur la dépravation qui est la conséquence naturelle de la promiscuité des sexes dans de semblables conditions. Il est pénible d’ajouter qu’avant le bill de 1842, il existait en Angleterre quelques mines où les hommes et les femmes travaillaient ensemble dans un état complet de nudité.

Attendre l’âge de dix ans pour commencer la pénible carrière du mineur, c’est encore devancer la limite fixée par la nature, et ceux qui se livrent trop jeunes au travail souterrain restent souvent contrefaits. Le mineur est en général reconnaissable par sa maigreur et sa pâleur habituelles, par le développement excessif des muscles du tronc, par un corps voûté, par une démarche boiteuse. Les difficultés de l’aérage des mines n’expliquent que trop bien l’apparence maladive du mineur. Dans son intéressant Dictionnaire d’hygiène et de salubrité, le docteur A. Tardieu regarde l’anémie des mineurs comme constituant, par l’ensemble des symptômes ordinaires, une véritable affection scorbutique. L’anémie et l’asthme, conséquences immédiates de l’air vicié qui se respire trop fréquemment dans les mines, ne sont pas les seules maladies auxquelles les ouvriers soient sujets ; ils sont particulièrement atteints d’affections rhumatismales, de maladies scrofuleuses, de phthisie pulmonaire, de maladies de l’épine dorsale, contractées durant le travail fatigant qui leur est échu en partage. On sait d’ailleurs que l’industrie minérale est au nombre des industries dont les ouvriers travaillent indistinctement le jour et la nuit. Quelquefois on répartit entre trois postes, de huit heures chacun, les vingt-quatre heures de la journée de travail ; autrement on divise celle-ci en deux parties égales, et la série diurne alterne avec la série nocturne par huitaine ou par quinzaine.

La population condamnée à vivre dans des conditions aussi défavorables compte dans les trois pays que nous considérons, et pour la seule industrie houillère, plus de 300,000 individus. Sur ce nombre, 220,000, dont 2,642 femmes employées, bien entendu, à l’extérieur, appartiennent à l’Angleterre, 48,000 au moins à la Belgique, et 40,000 à la France. On trouve quelques chiffres, particuliers à la vérité au pays de Galles, mais de nature à préciser les causes de lente détérioration à laquelle est soumise la population des mines, dans un mémoire sur les maladies des mineurs fait, en 1855, par M. Herbert Mackworth, un des inspecteurs des houillères de l’Angleterre. Ce fonctionnaire estime que la mortalité des mineurs de 10 à 25 ans est triple de celle assignée en général par la statistique aux individus du même âge, et que la proportion était encore plus déplorable autrefois pour les enfans de moins de dix ans ; il ajoute qu’à Merthyr, où le choléra a sévi avec violence, l’épidémie a fait trois fois moins de ravages que les maladies propres aux mineurs parmi les ouvriers des houillères de la contrée, et qu’enfin, pour les mineurs âgés de 15 à 25 ans, le tiers des morts est dû aux maladies des organes respiratoires. D’autre part, M. A. Tardieu assure qu’entre 30 et 40 ans une vieillesse prématurée apparaît chez les ouvriers souterrains, et que ceux-ci dépassent rarement la cinquantaine. On comprend alors pourquoi, parmi les hommes employés dans les houillères anglaises, le nombre de ceux qui sont âgés de moins de 20 ans est supérieur de 15,000 environ au nombre de ceux qui dépassent la vingtième année.

La profession du mineur houiller n’est pas seulement pénible et malsaine, elle est encore excessivement périlleuse en raison des difficultés en quelque sorte inhérentes à l’exploitation de cette branche de la propriété souterraine. En 1855, 956 ouvriers ont péri de mort violente et accidentelle dans les 2,600 houillères de la Grande-Bretagne : ainsi chaque million de tonnes de charbon y a coûté 15 vies humaines. En 1854, pour cinq des six districts entre lesquels est maintenant partagé le royaume-uni au point de vue de cette surveillance administrative on comptait 893 morts d’ouvriers, dont 321 dues à des éboulemens, 231 dues à des accidens de puits (rupture du câble, etc.), 192 occasionnées par des explosions de grisou, et 148 attribuées à diverses causes. Le nombre total des morts était d’ailleurs de 1,045 pour les six districts. « Un houilleur nous disait, écrit l’auteur de l’article du British Quarterly Review, que, pour une cause quelconque, un ouvrier pouvait être bien sûr d’être sacrifié à 40 ou 45 ans. En examinant quelques centaines de jeunes mineurs, nous avons découvert qu’un petit nombre seulement avaient échappé à toute espèce d’accidens. De jeunes garçons basaient toute leur chronologie sur les dates mêmes des accidens dont ils avaient été victimes. »

En Belgique, les comptes-rendus publiés par le ministère des travaux publics donnent avec un véritable luxe la statistique des accidens de mines ; chaque fait y est, depuis une trentaine d’années, l’objet d’une analyse détaillée et méthodique ; je me bornerai à considérer l’année 1850, choisie par l’administration française pour un travail analogue. Les seules houillères de ce petit royaume occupaient alors à l’intérieur 36,430 ouvriers, parmi lesquels on compte 3,495 femmes, dont 1,221 âgées de moins de seize ans. Les accidens sont au nombre de 156, et ont fait 270 victimes ; près de la moitié (84) des morts sont dues au grisou, 46 mineurs ont été tués par des éboulemens, 24 par des ruptures de machines, câbles, engins, etc., 18 par les chutes dans les puits, 3 par des asphyxies, etc. Si la Belgique nous est, quant au nombre des morts, très supérieure, elle nous est très inférieure, on va le voir, quant au nombre des blessés, ce qui tendrait à faire croire que ce dernier relevé a été fait avec plus d’exactitude par notre administration. Il est bien entendu d’ailleurs que la Grande-Bretagne occupe le premier rang dans la funèbre statistique : produire vite et beaucoup, telle semble être en Angleterre la devise de cette industrie comme de toute autre, et les travaux souterrains y sont menés avec peu de prudence.

Le dernier résumé statistique de l’administration des mines de France ne donne que pour 1850 le tableau général des accidens survenus dans les exploitations minérales de toute nature ; mais quelques chiffres insérés dans le rapport du ministre des travaux publics à l’empereur, qui se trouve en tête de la publication officielle, permettent en outre de comparer cette année aux années 1842 et 1844, peu différentes d’ailleurs dans les résultats généraux. En 1842, les accidens survenus dans les exploitations de combustibles minéraux, qui occupaient 28,149 ouvriers, ont tué 122 individus et blessé 809 autres. Ces accidens comprenaient 237 chutes d’ouvriers dans les puits (20 morts), 131 ruptures de machines, câbles, engins ou chutes de tonnes (11 morts), 77 explosions de grisou (23 morts), etc. En 1844, le nombre des victimes était de 783 seulement, sur lesquelles on ne compte que 91 morts ; les explosions n’avaient tué que 2 ouvriers et en avaient blessé 25. En 1850 enfin, le tableau détaillé qui concerne cette année permet une précision bien plus grande. On y voit que les mines de houille, d’anthracite et de lignite occupaient respectivement : 21,131, — 1,342, — 1,333 ouvriers à l’intérieur ; 7,342, — 351, — 152 à l’extérieur ; 28,473, — 1,693, — 1,485 en totalité ; qu’elles avaient été le théâtre de 451, 78 et 5 accidens, ayant tué 117, 2 et 3 ouvriers, et en ayant blessé 395, 77 et 4. Sur les 598 victimes de l’industrie houillère, 122 avaient donc péri. On a ainsi une idée de la nature périlleuse des diverses sortes de mines de combustible minéral. On voit que les mines de houille proprement dites sont de beaucoup au premier rang, et que les mines de lignite offrent peu de dangers.

Si l’on recherche quelles sont les causes les plus habituelles de ces accidens, dont l’ensemble présente, on l’a sans doute remarqué, une notable amélioration relativement aux deux années dont je parlais tout à l’heure, on trouve qu’elles se succèdent dans le même ordre qu’en Angleterre, que les éboulemens souterrains ont fait 450 victimes, dont 73 morts, les ruptures de machines, etc., 141 victimes, dont 6 morts, les chutes dans les puits, 47 victimes, dont 17 morts, les explosions de grisou, 22 victimes, dont 8 morts. Les 634 accidens de 1850 comprennent encore les coups de mines, les asphyxies et les inondations, qui ont occasionné la mort de 11 ouvriers : 25 individus ont en outre été blessés par la première de ces causes.

La première catégorie d’accidens comprend, indépendamment des éboulemens de quelque étendue qui sont fort rares, les chutes excessivement fréquentes des blocs de charbon ou de la roche supérieure, qui se détachent brusquement au moment même où les ouvriers les attaquent, et sous lesquels ils sont écrasés ou tout au moins estropiés. Dans la deuxième et la troisième se rangent, à côté à’accidens divers et sans qu’on puisse les séparer, les dangers inhérens aux systèmes actuellement usités pour la circulation des ouvriers dans les puits des houillères. L’emploi des échelles, regardé comme une des causes les plus sérieuses d’affaiblissement de la constitution des mineurs, et l’usage des tonnes, perfectionné d’ailleurs par la pose de guides le long des parois du puits, entrent dans ce total pour des proportions, qu’il est regrettable de ne pouvoir connaître et comparer. Je ne dois pas oublier de mentionner ici l’ingénieuse et hardie invention d’un chef d’atelier de la compagnie d’Anzin, M. Fontaine, qui, au moyen d’un parachute, combat victorieusement les ruptures de câbles. Une centaine de mineurs, qui auraient infailliblement été précipités au fond du puits à la suite de semblables ruptures, si l’appareil n’avait pas fonctionné, doivent la vie à ce mécanisme, dont je ne puis mieux donner une idée qu’en rappelant l’effet qui se produirait si l’on ouvrait une paire de ciseaux dans un tuyau. Deux leviers pointus sont normalement maintenus, durant la circulation de la cage dans le puits, à une distance suffisante des parois. En cas de rupture du câble, un ressort, qui se détend brusquement, fixe instantanément les griffes de ces leviers dans des madriers, et la cage reste suspendue en l’air. Un couvercle solide reçoit la partie du câble qui est attachée à cette cage, et dont on sait que le poids pourrait, si elle est d’une certaine longueur, assommer les hommes. On a vu quelquefois des ouvriers avoir ainsi au-dessus de leurs têtes 524 mètres de câble, soit 2,620 kilogrammes. Lorsque l’arrêt brusque a lieu dans un mouvement ascensionnel, il se fait naturellement à peine sentir ; mais, s’il se produisait pendant la descente d’une cage, il serait à craindre que le choc ne fût très violent et réellement compromettant pour la sécurité des mineurs : il ne paraît pas que ces appréhensions aient été justifiées jusqu’à présent.

Quant aux explosions du gaz hydrogène carboné, irrespirable d’ailleurs comme tous les gaz délétères qui se dégagent dans la mine, il convient de s’y arrêter quelques instans, eu égard aux conséquences désastreuses qu’elles entraînent. Là où se produit une explosion, un grand nombre des ouvriers est brûlé, et le reste court risque d’être asphyxié par les gaz qui viennent remplir les travaux après l’inflammation du grisou. On a vu des tonnes lancées par les puits ainsi qu’une bombe par un mortier, et des mines entières dévastées comme si elles avaient été le théâtre d’une de ces trombes qui viennent quelquefois ravager certaines vallées. Je crois devoir emprunter à l’article déjà cité du British Quarterly Review le récit émouvant d’une descente dans une mine du bassin de Newcastle, faite à la suite d’une de ces catastrophes dont les houillères de cette région sont trop fréquemment le théâtre[11].

« Rien peut-être ne remplit l’esprit d’une plus profonde tristesse que de se trouver, comme cela nous est arrivé, à l’orifice d’une houillère qui a été récemment le théâtre d’une explosion. Un jour où même une heure auparavant, elle offrait le spectacle d’une dévorante activité et d’une évidente prospérité, dont les signes se manifestaient partout. Les paniers de charbon montaient continuellement, et, étaient versés en toute hâte dans les wagons bruyans, après avoir été lancés sur les treillis sonores des grands cribles. Hauts étaient les appels des hommes, les chants et les rires des jeunes gens, et la grande et lourde machine à vapeur ne cessait de pomper et de tirer avec des soupirs, des gémissemens et des mouvemens de géant. Maintenant tout est immobile, silencieux, tout inspire l’effroi. Un ou deux mineurs graves et attristés attendent le directeur à l’entrée de la mine. La machine à vapeur est sans bruit ; les molettes qui surmontent le puits, dont la rotation continuelle attirait les regards, ne font plus aucune évolution ; les wagons reposent inutiles et en désordre. Par extraordinaire, les jeunes gens et les enfans sont vus pleurans ; les chaumières des mineurs sont fermées comme si ce jour était un dimanche.

« Descendons maintenant avec le directeur : combien la mine est différente d’elle-même ! Au bas du puits, où l’on trouvait d’habitude un groupe de mineurs fumant et plaisantant, tout est silencieux. Nous descendons du panier qui nous a amenés sans que nul vienne nous aider de son complaisant appui. À peine avons-nous fait quelques pas dans la mine, que nous reconnaissons les traces de la catastrophe. Aucun mouvement ne se produit. Les galeries, autrefois si encombrées, sont libres et sans bruit. Un convoi entier de wagons de charbon est au repos sur le chemin de fer. Aucun cheval, aucun conducteur ne paraît. L’explosion a eu lieu dans quelque partie éloignée de la mine. Nous voyons ça et là, en approchant, la faible lueur d’une lampe de Davy, tenue par un mineur qui cherche les cadavres de ses compagnons. Là, il nous faut passer sur une masse de pierres et de charbons qui ont été renversés par la force de l’explosion. Plus loin, les parois de la galerie portent les traces du passage du gaz enflammé. Nous rejoignons enfin ceux qui cherchent à retrouver les corps de deux ou trois mineurs qui doivent avoir péri en cet endroit. D’énormes blocs du toit ont été arrachés par le grisou, auquel ils faisaient obstacle ; on a pioché et enlevé une partie des décombres pendant plusieurs heures. La scène est éclairée faiblement par nos trois ou quatre lampes, que nous levons de temps en temps pour jeter sur ces décombres un coup d’œil inquiet. Au bout d’une demi-heure, nous faisons une découverte, particulièrement émouvante pour ceux qui ne sont pas accoutumés à de semblables spectacles : nous apercevons une masse noire et inerte qui a toute l’apparence du charbon ; mais il est reconnu que c’est un cadavre, et une inspection minutieuse prouve clairement en effet que ceci a été un homme vivant. Nous nous bornerons à dire que cette masse est décemment enveloppée et montée au jour. Pour nous, cette scène nous fait mal ; d’ailleurs la place n’est pas sans danger, car les terribles effets de la catastrophe ont ébranlé le toit et déplacé les étais. Le fracas subit que nous avons entendu une ou deux minutes auparavant était produit par la chute du charbon dans la galerie même que nous venions de traverser. »


Le grisou, produit peut-être lors de la fermentation qui a dû accompagner la décomposition des végétaux houillère, est en quelque sorte emprisonné au milieu du charbon, d’où il s’échappe avec un bruit très distinct et parfois en linéamens blanchâtres auxquels il doit sans doute son nom. Il se rencontre particulièrement dans les endroits où les couches sont dérangées et dans les meilleures qualités de houille. La tension en est si considérable qu’une fois dans une mine anglaise, un bloc de charbon de plus de 11,000 kilogrammes a été violemment chassé en avant sous cette seule influence. Le dégagement du grisou est variable et paraît être en relation avec la pression atmosphérique ; il est plus abondant dans les temps d’orage. Très léger, il monte à la partie supérieure des galeries et se loge dans les angles, d’où il est difficile de le chasser. On prévoit la sollicitude constante que réclame, pour l’aérage et l’éclairage des travaux, la surveillance d’une houillère à grisou.

Un fait singulier donnera une idée de l’abondance déplorable du grisou dans les mines de Newcastle. Un ingénieur anglais eut l’idée de mettre un tube de 0m10 de diamètre en communication avec une partie, abandonnée depuis dix neuf ans, et isolée, d’une de ces houillères où chaque pore du charbon pourrait en quelque sorte être utilisé comme bec de gaz On doit estimer à 1 million de mètres cubes environ la quantité annuelle d’hydrogène carboné qui s’est jusqu’à présent dégagée par cet orifice, ce qui conduit à conclure, que le grisou doit être fortement comprimé dans les couches qui le recèlent. Le tube fut amené à quelque hauteur au-dessus du sol, et ce gigantesque bec de gaz naturel fut allumé ; il brûle ainsi jour et nuit depuis dix-neuf ans, vacillant au gré des vents. En 1846 la chaleur, développée par une explosion de grisou, acquit une telle intensité qu’elle transforma en coke, sur quelques millimètres d’épaisseur et sur une superficie considérable, les parois de charbon de la mine. Dans les seules houillères du nord de l’Angleterre, le nombre des victimes du grisou est évaluée, de la fin de 1799 au mois de mars 1841, d’après des renseignemens dignes de foi, à 1,480, et on le croit au-dessous de la vérité. Dans les mines de Durham et du Northumberland, le même nombre est, de 1756 à 1843, fixé à 1,491. Enfin les principales explosions de houillères d’une période récente de sept ans auraient fait périr 1,099ouvriers.

Parmi les causes secondaires d’accidens de mines, il en est une qui se rattache directement ainsi d’ailleurs que les explosions, à l’histoire administrative de la propriété minérale : je veux parler des inondations. C’est à la suite de deux terribles catastrophes survenues dans la province de Liège que fut promulgué le décret impérial du 3 janvier 1813 sur la police souterraine, le 10 janvier 1812, une explosion de grisou avait tué 78 mineurs ; le 28 février, une irruption subite d’eau envahit une mine où se trouvaient 93 ouvriers ; 22 périrent, mais les 71 autres purent être sauvés, après six jours de travaux habilement menés de l’intérieur et de l’extérieur, grâce au dévouement, au sang-froid et à l’habileté du maître mineur Hubert Goffin, dont le dévouement excita alors un enthousiasme général que les contemporains n’ont point oublié[12], et à qui l’empereur Napoléon envoya aussitôt la décoration de la Légion d’honneur. Ces deux grands désastres, aussi rapprochés, ne pouvaient manquer d’exciter la sollicitude du gouvernement français. Au nombre des mesures de prudence qui furent prescrites à partir de cette époque, se trouve l’obligation capitale, rappelée dans tous les cahiers de charges des concessions de mines de tenir un registre et un plan donnant la situation quotidienne des travaux, ainsi que l’indication de toutes les circonstances dont il importe de garder la trace. À défaut de cette précaution, la délivrance des ouvriers ensevelis sous un éboulement ou cernés par les eaux ne serait plus que le résultat du tâtonnement, et la vie de ces hommes utiles pourrait se trouver à chaque instant livrée à tous les hasards de leur périlleuse profession. Les plans seuls donnent le moyen d’éviter la rencontre des anciens travaux, source des plus grands périls, car ils sont toujours remplis d’eaux ou de gaz nuisibles. La nécessité de posséder ainsi un plan très exact des différentes parties d’une mine n’est pas seulement une question de sécurité. Ce plan est en outre indispensable pour l’exploitation même ; il est d’un usage quotidien pour dégager l’inconnu du problème industriel, notamment dans l’étude des accidens de terrain dont il a été question à propos de la formation houillère proprement dite. Il sert par exemple, concurremment avec l’instinct du mineur et les coupes géologiques de la contrée, à résoudre les difficultés qu’offre le rapprochement des portions de couches interrompues et rejetées, et à en retrouver la relation primitive.

En regard des accidens de toute sorte auxquels est sujette la population ouvrière de l’industrie des combustibles minéraux, il n’est que juste de parler des institutions de prévoyance et de secours qui ont été organisées par ceux qui emploient cette population, — évaluée pour la France, en y comprenant les familles des ouvriers, à 150,000 âmes. Comme le remarque avec un légitime orgueil le comité des houillères, bien avant que la révolution de février eût fait violemment surgir les questions délicates et irritantes qui se rattachent à la classe des prolétaires, les concessionnaires des mines de charbon étaient spontanément entrés dans la voie de la bienfaisance, en créant pour leurs ouvriers des caisses de secours et de retraite, des hospices, des écoles pour l’éducation des enfans, en faisant bâtir des villages d’ouvriers, comme à Anzin notamment, en s’imposant enfin des sacrifices dans toutes les circonstances où la cherté des céréales compromettait le sort des classes nécessiteuses. Les grandes compagnies se font particulièrement et naturellement remarquer par leur sollicitude pour les ouvriers qu’elles occupent, et je dois mentionner au premier rang parmi celles-ci la compagnie des mines d’Anzin et celle des mines de la Loire. Seule, la première n’a pas institué de caisse de prévoyance, mais elle prend à sa charge tous les frais résultant des secours, des soins médicaux, des pensions dont les mineurs peuvent avoir besoin, ainsi que leurs familles. La seconde, — à l’instar du reste de la plupart des concessionnaires de mines, grands ou petits, qui ne se sont pas laissé rebuter par la résistance peu intelligente des ouvriers, au point de vue même de leurs intérêts, — avait organisé un système complet de prévoyance. Une caisse était alimentée par une retenue sur le salaire de chaque mineur, par le produit des amendes disciplinaires qu’encourt le personnel, par les dons de l’état, du département, des communes et des particuliers, enfin par une subvention volontaire de la compagnie, égale annuellement à la somme totale des retenues versées par les ouvriers. Cette caisse faisait face aux dépenses occasionnées par les soins médicaux donnés aux mineurs blessés ou malades et à leurs familles, par les secours en argent qui pouvaient leur être attribués suivant de certaines règles, par les indemnités pécuniaires accordées aux veuves et aux enfans des victimes d’accidens, etc. L’administration de la caisse était confiée à un conseil formé en partie au sein même de la compagnie et en partie parmi les ouvriers par la voie de l’élection, et les droits aux secours étaient l’objet d’un règlement détaillé. On retrouve les mêmes principes à peu près dans toutes les institutions de ce genre, mais les applications varient à l’infini. Ainsi la retenue sur les salaires est de 2 pour 100, de 3 pour 100 ou de 4 pour 100 ; la compagnie générale des mines de la Sarthe et de la Mayenne fait, suivant les usages locaux, une retenue de 5 pour 100, et subvient alors à toutes les dépenses qu’entraîne le service de secours. Du reste, toutes ces mesures n’empêchent pas la misère d’entrer au logis de l’ouvrier malade, car une allocation quotidienne de 50 centimes, de 75 centimes ou même de 1 franc, ne suffit pas pour faire vivre celui qui est devenu momentanément incapable d’exercer sa profession, alors même, quand il est marié, qu’il est aussi alloué à la femme et aux jeunes enfans une somme de 25 centimes.

Il ne semble pas qu’en Angleterre fonctionne aucune institution spéciale de cette nature. En Belgique au contraire, un système régulier est organisé depuis près de vingt ans. Les frais de maladies et de blessures des mineurs sont pris sur des caisses particulières à chaque concession houillère alimentées par les subventions volontaires des propriétaires et une retenue de 2 pour 100 sur les salaires des ouvriers. En outre, pour chaque arrondissement, une caisse générale de secours supporte les dépenses qu’entraînent les pensions accordées aux infirmes, aux veuves, aux orphelins ; les fonds proviennent d’une retenue de 1 pour 100 faite sur les salaires des mineurs, d’une somme égale versée par les exploitans, et d’une subvention de l’état annuellement votée par le pouvoir législatif. Il y a là une idée qui serait utilement appliquée en France, où une seule tentative faite dans cette voie, il y a quarante ans, pour le bassin houiller de Rive-de-Gier, est restée infructueuse. Cette cotisation des exploitans doit incontestablement produire un effet moral très salutaire sur les ouvriers, et elle gagnerait beaucoup à être régularisée en France, où le gouvernement s’est borné jusqu’à présent à faire à la sollicitude des concessionnaires de mines un appel qui a été d’ailleurs généralement entendu.

L’exploitation des combustibles minéraux ne soulève pas seulement des questions industrielles, elle soulève encore des questions commerciales, qui seront l’objet d’une prochaine étude. Si je me suis étendu autant sur les premières, la raison en est simple. M. Léonce de Lavergne rappelait récemment, devant l’Académie des Sciences morales, ce passage du Dictionnaire philosophique de Voltaire : « Si les habitans voluptueux des villes savaient ce qu’il en coûte pour leur procurer leur pain, ils en seraient effrayés. » Sans vouloir diminuer la sympathie qu’excite à bon droit le sort de ces travailleurs de l’industrie agricole, qui courbés sur la terre du lever du soleil à son coucher, en font surgir par un labeur opiniâtre, — lequel du moins se fait au grand jour et dans des conditions hygiéniques parfaites, — les ressources indispensables de l’alimentation publique, j’ai pensé qu’il convenait aussi d’accorder une part d’intérêt aux travailleurs de l’industrie houillère ; j’ai pensé qu’il ne fallait pas laisser oublier ce qu’il en coûte à nos semblables pour nous procurer ce combustible minéral qu’on a si souvent et si justement appelé le pain de l’industrie.


E. LAME FLEURY.

  1. Situation de l’Industrie houillère en 1857. Cette brochure est signée par M. Amédée Burat, secrétaire du comité.
  2. Elles occupent ensemble 1,500 ouvriers. Pour indiquer l’importance actuelle de la production d’anthracite et aussi les progrès qu’elle a faits depuis l’origine, il suffit de considérer des périodes quinquennales et de prendre l’année moyenne. On obtient ainsi les chiffres suivans : 1817-1819, 11,669 quintaux métriques ; 1820-1824, 35,635 q. m. ; 1825-1829, 149,381 q. m. ; 1830-1834, 271,430 q. m. ; 1835-1839, 480,982 q. m. ; 1840-1844, 789,312 q. m. ; 1845-1849, 896,324 q. m. ; 1850-1854, 908,093 q. m., 1855-1856, 1,000,000 de q. m. On voit que, si le bassin du Maine a une importance locale très réelle, il mérite à peine d’être pris en considération vis-à-vis des bassins houillers que j’ai eu l’occasion de mentionner. La production totale de la France en anthracite proprement dit avait été, en 1852, de 2,000,000 de q. m., ce qui ne représentait guère que 1/25e de la production des combustibles minéraux autres que la tourbe.
  3. De la Houille, par A. Burat, 1 vol. in-8o.
  4. On le trouvera exposé tout au long dans le Bulletin de la Société géologique de France, qui s’est occupée maintes fois, et tout récemment encore, de cette question si intéressante au point de vue géologique.
  5. Les chiffres suivans montrent l’allure progressive de ce bassin de lignites : il a donné en 1814 154,437 quintaux métriques, en 1820 265,981 q. m., en 1830 486,714 q. m., en 1840 571,182 q. m., en 1850 1,060,745 q. m. Les concessions sont au nombre de 29, mais 19 ne sont point exploitées. La production française totale en lignites était, en 1852, de 1,991,680 q. m. seulement.
  6. On a vu précédemment les chiffres de la production française en anthracite et lignite pour 1852 ; réunis, ils ne donnent qu’un total de 4,000,000 q. m. contre 45,000,000 q. m. de houille proprement dite.
  7. Telle est la cause d’un incendie qui a récemment éclaté dans une houillère de la Haute-Saône, dont deux ouvriers ont été victimes, et qui a entraîné la suspension des travaux d’un champ d’exploitation.
  8. Voyez, dans la Revue du 15 mars 1855, les Charbonnages de la Belgique, par M. A. Esquiros.
  9. . Dans le British Quarterly Review, january 1, 1857.
  10. Voyez sur cette première tentative, dans la Revue du 15 octobre 1857, la Télégraphie électrique entre les deux mondes, par M. Laugel.
  11. Au commencement de l’année dernière, une explosion de grisou a tué d’un seul coup 170 ouvriers, c’est-à-dire, la moitié du personnel intérieur de la mine, et allumé un incendie dont la flamme, dépassant de plusieurs mètres l’orifice de la cheminée d’aérage, projetait au loin une funèbre lueur.
  12. Hubert Goffin et son fils vinrent à Paris, où ils furent l’objet d’une ovation universelle ; tous les théâtres donnèrent des pièces de circonstance, dont plusieurs représentations furent jouées au bénéfice des mineurs liégeois.