La Puissance des ténèbres/04
ACTE QUATRIÈME
Scène PREMIÈRE
Pourquoi donc Akoulina n’est-elle pas sortie ?
Pourquoi ? Elle le voudrait qu’elle n’en aurait pas le loisir. Les parents du fiancé sont venus pour faire sa connaissance, mais elle, ma petite mère, elle est étendue dans l’izba d’été et elle ne montre pas même le bout de son nez, ma chère.
Pourquoi ça ?
On lui aura jeté un sort. Elle a des crampes dans le ventre.
Est-ce possible ?
Mais… (Elle lui chuchote dans l’oreille.)
Oh ! en voilà un péché ! Mais si les parents du fiancé l’apprennent ?
Comment l’apprendraient-ils ? Ils sont tous ivres. Et puis, ce qu’ils cherchent surtout, c’est la dot ; ce n’est pas peu de chose qu’on donne à cette fille, ma petite mère : deux pelisses, six robes, un châle français, je ne sais plus combien de pièces de toile et de l’argent et, à ce qu’on dit, deux billets de cent…
Dans de pareilles conditions, il n’y a pas grand plaisir à toucher l’argent. Quelle honte, commère ! Chut ! C’est le père du fiancé ! (Elles se taisent et rentrent dans le vestibule.)
Scène II
Je suis cuit ! Quelle chaleur ! Il faut que je me rafraîchisse un peu ! (Il respire fortement.) Dieu sait ce qu’il y a ! Mais il y a quelque chose qui ne me va pas. Nous verrons ce que dira la vieille.
Scène III
Ah ! Moi qui cherchais partout le compère ! Te voilà, mon cher. Eh bien ! Grâce à Dieu, tout va bien. Quand il s’agit de marier un enfant, ce n’est pas le moment de faire du fla fla, et d’ailleurs ce n’est pas dans mon caractère, mais comme vous êtes venus avec de bonnes intentions j’espère qu’avec l’aide de Dieu, vous nous en aurez une reconnaissance éternelle, car la fiancée, vois-tu, est une fille rare. Tu pourrais chercher dans tout l’arrondissement, tu n’en trouverais pas une pareille.
Oui, certes, mais il faut tout de même prendre ses précautions pour l’argent.
Pour l’argent, tu peux être tranquille. Tout ce qui lui revient de ses parents ira avec elle. Par le temps qui court, ce n’est pas peu de chose que trois billets de cinquante.
Nous ne disons pas le contraire. Un enfant est un enfant. Arrangez ça pour le mieux.
Moi, compère, je te dis la vérité vraie. Sans moi, tu n’aurais jamais trouvé une fille pareille. Les Kormiline l’ont déjà demandée en mariage, mais je m’y suis opposée. Pour l’argent, je t’ai dit la vérité. Le défunt (que le bon Dieu le reçoive dans le royaume céleste !) se mourait, et il a ordonné à la veuve de prendre Nikita. Moi, par mon fils, je sais tout. Quant à l’argent, il a ordonné de le remettre à Akoulina. Un autre à sa place en aurait tiré son profit, mais Nikita, lui, rendra tout. Et quelle somme !
Le monde prétend qu’on lui en avait laissé davantage. Ton Nikita est un garçon adroit.
Eh ! mon pigeon blanc, une tranche de pain dans la main du voisin paraît toujours plus grosse. On lui donne ce qu’il y a. Laisse là tes calculs et termine l’affaire. Quelle fille ! Jolie comme un cœur ?
Je ne dis pas non, mais nous nous demandons, ma vieille et moi, pourquoi elle n’est pas sortie. Et si elle est infirme ?
Elle, infirme ? Mais tu n’en trouveras pas une autre comme elle dans tout l’arrondissement. Elle est ferme, dure comme de l’acier ! Tu la connais, voyons ! — Quant au travail, tu peux être tranquille. Elle est un peu sourde, je ne dis pas, mais les meilleures pommes ont un ver. Et si tu veux savoir pourquoi elle n’est pas sortie, c’est qu’on lui a jeté un sort, oui. Je connais même la main qui l’a fait. On savait qu’il y avait des fiançailles et on a jeté le sort. Mais je suis maligne, et je sais un mot pour rompre le charme. Demain, elle sera debout. N’aie donc aucune crainte pour elle.
Eh bien alors, c’est entendu.
Seulement, tu sais, ne va pas te dédire, et ne m’oublie pas.
Il est temps de partir, Ivan.
J’y vais ! (Ils sortent.)
Scène IV
Mère !
Quoi ?
Viens ici, mère, pour qu’on ne nous entende pas. (Elle se dirige vers le hangar.)
Eh bien ? Où est Akoulina ?
Elle est dans le hangar. Si tu la voyais, c’est terrible. — « Que je meure, qu’elle dit, je n’en peux plus ! Je vais me mettre à crier, qu’elle dit, de toutes mes forces. Que je meure ! »
Elle attendra. Faut d’abord reconduire nos hôtes.
Oh ! maman, comme elle souffre ! Et puis elle est fâchée ! — « Ils perdent leur temps à vouloir me vendre, car, moi, qu’elle dit, je ne veux pas me marier. Je vais mourir ! » Oh ! maman, pourvu qu’elle ne meure pas ! J’en ai si peur.
Ne crains rien, elle ne mourra pas ! Ne va pas la voir, va-t’en ! (Anicia et Anioutka sortent.)
Scène V
Oh ! Dieu ! saint Nicolas le miséricordieux ! Ce qu’ils ont avalé d’eau-de-vie ! Quelle odeur ils ont répandue ! Ça pue jusqu’ici… Mais non… je n’en veux pas d’eau-de-vie ! Je n’en veux pas ! Voyez un peu le foin qu’ils ont éparpillé ! Un peu par ici, un peu par là, finalement cela fait une botte. Quelle odeur ! On dirait que j’ai un verre d’eau-de-vie sous le nez ! Ah ! qu’il aille au diable ! (Il bâille.) Il est temps de se coucher. Je n’ai pas envie de rentrer dans la maison. L’odeur me monte dans le nez toute parfumée, la gueuse ! (On entend le roulement d’une voiture qui s’éloigne.) Les voilà partis ! Oh ! Dieu ! Nicolas le miséricordieux ! Ils cherchent tous à se fourrer dedans les uns les autres ? Des bêtises, tout ça !
Scène VI
Mitritch, va te coucher, je ramasserai le foin.
Bien ! Alors, donnes-en aux brebis. Ils sont partis, hein ?
Oui, mais ça ne va pas et je ne sais que faire.
En voilà une affaire ! Qu’est-ce que cela fait ? Y a les Enfants-Trouvés ! On peut en perdre autant qu’on veut, ces maisons-là les ramassent toujours. Amène-leur en autant que tu voudras, ils ne te demanderont pas de comptes ; on paye même la mère, si elle veut s’engager comme nourrice. Ah ! c’est bien simple aujourd’hui !
Je t’en prie, Mitritch, s’il arrive quelque chose, ne bavarde pas trop.
Qu’est-ce que cela me fait ? Fais disparaître les traces comme tu l’entendras. Oh ! comme tu sens l’eau de vie ! Je rentre. (Il s’en va bâillant.) Oh ! Seigneur.
Scène VII
En voilà des affaires !
Scène VIII
Nikita, où es-tu donc ?
Ici.
Que fais-tu assis ? Nous n’avons pas de temps à perdre. Il faut l’emporter tout de suite.
Qu’est-ce que nous allons donc faire ?
Je viens de le dire. Fais ce que je te commande !
Il vaudrait mieux le mettre aux Enfants-Trouvés.
Eh bien, porte-le si tu veux. Tu es fort pour faire des saletés et quand il faut les réparer, il n’y a plus personne.
Que faut-il donc faire ?
Je te l’ai dit. Va dans la cave. Creuse une fosse !
Il n’y aurait pas moyen de s’arranger autrement ?
Autrement ! Il paraît qu’il n’y a pas moyen autrement. Tu aurais dû y penser plus tôt. Va où on t’envoie !
Ah ! quelle affaire ! quelle affaire !
Scène IX
Maman ! La sœur t’appelle. Il paraît qu’elle a un bébé. Que je meure ! je l’ai entendu crier.
Qu’est-ce que tu inventes ? Que la paralysie te casse les os ! Ce sont des petits chats qui miaulent. Rentre et dors ! Autrement tu vas te faire corriger.
Maman chérie, vrai, je te jure !
Je vais te… que je ne te voie plus ici ! (Anioutka s’enfuit.)
Va faire ce qu’on t’a dit, sinon prends garde à toi ! (Elle sort.)
Scène X
Oh ! quelle affaire ! Et ces femmes ! Malheur ! — « Tu aurais dû y penser plus tôt, » qu’elle dit. Est-ce que j’avais le temps d’y penser ? L’été passé, cette Anicia s’est mise à tourner autour de moi. Je ne suis pas un moine ! Quand le patron est mort, j’ai racheté ma faute, comme je devais. Je n’y étais pour rien. Est-ce que cela n’arrive pas tous les jours ?… Y a ensuite l’histoire des poudres… est-ce que c’est moi qui l’ai engagée à agir comme elle l’a fait ? Si je l’avais su alors, je l’aurais tuée, la chienne ! Pour sûr, je l’aurais tuée ! Elle m’a rendu complice de toutes ses saletés, la salope ! Ce qu’elle me dégoûte, depuis ce temps-là. Quand la mère m’a raconté ça, je l’ai prise en dégoût, tellement que je ne peux plus la voir. Comment peut-on vivre avec elle ? Alors nos histoires ont commencé. Puis la fille s’est mise à me courir après. Qu’est-ce que cela pouvait me faire ? Si ça n’avait pas été moi, ça aurait été un autre. Et voilà le résultat ! Et ce n’est toujours pas ma faute ! Oh ! ces affaires ! (Il reste un moment pensif.) Et comme elles sont audacieuses, ces femmes ! Qu’est-ce qu’elles n’ont pas imaginé ? Mais je ne m’y prêterai pas !
Scène XI
Te voilà comme une poule sur sa couvée ! Qu’est-ce que ta femme t’a dit ? Prépare ton affaire !
Qu’est-ce que vous allez faire !
Cela nous regarde… Fais ce qui te concerne.
Ah ! vous m’entortillez !
Est-ce que tu voudrais reculer ? Dès qu’il faut agir, tu recules !
Mais quelle affaire ! C’est un être humain.
Un joli être humain ! À peine s’il respire. Et puis, que veux-tu qu’on en fasse ? Essaie de le porter aux Enfants-Trouvés, il mourra tout de même et le monde causera, on criera l’aventure aux quatre coins du village et la fille nous restera sur les bras.
Mais comment le saura-t-on ?
Ne pas savoir arranger une pareille affaire dans sa propre maison ! Nous ferons tellement qu’il n’en restera pas ça ! Fais seulement ce que je te dis, puisque, nous autres femmes, nous ne pouvons pas le faire toutes seules. Prends la petite pelle, descends et travaille. Je t’éclairerai !
Travailler à quoi ?
Creuse une petite fosse. Après, nous te l’apporterons et nous mettrons tout en ordre, là-bas. Tiens, voilà qu’on m’appelle ! Va donc, il faut que j’y coure.
Mais… Est-il mort ?
Certainement. Mais il faut faire vite. Tout le monde n’est pas encore couché. On pourrait voir, entendre… Ces canailles-là veulent tout savoir. L’ouriadnick a passé ce soir. Alors, voilà ! (Elle lui donne la pelle.) Descends dans la cave… là, au coin, creuse une petite fosse… le sol y est tendre… après, tu l’égaliseras bien. La terre n’ira pas causer… Va, mon chéri, va !
Vous m’entortillez ! Ah ! laissez-moi ! Je vais m’en aller ! Faites toutes seules ce que vous voudrez.
Scène XII
Eh bien ? L’a-t-il creusée ?
Pourquoi t’en es-tu allée ? Où l’as-tu fourré ?
Je l’ai couvert d’une grosse toile. On ne l’entendra pas. Eh bien ? A-t-il creusé la fosse ?
Il ne veut pas.
Il ne veut pas ? Il veut sans doute être mangé par la vermine de la prison ? Je vais aller tout raconter à l’ouriadnick. Ça m’est égal d’en finir une bonne fois, je vais tout raconter !
Que raconteras-tu ?
Quoi ? Tout ! Qui a pris l’argent ? Toi. (Nikita garde le silence.) Et le poison, qui l’a donné ? C’est moi, mais tu le savais, tu le savais, tu le savais ! Tu étais mon complice.
Assez donc ! Ne te rebiffe pas, Nikita. Que reste-t-il à faire ? Se donner un peu de peine. Va, mon chéri !
En voilà un homme délicat ! Il ne veut pas ! Tu m’as assez maltraitée, ça suffit ! Tu as été le maître assez longtemps, à mon tour maintenant ! Va, je te dis… Autrement… Tiens, voilà la pelle ! Va !
C’est pas la peine de tant crier ! (Il prend la pelle sans bouger.) Si je ne veux pas, je n’irai pas !
Tu n’iras pas ! (Elle commence à crier.) À moi ! Eh !
Voyons ! Es-tu folle ? Il va y aller. Allons, va, mon petit fils, va, mon chéri !
Sinon, j’appelle au secours !
Assez donc ! Ah ! Quel monde ! Allons, faites vite ! Pour en finir tout de suite. (Il va vers la cave.)
C’est comme ça, mon cher. Tu as su t’amuser, à toi d’effacer les traces.
Il s’est assez fichu de moi avec sa catin ! Comme ça, je ne serai pas seule, lui aussi sera un assassin ! Il saura ce que c’est !
Là ! là ! La voilà qui s’emballe ! Ne te fâche pas, ma fille, tout doux, tout doux ! Faisons pour le mieux. Va trouver Akoulina. Lui, il va se mettre au travail. (Nikita descend dans la cave. Elle le suit avec sa lanterne jusqu’à l’entrée de la cave.)
Et c’est à lui-même que je ferai étrangler son abominable engeance ! (Très émue.) Je suis lasse de faire remuer les os de Piotr dans la tombe ! Qu’il sache aussi ce que c’est ! Je ne me ménagerai pas, je vous promets que je ne me ménagerai pas !
Éclaire-moi donc.
Il creuse ! Va, apporte-le !
Reste avec lui. Autrement il serait capable de s’en aller, le lâche ! Moi, je vais l’apporter.
N’oublie pas de le baptiser ! Si non, je m’en occuperai. As-tu une croix ?
J’en trouverai une, je sais comment cela se fait. (Elle s’en va.)
Scène XIII
Oh ! comme elle s’est emportée ! C’est vrai qu’il y a de quoi se fâcher, mais, avec la grâce de Dieu, nous allons terminer cette affaire et en faire disparaître les traces. Il nous sera facile ensuite de nous débarrasser de la fille. Mon fils pourra vivre tranquille. La maison, Dieu merci, est bien fournie, ils ne m’oublieront pas. Qu’auraient-ils fait sans Matriona ? Ils n’auraient pas su se tirer d’affaire ! (Se penchant vers la cave.) Est-ce prêt, mon fils ?
Qu’est-ce que vous faites donc ? Apportez-le. Qu’avez-vous à lambiner ? Quand on a commencé, il faut finir.
Scène XIV
L’as-tu baptisé ?
Je crois bien. J’ai eu de la peine à le lui enlever, elle ne voulait pas le lâcher. (Elle tend l’enfant à Nikita.)
Descends-le toi-même.
Tiens ! prends, je te dis ! (Elle lui jette l’enfant.)
Il vit ! Mère chérie, il remue ! Il vit ! Que ferai-je de lui ?
Étrangle-le vite, il ne vivra plus ! (Elle pousse Nikita dans la cave.) C’est ton œuvre. Finis-le !
Il a le cœur tendre ! Ça lui est difficile, au pauvret ! Il n’y a rien à faire, c’est sa faute, aussi ! (Anicia se tient debout et regarde dans la cave. Matriona reste assise sur la marche, jette les yeux de temps en temps sur elle et fait ses réflexions.) Ah ! comme il a peur ! Dame ! quoique ce soit dur, il n’y a pas moyen de faire autrement. Et quand on pense qu’il y a des gens qui voudraient tant avoir des enfants ! Et le bon Dieu ne leur en donne pas. Ils n’ont que des enfants mort-nés ! Voilà, par exemple, la femme du pope… D’autres fois, il n’en faut pas, et ils naissent bien vivants. (Elle regarde dans la cave.) Il doit avoir fini. (À Anicia.) Eh bien ?
Il l’a mis sous une planche… il s’est assis sur la planche… Je crois qu’il a fini.
Oh ! oh ! On voudrait bien ne pas pécher, mais comment faire autrement ?
Il vit toujours ! Je ne peux pas… il vit !
S’il vit encore, où vas-tu ? (Elle veut l’arrêter.)
Va-t’en ou je te tue ! (Il la saisit par le bras, elle se dégage ; il la poursuit avec la pelle. Matriona se jette au-devant de lui et l’arrête. Anicia se sauve sur le perron. Matriona veut arracher la pelle à Nikita.)
Je te tuerai aussi, toi, va-t’en ! (Matriona se sauve sur le perron près d’Anicia. Nikita s’arrête.) Je vous tuerai, je vous tuerai tous !
C’est la peur qu’il a eue. Ce n’est rien. Ça lui passera.
Qu’ont-elles donc fait ? Qu’ont-elles fait de moi ? Comme il piaulait. Et comme il craquait sous moi ! Qu’ont-elles fait de moi ? Il vit ! Il vit toujours ! (Il prête l’oreille.) Il piaule, v’là qu’il piaule ! (Il court vers la cave.)
Il y va… je pense qu’il va l’enterrer. Nikita, tu devrais prendre la lanterne.
On n’entend pas… je l’ai rêvé ! (Il fait quelques pas et s’arrête de nouveau.) Comme ses petits os craquaient ! kr… kr… Qu’ont-elles fait de moi ? (Il prête l’oreille.) Il piaule encore ! Oui, il piaule ! mère ! oh ! mère ! (Il s’avance vers Matriona.)
Quoi donc, mon petit ?
Mère chérie, je n’en peux plus ! Petite mère chérie, aie pitié de moi !
Oh ! quelle peur tu as eue, chéri ! Va, va boire un peu de vin pour te remettre !
Oh ! petite mère chérie, c’est maintenant mon tour ! Je suis à bout. Qu’avez-vous fait de moi ? Comme ses petits os craquaient ! Et comme il s’est mis à piauler ! Mère, oh ! mère, qu’avez-vous fait de moi ? (Il s’assied sur le traîneau.)
Va, chéri, bois un coup ! C’est vrai, dans l’obscurité, on se sent mal à l’aise, mais, attends qu’il fasse clair… un jour passera… puis un autre, et tu n’y penseras plus. Attends un peu, nous marierons la fille et ce sera une affaire finie. Va donc boire un coup, va ! Je vais tout mettre en ordre moi-même dans la cave.
Reste-t-il du vin ? Je vais tâcher d’oublier en buvant ! (Il sort. Anicia, toujours sur le perron, s’écarte pour le laisser passer, sans mot dire.)
Scène XV
Va, va, ma fraise ! Je vais me mettre à la besogne… je vais descendre et l’enterrer. Où a-t-il donc jeté la pelle ? (Elle ramasse la pelle et descend dans la cave où elle disparaît à moitié.) Anicia, viens ici, éclaire-moi !
Et lui donc ?
Il est trop secoué par la peur… Tu l’as traité trop rudement. Laisse-le, il reviendra à lui, que Dieu le garde ! Je ferai le reste toute seule. Pose ici la lanterne que je voie clair. (Matriona disparaît dans la cave.)
Tu t’es amusé, eh bien ! c’est fini maintenant ! Tu faisais le crâneur, attends, tu vas savoir ce que c’est ! Tu en rabattras !
Scène XVI
Petite mère, eh ! petite mère !
Quoi, mon petit ?
Ne l’enterre pas ! Il vit ! Ne l’entends-tu pas ? Il vit ! V’là qu’il piaule !… V’là… v’là… clairement !
Comment pourrait-il piauler, tu l’as aplati comme une galette. Tu as écrasé sa petite tête.
Qu’est-ce donc ? (Il se bouche les oreilles.) Il piaule toujours. J’ai perdu ma vie ! Perdu ! Qu’ont-elles fait de moi ? Où m’enfuir ? (Il se laisse tomber sur la marche de la cave.)