La Rôtisserie de la reine Pédauque/XIII

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Il me restait de ce long entretien le sentiment confus d’un rêve ; l’idée de Catherine m’était plus sensible. En dépit des sublimités que je venais d’entendre, j’avais grande envie de la voir, bien que je n’eusse point soupé. Les idées du philosophe ne m’étaient point assez entré dans le sens pour que j’imaginasse rien de dégoûtant à cette jolie fille. J’étais résolu à pousser jusqu’au bout ma bonne fortune, avant d’être en possession de quelqu’une de ces belles furies de l’air qui ne veulent point de rivales terrestres. Ma crainte était qu’à une heure si avancée de la nuit, Catherine se fût lassée de m’attendre. Prenant ma course le long du fleuve et passant au galop le pont Royal, je me jetai dans la rue du Bac. J’atteignis en une minute celle de Grenelle, où j’entendis des cris mêlés au cliquetis des épées. Le bruit venait de la maison que Catherine m’avait décrite. Là, sur le pavé, s’agitaient des ombres et des lanternes, et il en sortait des voix :

— Au secours, Jésus ! On m’assassine !... Sus au capucin ! Hardi ! piquez-le ! — Jésus, Marie, assistez-moi ! — Voyez le joli greluchon ! Sus ! sus ! Piquez, coquins, piquez ferme !

Les fenêtres s’ouvraient aux maisons d’alentour pour laisser paraître des têtes en bonnets de nuit.

Soudain tout ce mouvement et tout ce bruit passa devant moi comme une chasse en forêt, et je reconnus frère Ange qui détalait d’une telle vitesse que ses sandales lui donnaient la fessée, tandis que trois grands diables de laquais, armés comme des suisses, le serrant de près, lui lardaient le cuir de la pointe de leurs hallebardes. Leur maître, un jeune gentilhomme courtaud et rougeaud, ne cessait de les encourager de la voix et du geste, comme on fait aux chiens.

— Hardi! hardi ! Piquez ! La bête est dure. Comme il se trouvait près de moi :

— Ah ! monsieur, lui dis-je, vous n’avez point de pitié.

— Monsieur, me dit-il, on voit bien que ce capucin n’a point caressé votre maîtresse et que vous n’avez point surpris madame, que voici, dans les bras de cette bête puante. On s’accommode de son financier, parce qu’on sait vivre. Mais un capucin ne se peut souffrir. Ardez l’effrontée !

Et il me montrait Catherine en chemise, sous la porte, les yeux brillants de larmes, échevelée, se tordant les bras, plus belle que jamais et murmurant d’une voix expirante, qui me déchirait l’âme :

— Ne le faites pas mourir ! C’est frère Ange, c’est le petit frère !

Les pendards de laquais revinrent, annonçant qu’ils avaient cessé leur poursuite en apercevant le guet, mais non sans avoir enfoncé d’un demi-doigt leurs piques dans le derrière du saint homme. Les bonnets de nuit disparurent des fenêtres, qui se refermèrent, et, tandis que le jeune seigneur causait avec ses gens, je m’approchai de Catherine dont les larmes séchaient sur ses joues, au joli creux de son sourire. — Le pauvre frère est sauvé, me dit-elle. Mais j’ai tremblé pour lui. Les hommes sont terribles. Quand ils vous aiment, ils ne veulent rien entendre.

— Catherine, lui dis-je assez piqué, ne m’avez-vous fait venir que pour assister à la querelle de vos amis ? Hélas ! je n’ai pas le droit d’y prendre part.

— Vous l’auriez, monsieur Jacques, me dit-elle, vous l’auriez si vous l’aviez voulu.

— Mais, lui dis-je encore, vous êtes la personne de Paris la plus entourée. Vous ne m’aviez point parlé de ce jeune gentilhomme.

— Aussi bien n’y pensais-je guère. Il est venu impromptu.

— Et il vous a surprise avec frère Ange.

— Il a cru voir ce qui n’était pas. C’est un emporté à qui l’on ne peut faire entendre raison.

Sa chemise entr’ouverte laissait voir dans la dentelle un sein gonflé comme un beau fruit, et fleuri d’une rose naissante. Je la pris dans mes bras et couvris sa poitrine de baisers.

— Ciel ! s’écria-t-elle, dans la rue ! devant M. d’Anquetil, qui nous voit !

— Qui est ça, M. d’Anquetil ? — C’est le meurtrier de frère Ange, pardi ! Quel autre voulez-vous que ce soit?

— Il est vrai, Catherine, qu’il n’en faut pas d’autres, vos amis sont près de vous en forces suffisantes.

— Monsieur Jacques, ne m’insultez pas, je vous prie.

— Je ne vous insulte pas, Catherine ; je reconnais vos attraits, auxquels je voudrais rendre le même hommage que tant d’autres.

— Monsieur Jacques, ce que vous dites sent odieusement la rôtisserie de votre bonhomme de père.

— Vous étiez naguère bien contente, mam’selle Catherine, d’en flairer la cheminée.

— Fi ! le vilain ! le pied plat ! Il outrage une femme !

Comme elle commençait à glapir et à s’agiter, M. d’Anquetil quitta ses gens, vint à nous, la poussa dans le logis en l’appelant friponne et dévergondée, entra derrière elle dans l’allée, et me ferma la porte au nez.