Chansons posthumes de Pierre-Jean de Béranger/La Rose et le Tonnerre

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La Rose et le Tonnerre


LA ROSE ET LE TONNERRE


Air :


        Chez les Grecs, conteurs de merveilles,
        Quel sort ne m’eût-on pas prédit ?
        Lauriers d’Homère, et vous, abeilles,[1]
        Qui mettiez Platon en crédit ;
        Lauriers, j’eus mieux que vos ombrages ;
        Abeilles, mieux que votre miel ;
        Une rose et le feu du ciel
De mon destin ont été les présages ;
        Une rose et le feu du ciel.

        Dans son sein j’essayais la vie,
        Quand ma mère, au temps des frimas,
        D’une rose eut, dit-on, l’envie.
        Pour la reine on n’en trouvait pas.
        Ce désir vain fut-il la cause
        Du signe qui m’a couronné ?
        Ah ! Dieu m’avait prédestiné !
Son doigt au front me peignit une rose ;[2]
        Ah ! Dieu m’avait prédestiné !

        Oui, sur ce front brille l’image
        D’une rose dont les couleurs
        S’avivaient lorsqu’en mon jeune âge
        Avril aux champs semait ses fleurs.
        Une dame à robe étoffée,
        Baisant mon front, disait toujours :
        Tu seras béni des amours.
Ces mots si doux me semblaient d’une fée :
        Tu seras béni des amours !

        Des trop longs pleurs de l’élégie
        Je dus affranchir la beauté.
        Amours, dans ma mythologie,
        Dieu sourit à la volupté.
        Je vous prophétise une autre ère :
        La femme engendrera la loi.
        Qu’elle soit reine où l’homme est roi.
Qu’en son époux Ève retrouve un frère ;
        Qu’elle soit reine où l’homme est roi.

        Mais aux doux chants ma voix sans doute
        Devait mêler des sons plus fiers.
        Vient un orage : enfant, j’écoute
        Ce char qui roule armé d’éclairs.
        Sur moi du nuage qui crève
        Le tonnerre tombe étouffant.[3]

        Pourquoi pleurer le pauvre enfant ?
Aux longs ennuis son bon ange l’enlève.
        Pourquoi pleurer le pauvre enfant ?

        Hélas ! le ciel me fait renaître.
        Que voulait-il me présager ?
        Moi, né faible, j’aurai peut-être
        De ses rois un peuple à venger.
        Oui, des Français que j’encourage
        Les foudres sont près d’éclater.
        Tremblez, Bourbons, je vais chanter ;
J’ai fait, bien jeune, un pacte avec l’orage.
        Tremblez, Bourbons, je vais chanter.

        Ah ! j’ai rempli ma destinée.
        Adieu l’amour qui me soutint !
        Dès longtemps la rose est fanée
        Le feu du ciel en moi s’éteint.
        À la nuit, qui vient froide et noire
        Du foyer gagnons la chaleur.
        Comme l’éclair, comme la fleur,
Meurent, hélas ! amour, génie et gloire ;
        Comme l’éclair, comme la fleur.

  1. Homère fut, dit-on, trouvé au bord du fleuve Mélésigène, sous un berceau de lauriers ; et des abeilles, dit-on aussi, déposaient leur miel sur les lèvres du jeune Platon endormi. Je demande pardon à ces deux noms si grands de les avoir rapprochés de celui d’un chansonnier.
  2. Ma mère eut en effet le désir d’une rose dans le premier mois de sa grossesse, en plein cœur d’hiver. Mes vieux parents ne manquèrent pas d’attribuer à cette envie non satisfaite une espèce de rose colorée que je portais au front, mais que l’âge fit disparaître à plus de quinze ans. La tante qui m’a élevé en retrouvait encore la trace au retour du printemps.
  3. Dans deux de mes chansons, j’ai déjà fait allusion à cette particularité de ma jeunesse. Une bonne éducation m’eût mieux valu que ces prétendus pronostics pour devenir un jour un homme remarquable ; mais qu’on pardonne au rimeur de les avoir rappelés ici.