La Saga de Fridthjof le Fort/Étude

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Anonyme
Traduction par Félix Wagner.
Charles Peeters (p. 5-37).

Parmi la quantité prodigieuse d’œuvres en prose que nous a léguées l’antiquité scandinave, la saga de Fridthjof jouit d’une popularité exceptionnelle. Cette vogue, qui date de la fin du xviiie siècle, a grandi dans des proportions étonnantes depuis le jour où Isaïe Tegnér publia sa magistrale composition en vers (1825)[1]. Grâce à l’admirable talent évocateur du poète suédois, le héros du ixe siècle appartient depuis longtemps à la littérature européenne. Les éditions et les traductions de l’antique création des scaldes se sont succédé avec une rapidité surprenante dans les pays de langue germanique[2]. Les écrivains, les poètes, les peintres se sont emparés du sujet à la suite de Tegnér et ont célébré à l’envi les plus intéressantes péripéties de l’existence mouvementée de Fridthjof. Cependant ce n’est plus le Fridthjof de l’ancien temps que nous présente Tegnér. Nous retrouvons le héros considérablement rajeuni et modernisé, revêtu du costume du xixe siècle et exhalant ses sentiments plutôt romantiques dans des chants d’une tendresse infinie et d’une beauté poétique supérieure. À cause du sentimentalisme qui s’y trouve répandu à profusion, les tableaux du poète moderne, malgré leur variété, leur pittoresque et leur grandeur, ne cadrent que d’une manière très imparfaite avec la vie du haut moyen âge scandinave. Le véritable Fridthjof est tout autre. Si l’on veut connaître, dans sa manière de penser et d’agir, ce type du viking au tempérament fier, hardi, fougueux, mais dont l’opiniâtreté indomptable s’allie si bien avec la loyauté et la galanterie, il est nécessaire de relire la vieille saga du xiiie siècle. C’est là que le lecteur retrouvera, dépourvus de tout embellissement factice, les rudes caractères d’autrefois ; il y observera, dans des peintures d’un réalisme suave, une abondante variété de scènes d’une vie étrangement aventureuse ; il assistera à l’âpre et héroïque poursuite d’un idéal dont il nous est difficile de saisir de prime abord le fondement, le sens et la grandeur ; il s’étonnera enfin de la bizarrerie des anciennes traditions et habitudes, et des aspects inattendus qu’offre à l’esprit non prévenu la vie publique et privée telle que nous la voyons, il y a dix siècles, dans les pays du Nord.

Il en est de l’histoire de Fridthjof comme de tant d’autres qu’a vues éclore l’époque classique de la littérature islandaise. Elles captivent petit à petit, elles attirent invinciblement par le charme spécial inhérent à cette manière de raconter si simple, si austère, si énergique ; elles plaisent par l’originalité des idées, des mœurs et des coutumes ; elles forcent l’admiration par la grandeur des caractères, qui se traduit par un dévoûment sans bornes, une inébranlable fidélité à la foi jurée ou à la parole donnée, une énergie indomptable dans la lutte, un souverain mépris des dangers et de la mort. Les scènes qui se déroulent rapides, imprévues, originales, et dans lesquelles la rudesse primitive n’exclut pas la douceur et la délicatesse des sentiments, frappent vivement l’imagination, et les noms de Fridthjof et d’Ingibjörg sont de ceux qui restent gravés dans la mémoire.

Dans la plupart des sagas, les événements sont groupés par ordre chronologique autour d’un ou de plusieurs personnages principaux, et certains chapitres offrent une accumulation de détails qui se suivent sans enchaînement bien visible. Très peu d’entre elles, par contre, présentent cette unité d’action qui caractérise la saga de Fridthjof, cette disposition harmonieuse des scènes, ces contours si nets et si achevés. Le récit se continue clair et logique, sans interruption, sans digression, à travers une série de conflits, les uns touchants dans leur naïve simplicité, dans leur candeur charmante, les autres déconcertants par l’imprévu des situations et la sauvagerie des attitudes, conflits amenés d’un côté par l’amour de Fridthjof pour Ingibjörg, de l’autre, par la haine implacable qu’ont vouée au fils du bóndi Thorstein les rois frères Helgi et Halfdan. Ce sont là les deux éléments essentiels de l’histoire ; ils constituent le pivot autour duquel se meut toute l’action. Cette opposition se développe sans cesse à travers une variété pittoresque de scènes attrayantes et s’aggrave graduellement depuis la mort de Beli et de Thorstein, de douce et paisible mémoire, jusqu’à la catastrophe finale. La haine et la jalousie amènent des offenses, des injures, des humiliations ; celles-ci entraînent la destruction du bien d’autrui, des voies de fait et des actes de violence, et l’histoire se termine par une lutte suprême pour la vie ou la mort. Au milieu des péripéties de cette vie désordonnée et comme pour atténuer l’apparente rudesse des caractères, la tradition ou l’auteur ont répandu quelques idées tendres et gracieuses, quelques traits empreints d’une douce mélancolie.

Si l’ensemble du récit forme un tout harmonieux que pénètre une idée maîtresse et dont les détails sont groupés suivant un plan naturel et logique, les caractères sont tracés d’une manière imparfaite. Il leur manque cette vie et ces couleurs qui les rapprochent de la nature humaine. Les héros de la saga ne sont pas suffisamment individualisés. Ce sont des types, ou foncièrement bons comme Fridthjof, ou exclusivement mauvais comme Helgi. Quant à Ingibjörg, elle garde d’un bout à l’autre une attitude apathique et son influence sur le développement de l’action est insignifiante. À cet égard, la saga est inférieure à plusieurs autres du même genre. Elle ne peut, par exemple, soutenir la comparaison avec celle de Gunnlaug Langue de Serpent qu’elle rappelle par certains côtés. En revanche, elle la surpasse par son allure dramatique se traduisant dans les nombreux dialogues qui font le mieux connaître la manière de penser et de sentir du Scandinave et révèlent si bien son tempérament spécial, avec ses qualités et ses défauts ; elle la surpasse par la fraîcheur et l’animation qui résultent de ce mélange habile et continuel du récit et du dialogue ; elle la surpasse enfin par ses tableaux de mœurs de la vieille société scandinave.

Toutes les sagas, ou peu s’en faut, nous ont été transmises sous le voile de l’anonyme. Les sagamenn n’en sont pas les auteurs ; la matière ne leur appartient pas ; leur tâche se bornait à coordonner et à mettre par écrit ce que l’on se racontait de vive voix parfois depuis deux siècles. Ne nous étonnons donc pas si le « rédacteur » de la saga de Fridthjof n’a pas révélé son nom. Il faut croire que c’était un Islandais, l’Islande étant devenue, par suite de l’émigration norvégienne provoquée par la tyrannie du roi Harald, la terre hospitalière où la civilisation scandinave a pu continuer à se développer libre de toutes entraves et à l’abri des vicissitudes de la politique. C’est dans cette île lointaine que la littérature du Nord a pris son magnifique essor et c’est là que l’on a pu consigner sur le parchemin, pour les préserver de l’oubli, un grand nombre de ces belles traditions poétiques et historiques importées, comme l’histoire de Fridthjof, de la mère-patrie.

L’essence profondément païenne de la saga de Fridthjof est indéniable. Mais, au cours des siècles, pendant le temps qu’elle a vécu à l’état de tradition orale sur les lèvres du peuple, ne dirait-on pas qu’elle a subi quelque peu l’influence bienfaisante des idées nouvelles que le christianisme est venu répandre dans le Nord à partir du xe siècle ! Cette idée que la bonté doit trouver sa récompense et la perversité sa punition, n’est-elle pas absolument en harmonie avec l’idéal chrétien ! Fridthjof, le guerrier rude, mais bon et juste, obtient, comme prix de ses luttes longues et périlleuses, la dignité royale dans une région de Scandinavie[3]. Helgi et Halfdan, qui incarnent le mauvais principe de la saga, recueillent le juste châtiment de leurs noirs forfaits : Helgi, le premier artisan des sombres complots tramés contre la vie de leur adversaire, trouve la mort sur le champ de bataille ; Halfdan, moins coupable que son frère aîné, est réduit à la condition de hersir et doit payer tribut à son vainqueur. Au chapitre xii, Fridthjof — trait caractéristique — exprime sa ferme confiance en sa victoire prochaine, en se basant sur la justice de sa cause.

Le style, sauf le ton et l’aspect spécial des strophes dont il sera parlé plus loin, est, à peu de chose près, celui de toutes les sagas. Il est simple, sobre et clair, naturel et énergique, naïf sans devenir plat ou banal, exempt de toute espèce d’ornement. Le narrateur exprime sa pensée sans détours, sans recherche ni affectation, évitant les embellissements, les descriptions et les peintures inutiles ; il n’y a dans son langage aucune de ces paroles étudiées, aucun de ces tours de phrases ingénieux destinés à produire de l’effet. Il se contente de laisser parler les faits et les situations, et c’est là ce qui donne à ses récits tant d’attrait, de saveur et d’éloquence.

Dans quelle catégorie convient-il de ranger la saga de Fridthjof ? C’est une question à laquelle il serait présomptueux de vouloir répondre d’une manière précise et absolue. L’aspect particulier qu’elle offre ne permet pas de lui assigner, parmi ses congénères, une place nettement déterminée. F. W. Horn (Gesch. d. Lit. des skand. Nord., p. 60) et Ph. Schweitzer (Gesch. d. altskand. Litt., p. 82), dans leur énumération, la citent parmi les sagas dont les éléments sont à la fois empruntés à la mythologie, à la légende et à l’histoire, et l’envisagent au même point de vue que la Völsunga saga, la Hervarar saga, la Hálfs saga, la saga de Ragnar Lodbrók et plusieurs autres qui sont la transcription en prose et la paraphrase de vieilles poésies mythologiques et héroïques reproduites en partie et disséminées dans les récits. Si, comme on doit le croire, la saga de Fridthjof est née de la dissolution en prose d’anciens chants populaires, rien ne nous autorise cependant à lui attribuer un caractère mythologique. Les scènes pittoresques relatives au culte du dieu Baldr et certains traits surnaturels (comme l’intervention néfaste des magiciennes), tout imprégnés des conceptions bizarres et des idées naïves des âges primitifs, tiennent tout simplement aux antiques croyances populaires et ne constituent pas des éléments suffisants pour voir dans les épisodes merveilleux le reflet de légendes mythologiques. La saga de Fridthjof est une de ces histoires foncièrement et purement poétiques, comme le moyen âge scandinave en a vu naître quelques-unes (cf. la saga de Gunnlaug), petits chefs-d’œuvre du genre narratif, édifiés dans une large mesure sur des faits réels, mais auxquels une tradition exceptionnellement longue a imprimé une teinte de roman.

Fridthjof est-il donc un personnage historique et les événements de la saga appartiennent-ils à la réalité ? En dépit des nombreuses discussions — à cause d’elles, peut-on dire — dont cette double question a été l’objet de la part des savants du Nord, il est assez malaisé de se prononcer catégoriquement pour l’une ou pour l’autre des opinions en présence. Cette question, d’ailleurs, ne nous semble pas de grande importance. La solution du problème, quelle qu’elle soit, ne peut en rien diminuer la valeur littéraire et esthétique de la saga, ni le vif intérêt qu’elle présente comme tableau des idées, des mœurs, de la vie dans les pays du Nord, il y a mille ans.

Les grands historiens scandinaves du siècle passé mentionnent Fridthjof dans leurs ouvrages. Quelques-uns racontent même, avec force détails, les faits et gestes de cette attrayante personnalité. G. Schöning (Norges Riiges Historie, til Kon. Olaf Trvggv. Ankomst til Regieringen. Förste Deel, Sorö 1771) pense qu’il a vécu au iiie siècle. Thormod Torfaeus (Historia rerum Norvegicarum. Hafniae 1711. T. I, 1) le place au iie et le savant danois P. F. Suhm, au ive siècle. Il est superflu de faire ressortir le caractère fantaisiste de ces informations. Celles-ci n’offrent plus qu’un simple intérêt rétrospectif ; elles montrent jusqu’à quel point peut s’égarer la pensée de l’historien lorsque la critique est absente de ses travaux ; mais, en même temps, — et ce détail est significatif — elles nous apportent la preuve que jusqu’à la fin du xviiie siècle, le héros de notre histoire a joui d’une immense popularité et que jusqu’alors il n’était venu à l’idée de personne d’élever des doutes sur son authenticité. P. E. Müller (Sagabibliothek med Anmaerkninger og indledende Afhandlinger. Kjöbenhavn, T. II (1818) p. 405) et G. C. F. Mohnike (Die Sage von Frithjof dem Starken. Anmerkungen, pp. 56-58), guidés par une méthode et des principes scientifiques plus rationnels, ont rajeuni Fridthjof de quatre siècles en fixant l’époque de son existence vers le commencement du ixe siècle. En effet, le Landnámabók (livre de la prise de possession de l’Islande), au ch. x, mentionne un certain Björn Bunad ont les petits-fils auraient figuré parmi les premiers émigrants norvégiens qui ont transporté leurs pénates en Islande. Identifiant — pour des raisons plausibles — ce personnage avec Björn, le frère d’armes de Fridthjof, ils en concluent que ce dernier doit avoir existé trois générations avant le Landnámatid, « époque de la prise de possession », (874-934). En outre, plusieurs sagas citent les petits-fils de Fridthjof parmi les rois et chefs d’expédition (fylkiskonungar, víkingar) qui ont vécu avant l’unification de la Norvège sous le sceptre de Harald aux Beaux Cheveux (H. enn hárfagri), en 872. La Gautrekssaga notamment raconte, au chapitre iii, ce que furent les descendants de Fridthjof et d’Ingibjörg. Ci-après, à titre de curiosité, le passage en question que nous traduisons sur l’édition de W. Ranisch (Palaestra XI, Berlin 1900) : « Hunthjof était le nom d’un roi qui régnait sur le Hördaland ; il était fils de Fridthjof le Fort et d’Ingibjörg la Belle. Il avait trois fils. L’un d’eux, du nom de Herthjof, fut dans la suite roi du Hördaland ; l’autre, appelé Geirthjof, était roi des Upplendingar ; le troisième était Fridthjof, roi du Thelamörk. Ils étaient tous des rois puissants et de grands guerriers ; mais Herthjof les surpassait par son intelligence et son expérience ; il avait fait la guerre pendant longtemps et était devenu, pour cette raison, fort célèbre. » La saga même de Fridthjof rapporte les noms de deux de ses fils, à savoir Gunnthjof et Hunthjof et fait allusion à l’existence d’autres enfants (cf. ch. xii). L’autorité de la saga de Gautrek — hâtons-nous de le dire — est loin d’être incontestable et, au point de vue chronologique, les informations ci-dessus ne s’accordent point avec celles de la saga de Fridthjof. W. Kanisch, dans sa très savante étude sur cette saga (Berlin 1900, pp. lxxxix à xcii), — pour diverses raisons qui ne manquent certes pas de solidité — élève des doutes sur le caractère historique de tous ces rois norvégiens de la famille de Fridthjof et dont le nom se termine par — thjof. Cependant, sans apporter de véritable preuve à l’appui de l’historicité du héros, la saga de Gautrek vient du moins ajouter une présomption nouvelle à toutes celles qui nous permettent de croire que Fridthjof n’est pas une pure fiction poétique. Dégagées des nuages de la légende, les plus belles figures de la poésie épique — jusqu’au Siegfried des Nibelungen — sans rien perdre de leur prestige séculaire, finissent par descendre au rang de simples mortels en chair et en os. Pourquoi Fridthjof, dont l’histoire est de date plus récente, dont on connaît si bien la patrie, dont une partie de la vie est racontée jusque dans ses détails, dont on énumère les ascendants et les descendants en toute sincérité et sans autre raison que celle de fournir quelques informations historiques supplémentaires, dont les exploits et les aventures se rattachent d’une manière si étroite à des régions et à des localités nettement déterminées et que l’on rechercherait volontiers toutes sur la carte de la Norvège, pourquoi Fridthjof serait-il une pure création intellectuelle ? Un héros sorti de l’imagination du poète n’a pas ces contours précis et ne parvient guère à conquérir une aussi grande vogue.

Dans les recherches de ce genre il convient d’user de beaucoup de prudence. Après avoir cru d’abord que les sagas ne rapportaient que la vérité pure, on a poussé le scepticisme jusqu’à dénier tout rapport avec la réalité à des sagas incontestablement historiques. Il n’est pas toujours facile, il est vrai, de mettre à découvert le noyau historique sous l’amoncellement des détails fantaisistes qu’une longue tradition verbale est venue y ajouter. Dans ces affirmations une extrême réserve est de rigueur. De récentes découvertes n’ont-elles pas prouvé à l’évidence que certains personnages d’ordre tout secondaire, appartenant même à des pays étrangers, et que l’on était d’accord pour croire imaginés par le scalde, ont bel et bien vécu et joué réellement le rôle que lui attribue la saga ! Tel est le cas par exemple pour le prince danois Gnúpa dont parle la Saga d’Oláf Tryggvason[4]. Toutes ces considérations nous autorisent donc à croire que Fridthjof est un personnage réel qui doit avoir existé à la fin du viiie ou au commencement du ixe siècle.

L’histoire de Fridthjof elle-même est vraisemblablement la mise en œuvre d’une tradition populaire à base historique. La contrée où se déroulent les événements principaux a conservé jusqu’à nos jours le souvenir de quelques-unes des localités mentionnées et des personnages figurant dans la saga. Baldergrov est le nom d’un petit ruisseau, aflluent du Sognefjord. Balestrand, embranchement du Sognefjord et Syrstrand ou Sörstrand (partie du Sognefjord) rappellent la résidence royale de Beli. Un vaste territoire au sud-est de la Norvège porte encore le nom de Ringarike. Elfsborg, Götaelf, dans la Suède actuelle, évoquent le souvenir d’Alfheim ; Jäderen correspond à Jadarr ; Hördaland est le territoire actuel du Nord et Söndhorland ; les îles Solundar sont devenues les Sulen, et ainsi de suite.

Au temps du paganisme, y a-t-il eu, sur les bords du Sognefjord, un temple consacré au dieu Baldr ? À la fin du xviie siècle, à en croire J. E. Leganger, qui était à cette époque pasteur dans ces régions et qui a laissé une description topographique du Sogn, le peuple ne connaissait pas remplacement de Baldrshag, pas plus que l’endroit où s’élevaient les demeures de Beli et de Thorstein. Se basant sur ce témoignage, le savant danois Sophus Bugge (Studier… 1881, I, p. 272 et suiv.) nie l’existence du sanctuaire de Baldr. Mais faut-il vraiment s’étonner si, après une série de dix siècles, le souvenir même de ces noms s’est effacé de la mémoire ? Ailleurs, le peuple de nos jours a-t-il souvenance de toutes les divinités païennes auxquelles on rendait hommage autrefois et connait-il tous les lieux consacrés à leur culte ? La survivance du nom de Baldr dans Baldergrov est un indice très significatif et, malgré le silence des documents nordiques à ce sujet, rien ne nous empêche de croire qu’au haut moyen âge les riverains du Syrstrand aient eu en cet endroit un sanctuaire spécialement réservé au culte du « blanc dieu ».

L. Lársson est également disposé à nier le fondement historique des récits (cf. Fridthjófssaga, p. vi), pour la raison que nulle part dans les nombreux documents de la littérature norvégico-islandaise qui mentionnent le Sognefjord il n’est fait allusion aux événements relatés dans notre saga et que pas un seul texte islandais vraiment digne de foi ne vient confirmer les faits et gestes attribués à Fridthjof. Cet unique argument, tout intéressant qu’il est, ne tranche pas la question et nous paraît impuissant à détruire les présomptions établies plus haut. D’une part, les faits que la saga raconte doivent remonter à une époque antérieure à la soumission des petites royautés norvégiennes à la tyrannie de Harald aux Beaux Cheveux, puisqu’après le coup d’État de ce dernier (872) il n’y eut plus de rois régionaux du genre de Beli et de Hring. D’autre part, les Orcades n’ont été occupées par les Norvégiens que vers 874 et n’eurent de jarls qu’à partir de cette époque (Voy. la note 9 du ch. v). Cet anachronisme, sur lequel on s’appuie volontiers pour nier les rapports de la saga avec la réalité historique, peut aisément s’expliquer. D’abord, on sait que, sous le rapport chronologique, les sagas commettent parfois les écarts les plus étranges. Les sagamenn étaient de très médiocres chronologistes ; c’était leur côté faible ; leur mérite réside ailleurs. Si nous voyons Fridthjof, qui doit avoir vécu vers 800, mêlé à des événements qui ne peuvent pas s’être passés avant 874, nous avons plutôt devant les yeux un intéressant exemple de ce « transfert épique » si commun dans la poésie du moyen âge. C’est d’autant plus vraisemblable que l’histoire de Fridthjof — comme nous le montrerons plus loin — a des attaches très étroites avec la poésie populaire ; elle a conservé de son origine poétique un caractère et une allure épiques qui ne se retrouvent guère que dans les sagas mythologiques ou héroïques. La tradition primitive a créé une œuvre dont les contours sont bien achevés et dont les épisodes sont enchaînés d’une manière qui semble très naturelle ; mais pour y arriver, elle a inconsciemment rapproché et rattaché ensemble par les liens de la fiction des faits qui se sont passés peut-être à un siècle d’intervalle.

La plupart des événements, ceux qui constituent vraiment le fond de la saga, se seraient donc déroulés sur les bords du Sognefjord, selon toute apparence à la fin du viiie ou au commencement du ixe siècle.

Au reste, ce n’est guère qu’à cette époque que la civilisation a pu atteindre, dans les pays du Nord, le degré de développement qui se révèle dans la saga ; ce n’est guère qu’au ixe siècle que se manifestent en Scandinavie les traits de vie et de mœurs qui donnent aux récits ce pittoresque charmant et leur communiquent cette émotion vraie dont sont remplis certains épisodes. D’un autre côté, les vikings se lancent dans de lointaines et aventureuses expéditions qui opèrent une transformation profonde dans la manière de vivre, de penser et de sentir. Ces entreprises guerrières introduisent dans le Nord des éléments exotiques nombreux et variés et ouvrent en même temps, pour l’ancien paganisme Scandinave, l’ère de la décadence. L’édifice des anciennes croyances se désagrège insensiblement sous l’influence des idées venues du dehors. Aussi, voyez l’attitude superbe, insolente de Fridthjof à l’égard du dieu Baldr si vénéré ; voyez l’ironie dédaigneuse qu’il oppose à la colère de la divinité ! L’antique respect de la royauté, par suite de l’existence désordonnée que les Normands mènent en pays étranger et qui leur inspire petit à petit le mépris des traditions les plus sacrées de la patrie, subit des atteintes non moins graves. Comment expliquer autrement l’arrogance et la forfanterie de Fridthjof en présence du roi Helgi ! Malgré tous ses avantages physiques et son grand renom, jamais, en d’autres temps, il n’eut osé verser aussi ouvertement l’opprobre et l’insulte sur la dignité royale.

Quand la saga de Fridthjof a-t-elle reçu sa forme actuelle ? Les conjectures les plus contradictoires ont été émises à ce sujet. « Le style de ce beau récit », dit P. E. Müller (Saga Bibl. ii, Einleitung), « semble trahir la fin du xiiie ou le commencement du xive siècle, bien que certains traits, comme l’expression trülofa (= promesse de fidélité, fin du ch. iv[5]) appartiennent à une époque postérieure. La plupart des tableaux, par contre, ont en eux quelque chose de si naïf, de si antique qu’ils ne peuvent pas avoir été composés au temps du christianisme ». Th. Möbius (Ueber die altnordische Sprache, 1872) et Ph. Schweitzer (Gesch. d. altskand. Litt.) font remonter la saga au milieu du xiiie siècle. H. Falk (Arkiv för nordisk filologi vi) et L. Lársson (Fr. saga, p. xix) la placent, comme Müller, à la fin du xiiie ou au commencement du xive siècle. F. Dietrich (Altnord. Lesebuch, p. xxx) et W. Calaminus (Zur Krit. u. Erkl. d. altn. Fr. s., p. 58) sont d’accord pour la faire naître à une époque antérieure au xive siècle et invoquent à l’appui de cette opinion diverses considérations dont il serait difficile de contester la justesse et la solidité. En effet, dès le xive siècle, les romans de chevalerie, venus surtout de France, pénétrèrent dans les pays scandinaves et y conquirent une faveur exceptionnelle attestée par les nombreuses versions entreprises à cette époque sur l’initiative de la reine Euphémie, épouse de Hákon Magnússon, qui régna en Suède de 1299 à 1319. Ces histoires d’aventures, dans lesquelles très souvent la fadeur le dispute à l’invraisemblance, amenèrent dans le goût du peuple une transformation rapide, correspondant à une réelle décadence de l’idéal esthétique et littéraire. On se passionna bientôt pour ce genre nouveau et dès lors — conséquence fatale — il se révéla au sein de la nation une indifférence marquée, un véritable dédain à l’égard du ton populaire, simple et naturel des traditions nationales, des vénérables sagas dont s’étaient délectés les ancêtres. C’est l’époque des Riddararsögur[6]. Or, la saga de Fridthjof est restée complètement à l’abri de l’influence de l’élément romantique ; elle a conservé intacte cette simplicité énergique, cette poignante brièveté, cet accent de vérité, cette allure essentiellement épique qui fait le charme et la valeur des vrais récits populaires. La langue, les images, les situations prouvent qu’elle plonge ses racines jusqu’au fond du vieux paganisme scandinave et qu’elle est née bien avant l’époque qui marque la regrettable corruption du goût que nous avons signalée. Si elle avait été composée au xive siècle en Islande, comme pense l’historien P. A. Munch (Det norske folks historie A), si elle n’avait pas été mise par écrit exclusivement d’après de vieilles traditions populaires, l’auteur ne lui aurait-il pas imprimé le ton de ces Lygisögur (« sagas menteuses ») qui fleurirent à la fin de la grande époque littéraire d’Islande et qui regorgent de détails fabuleux et d’épisodes d’un merveilleux « fade et rebutant » ? Rien de semblable ne se trouve dans la saga de Fridthjof ; car ce qu’elle raconte de la puissance des sorcières n’est qu’un trait emprunté aux antiques superstitions populaires. Falk et Lársson ne citent aucun fait positif pour prouver d’une façon irrécusable le bien fondé de leurs suppositions. Aussi, sans prétendre trancher nettement cette question, nous est-il permis de croire que l’histoire de Fridthjof a été mise en prose à l’époque primitive qui vit naître les plus belles et les plus captivantes des sagas, et qu’elle n’est pas postérieure au milieu du xiiie siècle.

Une question non moins intéressante est celle qui concerne l’origine des trente-cinq strophes disséminées dans le récit. L’auteur de la saga les a-t-il composées lui-même ou bien les a-t-il empruntées à la tradition, comme les autres parties de l’histoire ?

Chez tous les peuples, les premières productions littéraires furent des récits poétiques. Constatation étrange au premier abord pour quiconque ne se rend pas nettement compte de la manière dont s’est manifestée partout la vie intellectuelle primitive. Cependant cette particularité s’explique aisément. À une époque où l’usage de l’écriture était inconnu, on ne possédait, pour perpétuer les œuvres littéraires, d’autre moyen que la récitation dans les assemblées publiques. Ces poésies devaient s’apprendre par cœur pour être chantées de mémoire. On cite tel scalde islandais qui connaissait par cœur deux cent cinquante longs poèmes, outre un nombre considérable de petits poèmes et de sagas[7]. Or, la mesure rythmique venait puissamment en aide à la mémoire et ce n’est que sous la forme versifiée que fut possible la transmission orale d’histoires de longue haleine à travers toute une lignée de générations. Il en a été ainsi des sagas primitives, surtout des sagas à caractère mythologique ou héroïque. Beaucoup d’entre elles offrent cette particularité remarquable d’avoir passé par trois phases successives de développement et de transformation : la vieille poésie populaire, la dissolution en prose et la décomposition de cette prose en rímur[8]. Ces sagas apparaissent donc comme la simple transcription en prose, la paraphrase d’anciens chants, dont un certain nombre ont été reproduits textuellement et intercalés dans les divers épisodes. Dans quelques-unes, comme la Völsunga saga, la Hálfs saga, la Hervarar saga, la Hrólf Krakis saga, ce procédé est très visible. Les vieilles poésies y occupent encore une place prépondérante. Toute l’histoire n’est en réalité qu’un enchaînement de strophes reliées entre elles par quelques lignes en prose, ou la paraphrase plus ou moins altérée du texte primitif, à tel point que le prosateur, se bornant à supprimer la forme poétique, a maintenu les expressions caractéristiques, les images et jusqu’à l’allitération de son modèle. Il suffit, pour s’en convaincre, de rapprocher certaines parties de la Völsunga saga des chants correspondants de Sigurd, de Brynhild et de Gudrun dans l’Edda.

Telle est aussi l’origine probable de la saga de Fridthjof. F. W. Horn est, à notre connaissance, le seul qui conteste le caractère antique des strophes lorsqu’il dit : « On ne peut guère accorder aux poésies que contient cette saga une ancienneté bien grande, et l’on doit admettre comme vraisemblable qu’elles ont vu le jour en même temps que la saga et doivent être attribuées à l’auteur de celle-ci ». (Gesch. d. Literat. des skand. Nord., p. 60). Cette opinion ne peut se soutenir. Elle est, du reste, formellement contredite par les appréciations des littérateurs et des critiques qui ont le mieux étudié la question. P. E. Müller, dans son introduction à la saga de Fridthjof, s’exprime ainsi : « Les nombreux chants poétiques qui interrompent si agréablement la prose, ont, avec le récit, un rapport si étroit qu’ils ne sont pas seulement destinés à donner du relief et de la vie à celui-ci, mais qu’ils en constituent véritablement la base ». C’est également l’avis de W. Leo (Die Sage von Fr., p. viii), J. C. Poestion (Fr. saga, p. xi) et Ph. Schweitzer (Gesch. d. altskand. Litt., p. 82). Sophus Bugge (Studier… I, p. 285) est moins catégorique quand il attribue aux divers chants de la saga un âge et un caractère différents. W. Calaminus enfin (Zur Kritik… p. 65) partage à ce sujet les idées de Müller et de ses partisans en se basant principalement sur ce fait que « tant par leur forme que par leur contenu les strophes de la saga font, au point de vue de la naïveté, de la simplicité, du naturel, la même impression que la prose ». Bref, nous sommes autorisés à croire que l’histoire de Fridthjof a primitivement revêtu la forme poétique qu’elle a conservée jusqu’au jour où elle a été mise par écrit grâce à l’introduction d’une écriture plus maniable que les vieilles runes. L’auteur de cette rédaction a emprunté à la tradition orale ces nombreux chants versifiés qui ne sont ainsi que des débris, des restes de l’ancienne poésie populaire.

À ce sujet le doute n’est plus guère possible. Dans les chapitres essentiellement poétiques, là où le récit s’écarte de l’ornière habituelle pour prendre subitement de l’envergure, dans les situations pathétiques où apparaissent une inspiration et une émotion qui contrastent avec le ton ordinaire, calme et régulier de la saga, ce sont les strophes qui dominent. Les chapitres VI, VII, IX, X ne constituent réellement qu’un assemblage de poésies entre lesquelles la prose occupe une place toute secondaire et n’est que le lien destiné à mettre de la suite dans la succession des épisodes. Les situations émouvantes étaient évidemment le mieux connues et le plus souvent racontées, et les vers qui les dépeignaient étaient plus fidèlement que d’autres demeurés dans la mémoire. De là cette abondance de strophes qui, dans la saga encore, mettent ces passages en relief et leur donnent une animation exceptionnelle.

Ces strophes, à l’encontre de ce qui s’observe dans la plupart des productions du même genre et de la même époque, font partie intégrante du récit. Sans elles, maints épisodes, maintes peintures perdraient leur saveur, leur intérêt, leur signification, leur valeur propre ; elles resteraient incomplètes et même incompréhensibles. Cette particularité vient puissamment corroborer notre théorie en montrant qu’ici la poésie n’est pas un pur étalage d’érudition, un vain échafaudage de mots et de figures, sans vrai rapport avec le texte, ajouté par le scalde dans l’unique but d’émailler son œuvre de fleurs de rhétorique et de l’agrémenter d’images soi-disant poétiques ; bien au contraire, elle appartient d’une manière intime et inséparable à l’histoire même dont elle constitue le fondement.

Le langage poétique, d’autre part, ne diffère pas sensiblement de celui de la prose ; il est simple et énergique, clair et naturel, dépourvu de toute recherche et affectation ; c’est le véritable langage épique et populaire de l’inspiration primitive, tel qu’on le trouve dans les plus anciens monuments littéraires. Or, pour les scaldes des siècles postérieurs, le sentiment de l’expression littéraire n’est rien, le souci de la complication métrique prime tout. Partant de ce principe erroné, ils ont rempli leurs vers des tournures les plus étranges, des formes les plus bizarres, des figures les plus énigmatiques que l’on puisse concevoir. Par l’abus des licences poétiques, des métaphores et des tropes, entremêlant comme au hasard les mots et les idées les plus hétérogènes, ils ont produit un galimatias d’aspect déconcertant et que l’esprit s’évertue vainement à éclaircir. L’obscurité, l’emphase, les redondances, les chevilles, les kenningar sans goût et sans poésie ont rendu leurs créations illisibles et ont attiré sur elles le dédain des profanes[9]. Les chants de Fridthjof, par contre, sont exempts de ces égarements de l’imagination. Ils sont restés fidèles à l’idéal poétique des temps primitifs, à la conception saine et naturelle d’une poésie qui parle au cœur et qui inspire des sentiments tendres, vrais, nobles et durables. Il n’existe, dans toute la saga, aucune de ces expressions métaphoriques par lesquelles les scaldes ont voilé leur pensée. Les images y sont rares, et celles que l’on rencontre sont d’une poésie charmante, peuvent être comprises sans effort et ne choquent le goût ni par le sens ni par la forme. Quand Fridthjof dénomme son bateau « le coursier de la mer enduit de poix » ou « l’animal de la mer » ; quand il parle des flots « à la crinière de frimas et au plumage de cygne » ; quand il appelle la mer « la salle de Rán » ou « la couche de Rán » et le ciel « la couverture du monde » ; quand il désigne Ingibjörg du nom de « rayonnante porteuse de bagues » et qu’il se décerne le titre de « nourrisseur des aigles », il parle un langage intelligible et en harmonie avec l’essence d’une poésie vraie et naturelle, mais qui n’exclut ni l’énergie ni le pittoresque.

Si les chants de Fridthjof avaient été improvisés — comme d’aucuns prétendent (cf. A. Jäcklein : Die Fridthjofsage, p. 6) — lors de la mise par écrit de la saga, s’ils étaient nés à l’époque qui vit éclore les productions scaldiques dont nous venons d’esquisser le caractère et la teneur, par quel miracle se seraient-ils préservés de cette influence néfaste du mauvais goût qui régnait en maître dès le xiiie siècle ?

Une dernière raison qui milite en faveur de la haute ancienneté de ces strophes dérive de leur forme métrique, de leur structure. Trente-quatre strophes ou fragments de strophes, parmi les trente-cinq que contient la saga, sont écrites dans le Fornyrdislag (littér. : la manière de l’ancien vers). Chacune d’elles se compose de huit vers ; chaque vers a quatre syllabes et ces vers sont reliés deux à deux par l’allitération[10]. Il ne faut pas oublier qu’à l’origine ces strophes étaient exclusivement destinées à être chantées dans les réunions, souvent avec accompagnement de musique ; cette poésie devait avant tout frapper l’oreille. À voir ces vers, on croirait que le versificateur s’est permis d’enfreindre un peu trop souvent les lois de la métrique. Il n’en est rien ; car ces irrégularités ne sont qu’apparentes, c’est-à-dire que, visibles sur le papier, elles disparaissent en grande partie dans la récitation. Cette forme, il est vrai, était susceptible de diverses modifications sous le rapport du nombre et de la longueur des vers, du nombre des repos, de la place des mots allitérés etc. Mais l’assonance, la rime finale et cet enchevêtrement que présente la poésie islandaise post-classique étaient alors inconnues ou du moins n’en usait-on que dans de très modestes proportions. Le Fornyrdislag est le mètre de l’ancienne poésie épique, celui de l’Edda et des poésies de la période littéraire primitive. Vingt strophes de notre saga présentent même une structure absolument semblable à celle des chants de l’Edda. La strophe 9 seule a la forme du Runhenda avec rimes finales. Par contre, le Dróttkvätt, le mètre artificiellement compliqué dont se servaient de préférence les scaldes, n’apparaît dans aucune des strophes de la saga.

La nature de la versification apporte ainsi une nouvelle preuve du caractère antique et populaire des chants de Fridthjof ; elle démontre à l’évidence que ces chants datent d’une époque qu’il est impossible de préciser, mais qui, dans tous les cas, est de beaucoup antérieure à celle de la rédaction de la saga.




L’histoire de Fridthjof et d’Ingibjörg a acquis une immense popularité grâce au poème d’Isaïe Tegnér (1782-1846), d’abord professeur et doyen de la faculté de philosophie de Lund, puis évêque de Vexiö, en Suède. La Fridthjofssaga de Tegnér, parue en 1825, a été traduite dans la plupart des langues modernes et a fourni le thème de nombreuses œuvres dramatiques, musicales et picturales. Elle comprend vingt-quatre chants formant autant de tableaux d’une poésie admirable et composés chacun dans un mètre spécial et habilement approprié au contenu. C’est la mise en œuvre du récit du moyen âge d’après un plan et un idéal conformes aux goûts de l’école romantique. Il est intéressant de savoir au juste où le poète suédois a puisé les éléments qui ont servi de base à l’édification de son chef-d’œuvre. Sa principale source a été l’ouvrage de E. J. Björner, Nordiska Kämpadater, qui contient l’original, ainsi que les traductions suédoise et latine de la saga de Fridthjof[11]. E. Kölbing, dans un chapitre intitulé Ueber die verschiedenen Bearbeitungen der Fridthjófssage[12], a essayé de montrer que Tegnér a procédé d’une manière éclectique en utilisant les documents les plus divers, y compris les Fridthjófsrimur du xve siècle. La mise à profit des rímur cependant a été énergiquement contestée par W. Calaminus[13] qui a minutieusement examiné l’hypothèse de Kölbing et qui, sans considérer le fait en lui-même comme impossible, est d’avis que la concordance de certains détails du poème avec les rímur est due plutôt à la simple « logique des situations ». Il énumère en même temps d’autres sources nordiques auxquelles Tegnér a emprunté quelques éléments accessoires de son œuvre : la saga de Thorstein Vikingsson (le père de notre héros) où il a sans doute trouvé la généalogie de Fridthjof, ainsi que les détails sur l’épée Angrvadil et sur la manière dont celle-ci a été transmise aux ancêtres de Fridthjof[14], la saga de Hörd Grimkelsson, la Jómsvikinga saga, la Sörla saga sterka, sans compter les rapprochements avec le Havamál[15] et les réminiscences de poètes modernes. Tous ces emprunts, est-il besoin de le dire, ne peuvent diminuer en rien le mérite ni rabaisser le génie du poète. « Le poème de Tegnér », dit Calaminus (op. cit. p. 70), « se trouve vis-à-vis de l’ancienne saga qui lui a servi de base dans un rapport analogue à celui qui existe entre une peinture à l’huile saturée de couleur et un dessin au crayon représentant le même objet dans ses traits généraux, mais avec maintes variétés de détail et trahissant également la main d’un artiste ».

Tegnér a rajeuni le récit antique en lui imprimant une allure et un aspect conformes à l’idéal poétique de son temps. Il a passé sous silence les traits qui lui paraissaient de nature à offusquer le sentiment ou à choquer le goût du lecteur, par exemple la violation du sanctuaire de Baldr ; il a supprimé les scènes burlesques et les situations trop réalistes à ses yeux, telles les opérations qui se rattachent au culte des idoles (ch. IX). Idéaliste de tempérament, épris de la pureté des conceptions et de la beauté des formes, il a sacrifié plus d’un épisode, plus d’une particularité qui offrait cependant une image toute vraie et toute caractéristique des mœurs de l’époque.

Tegnér ne mentionne aucun des exploits criminels de Fridthjof, dont le courage et la hardiesse trouvent leur principal appui dans une force corporelle extraordinaire ; ce héros au tempérament fier, arrogant, fougueux qui le pousse à profaner les choses les plus sacrées et à violer les traditions les plus respectables, devient un personnage aux sentiments tendres, purs et délicats, dont aucune tache ne souille le caractère idéal, un véritable soupirant, un amant romanesque et sentimental. L’ensemble est animé d’un souffle moderne, à la fois épique et lyrique ; il n’y a rien de ce ton familier, de cette allure simple, naïve et objective de la vieille saga. Les scènes les plus attachantes dans leur fruste simplicité sont noyées dans l’abondance des couleurs poétiques ; les figures les plus belles ont subi une profonde métamorphose et ne cadrent plus du tout avec l’époque où se déroulent les événements. Si la nouvelle création est, à juste titre, considérée comme un chef-d’œuvre et comme l’ouvrage le plus remarquable de Tegnér, en revanche, elle n’offre plus de la vie et des mœurs du haut moyen âge scandinave qu’une image terne et inexacte. À ce point de vue le poète s’est attiré les plus graves reproches. Dans son magnifique ouvrage Durch Skandinavien nach St. Petersburg (5. Aufl. Freiburg i./B. 1901, p. 65), le P. Alex. Baumgartner, parlant de la transformation de la saga par Tegnér, s’exprime : « On ne peut guère l’envisager comme un profit, s’il (Tegnér) a largement développé, avec toute l’ardeur du troubadour, s’il a inondé d’un parfum de roses et de lis réellement enivrant les scènes amoureuses que l’œuvre médiévale ne fait qu’indiquer, s’il a transfiguré dans un sens humanitaire le culte de Freyja et de Baldr et en général toute l’idolâtrie de l’ancien Nord, alors qu’il a négligé toutes les situations qui, dans le récit primitif, rappellent les côtés sombres du paganisme germanique. Fridthjof ne transperce plus les nourrissons et ne fait plus pleurer les femmes. Le passage énergique où il se donne les noms de Fridthjof, Herthjof, Geirthjof, Gunnthjof, Eythjof, Helthjof, Valthjof[16] a été complètement omis par le romantique moderne. En revanche, dans la scène longue et presque sentimentale où Ingibjörg fait ses adieux, Fridthjof conçoit l’idée absolument antigermanique de renier sa chère patrie du Nord et d’émigrer avec sa bien-aimée vers l’Hellade ensoleillée ».




Il ne sera pas sans intérêt ni sans utilité de dresser ici la liste aussi complète que possible des éditions et des traductions de l’ancienne saga de Fridthjof. La longueur et la variété de cette énumération sont une preuve de la popularité et de la faveur dont la saga jouit depuis un siècle dans les pays de langue germanique. Nous espérons en même temps épargner, à ceux qui désirent s’orienter davantage dans ce domaine, des recherches et des tâtonnements souvent pénibles. Nous tâcherons de faire connaître brièvement le contenu et la valeur de la plupart des ouvrages mentionnés.

I. ÉDITIONS.


E. J. Björner, Nordiska Kämpadater, i en Sagoflock samlade om forna Kongar och Hjältar… Volumen historicum, continens variorum in orbe Hyperboreo antiquo regum, heroum et pugilum res praeclare et mirabiliter gestas etc. Stockholm 1757. Contient, parmi une douzaine d’autres sagas, celle de Fridthjof dans l’original (iv) ainsi qu’une traduction suédoise et latine. Cette dernière est due en partie à J. Wibjörnson. C’est dans ce livre que Tegnér a puisé le sujet de son poème.

C. C. Rafn, Fornaldar sögur Nordrlanda eptir gömlum handritum útgefnar. Kaupmannahöfn 1829. T. II, pp. 61-100. Édition critique tirée de la célèbre collection d’Árni Magnússon, le grand protecteur des lettres scandinaves. Une rédaction abrégée est insérée dans le même volume, pp. 488-503.

H. Lüning, Fridthjofs saga ens froekna, dans L. Ettmüller, Altnordisches Lesebuch nebst kurzgefasster Formenlehre und Wörterbuch. Zurich 1861 (pp. 46-61). Réimpression du texte de Rafn, avec observations critiques ; vocabulaire quelque peu vieilli.

F. E. C. Dietrich, Altnordisches Lesebuch. Aus der skandinavischen Poesie und Prosa zusammengestellt u. s. w. Leipzig, 1re éd. 1843 ; 2e éd. complètement transformée 1864. Renferme pp. 221-259 une bonne édition de la saga avec l’indication de diverses variantes.

Valdimar Ásmundarson a publié dans les Fornaldar sögur Nordrlanda II (Reykjavik 1886) une variante de la rédaction abrégée, d’après un manuscrit de la bibliothèque nationale (Landbókasafn) de Reykjavik.

L. Larsson, Sagan ock Rimorna om Fridtjófr hinn fraekni, utgivna for « Samfund til udgivelse af gammel nordisk litteratur ». Köbenhavn 1893. Édition critique contenant, outre une étude du texte, l’ancienne rédaction, deux variantes de la nouvelle, d’après les manuscrits originaux, et les rímur avec annotations.

L. Larsson, Fridthjófs saga ins froekna. Halle 1901 (Altnordische Saga-Bibliothek IX). Édition classique allemande précédée d’une introduction brève mais substantielle, et accompagnée d’un commentaire explicatif très abondant.


II. TRADUCTIONS.


A. Traductions danoises et norvégiennes : C. C. Rafn, Nordiske Kaempe-Historier, eller mythiske og romantiske Sagaer, efter Islandske Haandskrifter lordanskede med oplysende Anmaerkninger. Kjöbenhavn. Vol. III, 1824. Cette traduction est reproduite, avec quelques variantes, dans les Nordiske Fortids Sagaer de C. C. Rafn, efter den udgivne islandske eller gamle nordiske Grundskrift oversatte. Vol. II. Kjöbenh. 1829, pp. 59-96. — Une traduction libre signée des initiales E. H. a paru dans la revue « Dansk Folkelaesning » (1865). — J. Aasen, Fridtjofs Saga. Omskrift udi det nyere Landsmaal. Kristiania 1858. Excellente traduction en dialecte norvégien.

B. Traductions suédoises : E. J. Björner, dans le volume (Nordiska Kämpadater) cité plus haut (1737). Cette traduction a été réimprimée, avec de légères modifications, par les soins de P. A. Wallmark, sous le titre de Sagan om Frithiof den Fräcke eller Modige. Stockholm 1829. — A. I. Arwidsson, Frithiof den Djerfves Saga. Oefversättning fran Isländskan. Stockholm 1839. Andra upplagan, öfversedd, ibid., 1841. Contient, en outre, un Bihang til (Tegnérs) Frithiofs Saga. — Historisk Berättelse om Frithjof den Tappre. Oefversatt fran Isländskan. Utgör ämnet till E. Tegnér’s herrliga skaldeverk « Frithjofs-Saga ». Sans indication d’auteur, ni d’éditeur ni de date. Renferme des fragments du poème de Tegnér et quelques gravures. — Frithjofs-Saga. En berättelse fran forntiden. Aemnet till biskop Tegnér’s poetiska arbete. Vestervik, 1848. Contient également quelques chants de Tegnér. — F. G. Nyström, Frithjofs Saga, fran Isländskan öfversatt och belyst. Akademisk Afhandling. Uppsala 1807. Une des meilleures traductions, avec une étude critique et littéraire remarquable et des annotations.

C. Traductions anglaises : W. Morris, The story of Frithjof the Bold. A paru d’abord dans la revue mensuelle « The dark blue » (mars-avril 1871, p. 42 et suiv.) et plus tard dans l’ouvrage Three northern love stories and other tales, translated from the Icelandic. London 1875. — G. S(tephens), The Saga of Frithjof the Bold. Translated from the original Icelandic. Stockholm & London 1839. Cette traduction, imprimée en lettres gothiques, occupe les pp. 1-59 d’un ouvrage de G. S. intitulé Frithiof’s Saga, a legend of the North, et qui contient diverses études et de nombreuses annotations sur le poème de Tegnér, ainsi qu’une belle traduction en vers de l’œuvre de ce dernier avec plusieurs gravures intéressantes et des extraits mis en musique. — R. B. Anderson & J. Bjarnarson, dans les « Viking tales of the North ». Chicago 1877. Le même volume renferme une traduction anglaise de la saga de Thorstein Vikingsson.

D. Traductions allemandes : G. C. F. Mohnike, Die Sage von Frithjof dem Starken. Aus dem Isländischen. Mit einer Karte vom südlichen Norwegen und vom Sognefjord. Stralsund 1830. (Anmerkungen, pp. 43-97). Sèche et lourde, s’attache volontiers aux interprétations de Rafn. Les annotations ont trop vieilli pour être consultées avec un réel profit. — W. Calaminus, Sage von Frithjof dem Starken, nach der alten Volkssage übersetzt, dans le « Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Litteraturen » de Herrig (T. 34, pp. 1-28). Braunschweig 1865. Valeur très médiocre. — G. von Leinburg a traduit des fragments dans son savant ouvrage sur E. Tegnér (Tegnér’s Frithjofs-Sage. Text mit gegenüberstehender Uebersetzung in Prosa und vollstândiger Geschichte des Werkes u. s. w. Frankfurt a./M. 2. Aufl. 1872 ; 12. Aufl. Leipzig, 0. Leiner). — W. Leo, Die Sage von Fridthjofr dem Verwegnen. Aus dem isländischen Urtexte übersetzt. Heilbronn 1879. D’après le texte des Fornaldar sögur cité plus haut. Trad. correcte en ce sens qu’elle rend fidèlement le sens de l’original. Mais elle n’est pas assez littérale ; le langage naïf et énergique du modèle est sacrifié dans une large mesure à la façon moderne de raconter, et ainsi l’impression de l’original se trouve en grande partie effacée. — Beaucoup meilleure sous ce rapport est la traduction de J. C. Poestion, Fridthjofs Saga. Aus dem Alt-Isländischen. Wien 1879. S’attache davantage au texte et rend avec beaucoup d’habileté et avec toute l’exactitude possible la simplicité et la saveur de l’original. Leo et Poestion donnent à la fin de leurs livres les éclaircissements indispensables à l’intelligence du récit. — A. Jäcklein, Die Frithjofsage, aus dem Altnordischen übersetzt. Progr. Straubing 1882. Bonne traduction. Dans les nombreuses annotations qui accompagnent le texte, l’auteur a négligé certains côtés originaux de l’esprit scandinave et n’a pas suffisamment tenu compte des travaux de ses devanciers. Les rapprochements avec le latin et le grec ne sont pas dépourvus d’intérêt.

L’introduction est insignifiante. — Citons pour finir deux traductions que n’avons pu consulter, celle de Freytag, dans le « Centralorgan für die Interessen des Realschulvvesens, » (1884) et celle de C. Küchler, dans les « Nordische Heldensagen », aus dem Altisländischen übersetzt und bearbeitet. Bremen 1892.

E. Les épisodes les plus intéressants de la saga ont été racontés en français par l’éminent géographe et publiciste belge M. Jules Leclercq, dans la « Revue britannique ». Tome III (1893), pp. 49-62.

La saga de Fridthjof a fourni la matière à quelques œuvres d’importance secondaire. Il convient de signaler le récit, plein d’intérêt et de poésie, que Samsöe a publié à la fin du xviiie siècle (Efterladte digteriske Skrifter. Kjöbenh. 1795) et un essai dramatique dû à N. Sötoft (Romantiske Digte. Kjöbenh. 1815).




La présente traduction, la première en langue française, est faite sur le texte original, d’après l’édition que le Dr L. Larsson, professeur à Vexiö (Suède), a publiée en 1901 dans l’« Altnordische Saga-Bibliothek » (Halle, Max Niemeyer). Fidèle aux principes qui nous ont guidé dans nos précédentes publications, nous avons essayé de la rendre aussi littérale que possible, sans toutefois faire violence à la manière ordinaire et naturelle de s’exprimer en français. Par là nous avons voulu conserver au vieux langage norrain sa simplicité, sa naïveté, son énergie, toutes qualités qui constituent son génie propre. Le connaisseur appréciera la manière dont nous nous sommes acquitté de cette tâche difficile et délicate, et jugera si nous avons réussi à reproduire dans la mesure du possible le ton et l’impression de l’original islandais.

Ce travail a fourni l’occasion de nombreux éclaircissements relatifs aux mœurs et coutumes, aux idées et institutions, à l’activité intellectuelle, au développement moral et esthétique, à la vie matérielle et sociale de l’ancienne Scandinavie. Toutes ces annotations — cela va sans dire — ne sont pas indispensables à l’intelligence pure et simple du récit. Mais le plus grand nombre d’entre elles nous paraissent offrir un intérêt et une utilité incontestables pour quiconque désire se rendre nettement compte des diverses particularités, de la nature et de la valeur spéciale des petits chefs-d’œuvre de ce genre. Pour la grande masse des lecteurs français, la vieille civilisation du Nord est encore une terra incognita. Or, l’étude que nous avons placée en tête de ce livre, ainsi que le commentaire qui accompagne la traduction, ont pour but de donner au public français avide d’horizons intellectuels nouveaux quelques notions rapides et essentielles, de soulever en quelque sorte un coin du voile qui lui cache encore les multiples manifestations de cette vie intense que révèlent les monuments littéraires de l’ancienne Islande.

Dans la transcription des noms propres, nous avons retranché la consonne finale du nominatif. L’outillage — si parfait qu’il soit — de l’imprimeur ne nous a pas permis de reproduire toutes les lettres originales. La spirante dentale sourde, suivant l’usage, est représentée par th et la sonore par d. De plus, il nous a fallu priver certaines voyelles de leur accent.

Nous nous faisons un devoir de remercier notre ami et collègue M. L. Lavallé, professeur à Virton, qui a bien voulu revoir minutieusement le manuscrit de cet ouvrage et qui nous a suggéré de nombreuses idées et améliorations.

Nous rendons hommage aussi au talent de M. Nestor Outer, l’artiste virtonnais, qui a gracieusement illustré notre volume par la reproduction d’une des scènes les plus dramatiques du récit.

Juin 1904.


  1. Il en sera question plus loin.
  2. Voyez plus loin la bibliographie.
  3. Hingariki, selon notre saga et les rímur ; Svithjód (un territoire de la Suède actuelle), d’après une autre rédaction de la saga.
  4. Cf. Finnur Jónsson : Die islandische Geschichtsschreibung (Egils saga, 1904. Einleitung, p. viii-ix).
  5. De même que le mot brot dans le sens de crime (fin du ch. V).
  6. Ces « sagas de chevalerie » sont de véritables romans. Telles p. ex. la Thidreks saga, la Karlamagnus saga, la Alexanders saga, la Trójumanna saga, la Parcevals saga, la Flores saga ok Blankiflúr, la Ívens saga, etc. Ces deux dernières ont été nouvellement éditées par E. Kölbing dans l’Altnord. Saga-Bibl., à Halle).
  7. L’œuvre des scaldes présente, sous ce rapport et sous d’autres, des affinités étroites avec celle des filid irlandais. À ce sujet, on lira avec intérêt les articles de M. L. Duvau, directeur adj. à l’École des Hautes Études, sur les poètes de cour irlandais et scandinaves (Revue celtique, t. XVII, 1896) et sur la formation de la mythologie scandinave (Journal des Savants, nov. 1899).
  8. Voyez à la fin de l’ouvrage la notice sur les rímur.
  9. À titre d’échantillon de cette poésie artificielle, voici une strophe empruntée à la saga de Gunnlaug Langue de Serpent : « Bien qu’il (Gunnlaug) brandisse vaillamment le feu de la tempête de Thund, il ne réussira pas à gagner l’amour de la Jörd revêtue de son vêtement de toile ; car nous jouions, quand nous étions plus jeunes, sur les diverses proéminences du feu du bras dans le pays du poisson de la bruyère ». (Voir notre traduction de la saga de Gunnlaug, p. 77). Tout cela veut dire : Dans la première jeunesse Gunnlaug jouait familièrement avec les bagues et les bracelets de Helga et s’entretenait avec elle d’une manière intime.
  10. Exemple :

    Menn sé ’k ausa
    i meginvedri
    sex á Ellida
    en sjau róa.
    That er gunnhvötum
    glikt i stafni
    Fridthjófi, er fram
    fellr vid árar. (str. 19)

  11. Voir plus loin la bibliographie.
  12. Dans les Beiträge zur vergleichenden Geschichte der romantischen Poesie und Prosa des Mittelalters, unter besonderer Berücksichtigung der englischen und nordischen Litteratur. Breslau 1876, (pp. 207-217).
  13. Zur Kritik und Erklärung der altnordischen Frithjofssage. Diss. Jena 1887, pp. 70-75.
  14. Cette saga est postérieure à celle de Fridthjof ; elle contient quantité de légendes absurdes et de récits extravagants qui lui ôtent toute valeur historique ou critique. La fameuse épée Angrvadil, à en croire cette saga, aurait primitivement appartenu à un géant magicien de l’Inde ; Véfreyja, sœur de Fridthjof, en aurait hérité à la mort de Thorstein.
  15. Sermones Alti (i. e. Odini), dans l’Edda mythologique, est un groupement de sentences et de préceptes attribués à Odin. Il en a paru une trad. néerl. dans la revue limbourgeoise ’t Daghet in den Oosten (1898 et 1899).
  16. Le P. Baumgartner traduit ces dénominations originales par Frieddieb, Heerdieb, Spiessdieb, Inseldieb, Höllendieb, Walddieb. Le mot isl. thjóf, d’aprés S. Bugge, correspond plutôt à l’anglo-saxon théow (= serviteur). Il faudrait donc dire Frieddiener, Heerdiener etc. c’est-à-dire « serviteur de la paix, de l’armée, de la lance, des îles, de l’enfer, du champ de bataille ». Le P. B. omet le terme Gunnthjof, « serviteur des combats », et interprète mal Valthjof, valr signifiant « champ de bataille ». (Voir plus loin ch. XI, note 18).