La Science expérimentale/La chaleur animale

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Librairie J.-B. Baillière & fils (p. 213-217).



LA CHALEUR ANIMALE

J’ai cherché à contrôler les expériences multiples qui ont été faites sur ce point de physiologie et je vais exposer le résultat de mes recherches[1].

Il y a dans cette question de la chaleur animale deux points. Je ne m’étendrai que sur un seul, celui de la topographie calorifique.

À tour de rôle, on a placé le siége de la chaleur animale dans le poumon, dans les capillaires, dans le tissu musculaire, etc.

À mon avis, il n’existe pas de foyer unique : la chaleur se fait partout, mais il y a des points où elle est plus élevée, tout en étant réglée par les lois définies.

Le premier point que l’on a discuté est celui de savoir si le sang artériel est plus chaud que le sang veineux, si le sang du cœur gauche est plus chaud que le sang du cœur droit. La théorie de Lavoisier était venue donner un solide appui à l’opinion qui défendait la température plus élevée du sang artériel. Mes recherches combattent absolument cette façon de voir, et les erreurs d’interprétation tiennent à des vices d’expérimentation.

Les méthodes et les procédés ont varié beaucoup. Voici celle que j’ai adoptée.

Je prends deux aiguilles galvano-électriques, construites d’une façon spéciale et introduites dans une sonde de gomme analogue à la vulgaire sonde chirurgicale. Cette sonde est destinée à empêcher le contact du liquide sanguin avec l’aiguille. Des observations comparées et répétées permettent d’affirmer que cette enveloppe protectrice ne gêne en rien l’exactitude de cet appareil thermométrique. Il se borne du reste à mesurer les 1/50 de degré.

Je prends un chien, auquel je découvre les artères et veines crurales, et j’introduis dans les deux vaisseaux ma sonde aiguillée. La sonde restant à l’entrée, j’ai constamment observé le résultat suivant : la température du sang artériel est plus élevée que celle du sang veineux. Aussi loin qu’on pousse la sonde dans l’artère (jusqu’à la crosse de l’aorte), la température reste invariable.

Si, au contraire, on fait remonter la sonde dans le conduit veineux, la température varie : à l’entrée de la veine, elle est au-dessous de celle du sang artériel ; elle augmente progressivement, pour être égale au niveau des veines rénales et atteindre son maximum au niveau du diaphragme, au point où les veines sushépatiques s’abouchent dans la veine cave ; au-dessus, elle diminue un peu, quoique restant toujours au-dessus de celle du sang artériel.

Cette différence entre les deux températures est fondamentale, et si l’on ne l’observe pas dans les vaisseaux des membres, c’est que le sang subit à la périphérie des déperditions multiples qui lui font perdre sa puissance calorique.

Au sujet de ces expériences, j’ai observé un fait intéressant.

J’avais gardé un chien sur lequel j’avais pratiqué ces recherches ; le lendemain, le chien était en proie à une fièvre des plus intenses. J’eus l’idée de rechercher si le rapport était le même dans cet état : il l’était en effet, mais avec des différences beaucoup plus prononcées.

Je lui fis prendre alors une forte dose d’opium : la température ne fut pas abaissée. Cependant à l’état normal l’opium amène un abaissement considérable de la chaleur.

Heidenhain avait observé qu’une excitation nerveuse amène un abaissement de température ; si l’animal était fébricitant, la même excitation ne produisait aucune modification. Ces faits peuvent être rapprochés de mes expériences avec l’opium.

On peut tirer de ces recherches l’idée clinique suivante : c’est que la fièvre est un phénomène purement nerveux provenant des modifications, des troubles qui se passent du côté du système nerveux. Appuyé sur des investigations nombreuses, je crois qu’il existe des nerfs vasomoteurs de deux ordres, dilatateurs et constricteurs. La fièvre n’est que la résultante de modifications profondes du côté de ce système, résultante qui a pour effet principal l’élévation de la température.

Association française pour l’avancement des Sciences.
Session de Nantes, 20 août 1875.

  1. Voyez Cl. Bernard, Leçons sur la chaleur animale, sur les effets de la chaleur et sur la fièvre. Paris, 1876.