La Surprise de l’amour/Acte II

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Théâtre, volume I, Texte établi par Émile Faguet, Nelson (p. 92-121).
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ACTE DEUXIÈME


Scène première

LA COMTESSE, COLOMBINE.
Colombine, regardant sa montre.

Cela est singulier !

La Comtesse.

Quoi ?

Colombine.

Je trouve qu’il y a un quart d’heure que nous nous promenons sans rien dire ; entre deux femmes, cela ne laisse pas d’être fort. Sommes-nous bien dans notre état naturel ?

La Comtesse.

Je ne sache rien d’extraordinaire en moi.

Colombine.

Vous voilà pourtant bien rêveuse.

La Comtesse.

C’est que je songe à une chose.

Colombine.

Voyons ce que c’est. Suivant l’espèce de la chose, je ferai l’estime de votre silence.

La Comtesse.

C’est que je songe qu’il n’est pas nécessaire que je voie si souvent Lélio.

Colombine.

Hum ! il y a du Lélio ? votre taciturnité n’est pas si belle que je le pensais. La mienne, à dire vrai, n’est pas plus méritoire. Je me taisais à peu près dans le même goût ; je ne rêve pas à Lélio ; mais je suis autour de cela, je rêve au valet.

La Comtesse.

Mais que veux-tu dire ? Quel mal y a-t-il à penser à ce que je pense ?

Colombine.

Oh ! pour du mal, il n’y en a pas ; mais je croyais que vous ne disiez mot par pure paresse de langue, et je trouvais cela beau dans une femme ; car on prétend que cela est rare. Mais pourquoi jugez-vous qu’il n’est pas nécessaire que vous voyiez si souvent Lélio ?

La Comtesse.

Je n’ai d’autres raisons pour lui parler que le mariage de ces jeunes gens. Il ne m’a point dit ce qu’il veut donner à la fille ; je suis bien aise que le neveu de mon fermier trouve quelque avantage ; mais sans nous parler, Lélio peut me faire savoir ses intentions, et je puis le faire informer des miennes.

Colombine.

L’imagination de cela est tout à fait plaisante.

La Comtesse.

Ne vas-tu pas faire un commentaire là-dessus ?

Colombine.

Comment ! il n’y a pas de commentaire à cela. Malepeste ! c’est un joli trait d’esprit que cette invention-là. Le chemin de tout le monde, quand on a affaire aux gens, c’est d’aller leur parler ; mais cela n’est pas commode. Le plus court est de s’entretenir de loin ; vraiment on s’entend bien mieux. Lui parlerez-vous avec une sarbacane, ou par procureur ?

La Comtesse.

Mademoiselle Colombine, vos fades railleries ne me plaisent point du tout ; je vois bien les petites idées que vous avez dans l’esprit.

Colombine.

Je me doute, moi, que vous ne vous doutez pas des vôtres ; mais cela viendra.

La Comtesse.

Taisez-vous.

Colombine.

Mais aussi de quoi vous avisez-vous, de prendre un si grand tour pour parler à un homme ? « Monsieur, soyons amis tant que nous resterons ici ; nous nous amuserons, vous à médire des femmes, moi à mépriser les hommes. » Voilà ce que vous lui avez dit tantôt. Est-ce que l’amusement que vous avez choisi ne vous plaît plus ?

La Comtesse.

Il me plaira toujours ; mais j’ai songé que je mettrai Lélio plus à son aise en ne le voyant plus. D’ailleurs la conversation que nous avons eue tantôt ensemble, jointe aux plaisanteries que le baron a continué de faire chez moi, pourraient donner matière à de nouvelles scènes que je suis bien aise d’éviter. Tiens, prends ce billet.

Colombine.

Pour qui ?

La Comtesse.

Pour Lélio. C’est de cette paysanne qu’il s’agit ; je lui demande réponse.

Colombine.

Un billet à M. Lélio, exprès pour ne point donner matière à la plaisanterie ! Mais voilà des précautions d’un jugement !…

La Comtesse.

Fais ce que je te dis.

Colombine.

Madame, c’est une maladie qui commence ; votre cœur en est à son premier accès de fièvre. Tenez, le billet n’est plus nécessaire ; je vois Lélio qui s’approche.

La Comtesse.

Je me retire ; faites votre commission.



Scène II

LÉLIO, ARLEQUIN, COLOMBINE.
Lélio.

Pourquoi donc madame la comtesse se retire-t-elle en me voyant ?

Colombine, présentant le billet.

Monsieur… ma maîtresse a jugé à propos de réduire sa conversation dans ce billet. À la campagne, on a l’esprit ingénieux.

Lélio.

Je ne vois pas la finesse qu’il peut y avoir à me laisser là, quand j’arrive, pour m’entretenir dans des papiers. J’allais prendre des mesures avec elle pour nos paysans. Mais voyons ses raisons.

Arlequin.

Je vous conseille de lui répondre sur une carte ; cela sera bien drôle.

Lélio, lit.

« Monsieur, depuis que nous nous sommes quittés, j’ai fait réflexion qu’il était assez inutile de nous voir. »

Oh ! très inutile ; je l’ai pensé de même.

« Je prévois que cela vous gênerait ; et moi, à qui il n’ennuie pas d’être seule, je serais fâchée de vous contraindre. »

Vous avez raison, madame ; je vous remercie de votre attention.

« Vous savez la prière que je vous ai faite tantôt au sujet du mariage de nos jeunes gens ; je vous prie de vouloir bien me marquer là-dessus quelque chose de positif. »

Volontiers, madame ; vous n’attendrez point. Voilà la femme du caractère le plus passable que j’aie vue de ma vie. Si j’étais capable d’en aimer quelqu’une, ce serait elle.

Arlequin.

Par la morbleu ! j’ai peur que ce tour-là ne vous joue un mauvais tour.

Lélio.

Oh ! non ; l’éloignement qu’elle a pour moi me donne, en vérité, beaucoup d’estime pour elle ; cela est dans mon goût. Je suis ravi que la proposition vienne d’elle ; elle m’épargne, à moi, la peine de la lui faire.

Arlequin.

Pour cela, oui ; notre dessein était de lui dire que nous ne voulions plus d’elle.

Colombine.

Quoi ! ni de moi non plus ?

Arlequin.

Oh ! je suis honnête ; je ne veux point dire aux gens des injures à leur nez.

Colombine.

Eh bien ! monsieur, faites-vous réponse ?

Lélio.

Oui, ma chère enfant, j’y cours ; vous pouvez lui dire, puisqu’elle choisit le papier pour le champ de bataille de nos conversations, que j’en ai près d’une rame chez moi, et que le terrain ne me manquera de longtemps.

Arlequin.

Eh ! eh ! eh ! nous verrons à qui aura le dernier.

Colombine.

Vous êtes distrait, monsieur ; vous me dites que vous courez faire réponse, et vous voilà encore.

Lélio.

J’ai tort ; j’oublie les choses d’un moment à l’autre. Attendez là un instant.

Colombine, l’arrêtant.

C’est-à-dire que vous êtes bien charmé du parti que prend ma maîtresse ?

Arlequin.

Pardi ! cela est admirable !

Lélio.

Oui, assurément, cela me fera plaisir.

Colombine.

Cela se passera. Allez.

Lélio.

Il faut bien que cela se passe.

Arlequin.

Emmenez-moi avec vous ; car je ne me fie point à elle.

Colombine.

Oh ! je ne consentirai point à demeurer seule ; je veux causer.

Lélio.

Fais-lui l’honnêteté de rester avec elle ; je vais revenir.



Scène III

ARLEQUIN, COLOMBINE.
Arlequin.

J’ai bien affaire, moi, d’être honnête à mes dépens !

Colombine.

Et que crains-tu ? Tu ne m’aimes point, tu ne veux point m’aimer.

Arlequin.

Non, je ne veux point t’aimer ; mais je n’ai que faire de prendre la peine de m’empêcher de le vouloir.

Colombine.

Tu m’aimerais donc, si tu ne t’en empêchais ?

Arlequin.

Laissez-moi en repos, mademoiselle Colombine. Promenez-vous d’un côté, et moi d’un autre ; sinon, je m’enfuirai, car je réponds tout de travers.

Colombine.

Puisqu’on ne peut avoir l’honneur de ta compagnie qu’à ce prix-là, je le veux bien ; promenons-nous. (À part, en se promenant, comme Arlequin fait de son côté.) Tout en badinant, cependant, me voilà dans la fantaisie d’être aimée de ce petit corps-là.

Arlequin, déconcerté, et se promenant de son côté.

C’est une malédiction que cet amour ; il m’a tourmenté quand j’en avais, et il me fait encore du mal à cette heure que je n’en veux point. Il faut prendre patience et faire bonne mine. (Il chante.)


Colombine, l’arrêtant.

Mais vraiment, tu as la voix belle. Sais-tu la musique ?

Arlequin, s’arrêtant aussi.

Oui, je commence à lire les paroles.

(Il chante de nouveau.)
Colombine, continuant de se promener.

Peste soit du petit coquin ! Sérieusement, je crois qu’il me pique.

Arlequin.

Elle me regarde ; elle voit bien que je fais semblant de ne pas songer à elle.

Colombine.

Arlequin ?

Arlequin.

Hum !

Colombine.

Je commence à me lasser de la promenade.

Arlequin.

Cela se peut bien.

Colombine.

Comment te va le cœur ?

Arlequin.

Ah ! je ne prends pas garde à cela.

Colombine.

Gageons que tu m’aimes ?

Arlequin.

Je ne gage jamais ; je suis trop malheureux, je perds toujours.

Colombine.

Oh ! tu m’ennuies ; je veux que tu me dises franchement que tu m’aimes.

Arlequin.

Encore un petit tour de promenade.

Colombine.

Non ; parle, ou je te hais.

Arlequin.

Et que t’ai-je fait pour me haïr ?

Colombine.

Savez-vous bien, monsieur le butor, que je vous trouve à mon gré, et qu’il faut que vous soupiriez pour moi ?

Arlequin.

Je te plais donc ?

Colombine.

Oui ; ta petite figure me revient assez.

Arlequin.

Je suis perdu, j’étouffe ; adieu m’amie ; sauve qui peut… Ah ! monsieur, vous voilà ?



Scène IV

LÉLIO, ARLEQUIN, COLOMBINE.
Lélio.

Qu’as-tu donc ?

Arlequin.

Hélas ! c’est ce lutin-là qui me prend à la gorge. Elle veut que je l’aime.

Lélio.

Et ne saurais-tu lui dire que tu ne veux pas ?

Arlequin.

Vous en parlez bien à votre aise. Elle a la malice de me dire qu’elle me haïra.

Colombine.

J’ai entrepris la guérison de sa folie ; il faut que j’en vienne à bout. Va, va, c’est partie à remettre.

Arlequin.

Voyez la belle guérison ! Je suis de la moitié plus fou que je n’étais.

Lélio.

Bon courage, Arlequin ! Tenez, Colombine. Voilà la réponse au billet de votre maîtresse.

Colombine.

Monsieur, ne l’avez-vous pas faite un peu trop fière ?

Lélio.

Eh ! pourquoi la ferais-je fière ? Je la fais indifférente. Ai-je quelque intérêt de la faire autrement ?

Colombine.

Écoutez, je vous parle en amie. Les plus courtes folies sont les meilleures. L’homme est faible ; tous les philosophes du temps passé nous l’ont dit, et je m’en fie bien à eux. Vous vous croyez leste et gaillard, vous ne l’êtes point ; ce que vous êtes est caché derrière tout cela. Si j’avais besoin d’indifférence et qu’on en vendît, je ne ferais pas emplette de la vôtre. J’ai bien peur que ce ne soit une drogue de charlatan ; car on dit que l’Amour en est un, et franchement vous m’avez tout l’air d’avoir pris de son mithridate. Vous vous agitez, vous allez et venez, vous riez du bout des dents, vous êtes sérieux tout de bon ; tout autant de symptômes d’une indifférence amoureuse.

Lélio.

Eh ! laissez-moi, Colombine ; ce discours-là m’ennuie.

Colombine.

Je pars ; mais mon avis est que vous avez la vue trouble ; attendez qu’elle s’éclaircisse, vous verrez mieux votre chemin. N’allez pas vous jeter dans quelque ornière ou vous embourber dans quelque pas. Quand vous soupirerez, vous serez bien aise de trouver un écho qui vous réponde. N’en dites rien, ma maîtresse est étourdie du bateau ; la bonne dame bataille, et c’est autant de battu. Motus, monsieur, je suis votre servante.



Scène V

LÉLIO, ARLEQUIN.
Lélio.

Ah ! ah ! ah ! cela ne te fait-il pas rire ?

Arlequin.

Non.

Lélio.

Cette folle, qui me vient dire qu’elle croit que sa maîtresse s’humanise, elle qui me fuit, et qui me fuit moi présent ! Oh ! parbleu, madame la comtesse, vos manières sont tout à fait de mon goût. Je les trouve pourtant un peu sauvages, car enfin, l’on n’écrit pas à un homme de qui l’on n’a pas à se plaindre : « Je ne veux plus vous voir, vous me fatiguez, vous m’êtes insupportable » ; et voilà le sens du billet, tout mitigé qu’il est. Oh ! la vérité est que je ne croyais pas être si haïssable. Qu’en dis-tu, Arlequin ?

Arlequin.

Eh ! monsieur, chacun a son goût.

Lélio.

Parbleu ! je suis content de la réponse que j’ai faite au billet et de l’air dont je l’ai reçu, mais très content.

Arlequin.

Cela ne vaut pas la peine d’être si content, à moins qu’on ne soit fâché. Tenez-vous ferme, mon cher maître ; car si vous tombez, me voilà à bas.

Lélio.

Moi, tomber ! Je pars dès demain pour Paris ; voilà comme je tombe.

Arlequin.

Ce voyage-là pourrait bien être une culbute à gauche, au lieu d’une culbute à droite.

Lélio.

Point du tout ; cette femme croirait peut-être que je serais sensible à son amour, et je veux la laisser là pour lui prouver que non.

Arlequin.

Que ferai-je donc, moi ?

Lélio.

Tu me suivras.

Arlequin.

Mais je n’ai rien à prouver à Colombine.

Lélio.

Bon, ta Colombine ! il s’agit bien de Colombine ! Veux-tu encore aimer ? Dis ? Ne te souvient-il plus de ce que c’est qu’une femme ?

Arlequin.

Je n’ai non plus de mémoire qu’un lièvre, quand je vois cette fille-là.

Lélio, avec distraction.

Il faut avouer que les bizarreries de l’esprit d’une femme sont des pièges bien finement dressés contre nous !

Arlequin.

Dites-moi, monsieur, j’ai fait un gros serment de n’être plus amoureux ; mais si Colombine m’ensorcelle, je n’ai pas mis cet article dans mon marché : mon serment ne vaudra rien, n’est-ce pas ?

Lélio.

Nous verrons. Ce qui m’arrive avec la comtesse ne suffirait-il pas pour jeter des étincelles de passion dans le cœur d’un autre ? Oh ! sans l’inimitié que j’ai vouée à l’amour, j’extravaguerais actuellement, peut-être. Je sens bien qu’il ne m’en faudrait pas davantage ; je serais piqué ; j’aimerais ; cela irait tout de suite.

Arlequin.

J’ai toujours entendu dire : « Il a du cœur comme un César » ; mais si ce César était à ma place, il serait bien sot.

Lélio.

Le hasard me fit connaître une femme qui hait l’amour ; nous lions cependant commerce d’amitié, qui doit durer pendant notre séjour ici ; je la conduis chez elle ; nous nous quittons en bonne intelligence. Nous avons à nous revoir ; je viens la trouver indifféremment ; je ne songe non plus à l’amour qu’à m’aller noyer ; j’ai vu sans danger les charmes de sa personne ; voilà qui est fini, ce semble. Point du tout, cela n’est pas fini ; j’ai maintenant affaire à des caprices, à des fantaisies, équipages d’esprit que toute femme apporte en naissant. Mme  la Comtesse se met à rêver, et l’idée qu’elle imagine, en se jouant, serait la ruine de mon repos, si j’étais capable d’y être sensible.

Arlequin.

Mon cher maître, je crois qu’il faudra que je saute le bâton.

Lélio.

Un billet m’arrête en chemin, billet diabolique, empoisonné, où l’on écrit que l’on ne veut plus me voir, que ce n’est pas la peine. M’écrire cela à moi, qui suis en pleine sécurité, qui n’ai rien fait à cette femme ! S’attend-on à cela ? Si je ne prends garde à moi, si je raisonne à l’ordinaire, qu’en arrivera-t-il ? Je serai étonné, déconcerté : premier degré de folie ; car je vois cela tout comme si j’y étais. Après quoi, l’amour-propre s’en mêle ; on se croit méprisé, parce qu’on s’estime un peu ; je m’aviserai d’être choqué ; me voilà fou complet. Deux jours après, c’est de l’amour qui se déclare ; d’où vient-il ? pourquoi vient-il ? D’une petite fantaisie magique qui prend à une femme ; et qui plus est, ce n’est pas sa faute à elle. La nature a mis du poison pour nous dans toutes ses idées. Son esprit ne peut se retourner qu’à notre dommage ; sa vocation est de nous mettre en démence. Elle fait sa charge involontairement. Ah ! que je suis heureux, dans cette occasion, d’être à l’abri de tous ces périls ! Le voilà, ce billet insultant, malhonnête ; mais cette réflexion-là me met de mauvaise humeur. Les mauvais procédés m’ont toujours déplu, et le vôtre est un des plus déplaisants, madame la comtesse ; je suis bien fâché de ne l’avoir pas rendu à Colombine.

Arlequin, entendant nommer sa maîtresse.

Monsieur, ne me parlez plus d’elle ; car, voyez-vous, j’ai dans mon esprit qu’elle est amoureuse, et j’enrage.

Lélio.

Amoureuse ! Elle amoureuse ?

Arlequin.

Oui, je la voyais tantôt qui badinait, qui ne savait que dire ; elle tournait autour du pot ; je crois même qu’elle a tapé du pied ; tout cela est signe d’amour, tout cela mène un homme à mal.

Lélio.

Si je m’imaginais que ce que tu dis fût vrai, nous partirions tout à l’heure pour Constantinople.

Arlequin.

Eh ! mon maître, ce n’est pas la peine que vous fassiez ce chemin-là pour moi ; je ne mérite pas cela, et il vaut mieux que j’aime que de vous coûter tant de dépense.

Lélio.

Plus j’y rêve, et plus je vois qu’il faut que tu sois fou pour me dire que je lui plais, après son billet et son procédé.

Arlequin.

Son billet ! De qui parlez-vous ?

Lélio.

D’elle.

Arlequin.

Eh bien ! ce billet n’est pas d’elle.

Lélio.

Il ne vient pas d’elle ?

Arlequin.

Pardi ! non ; c’est de la comtesse.

Lélio.

Eh ! de qui diantre me parles-tu donc, butor ?

Arlequin.

Moi ? de Colombine. Ce n’était donc pas à cause d’elle que vous vouliez me mener à Constantinople ?

Lélio.

Peste soit de l’animal avec son galimatias !

Arlequin.

Je croyais que c’était pour moi que vous vouliez voyager.

Lélio.

Oh ! qu’il ne t’arrive plus de faire de ces méprises-là ; car j’étais certain que tu n’avais rien remarqué pour moi dans la comtesse.

Arlequin.

Si fait ; j’ai remarqué qu’elle vous aimera bientôt.

Lélio.

Tu rêves.

Arlequin.

Et je remarque que vous l’aimerez aussi.

Lélio.

Moi, l’aimer ! moi, l’aimer ! Tiens, tu me feras plaisir de savoir adroitement de Colombine les dispositions où elle se trouve, car je veux savoir à quoi m’en tenir ; et si, contre toute apparence, il se trouvait dans son cœur une ombre de penchant pour moi, vite à cheval ; je pars.

Arlequin.

Bon ! et vous partez demain pour Paris.

Lélio.

Qu’est-ce qui t’a dit cela ?

Arlequin.

Vous il n’y a qu’un moment ; mais c’est que la mémoire vous manque, comme à moi. Voulez-vous que je vous dise ? il est bien aisé de voir que le cœur vous démange ; vous parlez tout seul ; vous faites des discours qui ont dix lieues de long ; vous voulez aller en Turquie ; vous mettez vos bottes, vous les ôtez ; vous partez, vous restez ; et puis du noir, et puis du blanc. Pardi ! quand on ne sait ni ce qu’on dit ni ce qu’on fait, ce n’est pas pour des prunes. Et moi, que ferai-je après ? Quand je vois mon maître qui perd l’esprit, le mien s’en va de compagnie.

Lélio.

Je te dis qu’il ne me reste plus qu’une simple curiosité, c’est de savoir s’il ne se passerait pas quelque chose dans le cœur de la comtesse, et je donnerais tout à l’heure cent écus pour avoir soupçonné juste. Tâchons de le savoir.

Arlequin.

Mais, encore une fois, je vous dis que Colombine m’attrapera ; je le sens bien.

Lélio.

Écoute ; après tout, mon pauvre Arlequin, si tu te fais tant de violence pour ne pas aimer cette fille-là, je ne t’ai jamais conseillé l’impossible.

Arlequin.

Par la mardi ! vous parlez d’or ; vous m’ôtez plus de cent pesant de dessus le corps, et vous prenez bien la chose. Franchement, monsieur, la femme est un peu vaurienne, mais elle a du bon. Entre nous, je la crois plus ratière que malicieuse. Je m’en vais tâcher de rencontrer Colombine, et je ferai votre affaire. Je ne veux pas l’aimer ; mais si j’ai tant de peine à me retenir, adieu paniers, je me laisserai aller. Si vous m’en croyez, vous ferez de même. Être amoureux et ne l’être pas, ma foi ! je donnerais le choix pour un liard. C’est misère ; j’aime mieux la misère gaillarde que la misère triste. Adieu ; je vais travailler pour vous.

Lélio.

Attends… Tiens, ce n’est pas la peine que tu y ailles.

Arlequin.

Pourquoi ?

Lélio.

C’est que ce que je pourrais apprendre ne me servirait de rien. Si elle m’aime, que m’importe ? Si elle ne m’aime pas, je n’ai pas besoin de le savoir. Ainsi je ferai mieux de rester comme je suis.

Arlequin.

Monsieur, si je deviens amoureux, je veux avoir la consolation que vous le soyez aussi, afin qu’on dise toujours : « Tel valet, tel maître. » Je ne m’embarrasse pas d’être un ridicule, pourvu que je vous ressemble. Si la comtesse vous aime, je viendrai vitement vous le dire, afin que cela vous achève ; par bonheur vous êtes déjà bien avancé, et cela me fait un grand plaisir. Je m’en vais voir l’air du bureau.



Scène VI

LÉLIO, JACQUELINE.
Lélio.

Je ne le querelle point ; car il est déjà tout égaré.

Jacqueline.

Monsieur ?

Lélio, distrait.

Je prierai pourtant la comtesse d’ordonner à Colombine de laisser ce malheureux en repos ; mais peut-être elle est bien aise elle-même que l’autre travaille à lui détraquer la cervelle ; car madame la Comtesse n’est pas dans le goût de m’obliger.

Jacqueline.

Monsieur ?

Lélio, d’un air fâché.

Eh bien, que veux-tu ?

Jacqueline.

Je vians vous demander mon congé.

Lélio, sans l’entendre.

Morbleu ! je n’entends parler que d’amour. Eh ! laissez-moi respirer, vous autres ! Vous me laissez ; faites comme il vous plaira. J’ai la tête remplie de femmes et de tendresses ; ces maudites idées-là me suivent partout, et elles m’assiègent. Arlequin d’un côté, les folies de la comtesse de l’autre ; et toi aussi ?

Jacqueline.

Monsieur, c’est que je vians vous dire que je veux m’en aller.

Lélio.

Pourquoi ?

Jacqueline.

C’est que Piarre ne m’aime plus ; ce misérable-là s’est amouraché de la fille à Thomas. Tenez, monsieur, ce que c’est que la cruauté des hommes ! Je l’ai vu qui batifolait avec elle ; moi, pour le faire venir, je lui ai fait comme ça avec le bras : « Hé ! hi ! allons » ; et le vilain qu’il est, m’a fait comme cela un geste du coude ; cela voulait dire : « a te promener. » Oh ! que les hommes sont traîtres ! Voilà qui est fait, j’en suis si soûle que je n’en veux plus entendre parler ; et je vians pour cet effet vous demander mon congé.

Lélio.

De quoi s’avise ce coquin-là, d’être infidèle ?

Jacqueline.

Je ne comprends pas cela ; il m’est avis que c’est un rêve.

Lélio.

Tu ne le comprends pas ? C’est pourtant un vice dont il a plu aux femmes d’enrichir l’humanité.

Jacqueline.

Qui que ce soit, voilà de belles richesses qu’on a boutées là dans le monde.

Lélio.

Va, va, Jacqueline, il ne faut pas que tu t’en ailles.

Jacqueline.

Oh ! monsieur, je ne veux pas rester dans le village ; car on est si faible ! Si ce garçon-là me recherchait, je ne sis pas rancuneuse, il y aurait du rapatriage, et je prétends être brouillée.

Lélio.

Ne te presse pas ; nous verrons ce que dira la comtesse.

Jacqueline.

Hum ! la voilà, cette comtesse. Je m’en vas, Piarre est son valet, et ça me fâche itou contre elle.



Scène VII

LÉLIO, LA COMTESSE, qui a l’air de chercher quelque chose à terre.
Lélio, la voyant chercher.

Elle m’a fui tantôt ; si je me retire, elle croira que je prends ma revanche, et que j’ai remarqué son procédé. Comme il n’en est rien, il est bon de lui paraître tout aussi indifférent que je le suis. Continuons de rêver ; je n’ai qu’à ne lui point parler pour remplir les conditions du billet.

La Comtesse, cherchant toujours.

Je ne trouve rien.

Lélio.

Ce voisinage-là me déplaît, je crois que je ferai fort bien de m’en aller, dût-elle en penser ce qu’elle voudra. (La voyant approcher.) Oh ! parbleu, c’en est trop, madame ! Vous m’avez fait l’honneur de m’écrire qu’il était inutile de nous revoir, et j’ai trouvé que vous pensiez juste ; mais je prendrai la liberté de vous représenter que vous me mettez hors d’état de vous obéir. Le moyen de ne vous point voir ? Je me trouve près de vous, madame ; vous venez jusqu’à moi ; je me trouve irrégulier sans avoir tort !

La Comtesse.

Hélas ! monsieur, je ne vous voyais pas. Après cela, quand je vous aurais vu, je ne me ferais pas un grand scrupule d’approcher de l’endroit où vous êtes, et je ne me détournerais pas de mon chemin à cause de vous. Je vous dirai cependant que vous outrez les termes de mon billet ; il ne signifiait pas : « Haïssons-nous, soyons-nous odieux. » Si vos dispositions de haine ou pour toutes les femmes ou pour moi vous l’ont fait expliquer comme cela, et si vous le pratiquez comme vous l’entendez, ce n’est pas ma faute. Je vous plains beaucoup de m’avoir vue ; vous souffrez apparemment, et j’en suis fâchée ; mais vous avez le champ libre, voilà de la place pour fuir ; délivrez-vous de ma vue. Quant à moi, monsieur, qui ne vous hais ni ne vous aime, qui n’ai ni chagrin ni plaisir à vous voir, vous trouverez bon que j’aille mon train, que vous me soyez un objet parfaitement indifférent, et que j’agisse tout comme si vous n’étiez pas là. Je cherche mon portrait ; j’ai besoin de quelques petits diamants qui en ornent la boîte ; je l’ai prise pour les envoyer démonter à Paris ; et Colombine, à qui je l’ai donnée pour le remettre à un de mes gens qui part exprès, l’a perdu ; voilà ce qui m’occupe. Et si je vous avais aperçu là, il ne m’en aurait coûté que de vous prier très froidement et très poliment de vous détourner. Peut-être même m’aurait-il pris fantaisie de vous prier de chercher avec moi, puisque vous vous trouvez là ; car je n’aurais pas deviné que ma présence vous affligeait ; à présent que je le sais, je n’userai point d’une prière incivile. Fuyez vite, monsieur ; car je continue.

Lélio.

Madame, je ne veux point être incivil non plus ; et je reste, puisque je puis vous rendre service. Je vais chercher avec vous.

La Comtesse.

Non, monsieur, ne vous contraignez pas ; allez-vous-en. Je vous dis que vous me haïssez ; je vous l’ai dit, vous n’en disconvenez point. Allez-vous-en donc, ou je m’en vais.

Lélio.

Parbleu ! madame, c’est trop souffrir de rebuts en un jour ; et billet et discours, tout se ressemble. Adieu, donc, madame, je suis votre serviteur. (Il sort.)

La Comtesse.

Monsieur, je suis votre servante. Mais à propos, cet étourdi qui s’en va, et qui n’a point marqué positivement dans son billet ce qu’il voulait donner à sa fermière ! Il me dit simplement qu’il verra ce qu’il doit faire. Ah ! je ne suis pas d’humeur à mettre toujours la main à la plume. Je me moque de sa haine, il faut qu’il me parle. (Dans l’instant elle part pour le rappeler, quand il revient lui-même.) Quoi ! vous revenez, monsieur ?

Lélio, d’un air agité.

Oui, madame, je reviens ; j’ai quelque chose à vous dire ; et puisque vous voilà, ce sera un billet d’épargné et pour vous et pour moi.

La Comtesse.

À la bonne heure ; de quoi s’agit-il ?

Lélio.

C’est que le neveu de votre fermier ne doit plus compter sur Jacqueline. Madame, cela doit vous faire plaisir ; car cela finit le peu de commerce forcé que nous avons ensemble.

La Comtesse.

Le commerce forcé ? Vous êtes bien difficile, monsieur, et vos expressions sont bien naïves ! Mais passons. Pourquoi donc, s’il vous plaît, Jacqueline ne veut-elle pas de ce jeune homme ? Que signifie ce caprice-là ?

Lélio.

Ce que signifie un caprice ? Je vous le demande, madame ; cela n’est point à mon usage, et vous le définiriez mieux que moi.

La Comtesse.

Vous pourriez cependant me rendre un bon compte de celui-là, si vous vouliez ; il est de votre ouvrage apparemment. Je me mêlais de leur mariage ; cela vous fatiguait ; vous avez tout arrêté. Je vous suis obligée de vos égards.

Lélio.

Moi, madame !

La Comtesse.

Oui, monsieur. Il n’était pas nécessaire de vous y prendre de cette façon. Cependant je ne trouve point mauvais que le peu d’intérêt que j’avais à vous voir vous fût à charge ; je ne condamne point dans les autres ce qui est en moi ; et, sans le hasard qui nous rejoint ici, vous ne m’auriez vue de votre vie, si j’avais pu.

Lélio.

Eh ! je n’en doute pas, madame, je n’en doute pas.

La Comtesse.

Non, monsieur, de votre vie. Et pourquoi en douteriez-vous ? En vérité, je ne vous comprends pas. Vous avez rompu avec les femmes, moi avec les hommes ; vous n’avez pas changé de sentiments, n’est-il pas vrai ? D’où vient donc que j’en changerais ? Sur quoi en changerais-je ? Y songez-vous ? Oh ! mettez-vous dans l’esprit que mon opiniâtreté vaut bien la vôtre, et que je n’en démordrai point.

Lélio.

Eh ! madame, vous m’avez accablé de preuves d’opiniâtreté ; ne m’en donnez plus ; voilà qui est fini. Je ne songe à rien, je vous assure.

La Comtesse.

Qu’appelez-vous, monsieur, vous ne songez à rien ? mais du ton dont vous le dites, il semble que vous vous imaginez m’annoncer une mauvaise nouvelle. Eh bien, monsieur, vous ne m’aimerez jamais ; cela est-il si triste ? Oh ! je le vois bien ; je vous ai écrit qu’il ne fallait plus nous voir ; et je veux mourir si vous n’avez pris cela pour quelque agitation de cœur. Assurément vous me soupçonnez de penchant pour vous. Vous m’assurez que vous n’en aurez jamais pour moi ; vous croyez me mortifier ; vous le croyez, monsieur Lélio, vous le croyez, vous dis-je ; ne vous en défendez point. J’espérais que vous me divertiriez en m’aimant ; vous avez pris un autre tour ; je ne perds point au change, et je vous trouve très divertissant comme vous êtes.

Lélio, d’un air riant et piqué.

Ma foi ! madame, nous ne nous ennuierons donc point ensemble. Si je vous réjouis, vous n’êtes point ingrate. Vous espériez que je vous divertirais, mais vous ne m’aviez pas dit que je serais diverti. Quoi qu’il en soit, brisons là-dessus ; la comédie ne me plaît pas longtemps, et je ne veux être ni acteur ni spectateur.

La Comtesse, d’un ton badin.

Écoutez, monsieur : vous m’avouerez qu’un homme à votre place, qui se croit aimé, surtout quand il n’aime pas, se met en prise.

Lélio.

Je ne pense point que vous m’aimez, madame ; vous me traitez mal, mais vous y trouvez du goût. N’usez point de prétexte ; je vous ai déplu d’abord, moi spécialement ; je l’ai remarqué ; et si je vous aimais, de tous les hommes qui pourraient vous aimer, je serais peut-être le plus humilié, le plus raillé et le plus à plaindre.

La Comtesse.

D’où vous vient cette idée-là ? Vous vous trompez ; je serais fâchée que vous m’aimassiez, parce que j’ai résolu de ne point aimer ; mais quelque chose que j’aie dit, je croirais du moins devoir vous estimer.

Lélio.

J’ai bien de la peine à le croire.

La Comtesse.

Vous êtes injuste ; je ne suis pas sans discernement. Mais à quoi bon faire cette supposition, que, si vous m’aimiez, je vous traiterais plus mal qu’un autre ? La supposition est inutile ; puisque vous n’avez point envie de faire l’essai de mes manières, que vous importe ce qui en arriverait ? Cela vous doit être indifférent. Vous ne m’aimez pas ; car enfin, si je le pensais…

Lélio.

Eh ! je vous prie, point de menace, madame ; vous m’avez tantôt offert votre amitié ; je ne vous demande que cela, je n’ai besoin que de cela ; ainsi vous n’avez rien à craindre.

La Comtesse, d’un air froid.

Puisque vous n’avez besoin que de cela, monsieur, j’en suis ravie ; je vous l’accorde, j’en serai moins gênée avec vous.

Lélio.

Moins gênée ? Ma foi ! madame, il ne faut pas que vous le soyez du tout. Tout bien pesé, je crois que nous ferons mieux de suivre les termes de votre billet.

La Comtesse.

Oh ! de tout mon cœur : allons, monsieur, ne nous voyons plus. Je fais présent de cent pistoles au neveu de mon fermier ; vous me ferez savoir ce que vous voulez donner à la fille, et je verrai si je souscrirai à ce mariage, puisque cette rupture va lever l’obstacle que vous y avez mis. Soyons-nous inconnus l’un à l’autre ; j’oublie que je vous ai vu ; je ne vous reconnaîtrai pas demain.

Lélio.

Et moi, madame, je vous reconnaîtrai toute ma vie ; je ne vous oublierai point ; vos façons avec moi vous ont gravée pour jamais dans ma mémoire.

La Comtesse.

Vous m’y donnerez la place qu’il vous plaira, je n’ai rien à me reprocher ; mes façons ont été celles d’une femme raisonnable.

Lélio.

Morbleu ! madame, vous êtes une dame raisonnable, à la bonne heure. Mais accordez donc cette lettre avec vos offres d’amitié ; cela est inconcevable : aujourd’hui votre ami, demain rien ! Pour moi, madame, je ne vous ressemble pas, et j’ai le cœur aussi jaloux en amitié qu’en amour ; ainsi nous ne nous convenons point.

La Comtesse.

Adieu, monsieur ; vous parlez d’un air bien dégagé et presque offensant. Si j’étais vaine cependant, et si j’en crois Colombine, je vaux quelque chose, à vos yeux mêmes.

Lélio.

Un moment ; vous êtes de toutes les dames que j’ai vues celle qui vaut le mieux ; je sens même que j’ai du plaisir à vous rendre cette justice-là. Colombine vous en a dit davantage ; c’est une visionnaire, non seulement sur mon chapitre, mais encore sur le vôtre, madame ; je vous en avertis. Ainsi n’en croyez jamais au rapport de vos domestiques.

La Comtesse.

Comment ! Que dites-vous, monsieur ? Colombine vous aurait fait entendre… Ah ! l’impertinente ! je la vois qui passe. Colombine, venez ici.



Scène VIII

LA COMTESSE, LÉLIO, COLOMBINE.
Colombine.

Que me voulez-vous, madame ?

La Comtesse.

Ce que je veux ?

Colombine.

Si vous ne voulez rien, je m’en retourne.

La Comtesse.

Parlez ; quels discours avez-vous tenus à monsieur sur mon compte ?

Colombine.

Des discours très sensés, à mon ordinaire.

La Comtesse.

Je vous trouve bien hardie d’oser, suivant votre petite cervelle, tirer de folles conjectures de mes sentiments, et je voudrais bien vous demander sur quoi vous avez compris que j’aime monsieur, à qui vous l’avez dit ?

Colombine.

N’est-ce que cela ? Je vous jure que je l’ai cru comme je l’ai dit, et je l’ai dit pour le bien de la chose. C’était pour abréger votre chemin à l’un et à l’autre ; car vous y viendrez tous deux ; cela ira là ; et si la chose arrive, je n’aurai fait aucun mal. À votre égard, madame, je vais vous expliquer sur quoi j’ai pensé que vous aimiez…

La Comtesse, lui coupant la parole.

Je vous défends de parler.

Lélio, d’un air doux et modeste.

Je suis honteux d’être la cause de cette explication-là ; mais vous pouvez être persuadée que ce qu’elle a pu me dire ne m’a fait aucune impression. Non, madame, vous ne m’aimez point, j’en suis convaincu ; et je vous avouerai même, dans l’état où je suis, que cette conviction m’est absolument nécessaire. Je vous laisse. Si nos paysans se raccommodent, je verrai ce que je puis faire pour eux. Puisque vous vous intéressez à leur mariage, je me ferai un plaisir de le hâter ; et j’aurai l’honneur de vous porter tantôt ma réponse, si vous me le permettez.

La Comtesse, pendant que Lélio sort.

Juste ciel ! que vient-il de me dire ? D’où vient que je suis émue de ce que je viens d’entendre ? Cette conviction m’est absolument nécessaire. Non, cela ne signifie rien, et je n’y veux rien comprendre.

Colombine, à part.

Oh ! notre amour se fait grand ; il parlera bientôt bon français.