La Tyrannie socialiste/Livre 4/Chapitre 1

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Ch. Delagrave (p. 167-169).


LIVRE IV

LA MORALITÉ ET LA LÉGALITÉ SOCIALISTES




CHAPITRE PREMIER

Le mépris de la loi.


Mépris de la loi. — La loi de 1884 et la Bourse du travail. — Les prud’hommes ouvriers et les patrons. — Gagner les salaires d’une année en travaillant vingt-quatre semaines. — Déni de justice.


Les socialistes réclament la législation dont nous venons d’exposer le principe et le caractère. Ils trouvent des naïfs, des flatteurs et des faibles pour s’y associer. Ils ne font qu’user du jeu de nos institutions, de la liberté de discussion. Ils commettent et font commettre des erreurs ; c’est à nous de les signaler et d’en détourner l’opinion par nos raisonnements, nos démonstrations et l’énergie de notre propagande. Si monstrueuses que puissent être certaines conceptions, je ne les proscris pas. Il n’y a ni orthodoxie ni hérésie sociales ; je n’appelle pas le bras séculier à mon aide pour extirper les mauvaises doctrines ; je n’appelle que la lumière.

Mais je me demande pourquoi les socialistes envoient des députés au parlement et pourquoi ceux-ci se montrent si ardents à déposer, défendre, faire voter des propositions de loi de la nature de celles que nous venons d’analyser, quand leurs amis affectent le mépris de toutes les lois qui leur déplaisent.

Ce n’est vraiment pas la peine que M. Bovier-Lapierre et ses amis perdent leur temps et leurs efforts à faire une mauvaise loi pour assurer l’inamovibilité aux membres des syndicats, puisque les réunions qui viennent d’avoir lieu (mai et juin 1893) à la Bourse du travail ont affirmé le mépris des syndiqués pour la loi de 1884 et ont injurié le ministre qui leur rappelait l’existence de la loi.

Auraient-ils voulu qu’on appliquât la loi Bovier-Lapierre contre les patrons, au profit des membres des syndicats qui n’auraient pas voulu s’astreindre à la loi de 1884 ?

Nous voyons, tous les jours, cette manière de comprendre la légalité au Conseil des prud’hommes. Certains prud’hommes ouvriers ont un mandat impératif de condamner toujours les patrons : et comme le dit dans une lettre du 14 juin 1893, M. Graillat, président du Conseil des prud’hommes (produits chimiques) : « Élu d’un comité et ayant un programme, desquels je relève rigoureusement et qui seuls me dictent ma conduite », ils ne jugent pas d’après les faits de la cause, mais d’après les engagements qu’ils ont pris.

Un garçon coiffeur, d’une catégorie supérieure à celle des faiseurs d’extras dont j’ai parlé dans mon discours du 8 mai, peut gagner des appointements d’une année en ne travaillant que pendant vingt-quatre semaines. Il est embauché chez un patron, pendant huit jours, fait bien son métier. Le neuvième jour, il bouscule un client. Le patron qui a peur que ses clients, ainsi traités, ne prennent la porte, la lui indique. Aussitôt citation devant le Conseil des prud’hommes : et le patron est toujours condamné à payer huit jours au garçon coiffeur, pourboires compris !

Cette manière d’entendre leurs fonctions de la part des conseillers prud’hommes ouvriers nous semble le déni de justice le plus scandaleux, le mépris de la loi, du justiciable, poussé à son extrême limite ; et quand M. Lockroy commence l’exposé des motifs de sa proposition de loi en disant : « La juridiction des conseils de prud’hommes est justement populaire : elle répond aux aspirations et aux besoins de la démocratie moderne », il prouve qu’il ignore de quelle manière elle fonctionne ou qu’il considère que « les aspirations et les besoins de la démocratie moderne » sont d’ériger la partialité du juge en principe !

Comme curieux symptôme de psychologie des socialistes, il faut bien que nous signalions aussi leurs réclamations en faveur du travail à la journée et contre le travail aux pièces, qui révèle un appétit dépravé pour le travail servile.