La Vérité sur l’Algérie/08/04

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Librairie Universelle (p. 346-349).


CHAPITRE IV

Des finances à la Robert Houdin.


Ne croyez pas surtout que je plaisante quand je vous parle ainsi de pratiques financières à la Robert Houdin.

Vous avez vu, au budget de 1900, 86 millions de déficit. Pour faire apparaître avec le budget spécial des excédents, on enlève au budget de l’Algérie et l’on porte au budget métropolitain 94 millions de dépenses algériennes. Celles qui au tableau 3 du budget de l’État, statistique de l’année 1901, page 9, sont désignées dépenses militaires et dépenses extraordinaires.

Ces dépenses ne figurent plus au budget spécial de l’Algérie pour 1901. Mais ce virement de comptabilité, et que la dépense soit payée par la métropole, suffit-il pour qu’en réalité ces 94 millions soient rayés de ce que coûte l’Algérie ? Chez les enfants qui vont au spectacle de Robert Houdin peut-être. Mais pas chez des hommes raisonnables.

Maintenant, si nous ouvrons la Statistique générale de l’Algérie, année 1902, statistique financière, page 170, nous voyons figurer au chapitre des recettes 3.117.747 francs de fonds d’emprunt !!!

C’est ainsi que l’Algérie fabrique les excédents dont la réclame lui permet de dire qu’elle peut gager ses emprunts… Notez qu’il n’y a là rien qui puisse inquiéter les souscripteurs passés ou à venir des emprunts algériens, car l’Algérie c’est tout de même la France, et derrière la garantie nominale apparente de l’Algérie, toujours il y a celle de la France, qui n’est pas nominale, mais réelle. Comme pour toutes les autres colonies d’ailleurs. En réalité tous les emprunts coloniaux, les algériens comme les autres, sont des emprunts français d’État ; leur charge grève la dette métropolitaine aussi effectivement que s’ils avaient été émis par le ministre des finances de la métropole. Ils sont plus chers, voilà tout. Leur qualité d’emprunts coloniaux, c’est une fiction qui permet : 1o à quelques frères et amis de gagner leur vie dans l’émission ; 2o aux colonies de faire croire à la métropole que c’est les colonies qui s’endettent et pas la métropole.

Les fictions de ce genre amaigrissent la France. Mais elles engraissent quelques Français.

La subtilité parlementaire en cet ordre de faits est exquise.

Je ne veux pas faire ici l’histoire du budget algérien. Il me suffit de retenir le fait que, pour y trouver des excédents, on y incorpore les recettes d’emprunt.

Mais je tiens à citer ce passage de l’exposé des motifs du projet de loi déposé par M. Waldeck-Rousseau le 28 février 1902 pour obtenir l’emprunt de cent millions escompté par les Algériens aux fins de retaper leur outillage, de reprendre la colonisation officielle et de créer des recettes… non pas lointaines en suite des progrès réalisés, mais prochaines, immédiates, par prélèvements sur l’emprunt même.


« … Cependant, dit l’illustre homme d’État, on n’a cru devoir fixer qu’à 50 millions la portion de l’emprunt immédiatement réalisable ; l’annuité qu’elle exige sera obtenue par la simple affectation d’une partie des crédits inscrits annuellement au budget pour les services auxquels est destinée cette première fraction ; et les excédents de recettes dont la colonie ne fait pas état aujourd’hui resteront libres pour servir ultérieurement de gage à la seconde. »


Passez muscade ! Elle passa.

Et, en vérité, je me demande pourquoi sur ce propos je me fais de la bile. Notre peuple est tout de même trop bête et n’a que ce qu’il mérite… C’est comme pour les dépenses de l’Extrême-Sud. Le Parlement trouve qu’« elles continuent à représenter un chiffre qui paraît tout à fait excessif ». (Antonin Dubost, Sénat, 5 décembre 1902.) Qu’à cela ne tienne, on les groupe en budget spécial, on crée une colonie nouvelle. Et c’est bien ! Et ça passe ! Le remède à toutes les difficultés, à tous les déficits, à tous les ennuis, vous le voyez, est excessivement simple. Budget spécial ! En Algérie tout devient spécial. Jusqu’aux chiffres. Ce serait excessivement joyeux, si en fin de compte il n’y avait pas toujours la douloureuse pour nous contribuables métropolitains.

Mais Étienne affirme que l’Algérie ne coûte plus rien à la métropole, qu’elle se suffit à elle-même, etc… etc… etc… Les Délégations financières montent une garde jalouse autour de leur caisse de réserve qu’elles croient pleine d’excédents et qu’elles ne veulent point laisser prendre par la métropole. Tout au contraire de coûter quelque chose à la métropole, l’Algérie pourrait lui passer ses économies !

M. Waldeck-Rousseau n’a-t-il pas dit aussi dans l’exposé des motifs de la loi du budget spécial, le 22 mai 1900 :


« … Quant au système de subvention annuelle et variable qui affecterait au paiement des garanties d’intérêt les excédents de recettes, il ne pourrait que nuire au développement de la colonie, puisque la bonne gestion de ses finances et la prospérité de son commerce n’auraient pour résultat durant de longues années que d’alléger les charges du budget de la France. »


Ce n’est point pour vous faire constater en quelle piètre estime M. Waldeck-Rousseau tenait les Algériens…

(… Car est-il des Délégations financières une condamnation plus cruelle, plus froidement terrible et plus méprisante que celle-là, que de dire : « Les Algériens ne feront pas d’économies dans leur gestion si ces économies doivent profiter au budget de la France » ?…)

… Ce n’est point pour vous faire noter en passant cet argument extraordinaire qui fut d’ailleurs employé par tous les orateurs qui traitèrent la question, ne voyant pas quel soufflet ils donnaient ainsi aux Algériens ;

Ce n’est point pour cela que j’ai cité ce passage de M. Waldeck-Rousseau, mais bien pour montrer comment, par tout le monde, fut proclamé, affirmé, répété, propagé le mensonge de l’excédent de recettes algériennes.