La Villa Palmieri/XVII

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Michel Lévy Frères (p. 267-278).

xvii

3 ET 4 AOÛT.

J’interrogeai tous les journaux qu’on reçoit à Florence pour savoir à quelle époque étaient fixées les funérailles du prince royal.

Je restai jusqu’au 26 juillet sans rien apprendre de positif. Le 26, je lus dans le Journal des Débats que le 5 août aurait lieu la cérémonie de Notre-Dame, et le 4 l’inhumation dans les caveaux de Dreux.

Je pris mon passeport, et le 27 à deux heures je montai dans un bateau à vapeur qui partait pour Gênes.

Le lendemain, à neuf heures du matin, je prenais terre et courais à la poste. La malle partait, il n’y avait pas de place, elle emporta seulement une lettre de moi au directeur de la poste de Lyon.

Je louai une voiture et je partis.

Je voyageai jour et nuit, sans perdre une heure, sans gaspiller une seconde. J’étais à Lyon le 1er août, à trois heures de l’après-midi.

Je courus à la poste. Ma lettre était arrivée à temps. Une place avait été retenue. Si cette place m’avait manqué, j’avais fait trois cents lieues inutilement, j’arrivais trop tard.

Seulement alors je respirai.

Le surlendemain j’entrais dans Paris à trois heures du matin.

Restait la crainte de ne pas pouvoir me procurer de billet pour la cérémonie. À sept heures, je courus chez Asseline.

Peut-être ne connaissez-vous pas Asseline, mais les pauvres le connaissent, et parlent tous les jours de lui à Dieu dans leurs prières.

C’est un de ces hommes comme la Providence en met de temps en temps près des bons princes, pour les rendre meilleurs encore.

Il était déjà sorti. Pauvre désolé qu’il était aussi ! il y avait quinze jours qu’il ne dormait plus et qu’il mangeait à peine.

La première chose que je vis, ce fut la gravure de Calamatta : cette belle gravure de ce beau tableau de monsieur Ingres.

J’avais vu le tableau dans l’atelier de notre grand peintre la veille de mon départ. Je retrouvai la gravure dans le cabinet d’Asseline le jour de mon arrivée. Dans l’intervalle, l’âme qui animait ces yeux si doux, si bons, si intelligens, s’était éteinte.

Il y a en Italie un proverbe qui dit, ou plutôt un préjugé qui croit que, lorsqu’on fait faire son portrait en pied, on meurt dans l’année.

J’avais demandé, six semaines auparavant, en voyant le portrait de monsieur Ingres, pourquoi le cadre coupait la peinture au-dessous des genoux.

On m’avait répondu, je ne sais si la chose est vraie, que la reine avait supplié son fils de ne point faire faire son portrait en pied, et que le prince, en souriant aux craintes maternelles, avait accordé cette demande à la reine.

Cette gravure était posée sur un canapé. Je m’agenouillai devant le canapé.

Asseline rentra. Nous nous jetâmes dans les bras l’un de l’autre. Il m’avait gardé un billet ; je ne lui avais pas écrit, mais il avait compris que je devais venir.

Puis il s’était douté que je ne voudrais quitter le corps du prince qu’à la porte du caveau royal, et il avait demandé pour moi la permission de le suivre à Dreux. Alors recommencèrent les douloureuses questions et les tristes réponses. Le malheur était si inattendu que je n’y pouvais croire, et qu’il me semblait que je faisais un rêve dont le bruit de ma parole allait me réveiller.

À neuf heures, je partis pour Notre-Dame. Les rues de Paris avaient un aspect de tristesse que je ne leur avais jamais vu. Puis, pour moi, chaque signe de douleur était nouveau et parlait tout haut à ma douleur. Ces drapeaux avec des crêpes, ces bannières avec leurs chiffres ; Notre-Dame toute entière avec sa tenture, Notre-Dame pareille à un grand cercueil, renfermant l’espoir public qui-venait de mourir, Notre-Dame transformée en chapelle ardente avec ses trente mille cierges qui en faisaient une fournaise ; toutes ces choses que les Parisiens voyaient depuis longtemps, tout ce spectacle funèbre auquel ils étaient habitués depuis une semaine, je le voyais, moi, pour la première fois, et il me parlait à moi plus haut qu’à personne.

De la tribune où j’étais, je voyais parfaitement le cercueil ; j’aurais donné, je ne dirai pas de l’argent, mais des jours, mais des années de ma propre vie pour aller m’agenouiller devant ce catafalque, pour baiser ce cercueil, pour couper un morceau du velours qui le couvrait.

Une salve de coups de canon annonça l’arrivée des princes. Les canons comme les cloches sont les interprètes des grandes joies et des grandes douleurs humaines ; leur voix de bronze est la langue que se parlent, dans les circonstances qui les réunissent, la terre et le ciel, l’homme et Dieu.

Les princes entrèrent. Cette fois la sensation fut profonde et agit sur tout le monde. Le prince royal, c’était leur âme ; leur lumière à eux émanait de lui. Aussi étaient-ils brisés de douleur ; ils n’avaient pas songé qu’ils pouvaient deux fois perdre leur père.

La cérémonie fut longue, triste et solennelle. Quarante mille personnes entassées dans Notre-Dame faisaient un tel silence, qu’on entendait jusqu’à la moindre note de chant sacré, jusqu’au plus faible des frémissemens de l’orgue, au milieu desquels venait de temps en temps mugir un coup de canon. J’ai peu vu de spectacle qui puisse donner aussi puissamment l’idée du deuil d’une grande nation.

Puis vint l’absoute, c’est-à-dire la cérémonie touchante entre les cérémonies mortuaires. Les princes montèrent successivement, selon leur âge, jusqu’au cercueil fraternel, secouant l’eau bénite, et priant pour l’âme qui les avait tant aimés. Il y avait quelque chose de poignant dans ces ascensions successives et dans l’insistance de ces quatre jeunes gens, suppliant Dieu de recevoir dans son sein celui qu’ils avaient si souvent serré vivant dans leurs bras.

Je restai un des derniers, j’espérais pouvoir me rapprocher du cercueil : c’était impossible.

Tous ceux qui liront ces lignes ont probablement perdu une personne qui leur était chère ; mais si cette personne est morte lentement entre leurs bras, s’ils ont pu suivre sur son front les progrès de l’agonie, s’ils ont pu recueillir dans un dernier souffle l’âme qui, portée par ce souffle suprême, montait au ciel, il y a eu, certes, pour eux, douleur moins poignante que si, ayant quitté cette personne aimée, pleine de santé, de force et d’avenir, ils la retrouvent, au retour d’un long voyage, enfermée dans un cercueil que non-seulement ils ne peuvent ouvrir, mais dont ils ne peuvent pas même s’approcher. Comme j’enviais le désespoir de ceux-là qui, dans cette pauvre maison de l’allée de la Révolte, l’avaient vu lentement expirer sur ces deux matelas posés par terre ; qui avaient vu se fermer ses yeux, qui avaient suivi son agonie ! Ceux-là avaient pu ramasser une boucle de ses cheveux, couper un morceau de son habit, dechirer un lambeau de sa chemise ![1]

Il fallut sortir.

Nous devions aller à Dreux en poste. Nous étions quatre dans la même voiture, trois amis de collège du prince et moi ; c’était Guilhem le député ; c’était Ferdinand Leroi secrétaire général de la préfecture de Bordeaux, c’était Bocher, bibliothécaire du duc d’Orléans. Tous trois avaient vécu dans l’intimité du prince royal, car le prince royal était fidèle surtout à ses souvenirs de classes. Il y avait deux mois à peine que j’avais, avec l’aide d’Asseline, placé chez lui un de ses anciens condisciples, qui n’avait pour toute protection près du prince que ses souvenirs, et un petit chiffon de papier déchiré à son cahier d’écolier de troisième. Le hasard nous avait réunis ; nous étions les seuls qui, en dehors de la maison du roi ou de la maison du prince, eussions eu l’idée de suivre le corps jusqu’à Dreux ; nous étions les étrangers de la cérémonie.

Aussi nous fallut-il partir de bonne heure, de peur de ne pas trouver de chevaux, car nous n’avions pas d’ordre pour en prendre.

Cette douleur dont j’ai parlé avait débordé bien au delà de la capitale. Partout, sur notre passage, nous retrouvions le même aspect, triste et morne. Les grandes villes étaient tendues de noir, les villages avaient des crêpes à leurs drapeaux, dans quelques endroits s’élevaient des arcs mortuaires, des reposoirs funèbres devant lesquels devait s’arrêter le cercueil du prince.

Les nations ont donc leur deuil comme les individus, triste à la fois comme celui d’une mère qui a perdu son fils, et de toute une famille qui a perdu son père.

Comparez à cela les trois derniers deuils royaux, que nos pères et nous avons vus, comparez à cela les chants joyeux et les danses insultantes qui accompagnèrent le cercueil de Louis XIV, les malédictions qui accompagnèrent le cercueil de Louis XV, et l’indifférence qui accompagna celui de Louis XVIII.

Ceci est cependant un grand démenti à ceux qui nous appellent la nation régicide. Qu’était-ce donc que le duc d’Orléans, si ce n’était notre roi à venir ? Pauvre prince ! quel miracle il avait fait ! il nous avait réconciliés avec la royauté.

Nous arrivâmes à Dreux pendant la nuit. À grand’peine trouvâmes-nous une petite chambre où nous fûmes obligés de nous installer tous les quatre. Il y avait neuf nuits que je ne m’étais couché ; je me jetai sur un matelas et je dormis quelques heures.

Nous fûmes réveillés par le tambour : les gardes nationaux arrivaient par milliers, non-seulement des villages et des villes environnans, mais encore des points les plus éloignés. Nous vîmes arriver la garde nationale de Vendôme. Les braves gens qui la composaient avaient fait quarante cinq lieues à pied, et s’éloignaient dix jours de leurs affaires pour venir assister à cette dernière revue que devait passer le prince royal.

Et cependant il n’y avait ni croix, ni coups de fusil à venir chercher ; ces deux mobiles avec lesquels on fait faire aux Français tant de choses.

Il y avait un cercueil à accompagner jusqu’au caveau mortuaire, voilà tout. Il est vrai que ce cercueil renfermait l’espoir de la France.

À mesure que les gardes nationaux arrivaient, on les plaçait en baie sur la route. À chaque instant cette haie s’allongeait et s’épaississait ; elle couvrit bientôt plus d’une demi-lieue de terrain.

Dès le matin nous nous étions assurés que nous pourrions entrer dans la chapelle. Comme la chapelle de Dreux est une simple chapelle de famille, il y tient à peine cinquante ou soixante personnes. J’avais été à cette occasion trouver le sous-préfet, et le hasard avait fait que ce sous-préfet était Maréchal, un de mes anciens amis. Lui aussi, il avait connu personnellement le prince ; je n’eus donc point affaire à une douleur officielle, mais à une grande et réelle affliction. Il nous dit de ne pas le quitter, et qu’ainsi il répondait de nous faire entrer.

En ce moment on annonça que le cercueil était en vue de la ville. De ce moment le télégraphe avait commencé à marcher. Il correspondait avec celui du ministre de l’intérieur, qui, à l’aide d’hommes à cheval, correspondait lui-même avec les Tuileries. En moins d’un quart d’heure la reine savait chaque détail de la cérémonie funèbre ; elle pouvait donc suivre du cœur ce cercueil bien-aimé qu’elle n’avait pu suivre des yeux ; elle pouvait donc assister en quelque sorte à la messe mortuaire ; elle pouvait, agenouillée dans son oratoire, mêler sa prière et ses larmes aux larmes et aux prières qui coulaient et murmuraient à vingt lieues de là. Aussi y avait-il quelque chose de triste et de poétique dans le mouvement lent et mystérieux de cette machine qui, à travers les airs, portait à une mère en pleurs les dernières nouvelles de son fils trépassé, et qui ne s’arrêtait que pour recevoir sa réponse.

Nous nous acheminâmes au devant du corps. Tout le trajet que le char funèbre devait parcourir depuis la poste jusqu’à la chapelle, était tendu de noir, et à chaque maison pendait un drapeau tricolore pavoisé de deuil.

Arrivés au bout de la rue, nous aperçûmes le char arrêté : on descendait le cœur, qui devait être porté à bras, tandis que le corps devait suivre, traîné par six chevaux caparaçonnés de noir. Je me retournai vers le télégraphe : le télégraphe annonçait à la reine la douloureuse opération qui s’accomplissait en ce moment.

Oh ! suprême bienfait des larmes ! don céleste fait par la miséricorde infinie du Seigneur à l’homme, le même jour où, dans sa sagesse mystérieuse, il lui envoyait la douleur !

Nous attendîmes ; le cercueil s’approchait lentement, précédé par l’urne de bronze dans laquelle était renfermé le cœur. Urne et cercueil passèrent devant nous, puis les aides de camp du prince, portant le grand cordon, l’épée et la couronne ; puis les quatre princes, tête nue, en grand uniforme et en manteau de deuil ; puis la maison militaire et civile du roi, au milieu de laquelle on nous fit signe de prendre notre place.

J’aperçus Pasquier : il était changé comme s’il eût manqué de mourir lui-même.

Pauvre Pasquier ! c’était à lui qu’était échue la plus rude épreuve. Après avoir vu mourir le prince dans ses bras, c’est lui qui avait fait l’autopsie ; il avait coupé par morceaux ce corps auquel, pour épargner une souffrance, il eût, de son vivant, donné sa propre vie.

Comprenez-vous une douleur plus grande que celle du médecin qui, près d’un agonisant bien-aimé, lisant seul dans l’avenir de Dieu, et reconnaissant qu’il n’y a plus d’espérance, est forcé d’arrêter les larmes dans ses yeux, de pousser le sourire sur ses lèvres pour rassurer un père, une mère, une famille au désespoir ; qui ment par religion, et qui, sentant l’impuissance de son art, se condamne lui-même, pour accomplir le devoir qui lui est imposé par la science, à torturer, pieux bourreau, ce pauvre mourant dont, sans lui peut-être, l’agonie au moins serait douce ; puis, après la mort, qui est condamné à aller, le scalpel à la main, chercher jusqu’au fond du cœur, dont trente ans il a écouté avec inquiétude les pulsations, les causes de cette mort et les traces qu’elle y a laissées en passant !

Voilà ce qu’il avait souffert. Aussi, en regardant en arrière, il ne comprenait pas le courage qu’il avait eu ; il frissonnait à la seule pensée de ce qu’il avait fait.

Une fois, il y a trois ans, on avait craint pour le prince. Quelques symptômes de phthisie pulmonaire avaient effrayé l’amitié de ceux qui l’entouraient. Personne n’avait osé prévenir le malade, dont les journées pleines de fatigue et dont les nuits pleines de veilles pouvaient empirer l’état.

Alors je m’étais chargé d’écrire au prince, et je lui avais écrit.

Pourquoi m’est-il impossible de publier la lettre qu’il me répondit à cette occasion !…

L’autopsie avait prouvé que ces craintes étaient non-seulement exagérées, mais encore dénuées de tout fondement. Il est vrai que Pasquier avait toujours répondu sur sa tête qu’il n’y avait rien à craindre de ce côté.

Près de lui était Boismilon, sous l’œil duquel le prince royal avait grandi. Le maître, tout brisé de douleur, suivait le deuil de son élève.

— Il y aujourd’hui douze ans, me dit-il, que le prince rentrait à Paris à la tête de son régiment ; vous le rappelez vous ?

Oui, certes, je me le rappelais ! Il m’avait serré la main en passant, tout resplendissant d’enthousiasme et de joie dans son uniforme de colonel de hussards.

Quatre ans après, en lui rappelant qu’il avait porté cet élégant uniforme, je sauvais, par son intermédiaire, la vie à un soldat de ce régiment condamné à mort. Hélas ! le pauvre soldat ressuscité ne peut plus même prier aujourd’hui pour celui qui l’a tiré du tombeau ! La mort n’a pas voulu tout perdre : elle a étendu la main si près de lui qu’il en est devenu fou.

Le prince payait sa pension dans une maison de santé. Ce soldat rebelle s’appelait Bruyant, vous le rappelez-vous ? Il avait tenté une révolte à Vendôme.

Oh ! sa grandeur et sa richesse étaient, comme le dit Bossuet, une de ces fontaines que Dieu élève pour les répandre.

Le corps entra dans l’église de Chartres pour y faire une halte d’un instant. Le télégraphe annonça à la reine cette station mortuaire. La touchante cérémonie de l’absoute recommença, puis l’on se remit en marche. En sortant de l’église, il y eut un moment d’embarras, et je me trouvai pris entre l’urne de bronze qui contenait le cœur, et le cercueil de plomb qui renfermait le cadavre.

Tous deux me touchèrent en passant. On eût dit que cœur et cadavre voulaient me dire un dernier adieu. Je crus que j’allais m’évanouir.

L’urne reprit la tête du cortège ; le cercueil fut replacé sur la voiture, et l’on continua de s’avancer par une route circulaire qui rampe aux flancs de la montagne, au sommet de laquelle s’élève la chapelle mortuaire.

Arrivés à la plate-forme, nous nous trouvâmes en face de l’église. Sous le portique étaient l’évêque de Chartres et son clergé.

Au bas des degrés, seul et attendant, se tenait, debout, un homme vêtu de noir, pleurant à sanglots, et mordant un mouchoir entre ses dents.

Cet homme, c’était le roi !

C’était une chose profondément triste, triste en dehors de toutes les opinions et de tous les partis, que le roi attendant le cadavre du prince royal, que ce père attendant le corps de son fils, que ce vieillard attendant les restes de son enfant.

Il était arrivé depuis la veille ; depuis la veille il avait plusieurs fois essayé de travailler pour faire diversion à sa douleur, et le matin même encore, le maréchal Soult était entré dans son cabinet avec les rapports du jour. Il avait lu deux ou trois dépêches, donné deux ou trois signatures ; puis il avait jeté loin de lui plumes et papier, et il était sorti pour voir venir le corps de son fils. Depuis plus d’une demi-heure il attendait debout et pleurant sur le dernier degré de la chapelle.

L’urne passa devant lui, puis le corps, puis les insignes royaux et guerriers. Les princes s’arrêtèrent ; un intervalle se fit entre eux et l’aide de camp portant la couronne ; le roi entra dans cet intervalle. On descendit alors le cercueil, et le télégraphe annonça à la reine que le roi montait les degrés de la chapelle, menant le corps de leur premier-né.

Pauvre reine ! En arrivant de Palerme je lui avais rapporté un dessin représentant la chapelle où ce fils avait été baptisé.

Et le jour de ce baptême, celui qui le tenait entre ses bras comme représentant la ville de Palerme, sa noble marraine, avait dit en le rendant à son père :

— Peut-être venons-nous de baptiser un futur roi de France.

Un mois auparavant, qui aurait pu penser que cette étrange prédiction ne s’accomplirait pas ?

Le futur roi des Français entrait dans la chapelle mortuaire.

La cérémonie s’accomplit, plus douloureuse qu’aucune autre. Celle-là c’était la dernière, c’était la station suprême que faisait le cercueil entre le bruit et le silence, entre la vie et la mort, entre la terre et l’éternité !

Puis vint l’absoute, puis le De Profundis.

Puis on enleva le cercueil, et l’on commença dans le même ordre à s’acheminer vers le caveau.

Seulement, pendant l’espace qui séparait le chœur l’escalier caché derrière l’autel, le roi s’appuya sur ses deux fils aînés, le duc de Nemours et le prince de Joinville ; mais, arrivés à l’escalier, les trois affligés ne purent descendre de front, et le roi fut obligé de s’appuyer sur sa propre force.

Il y avait déjà deux cercueils dans le caveau : celui de la duchesse de Penthièvre et celui de la princesse Marie. Ils étaient posés à droite et à gauche de l’escalier. La place du milieu était réservée pour le roi. C’était, contre toute attente, son fils qui venait la prendre.

Pendant qu’on déposait le cercueil du prince royal sur ses supports préparés, le roi appuya son front et ses deux mains sur le cercueil de la princesse Marie.

Puis les prêtres murmurèrent un dernier chant, jetèrent une dernière fois l’eau bénite. Après les prêtres vint le roi, après le roi vinrent les princes, après les princes les quelques privilégiés de la douleur qui avaient obtenu d’accompagner le cercueil jusqu’au lieu de sa dernière station.

On remonta dans le même ordre ; puis la porte se referma.

Le prince était désormais seul avec le silence et l’obscurité, ces deux fidèles compagnons de la mort.

Il y avait juste quatre ans, jour pour jour, heure pour heure, que j’avais mené le deuil de ma mère.

FIN DE LA VILLA PALMIERI.
  1. Le lendemain de la publication de cet article je reçus la lettre suivante
    « Monsieur,
    Dans les lettres que vous avez publiées dans le Siècle, vous manifestez le regret de ne posséder aucune relique qui matérialise a vos yeux et à votre pensée les derniers momens de votre noble et malheureux ami monseigneur le duc d’Orléans.
    Plus heureux que vous, je possède la serviette sur laquelle il a reposé sa tête mourante, et qui est encore tout imprégnée de son sang. J’ai constamment refusé d’en donner tout ou partie, afin de ne pas céder aux sollicitations d’une simple curiosité, mais à vous, monsieur, je viens l’offrir tout entière. Trop heureux si je puis ainsi rendre moins pénibles votre douleur et vos regrets.
    Dans le cas probable où vous auriez obtenu quelque chose de la dépouille du prince, veuillez regarder ma lettre comme non avenue.
    Je n’ai pas besoin, j’espère, par une explication quelconque, de vous tenir en garde contre la pensée d’une mystification qui ne serait rien moins, à mes yeux, qu’un crime ou un sacrilège.
    Veuillez agréer, etc.

    CHARDON, docteur, 32, rue Richer.

    Paris, 16 novembre. »