La Ville de Paris, ses Finances et ses Travaux publics depuis le commencement du siècle

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La Ville de Paris, ses Finances et ses Travaux publics depuis le commencement du siècle
Revue des Deux Mondes2e période, tome 47 (p. 775-826).
LA
VILLE DE PARIS
SES FINANCES ET SES TRAVAUX PUBLICS
DEPUIS LE COMMENCEMENT DU SIECLE

Parmi les questions qui éveillent de nos jours les préoccupations publiques, une des plus intéressantes à coup sûr est celle de l’agrandissement des principales villes de la France, de Paris surtout. Cette question en effet se lie à des problèmes politiques, sociaux et financiers dont il semble inutile de faire ressortir l’importance. C’est un problème politique des plus graves, par exemple, que de mettre le régime municipal de Paris en rapport avec les exigences diverses qui sont nées de l’extension des limites de la capitale et de l’influence croissante qu’elle exerce sur les destinées intérieures du pays. En comparant Londres et New-York à Paris, Tocqueville faisait remarquer que « ce n’est ni la situation, ni la grandeur, ni la richesse ides capitales qui causent leur prépondérance sur le reste de l’empire, mais la nature du gouvernement. » Or cette prépondérance paraissait à l’illustre écrivain surtout dangereuse là où l’autorité gouvernementale était le plus centralisée. Si cette pensée est juste, la prépondérance de Paris n’est-elle pas plus réelle, plus redoutable aujourd’hui qu’en 1789, où cependant l’on disait déjà que Paris était la France même? En 1863, Paris, avec son périmètre de huit lieues et demie, avec sa population de 1,700,000 habitans, est à lui seul presque un gouvernement : il est devenu en tout cas le premier organe de la vie française, et nulle part ailleurs il n’importe plus d’étudier les mouvemens de cette vie inquiète et puissante, d’en suivre les modifications, d’en prévenir, s’il se peut, les crises.

Dans une enquête faite en 1847 par la chambre de commerce et rendue publique en 1851, on comptait 342,000 ouvriers environ attachés à l’industrie parisienne, sur lesquels 205,000 hommes, les apprentis retranchés, ne gagnaient que 2 fr. 49 c. par jour, tandis que le salaire de 113,000 femmes ne dépassait pas 1 fr. 07 cent. Avant l’annexion de la banlieue en 1859, les 1,100,000 habitans de la capitale pouvaient se diviser en deux grandes parts : 600,000 vivant de l’industrie proprement dite, 500,000 commerçans, rentiers, fonctionnaires, employés, domestiques, etc.[1]. Depuis l’annexion, le chiffre de la première de ces deux catégories s’est certainement accru, puisque la plupart des communes annexées devaient leur origine et leurs développemens à la création d’établissemens industriels. Le mouvement progressif de la population parisienne a donc eu lieu au profit à peu près unique de l’élément manufacturier: mais cet élément, dira-t-on, ne présente peut-être pas un danger toujours permanent et égal, attendu que dans l’industrie les ouvriers ne sont pas tous sédentaires. Leur nombre s’accroît ou diminue selon que le travail est rare ou abondant; il ne faut donc compter dans la décomposition des habitans de Paris que les ouvriers à résidence fixe. Déjà, d’après l’enquête précitée, le nombre de ceux-ci s’élevait à 334,000 en 1847, soit à plus du tiers de la population. L’annexion a grossi encore cette proportion. En effet, dans les anciennes communes suburbaines, l’aspect des immenses usines qui donnent à cette partie de la capitale une physionomie semblable à celle des métropoles manufacturières de l’Angleterre, la nature même des industries, démontrent que les ouvriers qu’elles emploient se livrent à des travaux permanens, et viennent grossir l’armée déjà si nombreuse des travailleurs sédentaires. Enfin comment s’imaginer qu’une ville où il y a toujours de si grandes entreprises à poursuivre, qui est devenue, grâce aux nouveaux moyens de communications et à l’attrait qu’elle possède, la véritable capitale du monde, cessera un seul instant d’attirer dans son sein les troupes innombrables d’ouvrière de tout genre auxquels les capitaux privés versent tant de salaires et le trésor public distribue une si large part de ses ressources[2]? Ainsi donc, sédentaires ou non, le nombre des ouvriers dans la population parisienne formera toujours un élément dont il faut savoir mesurer l’influence sur les destinées mêmes du pays, puisqu’avec le principe de centralisation, sur lequel repose notre gouvernement, la prépondérance de la capitale ne cesse de s’accroître.

La question sociale et la question politique, qu’il s’agisse de la situation de Paris au point de vue général ou seulement au point de vue du régime municipal qui lui est propre, priment de beaucoup toutes les autres. La question financière a cependant aussi son importance, et, après avoir analysé les changemens apportés dans l’organisation administrative de Paris, il ne sera pas sans intérêt de suivre dans chacun des budgets municipaux, depuis le commencement du siècle, le développement des entreprises de tout genre qui ont si complètement modifié la physionomie extérieure de la ville et la vie économique de ses habitans. Que de transformations accomplies depuis 1800 ! Les diverses administrations chargées du soin de ses intérêts ont à tour de rôle opéré une sorte de métamorphose de Paris. Hôpitaux, hospices, prisons, écoles, voies publiques, monumens, accès plus large ouvert à l’air et à la lumière, distribution plus abondante et clarification des eaux, tout ce qui améliore et embellit l’existence des masses a été l’objet d’entreprises poussées avec plus ou moins d’activité selon les ressources du budget de la grande ville. Interroger les années si remplies qui ont vu s’accomplir ces transformations, contrôler le mouvement politique et moral par l’histoire du mouvement financier, comparer les revenus avec les charges, les dépenses avec les travaux faits, montrer enfin les résultats obtenus par chacune des administrations qui se sont succédé, ce ne sera pas, à coup sûr, une tâche mutile au moment où une impulsion plus vive que jamais est donnée dans Paris aux grands travaux publics.


I. — PARIS EN 1800. — O4GANISATION DE L’ADMINISTRATION MUNICIPALE. — PREFECTURE DE LA SEINE.

Qu’était Paris à la fin du dernier siècle, après les orages révolutionnaires et les embarras du directoire? Nous avons sous les yeux le plan de Paris dressé en 1800, divisé en douze arrondissemens et quarante-huit quartiers. Les limites de l’enceinte y sont figurées telles qu’elles existaient encore avant l’annexion de 1859. Les murs et les barrières qu’on a récemment démolis avaient été en effet construits sous Louis XVI, et l’on peut dire que dès 1800 Paris avait déjà l’étendue officielle qu’il conservait encore en 1859; mais, si l’enceinte était la même ; quelle différence dans le nombre.des habitans et des maisons, dans l’état matériel de la cité ? Du faubourg Poissonnière à la porte Saint-Honoré, où la Rue-Royale, nouvellement ouverte, terminait Paris, les boulevards intérieurs n’étaient bordés que d’un simple rang d’habitations. Aucun des quartiers de l’Opéra, de la Chaussée-d’Antin, des Martyrs, Saint-Lazare et Saint-Honoré n’existait encore. Le plan de 1800 contient les noms de quelques-unes des rues aujourd’hui si populeuses de ces circonscriptions; mais elles restaient alors à l’état de véritables chemins ruraux, bordés par des haies ou par les jardins qui entouraient de luxueuses maisons d’été. Le faubourg Montmartre, la Nouvelle-France, les Porcherons et la Ville-l’Évêque formaient de véritables faubourgs, comme étaient il y a quatre ans les communes suburbaines, sans pouvoir cependant être comparés en rien à ces villes industrielles que l’annexion de 1859 a réunies à Paris.

Dans ce Paris de 1800, aussi vaste que celui de 1850, mais où d’immenses emplacemens restaient inoccupés, et qui ne renfermait pas plus de six cent mille habitans, les conditions de la viabilité, de la salubrité, de l’hygiène publique en un mot, différaient singulièrement de l’état actuel. M. Horace Say, dans son livre sur l’administration de la ville de Paris, disait qu’on trouverait peut-être difficilement, même dans les pays méridionaux de l’Europe, une bourgade aussi arriérée sous certains rapports que l’était Paris il y a trois siècles; or en 1800 la ville n’avait guère changé. Le régime des eaux, l’état des chaussées, l’accumulation des immondices et des boues, l’absence d’éclairage, faisaient toujours de la capitale de la France un séjour insalubre et incommode, d’autant plus qu’elle était mal construite et irrégulièrement percée. Montesquieu disait que les maisons de Paris étaient en l’air et interceptaient le jour. La ville entière devait être reconstruite, comme lé prouve la déclaration du roi du 10 avril 1783, qui fixait un minimum de largeur pour les rues, un maximum de hauteur pour les bâtimens, et ordonnait la levée d’un plan général de Paris afin de rectifier les rues tortueuses et de rebâtir les maisons. La levée de ce plan, concédée à forfait au commissaire-général de la voirie Verniquet, interrompue pendant la révolution, est rentrée en 1823 dans les attributions de la municipalité. Toutes les décisions ultérieures d’alignement ont été prises d’après ses indications. On peut remarquer que depuis six cents ans le système de la voirie de Paris n’a pas été modifié. Déjà sous Philippe-Auguste deux grandes voies de communication, correspondant aux quatre portes Saint-Denis, Saint-Jacques, Saint-Antoine et Saint-Honoré, coupaient la ville de l’est à l’ouest et du nord au sud. Aujourd’hui le boulevard de Sébastopol et la rue de Rivoli forment encore- ce qu’on appelle la grande croisée de Paris.

Pas plus que les rues de la ville, le grand chemin d’eau qui a été l’origine de sa fortune, la Seine, ne présentait en 1800 un cours commode et régulier. Obstruée de maisons, sans quais, traversée par des ponts couverts et peu nombreux, elle ne servait ni aux usages publics, ni aux besoins domestiques des habitans. Le premier projet sérieux d’amener à Paris un assez grand volume d’eau pour répondre à ce double objet date de 1799. L’illustre auteur du canal du Midi, Paul Riquet, avait fait, il est vrai, les études du canal de l’Ourcq, et en 1788 des machines à vapeur à Chaillot et au Gros-Caillou prenaient l’eau de la Seine pour alimenter quelques fontaines; mais depuis la révolution tout effort pour développer ces entreprises ou commencer de nouveaux travaux avait été suspendu. En 1800, Paris manquait d’eaux salubres. Quant à l’écoulement des eaux pluviales et malsaines, la Seine, la Bièvre, le ruisseau de Ménilmontant, recevaient les unes; les autres étaient versées dans les fossés creusés autour des murailles qui servaient d’égouts, et auxquels des canaux à ciel ouvert amenaient les immondices depuis le centre de Paris., L’infection causée par ce système était telle qu’il fallut, au milieu du XVIIIe siècle, accorder des privilèges pour encourager les Parisiens à bâtir aux abords de l’égout Montmartre, qui ne fut terminé qu’en 1812. L’égout de la rue Saint-Denis ne fut achevé qu’en 1800, celui de la rue de Rivoli en 1807. Pendant la restauration, l’égout de la rue du Ponceau était encore à découvert sur une longueur de 103 mètres. Est-il nécessaire d’ajouter que l’enlèvement des boues de Paris date de l’organisation de la préfecture de police (17 février 1800), et qu’en dépit de la décision de l’assemblée nationale, qui voulut répandre l’emploi des lampes à réflecteur, substituées aux lanternes renfermant des chandelles de quatre à la livre, l’éclairage à l’huile existait à peine dans la première année du siècle? Dix-sept ans plus tard, ce mode d’éclairage, perfectionné alors, et dont un nouveau progrès a si complètement effacé le souvenir, était loin de suffire aux besoins de la population, puisqu’on ne comptait en 1817 à Paris que 4,521 lanternes munies de 10,500 becs d’huile. Enfin en 1800 la longueur totale des rues était de 350,000 mètres, sur lesquels la surface du pavé entretenu ne s’élevait qu’à 2,500,000 mètres carrés, et il n’existait alors aucun trottoir.

L’administration et la police de cette ville sale, mal éclairée et insalubre, laissaient, on le comprend sans peine, beaucoup à désirer. Prisons, hospices, bâtimens communaux, monumens du culte, tout tombait en ruine et appelait d’urgentes améliorations. En pouvait-il être autrement sous l’empire de la législation de l’an III? La commune de Paris formait un seul canton, divisé en douze municipalités, composées chacune de sept membres désignés par l’élection, et dont l’un était chargé des fonctions d’officier de l’état civil. L’administration générale de la commune était partagée entre ces douze municipalités; mais un bureau central, composé de trois membres nommés par le pouvoir exécutif, était chargé de la police et des subsistances. Or la police du directoire a laissé de tristes souvenirs. Ce n’était pas la sécurité ni le bien-être matériel de la population qui la préoccupaient beaucoup. Si la loi des otages, rendue à l’occasion des actes de brigandage commis dans plusieurs départemens, permettait aux administrateurs locaux d’infliger, sans formalités judiciaires, aux parens des émigrés ou rebelles, les arrestations, les amendes, la déportation même, à Paris la réquisition des cartes civiques exposait à chaque heure du jour et de la nuit tout citoyen à être appréhendé par un officier de police et emprisonné, s’il n’était point muni de sa carte.

La constitution de l’an VIII vint rendre le calme aux esprits et réformer l’administration municipale. Partout l’exécution fut séparée de la délibération et attribuée, à un seul représentant du pouvoir central. La division de Paris en douze municipalités fut maintenue; mais tous les pouvoirs municipaux furent concentrés dans les mains du préfet de la Seine, véritable maire de Paris. Un conseil municipal de vingt membres, nommé par le gouvernement, délibéra à côté du préfet sur les affaires communes, tandis que les soins de la police furent confiés à un autre préfet, héritier du pouvoir du lieutenant de police de l’ancienne monarchie. Les maires d’arrondissement ne remplirent plus que les fonctions d’officiers de l’état civil. Cette organisation, qui subsista jusqu’en 1834, permit au premier préfet de la Seine, le comte Frochot, d’introduire en bien peu de temps les améliorations les plus essentielles dans toutes les branches de sa vaste administration.

A peine entré en fonction, le préfet de la Seine eut à se préoccuper de l’établissement d’un budget régulier[3]. La plus grande difficulté consistait pour toute la France, en l’an VIII, à régulariser la perception des recettes. Depuis la suppression des contributions indirectes, l’état avait perdu le tiers de son revenu. Encore les contributions directes étaient-elles, par la mauvaise confection des rôles et les difficultés de la perception, singulièrement en souffrance. Les administrations locales chargées du soin de dresser elles-mêmes les rôles y apportaient d’autant moins de zèle que ces administrations collectives avaient pour origine l’élection. À Paris, les droits d’entrée, qui sous l’ancien régime formaient l’une des cinq grosses fermes générales, avaient été abolis par la convention en même temps que les contributions indirectes. La nécessité de pourvoir aux dépenses locales les fit rétablir en l’an VII, sous le titre « d’octroi municipal et de bienfaisance, » et l’année suivante on y ajouta un supplément d’un cinquième en faveur des hospices. Un arrêté de l’an XI vint plus tard doubler l’ancien tarif et imposer de nouveaux objets de consommation pour affranchir les petits logemens de la contribution mobilière. Depuis lors, la taxe n’a subi que des modifications peu importantes et une réduction passagère en 1830 et en 1848. C’est donc à l’an XII (1803) que l’on peut rapporter l’établissement définitif de l’octroi[4], qui produisit alors 18 millions de recettes ; dans le premier budget dont M. Frochot avait indiqué les bases, l’octroi n’avait donné que 11 millions 1/2, et l’ensemble de ce budget avait atteint seulement le chiffre de 12,530,719 francs 67 centimes. La nomenclature des articles qui le composent semblera curieuse, surtout à ceux qui rapprocheront ces données de celles qu’offrent les budgets d’aujourd’hui[5]. La nature des recettes diffère moins ici toutefois que l’importance des chiffres. En 1800 comme en 1863, on faisait figurer dans les revenus de la ville : 1o sous le nom de centimes communaux, une part additionnelle des contributions directes ; 2o le revenu des propriétés communales, telles que les immeubles affectés à un service public, les maisons achetées par là Ville, les marchés, abattoirs, etc. ; 3o le prix des services rendus ou des dépenses municipales dont ceux qui profitent doivent supporter les charges, dépensés de voirie, droits de stationnement des voitures sur les places et dans les rues, etc. ; 4° enfin les perceptions purement fiscales dont le produit net est employé aux besoins généraux de la ville.

Le premier budget se composait donc ainsi :


Centimes communaux ordinaires, c’est-à-dire part réservée à la ville dans les contributions directes 889,221 fr. 81 c.
Octroi 11,560,529 fr. 10 c.
Grande et petite voirie 627 fr. 74 c.
Établissemens hydrauliques 385
Location des places et abris dans les halles et marchés 1,119 fr. 95 c.
Loyer des propriétés communales 63,308 fr. 65 c.
Créances diverses 7,354 fr. 92 c.
Revente de terrains....... 172 fr. 50 c.
Recettes diverses..... 8,000
12,530,719 fr. 07 c

L’octroi, les centimes communaux, le loyer des propriétés municipales, forment dans ce budget presque la totalité des recettes. Les autres articles figurent seulement comme application du principe que les services rendus doivent être payés par ceux qui les reçoivent : aussi les revenus nouveaux qui successivement grossirent le budget municipal provinrent-ils pour la plupart des établissemens commencés ou achevés sous l’administration de M. Frochot dans l’intérêt des habitans de Paris. La ville manquait en 1800 de marchés, de halles, d’abattoirs, d’entrepôts, etc. Tous ces établissemens coûtèrent beaucoup plus qu’ils n’ont rapporté; mais la population y trouva de grands avantages, et par suite les ressources du budget s’en accrurent[6]. Aussi, de 12 millions 1/2 en 1800, les recettes s’élèvent à 18 millions en 1804, et l’année suivante à 22 millions. On les voit monter à 27 millions en 1810, et atteindre en 1811 au plus haut chiffre de la période impériale, soit 34 millions. En 1812, elles redescendent à 31 millions, pour tomber à 23 en 1813. Le budget des dépenses suit une marche analogue, et se maintient toujours un peu au-dessous des recettes; chaque année laisse donc une situation dégagée d’embarras, et dont l’économie ne put être dérangée que par les conséquences funestes d’une double invasion. En. regard du budget des recettes de l’an ix, il n’est pas sans intérêt de placer le budget des dépenses de la même année. L’ensemble ne s’élève qu’à 11,216,117 fr. 27 c, dont voici les principaux détails :


Préfecture, mairie centrale 18,800 fr. 04 c.
Mairies d’arrondissement 302,885 fr. 72 c.
Administration des contributions directes 212,471 fr. 76 c.
Frais d’administration des travaux publics 30,040 fr. 98 c.
Frais de perception 1,944,836 fr. 78 c.
Instruction publique 32,585 fr. 42 c.
Hôpitaux, secours à domicile 4,359,453 fr. 33 c.
Service ordinaire des eaux 27,873 fr. 79 c.
Entretien des établissemens communaux 58,158 fr. 60 c.
Dépenses imprévues 460 fr. 05 c.
Préfecture de police 2,167,850 fr. 67 c.
Garde nationale 16,325 fr. 43 c.
Charges de la ville envers l’état 1,935,272 fr. 41 c.
Élargissement de la voie publique 1,800 fr.

Dans ce budget de l’an IX ne figure aucune allocation pour les cultes, pour les travaux publics, pour l’assainissement de la ville : les besoins de l’instruction n’y sont rappelés que pour mémoire; mais de grandes améliorations ne tardèrent pas à s’introduire dans l’établissement du budget, comme le prouve l’examen des dépenses de 1800 à 1812. On constate en effet que, sur un total de 238 millions dépensés pendant ce laps de temps, plus de 65 millions ont été consacrés aux hôpitaux, hospices et secours à domicile, et près de 3 millions aux frais du culte et de l’instruction publique. Le service ordinaire des eaux, qui ne figurait pas dans les budgets antérieurs à l’an vin, qui obtenait en l’an XII une minime allocation de 21,000 francs, monte jusqu’à 800,000 francs en 1808, et reste en moyenne à 300,000 francs jusqu’à l’année 1812. C’est aussi un article nouveau des dépensés municipales que l’approvisionnement de réserve, destiné à chasser des imaginations populaires l’appréhension de la disette, cette fatale conseillère des premiers crimes de la révolution. L’approvisionnement de réserve date de l’an X; en 1812, il avait absorbé 3,284,000 francs. Ce qu’on peut appeler le budget des travaux publics proprement dits ne s’était pas élevé, dans cet espace de douze années, à moins de 45 millions 1/2. Parmi les travaux les plus utiles exécutés durant cette période, il faut compter la construction des ponts aux abords de Paris, la réparation des quais, la création des greniers d’abondance, des marchés, des abattoirs, et le canal de l’Ourcq. Cependant aux ressources annuelles du budget qui pourvurent à ces dépenses vinrent aussi s’ajouter des ressources extraordinaires destinées aux travaux d’embellissement; En 1808, en 1810, en 1811, la ville emprunta successivement une somme de 13 millions, dont la plus forte partie était applicable au canal de l’Ourcq, et le domaine extraordinaire lui avança près de S millions. Enfin l’état consacrait dans Paris des sommes importantes à l’érection ou à la restauration des monumens historiques[7].

De toutes les œuvres accomplies sous l’administration du comte Frochot, la plus importante, celle qui montre avec le plus d’évidence tout le bien que peut produire l’initiative d’un homme éclairé, ce fut à coup sûr la réorganisation du régime des hôpitaux. D’après ce seul exemple, on pourra juger de l’ensemble d’une gestion si riche en résultats, et précisément parce qu’elle ne caractérise pas une époque où la guerre passait avant la philanthropie, une telle réforme mérite par elle-même qu’on s’y arrête un moment. Dès 1787, on avait eu la pensée de remplacer l’Hôtel-Dieu par quatre hôpitaux établis hors de Paris. Les habitans s’étaient empressés de contribuer par des dons et des souscriptions à l’accomplissement de ce projet; mais les événemens politiques le firent avorter. En 1793 néanmoins la convention décréta le transport dans des maisons nationales d’une partie des malades placés dans les hospices, et en 1795 elle établit deux nouveaux hôpitaux, un dans la maison d’orphelins de Beaujon, un autre dans les bâtimens neufs de l’abbaye de Saint-Antoine. Avec l’hospice du faubourg de Sèvres et celui du faubourg Saint-Jacques, c’était le projet de 1787 réalisé; mais le régime de ces établissemens était vraiment déplorable. Dans les hôpitaux consacrés à des maladies ordinaires, le nombre des lits était insuffisant,, et les prescriptions les plus simples en fait de dégagemens extérieurs et de salubrité à l’intérieur complètement méconnues. Dans les hôpitaux affectés aux maladies spéciales, plusieurs personnes occupaient souvent le même lit. A l’hospice de la Maternité, les services de l’accouchement et de l’allaitement se trouvaient confondus. Dans les hospices de la vieillesse, à la Salpêtrière et à Bicêtre, on avait réuni des malades, des infirmes, des fous et des condamnés. La Salpêtrière contenait de 7 à 8,000 femmes indigentes et autant de détenues. On y accumulait des femmes et des filles enceintes, des nourrices avec leurs nourrissons, des garçons jusqu’à l’âge de cinq ans, des filles de tout âge, des vieillards hommes et femmes, des folles furieuses, des imbéciles, des épileptiques, des aveugles, des incurables, etc. A Bicêtre, même spectacle, plus repoussant encore. Sexes, âges, infirmités, tout y était confondu. Avant l’année 1801, on y comptait 1,505 lits où les malades couchaient seuls, 262 où ils couchaient deux, 144 lits à double cloison et un certain nombre à quatre. Quelquefois le même lit servait à huit personnes, dont la moitié veillait une partie de la nuit pendant que l’autre moitié essayait de dormir. Côte à côte avec l’hospice de, Bicêtre se trouvait la prison de même nom. M. Pariset, dans un rapport au conseil-général des prisons fait en 1819, pour peindre d’un mot l’état de Bicêtre au moment dont nous parlons, disait: « J’ai vu Bicêtre à deux époques différentes : dans la première, Bicêtre réalisait l’enfer des poètes; aujourd’hui, en 1819, il s’administre comme un couvent. » Lorsque le comte Frochot fut appelé à la préfecture de la Seine, l’enfer de Bicêtre prison ne devait pas présenter un spectacle plus horrible que celui de Bicêtre hôpital et maison d’aliénés.

Or c’est presque à son entrée en fonction, c’est-à-dire en février 1801, que le premier préfet de la Seine installa l’administration générale des hospices au parvis Notre-Dame, en face de l’Hôtel-Dieu. Il trouva dans une simple combinaison d’attributions officielles le moyen de porter un prompt remède au mal et de préparer pour l’avenir les plus sérieuses améliorations. Il nomma un conseil-général et une commission administrative chargés du service de tous les hospices et hôpitaux civils, ainsi que des institutions qui s’y rapportent, archives générales, bureau central d’admission aux hôpitaux, écoles de charité, et crèches. Les résultats obtenus par une réunion d’hommes animés d’un même esprit, moralement responsables du succès de l’œuvre concentrée dans leurs mains, ardens à proposer et à réaliser eux-mêmes toutes les améliorations, justifièrent promptement la mesure prise dès 1801. En 1806, le nombre des malades admis dans les hôpitaux s’élevait à 28,000; et dépassait 37,000 six ans plus tard, vingt-quatre établissemens venaient se placer sous l’administration générale des hospices, et dans chaque arrondissement se créaient des maisons de secours avec l’annexe indispensable des écoles de charité. La distribution des secours à domicile se faisait avec ordre et régularité. Bientôt on établit une filature en faveur des indigens, le bureau de la direction des nourrices, la pharmacie centrale et la boulangerie générale. Des réparations extérieures répondaient à ce renouvellement du régime intérieur des hôpitaux. Dès 1801, on ajouta des bâtimens nouveaux à l’hôpital Saint-Antoine, on créa l’école de la clinique interne, on améliora les abords de l’Hôtel-Dieu, on établit dans des maisons différentes l’hospice de l’allaitement et celui de l’accouchement. En 1802, en 1803, on fit des travaux d’agrandissement aux hôpitaux Saint-Antoine, Necker, des Enfans, Saint-Louis, des Capucins, etc. Enfin le régime de la Salpêtrière et de Bicêtre, confié en 1802 à l’administration générale des hospices, devenait peu à peu ce régime de couvent loué en 1819 par M. Pariset. Si la réforme des hospices de Paris valut au comte Frochot l’estime qui entoure son nom, il faudrait néanmoins, pour lui rendre une justice complète, mentionner tous les autres services organisés par lui, dont le plus nécessaire, celui de la perception des droits d’octroi, passa successivement, à travers tant de difficultés, du système de la régie intéressée à celui de la régie simple, qui fonctionne encore. Sans entrer dans le détail de ces nombreuses mesures d’édilité, constatons seulement que, grâce à cette activité persévérante, s’accomplissait, de 1800 à 1815, une œuvre administrative dont les résultats essentiels, en survivant au premier empire, ont créé à M. Frochot des titres considérables à la reconnaissance de la population parisienne.


II. — SITUATION FINANCIERE DE PARIS APRES LES DEUX INVASIONS. — ADMINISTRATION MUNICIPALE DE 1815 A 1833.

M. de Chabrol, préfet de Montenotte, chargé de la délicate mission de garder à Savone Pie VII prisonnier, se trouvait en congé à Paris, lorsque l’injuste destitution du comte Frochot après la tentative avortée du général Mallet rendit vacante la préfecture de la Seine. M. de Chabrol avait fait en qualité d’ingénieur partie de l’expédition d’Egypte. Tout récemment la modération de sa conduite dans une position difficile avait été appréciée. L’empereur lui confia donc l’administration de Paris; M. de Chabrol la conserva pendant la première restauration, la quitta aux cent-jours, et la reprit ensuite pour l’occuper jusqu’en 1830. A l’inverse de son prédécesseur, qui venait réparer les maux causés par dix années de troubles, et dont la gestion s’était continuée durant une des plus brillantes périodes de notre histoire, il trouvait une situation prospère, une succession liquide; mais tout à coup des événemens funestes en vinrent troubler l’économie. Aussi, pour apprécier avec équité l’administration de Paris sous la restauration, il faut tout d’abord faire la part d’une mauvaise fortune dont la responsabilité échappe à celui qui en resta chargé ; la première moitié de son administration fut employée à subir et à réparer de grands désastres, et la seconde à préparer les ressources, à combiner les heureux élémens d’une prospérité qui devait surtout profiter à son successeur.

Comme on l’a vu, les charges laissées par la période précédente se composaient des deux emprunts de 1808 et de 1810 pour des travaux d’utilité et d’embellissement, et d’un prêt fait pour le même objet par le domaine extraordinaire. Il faut néanmoins ajouter à ces obligations la dette contractée à la suite de la mesure prise en 1811 pour vendre les maisons appartenant aux hospices. Cette mesure, qui priva les hospices de propriétés dont le revenu alors n’était pas considérable pour les abandonner à la ville de Paris, chargée d’en rembourser la valeur au moyen de rentes ou de paiemens ultérieurs, doit surtout paraître regrettable en raison de l’énorme plus-value que ces immeubles présenteraient aujourd’hui, et qui a été perdue aussi bien pour les hospices que pour la ville elle-même, empressée de s’en défaire. Quoi qu’il en soit et même en y comprenant le capital de 12 millions auquel avaient été évaluées les maisons prises aux hospices, le passif légué par le comte Frochot à son successeur ne présentait rien d’accablant, puisqu’à Côté d’une dette sans échéance fixe et d’une charge de 20 millions remboursables à long terme, celui-ci trouvait un budget en équilibre suffisant pour continuer les grandes entreprises commencées. Dès l’année suivante, il est vrai, la situation s’était singulièrement modifiée.

L’occupation du département de la Seine en 1814 ne fut pas longue ; elle coûta à la ville de Paris 5 millions 1/2 seulement, perçus au moyen d’une cotisation municipale, à titre d’avance, dont le remboursement se fit aux contribuables chaque année à partir de 1819 ; mais la seconde invasion et la nouvelle occupation qui la suivit, laquelle dura quatre mois et dix jours, nécessitèrent pour la ville une dépense extraordinaire de 45 millions. La capitale et ses environs furent pendant ce temps livrés aux exigences d’armées ennemies dont le total a dépassé 300,000 hommes. Aux troupes, on dut procurer des casernemens, des hôpitaux, les vivres pour les hommes, les fourrages pour les chevaux, aux généraux des hôtels richement meublés, des bons sur les restaurateurs ; des voitures de luxe, aux princes enfin un service de maison qui seul absorba 3 millions de francs. Encore, pour contenir ces charges dans de telles limites, le préfet de la Seine et le préfet de police, M. Decazes, durent-ils montrer une énergie qu’il faut rappeler à leur honneur. M. de Chabrol, pour n’avoir pas voulu frapper les habitans de Paris d’énormes contributions, n’échappa que par l’intervention de M. de Nesselrode à une translation, déjà ordonnée, dans la forteresse de Graudentz. M. Decazes, menacé de la vengeance du général prussien Müffling, gouverneur de Paris, pour avoir fait déchirer sur les murs un ordre du jour abominable, qui autorisait les sentinelles à faire feu sur les passans pour un regard ou un geste, s’enferma dans son hôtel et arma tous ses employés, prêt à repousser la force par la force.

À ces calamités de l’invasion, qui coûtèrent à la France 4 milliards 144 millions, la disette de 1816 et de 1817 vint ajouter ses désastres. La question des subsistances et de l’approvisionnement des villes, grave surtout pour Paris, qui renferme tant d’ouvriers, a reçu des solutions diverses sous les gouvernemens qui se sont succédé en France : chacun d’eux s’est imposé à cet égard des sacrifices dont on ne peut méconnaître l’importance. Le gouvernement consulaire, instruit par la fatale expérience des années 1793, 1794 et 1795, avait ordonné en 1803 la formation d’un approvisionnement de réserve, porté de 150,000 quintaux métriques de grains à 250,000 quintaux. La ville de Paris payait au conservateur de ces grains une prime annuelle de 450,000 francs. En 1811, par suite d’une mauvaise récolte et de l’interruption forcée du commerce maritime, le gouvernement dut faire venir par terre des grains de Hambourg : on calcula qu’il fit alors un sacrifice de 80 millions. En 1816 et en 1817, la perte sur les achats de blé, l’indemnité en argent payée aux boulangers, les sommes affectées aux indigens, entraînèrent une dépense de 60 millions. C’est par l’intermédiaire de la caisse syndicale des boulangers, créée le 15 janvier 1817, que la ville de Paris sous la restauration intervint dans cette dépense. La caisse municipale fournit à la caisse syndicale une dotation de plus de 5 millions, et remboursa 11 millions à l’état des 17 millions d’indemnité accordés aux boulangers. En définitive, de 1806 à 1830, l’approvisionnement et la caisse syndicale ont coûté 30 millions à la ville de Paris. Supprimée par l’épuisement de la réserve en 1829, la caisse de la boulangerie a reparu de nos jours à la suite de la disette de 1859 avec des innovations importantes, principalement avec le système de la compensation; mais nonobstant l’interruption, pendant près de trente ans, de ce mode d’assistance, le gouvernement ou la ville n’avait jamais cessé de subvenir aux besoins des indigens, quand le prix du blé était trop élevé[8].

La disette de 1816 et la création de la caisse de la boulangerie ajoutèrent ainsi aux 43 millions empruntés pour les fournitures faites aux troupes étrangères un nouvel emprunt de plus de 16 millions. Pour régulariser ces dettes, contractées sous diverses formes, — cotisation municipale, émission de rentes, bons à échéance, prêts du trésor, obligations sur l’encaisse du trésorier de la ville, — le préfet de la Seine, tout en obtenant quelques extinctions au moyen des ressources annuelles, proposa l’émission de 31 millions d’obligations remboursables par annuités dans l’espace de douze années. Le budget de 1817 accuse par ses chiffres l’accomplissement de cette liquidation; il s’élève en recettes tant ordinaires qu’extraordinaires à plus de 59 millions, et en dépenses à 69; mais dès 1818 l’équilibre est rétabli, même avec un léger excédant de ressources : dès lors le budget de la ville rentrait dans ses limites naturelles; du chiffre donné pour 1817, il retombait comme recettes à 34 millions en 1818, à 38 et 40 millions les deux années suivantes, à 43 millions enfin en 1823, et comme dépenses à des chiffres correspondans. Sur ces budgets annuels, la municipalité, désireuse de solder à prompte échéance toutes les dettes du passé qui n’étaient pas couvertes par l’émission des obligations de 1817, consacrait à l’amortissement une somme qui, jusqu’en 1823, ne s’éleva pas à moins de 5 millions 1/2.

Ainsi le premier soin du préfet de la restauration et du conseil municipal était de fermer le déficit causé par de récens désastres? mais, tout en s’occupant de remettre l’ordre dans les finances, il fallait ne pas laisser longtemps interrompus les grands travaux publics. Les traces de la disette ont à peine disparu que l’on pense à l’achèvement du canal de l’Ourcq et qu’on propose de l’adjuger à une compagnie particulière. En 1819, la ville prend la ferme des jeux pour en consacrer le bénéfice à des œuvres utiles. Un nouveau décime sur l’octroi, des droits de remise sur les ventes aux halles et marchés, enfin un emprunt extraordinaire de 1,200,000 francs sont affectés à la construction de la halle aux vins. L’achèvement de la Bourse nécessite aussi un emprunt spécial. Pour la première fois, on voit figurer au budget un article relatif à l’amélioration de la voie publique (élargissement de la rue des Coquilles) et à l’établissement des trottoirs. «Jusqu’à présent, dit le préfet de la Seine, on a négligé de s’occuper des gens à pied. » Le rapport de l’année suivante, 1820, mentionne un travail d’alignement général pour Paris; il s’agit d’ajouter aux rues et places une surface de 506,378 mètres carrés, estimée à 48 millions. En même temps on trouvaille moyen de dégrever les contribuables : dès 1819, la propriété foncière obtenait une réduction de 700,000 francs; sur divers articles des tarifs, la diminution n’était pas inférieure à 3 millions 1/2, et le dégrèvement ne devait pas s’arrêter là. Mais c’est en 1822 surtout qu’on voit se dessiner la pensée de l’autorité municipale, certaine enfin, sans manquer aux lois de la prudence, de pouvoir se lancer plus avant dans la voie des entreprises. Si de 1818 à 1822 les recettes de toute nature et les dépenses se sont élevées en moyenne à 39 millions, elles dépassent, de 1823 à 1829, le chiffre de 47 millions 1/2. Les dernières années de la restauration sont ainsi marquées, quant à l’administration parisienne, par un développement d’activité que de nouvelles crises politiques ne pourront plus interrompre. Ce qu’il est bon surtout de constater (en additionnant, comme nous l’avons fait pour l’époque impériale, les dépenses et les recettes de Paris de 1815 à 1830), c’est que la part faite à la bienfaisance et au travail a été considérable. De 1815 à 1830, les recettes de toute nature se sont élevées à 682 millions 1/2, et les dépenses à 684 millions 1/2, sur lesquels les hospices ont absorbé Si millions, les travaux publics 110, et la dette municipale plus de 122. En retranchant du chiffre de 684 millions de dépenses générales 70 millions pour la police, 155 millions pour les redevances de la ville envers l’état, on voit combien cette administration économe était à la fois bienfaisante et active. N’oublions pas que c’est pendant cette période que Paris a commencé à devenir une métropole industrielle et commerçante. Le mouvement qui précipita la population vers l’ouest de Paris s’est vivement dessiné alors par le morcellement de tous les grands jardins publics situés à l’extrémité occidentale de la ville, tandis que les quartiers de l’est, le Marais, le Temple, etc., se voyaient envahis par les manufactures et les industries de tout genre.

La révolution de 1830 changea plutôt la forme que l’esprit de l’administration parisienne. Au point de vue financier, elle n’eut point toutes les suites fâcheuses qu’on pouvait d’abord redouter. La ville de Paris a souvent fait la triste expérience de ce que coûte la substitution violente d’un régime de gouvernement à un autre; mais cette fois elle put sortir sans trop de peine d’une grave épreuve. Tandis que les deux invasions de 1814 et de 1815 lui avaient imposé 50 millions de dettes, les événemens de 1830 se liquidèrent au moyen d’un emprunt de 2 millions au trésor et de 3,684,000 francs à la Banque de France. Ainsi encore, tandis que la disette de 1816 et de 1817 avait entraîné le pouvoir municipal dans des dépenses de près de 20 millions, le budget de la ville en 1831 ne comprit, dans une année de cherté pour le blé, qu’une allocation de 500,000 fr. pour distribution de soupes et de pain à prix réduit, et le budget de 1832 n’eut à pourvoir que pour 1,500,000 francs aux dépenses extraordinaires nécessitées par l’invasion du choléra. Encore faut-il ajouter que les emprunts faits en 1830 au trésor et à la Banque n’eurent pas seulement pour objet d’effacer d’urgence les traces matérielles de la guerre civile, mais aussi d’ouvrir des ateliers et de distribuer des salaires.

La révolution de 1830 n’en eut pas moins, au premier moment, pour la fortune de la ville, deux résultats regrettables : d’abord la diminution de ses recettes ordinaires, qui baissèrent dans la seule année 1831 de 8 millions; puis l’atteinte portée à son crédit, car elle ne trouva pas de souscripteurs à l’emprunt de 15 millions qu’elle tenta immédiatement de négocier pour parer au déficit des revenus. Heureusement ce ne fut là qu’une secousse passagère, et dès l’année suivante, c’est-à-dire au commencement de 1832, la ville put négocier un emprunt de 40 millions en obligations remboursables en vingt ans, qui lui servit à liquider les emprunts de 1830, quelques-unes des dettes antérieures, et à consacrer 16 millions 1/2 aux grands travaux publics. Les recettes ordinaires remontèrent presque aussitôt à leur ancien niveau, et après un temps d’arrêt, sous la courte administration du comte de Bondy, qui avait déjà été préfet de la Seine pendant les cent-jours, la marche progressive reprit son élan ; un nouvel administrateur, le comte de Rambuteau, vint, pour de longues années, présider au développement d’une prospérité dont les causes méritent d’être examinées de près.


III. — LOI DU 20 AVRIL 1834. — PARIS SOUS LE REGIME DE LA LIBERTE COMMUNALE.

L’année 1834 doit compter dans l’histoire morale et politique de Paris comme une date importante. Une innovation considérable était apportée au régime municipal de la capitale, qui fut enfin appelée à élire ses conseillers municipaux. A l’exception des deux années pendant lesquelles dura l’œuvre de l’assemblée constituante, violemment détruite au 10 août 1792, ce fut la première fois que la grande cité jouit enfin de cette liberté municipale proclamée par Henri IV comme nécessaire à l’alliance du peuple avec la royauté. Sous la restauration de même que sous l’empire, les membres du conseil-général du département de la Seine, dont un certain nombre composait aussi le conseil municipal de la ville de Paris, étaient directement nommés par le chef du gouvernement. Les lois de 1831 et de 1833 sur l’organisation communale et départementale avaient rendu électives dans tout le royaume les fonctions de conseillers municipaux et de conseillers de départemens. La loi du 20 avril 1834 organisa le régime particulier de la commune, où siégeait le gouvernement central, et celui du département, qui se confondait presque avec elle. Aux termes de cette loi, les douze arrondissemens de Paris eurent à élire chacun trois conseillers, et les deux arrondissemens de Sceaux et de Saint-Denis chacun quatre. Ces quarante-quatre membres formaient le conseil-général de la Seine, et les trente-six premiers le conseil municipal de Paris. Les maires de chaque arrondissement furent nommés par le roi sur une liste de douze candidats désignés par les électeurs de l’arrondissement. Étaient électeurs dans chaque arrondissement tous les citoyens portés sur les listes dressées pour la nomination des députés, c’est-à-dire les censitaires, et en outre un certain nombre de citoyens formant ce que dans le langage de la polémique d’alors on nommait les capacités. Ainsi le droit de suffrage se trouvait assez restreint, puisqu’en ajoutant à la première liste électorale les catégories comprises dans la deuxième liste, dite du jury, le nombre des électeurs parisiens ne s’élevait pas à 17,000. Néanmoins, à en juger par le caractère des choix qui se firent sous l’empire de la loi de 1834, on doit reconnaître que les limites apportées au droit de suffrage n’enlevèrent rien à l’indépendance et à la sincérité de la représentation. Non-seulement on vit siéger au conseil municipal des hommes qui combattaient à la chambre la politique du gouvernement, mais encore les partisans des doctrines démocratiques les plus hardies et les prétendus défenseurs des intérêts des masses populaires.

Tout en accordant à la population parisienne une liberté communale efficace, quoique réduite, la loi du 20 avril 1834, qui réalisait une des promesses de la charte de 1830, n’avait pas méconnu ce que la situation particulière de la capitale nécessitait de garanties et de précautions dans l’intérêt de l’ordre et pour la sécurité de la France entière. On ne prétendait point alors que Paris n’appartient pas à ses habitans, que la capitale de l’empire appartient à tout l’empire, et par conséquence que le soin des intérêts parisiens incombe non aux habitans de Paris eux-mêmes, mais au pouvoir central, représentant général du pays. On avait tout simplement reconnu la nécessité d’appliquer à une situation exceptionnelle une organisation exceptionnelle, mais limitant le plus possible les exceptions et laissant au droit commun ce qui lui est propre. Ainsi le régime de 1834 respectait le principe commun que l’impôt doit être voté par les représentans des contribuables qui le paient, et que les contribuables doivent élire librement leurs représentans, c’est-à-dire nommer les conseillers municipaux par qui les charges de la commune sont établies. En même temps les attributions du conseil municipal n’étaient point aussi étendues à Paris que dans les autres communes, et le représentant du pouvoir central se trouvait investi de tous les moyens nécessaires pour maintenir la tranquillité de la capitale. L’administration municipale et la police avaient donc été, comme sous les régimes précédens, réservées au préfet de la Seine et au préfet de police ; les maires d’arrondissement demeuraient seulement chargés des actes de l’état civil et des bureaux de bienfaisance. On sait comment la république de 1848 détruisit l’œuvre libérale de la royauté de 1830. Depuis le rétablissement de l’empire, les lois du 5 mai 1855 et du 16 juin 1859 ont confirmé l’exception rétablie par le gouvernement républicain pour la ville de Paris ; elles appellent donc bien des réformes, si l’on veut doter Paris du régime municipal concédé à la plus petite commune de France. Sans entrer dans de longs détails à ce sujet, il suffit de rappeler que l’organisation du pouvoir municipal, de 1830 à 1848, ne créa au gouvernement royal et au pouvoir ministériel ni difficultés ni embarras ; elle ne justifia en rien les craintes qu’auraient pu inspirer à quelques esprits arriérés l’existence d’une représentation libre de la cité dans la ville où siège le gouvernement. Au reste, pour juger du mérite d’une institution, il faut la voir à l’œuvre. L’examen des recettes et des dépenses de la ville, de 1834 à 1848, montre comment l’administration municipale, sous l’empire de la loi de 1834, a pourvu aux besoins de la capitale, et quel emploi elle a fait de ses ressources.

Les recettes de la ville de Paris s’étaient élevées en 1831 à 50 millions, et en 1832 à 57, grâce aux ressources extraordinaires nécessitées par des circonstances passagères; à dater de ce moment, les recettes ordinaires ne dépassèrent plus le chiffre de 44 millions, auxquels des ressources accidentelles, provenant de ventes de terrains, ajoutèrent à peine de 2 à 3 millions. Dans chacun des budgets de cette période, les ressources et les crédits ouverts, pour les dépenses dépassent cependant, souvent même dans la proportion d’un tiers, cette somme des revenus ordinaires. Les comptes rendus au conseil municipal après la clôture de chaque exercice témoignent aussi de dépenses plus fortes; c’est qu’aux recettes ordinaires et accidentelles on doit ajouter le reliquat des crédits ouverts et non épuisés légués par les exercices antérieurs. Chaque année a laissé à celle qui l’a suivie un disponible considérable, sorte d’encaisse. permanent reporté d’exercice en exercice pour l’achèvement des entreprises extraordinaires que la ville ne cessait de poursuivre. Par ce moyen constamment pratiqué, le budget semble plus élevé qu’il ne l’était en réalité.

Après 1830 comme après 1815, la plus importante des recettes ordinaires de la ville est celle de l’octroi. Tombé à moins de 20 millions de francs en 1831, à 21 millions 1/2 en 1832, l’octroi se relève à plus de 27 millions en 1834 et atteint le chiure de 32 millions en 1837. Les variations de l’octroi reproduisent les vicissitudes de la prospérité publique : c’est, comme on l’a dit tant de fois, le thermomètre infaillible de la fortune de la ville. En 1800, l’octroi municipal produit 11 millions 1/2, et la population parisienne s’élève à 547,000 âmes. Le recensement de 1841 constate 912,000 habitans, et l’octroi fournit 32 millions. Après le recensement de 1856, qui donne 1,174,000 habitans, et avant l’extension des limites de la capitale en 1860, la dernière année de l’existence de l’ancien Paris, 1859, voit le produit de l’octroi s’élever à 54 millions. En soixante ans, la population a doublé et l’octroi quintuplé. Or l’octroi, c’est la consommation. Que représente donc ce progrès? Le progrès du travail et l’augmentation des salaires. Le taux des salaires s’est élevé en effet dans une proportion qui dépasse de beaucoup le renchérissement des denrées alimentaires. A l’exception du logement, l’habitant de Paris n’a pas vu s’accroître le prix des choses nécessaires à la vie : le livre de M. Husson sur les consommations de Paris le prouve avec évidence. Il n’y a aussi qu’à consulter les annales du commerce pour se convaincre du prodigieux essor du travail parisien et des élémens nouveaux apportés à l’activité des classes ouvrières. On se plaît trop souvent à représenter Paris comme une ville de plaisirs, une arène incessante de discordes politiques ; il faut montrer le côté laborieux et moral de sa physionomie. On a trop répété que Paris est une Babylone ou un camp : c’est aussi une ruche, ou, mieux encore, un gigantesque et magnifique atelier.

Les trois premières années du gouvernement de juillet donnent ensemble pour les recettes municipales ordinaires un total de 108 millions, et les trois dernières années s’élèvent à 139 millions; mais entre le commencement et la fin de cette période il convient de faire remarquer qu’une des recettes ordinaires de la ville avait disparu, — le produit des jeux, supprimés en 1838. L’administration des jeux avait été confiée depuis 1819 à la ville moyennant une redevance fixe de 5 millions l/2 envers le trésor. Les jeux donnaient un bénéfice plus grand, et pendant les dix-neuf années de sa jouissance la ville y trouva une ressource de près de 30 millions. La loi de finances de 1836 donna enfin satisfaction à la morale publique, et le 1er janvier 1838 toutes les maisons de jeux furent fermées. En tenant compte de cette suppression d’un revenu annuel de près de 7 millions, comme le dernier budget des recettes ordinaires préparé pour 1848 s’élève à 44 millions, et que le premier budget présenté par M. de Rambuteau n’en dépassait pas 40, c’est donc une augmentation de plus de 10 millions, soit d’un quart, obtenue pendant sa gestion. De 1830 à 1848, deux emprunts seulement vinrent accroître les ressources du budget ordinaire; encore ne doivent-ils guère être portés au compte de cette période, puisque l’emprunt de 40 millions émis en 1832 servit pour les deux tiers à payer des dettes antérieures, et que l’emprunt de 25 millions autorisé par la loi du 1er août 1847 n’était ni recouvré ni dépensé quand la révolution de 1848 éclata. L’emprunt de 1832, contrairement à la règle suivie par les administrations antérieures, étaient contracté à long terme et remboursable en 20 années : de plus, la part qui en était réservée aux travaux publics s’appliquait en bloc à toutes les entreprises projetées, au lieu d’affecter, comme précédemment, à chacune d’elles un emprunt particulier, avec un court délai pour l’amortissement.

L’accroissement des recettes permit ainsi d’élever de plus en plus le chiffre des dépenses utiles, et depuis 1834 en effet chaque budget indique une série de travaux projetés, exécutes, achevés. En examinant ces budgets, c’est jour par jour pour ainsi dire qu’on voit élargir les voies de communication, assainir les quartiers populeux, paver les rues, établir les trottoirs, creuser les égouts, distribuer l’eau et enfin embellir la cité. Le résumé de ces travaux se trouve dans le rapport sur un projet d’emprunt pour la ville de Paris fait par M. Arago, un des plus célèbres adversaires du gouvernement de juillet. L’emprunt, dont il s’agit, présenté pour construire les halles centrales, cette Bourse du peuple, selon l’expression de M. Arago, rappelle, par les noms des orateurs qui soutinrent et attaquèrent cette mesure, une de ces dissidences fatales, dont les événemens de 1848 furent la triste conséquence : le projet de loi, présenté par M. le comte Duchâtel, ministre de l’intérieur, était soutenu par M. Arago, l’un des futurs membres du gouvernement provisoire, tandis qu’il était combattu par M. Duffaue et M. Lacave-Laplagne, peu de jours encore auparavant ministre des finances, dans le cabinet que présidait M. Guizot.

Le programme, présenté en 1834 au premier conseil municipal élu et le rapport de M. Arago en 1847 à la chambre des députés, voilà deux documens qu’il suffit de rapprocher pour se rendre compte de l’importance des travaux qui se sont accomplis pendant treize ans sous l’empire, du régime libéral appliqué à l’administration parisienne. Le préfet de la Seine en 1834 indique au conseil municipal et à la spéculation privée les grandes entreprises qu’il faut mener à bien dans l’intérêt de la circulation et de la salubrité. En 1847, M, Arago apprécie les résultats obtenus ; il récapitule ; le nombre des égouts creusés, des trottoirs établis, des rues pavées ouvertes et élargies, des lits d’hôpitaux créés ; mais de tous les grands travaux exécutes alors, ceux qui frappèrent le plus l’attention publique furent l’élargissement des rues, la plantation des quais et l’achèvement de la distribution des eaux. Quand en se reporte aux antécédens de cette question de la distribution des eaux, agitée depuis Henri IV, abordée seulement sous Napoléon Ier, aujourd’hui à peine résolue, quand on énumère tous les efforts et qu’on relève toutes les dépenses multipliées pour disposer de 7,390 pouces d’eau de diverses provenances donnant, environ 148 litres d’eau à chaque habitant, c’est-à-dire plus du double de ce qu’on en distribue à Londres, et qu’on se rappelle l’état de Paris sous ce rapport au commencement du siècle, on est vraiment pénétré de reconnaissance pour les administrateurs qui ont obtenu un pareil résultat, et en particulier pour ceux qui, depuis 1831, ont porté presque au double la quantité d’eau disponible, 148,000 mètres cubes contre, 86,000.

Sous le rapport de la salubrité et de la circulation, il est permis de dire aussi qu’à partir de 1834 Paris entra dans une ère toute nouvelle. La préfecture de police par exemple se conduisit en véritable émule de la préfecture de la Seine, et c’est de cette époque que date le service du nettoiement, de l’arrosement et de l’éclairage au gaz des rues. L’accroissement du budget de la préfecture de police, qui de 7 millions à peine en 1831 s’est élevé jusqu’à près de 11 millions en 1847, montre l’étendue des sacrifices de la ville de Paris[9]. On a certainement beaucoup fait depuis quinze ans pour la sécurité des habitans et ce qu’on peut appeler les soins hygiéniques de la ville ; mais on n’a pas obtenu des résultats comparativement aussi grands que ceux de l’époque dont il s’agit par rapport aux époques antérieures. Pour n’en citer qu’un exemple, prenons l’éclairage. Le budget de 1846 contient encore, il est vrai, l’allocation nécessaire à la fourniture de 5,177 becs d’huile ; mais déjà la substitution du gaz, opérée presque partout, donnait à la capitale cet aspect nocturne qu’on qualifiait de féerique. La barrière de l’Etoile, la place de la Concorde, les quais, les boulevards, se dessinaient déjà la nuit par ces brillantes guirlandes que de nos jours on a multipliées partout. Le Paris de 1847 pouvait donner l’idée de celui de 1863, il laissait bien loin derrière lui le Paris de 1830.

Enfin on ne saurait omettre dans cette récapitulation ce qui complète l’œuvre de toute édilité jalouse de bien faire, à savoir l’érection des grands ouvrages d’art et l’achèvement des monumens historiques légués par les générations passées à l’admiration et au patriotisme par la municipalité de Paris aux édifices du culte, il ne faut pas oublier ce qu’elle fit pour l’arrangement définitif des Champs-Elysées, de la place de la Concorde, et surtout pour l’agrandissement de l’Hôtel-de-Ville. Cette dernière entreprise, votée en mars 1836 avec une prévision de 6 à 7 millions de dépenses, atteignit un chiffre presque quadruple, et ne nécessitait plus aucune allocation dans la dernière année d’un règne dont elle fixera surtout le souvenir sur le sol de Paris.

En retraçant les transformations dont Paris est redevable à l’administration municipale de 1830 à 1848, on ne peut laisser de côté les travaux entrepris au compte même de l’état et les crédits ouverts par les chambres pour tous les monumens qui décorent la capitale ; l’ensemble de ces crédits s’est élevé à 216 millions, et s’appliquait aux œuvres les plus diverses, depuis le tombeau de l’empereur Napoléon Ier aux Invalides jusqu’au monument de Molière. La plus coûteuse entreprise de ce temps fut la construction des fortifications de Paris ; on doit se souvenir qu’on a beaucoup blâmé alors l’administration municipale, de n’avoir pas profité de cette occasion pour réaliser en 1842 l’annexion de 1859. Prise en 1842, une telle mesure eût arrêté sans aucun doute le mouvement qui la justifia dix-sept ans plus tard. Les communes suburbaines ne se formèrent autour de l’ancien mur d’enceinte que parce qu’elles étaient encore voisines du centre de la grande ville. Obligés, pour fuir l’octroi, de laisser entre elles et les parties habitées de Paris de larges espaces déserts reculés jusqu’aux murs de fortifications, elles auraient été très certainement retenues dans leur prodigieux essor.

Ainsi de 1830 à 1848 l’autorité municipale n’a rien négligé pour l’amélioration matérielle de la ville. A-t-elle été moins soucieuse des améliorations morales ? Ici encore quelques chiffres serviront de réponse.

La subvention fournie par la ville aux hospices a varié d’année en année, parce que cette subvention doit combler le déficit du budget particulier des hospices, et que les revenus de ces établissemens ne sont pas immuables. Le chiffre de la subvention n’implique donc pas une sollicitude plus ou moins grande envers les besoins des hospices. M. de Saint-Léon, dans son tableau comparatif des dépenses de la ville de 1821 à 1830 et de 1830 à 1840, a établi que la subvention des hospices dans ces deux périodes a été comme 11 est à 12. De 1840 à 1848, elle s’est toujours accrue : en 1847, elle s’élevait au chiffre de 7 millions 1/2 ; elle n’était que de 5 millions en 1841 ; mais pour faire la part entière de ce que ce service nécessitait de dépenses, il faut comparer aux diverses époques les revenus des hôpitaux et des hospices et en déterminer l’emploi. En 1810, les ressources des hôpitaux, y compris la subvention municipale, montaient à 9 millions, en 1830 à 11, en 1840 à 12,250,000 francs. Quant à l’emploi des revenus, on trouve, pour ne parler que du traitement des maladies, qu’en 1810 et en 1820 le nombre des malades soignés dans les hôpitaux ne s’élevait pas à plus de 43,000 ; en 1830, il est de 60,000 et de 85,000 en 1847. Le nombre des lits, qui en 1803 ne dépassait pas le chiffre de 3,475, atteint celui de 5,700 en 1847. À cette même date, un nouvel hôpital devant contenir 600 lits, s’achevait près de l’église Saint-Vincent-de-Paul. Dans les derniers jours du gouvernement de 1830, l’administration supérieure des hospices donnait ses soins à quinze grands hôpitaux, quatre grands hospices, sept maisons de retraite pour 10,000 vieillards et infirmes, à 36,000 ménages, composés de 85,000 personnes qu’il fallait- secourir et visiter à domicile, à 20,000 enfans recueillis et à 20,000 convalescens après leur sortie des hôpitaux. L’accroissement de la population avait amené cet accroissement dans le nombre des individus secourus, et aujourd’hui le chiure atteint 160,000 depuis que, par suite de l’annexion des communes suburbaines, la population de Paris elle-même s’est élevée à plus de 1,700,000 habitans.

Toutefois ce que ces rapprochemens offrent de remarquable, c’est que comparativement le nombre des individus secourus a toujours été en s’affaiblissant. En 1804, le nombre des indigens était évalué à 87,000 et en 1813 à 102,000 pour une population de 547,000 habitans. Le recensements de 1844 a donné seulement 66,000 indigens inscrits aux bureaux de bienfaisance sur une population de 912,000 hommes. Nous venons de voir qu’en 1848 le chiffre des pauvres secourus, des vieillards, des enfans recueillis dans les hospices, s’élevait à 135,000 dans une agglomération de 1,155,000 âmes. En 1860, il est de 16.0,000 pour 1,700,000 habitans[10]. Soit donc que l’on considère seulement la quantité des pauvres secourus par les bureaux-de bienfaisance, ou tout ensemble celle des pauvres, des vieillards et des enfans recueillis, on voit qu’il n’y a pas augmentation dans le rapport des malheureux avec la population, et c’est là un fait qu’il importe de faire ressortir. Sans aucun doute, il y a lieu de regretter que, sur 170 habitans, 16 se trouvent encore dans la nécessité de recevoir des secours officiels, d’autant plus que ce chiffre, qui ne comprend pas même les malades temporairement traités aux hôpitaux, ne peut foire présumer la quantité de toutes les misères secourues par la charité privée; mais cette diminution du nombre des individus assistés prouve inévitablement l’une ou l’autre de ces deux hypothèses : ou l’aisance générale s’est considérablement accrue, ou les habitudes de charité privée, en se répandant, ont laissé moins à faire à la charité publique. La quotité des legs laissés aux hospices, les fondations pieuses, les sociétés de charité religieuses ou laïques, si multipliée de nos jours, ne permettent point de douter que ce second résultat n’ait été acquis, et il faut peut-être s’en réjouir au moins autant dans l’intérêt de la société, comme preuve de l’union entre les diverses classes, que si la misère elle-même avait en général diminué d’intensité.

Pour compléter les résultats de la gestion du conseil des hospices, il faudrait enfin énumérer les améliorations introduites dans le régime alimentaire et hygiénique de tous les établissemens qui lui étaient confiés. Les faits ont donc entièrement justifié l’organisation donnée en 1802 à cet important service ; mais la loi du 10 janvier 1849 l’a encore perfectionné en substituant à la commission exécutive un directeur général de l’assistance publique, responsable sous la surveillance du conseil, qui a quitté le nom de conseil général pour prendre celui de conseil de surveillance, plus conforme à ses attributions. L’exercice du pouvoir exécutif sous forme collective avait depuis longtemps, en cette matière comme en tout autre, présenté des inconvéniens auxquels la nouvelle organisation a sagement pourvu, et le progrès réalisé est d’autant plus important que le budget de l’assistance publique, y compris les 9 millions de la subvention de la ville, s’élève aujourd’hui à 30 millions.

Parmi les établissemens de charité qui sous le gouvernement de 1830 ont reçu le plus de développement, il ne faut pas oublier la caisse d’épargne, dont les nombreux et importans dépôts prirent une telle importance qu’on s’attacha plusieurs fois à la réduire, le mont-de-piété, réorganisé en 1831, et dont les prêts, pour plus de moitié inférieurs à 10 fr., se multiplièrent si vite, enfin les crèches et les salles d’asile, objets de l’ordonnance royale de 1837. C’était en 1801 que Mme la marquise de Pastoret avait créé la première salle d’asile à Paris.

Mais c’est surtout en ce qui intéresse le développement de l’instruction publique que l’administration municipale sous le gouvernement de 1830 laissa bien loin derrière elle toutes celles qui l’avaient précédée. Les dépenses qu’elle s’imposa pour l’enseignement primaire sont à celles qui furent acquittées sous la restauration pour le même objet comme 140 est à 14. En même temps les sacrifices de la ville pour les bibliothèques et les musées avaient doublé. Si les allocations relatives à l’instruction secondaire et aux collèges demeuraient à peu près les mêmes, c’est que l’instruction secondaire restait à la charge de l’état, tandis que les communes prenaient la plus grande part aux dépenses de l’instruction primaire. En 1814, le budget municipal contient pour l’instruction primaire un chiffre de 82,600 fr.; il s’élève en 1830 à 140,000 fr.; en 1847, il est à près de 1,100,000.

Trente ans se sont déjà presque écoulés depuis que M. Guizot dota la France de cette grande loi de 1833 qui marqua un milieu si sage entre le système de l’éducation gratuite de 1791 et les doctrines de la droite monarchique de la chambre de 1819, et l’on peut regretter sans doute que dans toutes les communes de l’empire les bienfaits de cette législation ne soient pas encore entièrement répandus; mais, en ce qui regarde Paris, les chiffres ont une éloquence irrésistible et dispensent de tout commentaire. Dès que la loi de 1833 eut donné satisfaction à l’opinion publique, aux réclamations des classes supérieures comme à l’impatience trop longtemps méconnue de la population ouvrière, comité central, comités locaux ou d’arrondissement, conseil municipal, représentons du gouvernement, tous s’efforcèrent à l’envi d’améliorer ce qui existait et d’étendre autant que possible les créations nouvelles. En 1830, il existait à Paris trois sortes d’écoles d’origines différentes, appliquant des méthodes variées; on discuta longuement ces méthodes d’enseignement individuel, simultané et mutuel; sous l’aiguillon de la concurrence, l’autorité municipale multiplia les salles d’asile et les écoles primaires, reprit aux hospices les écoles de filles, annexes des bureaux de bienfaisance, et les fit participer aux améliorations apportées dans l’instruction primaire des jeunes garçons. A côté de ces écoles, on fonda les classes d’adultes, les ouvroirs, les classes spéciales de dessin, les écoles primaires supérieures. Tandis que les frères de la doctrine chrétienne, soumis enfin à la mesure du brevet de capacité, continuaient de distribuer gratuitement l’enseignement simultané, le conseil municipal, pour élever le niveau de l’enseignement mutuel, créait ces grands établissemens modèles du faubourg du Roule, de Saint-Merry, des Bernardins, celui de la rue de Charonne, supérieur à tous les autres. L’institution de l’Orphéon, dont la méthode fut si promptement popularisée, révéla à la France une aptitude qu’elle ne se connaissait pas encore. Enfin les écoles communales supérieures achevèrent l’œuvre dont nous signalons l’origine et les progrès rapides. L’école de Saint-Laurent date de 1839 : pour une rétribution mensuelle de 13 francs, on peut, en trois ou six ans d’études, y acquérir une sérieuse instruction professionnelle. L’école François Ier fut ouverte en 1844 par suite d’une sorte de transaction entre les opinions du conseil municipal et celles des autorités universitaires au sujet de la fondation d’un nouveau collège dans les quartiers du nord de Paris. La création de ces écoles supérieures, auxquelles il faut joindre l’école de jeunes filles du passage Saint-Pierre, rue Saint-Antoine, entraînait de lourdes dépenses annuelles en raison du nombre des bourses que le conseil municipal accordait sur concours. Depuis lors, le collège municipal Chaptal et l’école Turgot ont remplacé avec avantage les deux écoles dont il vient d’être question, et l’enseignement professionnel a pris, grâce aux cours de toute sorte ouverts dans les années suivantes, un développement considérable, en harmonie avec les progrès de l’industrie parisienne.

La loi de 1833 sur l’instruction primaire et la loi de 1834 sur l’organisation municipale de Paris restant les deux actes les plus mémorables de la période si brusquement close par la révolution de février 1848 ; ils en résument l’esprit, ils en sont le principal honneur. Les deux régimes qui l’avaient précédée s’étaient préoccupés surtout des intérêts matériels de la ville. L’empire lui rendit la sécurité et projeta des embellissemens dignes de la première capitale du continent. Le comte Frochot créa les finances municipales, et laissa un budget de recettes qui, de 12 millions, s’était élevé à 23 millions dans un espace de douze ans. La restauration, supportant sans faiblir les charges de son origine, n’émit que 31 millions d’annuités, dont les dernières étaient remboursées en 1829 : elle sut réparer les maux du passé, continuer les œuvres utiles et préparer l’avenir. Le gouvernement de juillet tint une conduite financière aussi sage, puisqu’il vit les ressources municipales s’accroître dans une forte proportion, et n’eut qu’une fois recours au crédit pour des travaux sans précédens jusqu’alors, parmi lesquels l’achèvement de l’Hôtel-de-Ville figure en première ligne ; mais au-dessus des améliorations matérielles il sut poursuivre et réaliser une amélioration politique et intellectuelle sans laquelle les premières ne sont ni enviables ni de longue durée. Le mérite en revient tout entier au système d’organisation municipale inauguré, par la loi de 1834, et c’est là ce qui assure à la dernière de ces trois périodes une supériorité réelle sur les deux précédentes.

Toutefois, bien que le gouvernement de juillet ait le premier inauguré un régime municipal en complète harmonie avec les institutions libérales de l’époque, il serait injuste de méconnaître l’influence exercée par l’opinion publique même sous le gouvernement de la restauration. Non-seulement ce gouvernement se montra scrupuleux dans le choix des conseillers municipaux, mais, en dépit des obstacles apportés à la liberté de la presse, l’esprit public du moment, les préoccupations libérales qui agitaient le pays tout entier pénétrèrent dans le conseil de Paris comme partout ailleurs, et la ville fut à peu près administrée dans le sens de ses véritables désirs. Il n’en faut pas moins regretter que dans le conseil municipal d’une ville où les intérêts industriels et commerciaux sont de premier ordre, où les questions de travaux publics et d’améliorations veulent être débattues par des hommes spéciaux, la restauration ait fait une part excessive à l’élément aristocratique. On y voyait figurer à peine deux ou trois noms de négocians, tandis que la majorité était formée de grands seigneurs que leurs habitudes de vie provinciale rendaient presque étrangers à la capitale. Quelque honorable que fut leur caractère, on ne pouvait attendre d’eux toute l’initiative et l’esprit de progrès qui distinguèrent leurs successeurs. Sous la restauration, on peut le dire, la gestion des intérêts de Paris n’appartenait point encore aux Parisiens. La législation de 1834, tout au contraire, a créé dans Paris une puissance appartenant à la localité, une vraie noblesse municipale, jalouse de s’élever et de s’illustrer dans la pratique des affaires de la ville. Ce qu’était l’ancien échevinage avant la révolution de 1789 par la faveur royale ou la vénalité des charges, le régime de 1830 l’a restauré, en l’améliorant, par la liberté. Avant et depuis cette date, beaucoup de citoyens recommandables se sont fait honneur d’accepter des fonctions municipales ; mais on peut affirmer que les membres des conseils directement nommés par le gouvernement à toutes les époques n’ont fait pour la plupart qu’apporter secondairement et passagèrement au service de la commune des aptitudes et une notoriété acquises dans d’autres fonctions, tandis que, sous l’empire de la loi de 1834, gérer les affaires municipales longtemps, et sans autre visée ultérieure, était la principale préoccupation de cette intelligente bourgeoisie.


IV. — ADMINISTRATION DE LA VILLE DEPUIS 1848. — ABROGATION DE LA LOI DE 1834.

La domination éphémère de la seconde république tient peu de place dans l’histoire des finances et des travaux de la ville de Paris, et l’on aura bientôt résumé les souvenirs qui se rattachent à cette période de trois années. Le budget contre-signé en 1849 par M. Recurt n’offre en effet rien de saillant qu’un article qui, sous la simple indication de dépenses imprévues, affecte une somme de 10 millions à la solde et à la nourriture des citoyens armés, à l’entretien et à la destruction des barricades, enfin au paiement de tous les dégâts matériels qu’entraînent les luttes civiles. On sait aussi que le gouvernement provisoire avait décrété une diminution des droits d’octroi sur les liquides, mais l’assemblée constituante rétablit au bout de quelques mois les droits suspendus, et M. Berger, successeur de M. Recurt, retrouva les dépenses et les recettes municipales au taux où les-avait laissées l’administration de la monarchie constitutionnelle. Enfin dès le 5 août 1848 il avait fallu préparer un projet de loi pour modifier les conditions de l’emprunt de 25 millions applicable à la construction des halles centrales, et qui avait été autorisé par la loi du 1er août 1847. Aucune portion de cet emprunt n’était encore réalisée quand éclata la révolution de février ; l’émission était désormais impossible aux mêmes conditions, et l’assemblée constituante dut élever le taux de l’intérêt et autoriser un traité provisoire entre la ville et la Banque de France, qui se chargeait de faire une avance de 10 millions à la caisse municipale. Il n’y avait plus d’ailleurs à songer en ce moment à la construction des halles centrales, et les ressources de l’emprunt devaient servir à solder le compte des dépenses occasionnées par la révolution.

L’ordre se raffermit, et en 1851 M. Léon Faucher, ministre de l’intérieur, présenta à l’assemblée législative un projet de loi pour autoriser la ville de Paris à emprunter 50 millions en obligations de 1,000 francs, comme dans le précédent emprunt de 25 millions. Il ne s’agissait plus seulement cette fois des halles centrales, mais encore d’une entreprise vue favorablement par l’opinion publique, du prolongement de la rue de Rivoli. Ainsi, dans l’espace de trois ans, la ville avait dû emprunter 75 millions, tandis que de 1830 à 1848 elle n’avait eu recours au crédit que pour la somme de 40 millions. Le budget présenté en 1847 s’élevait, en dépenses et en recettes, à 46 millions ; le budget pour 1853 en dépasse à peine 47, mais déjà le service de la dette municipale absorbe à lui seul 8 millions 1/2 ; il n’était en 1847 que de 4,592,000 francs. Le résultat de ces trois années s’accuse ainsi nettement, et l’on voit que, sous le rapport de la situation financière non plus qu’au point de vue de son autonomie communale, perdue au lendemain de février et non encore recouvrée, Paris peut sans ingratitude garder un médiocre souvenir de cette courte période de son histoire administrative.

L’année 1853 ouvre une ère toute nouvelle, presque sans analogie avec le passé. Attaqué pour ainsi dire sur tous les points à la fois, ce vieux Paris, dont nous avons esquissé le tableau au début de cette étude, disparaît avec une prodigieuse rapidité pour faire place à une nouvelle ville dont, il y a quinze ans seulement, on n’eût pas même osé rêver la magnificence. Il est loin de notre pensée de méconnaître la grandeur de l’œuvre et la puissante activité qu’on y déploie ; mais, avant de tracer le tableau de ce grand développement matériel, nous voudrions d’abord en étudier les causes, signaler les dangers d’un entraînement excessif, et montrer la nécessité, d’un contrôle efficace et modérateur. Il faut bien reconnaître en effet que cette immense impulsion n’est point due seulement au retour de la prospérité et au cours régulier des choses ; des mesures législatives ont contribué à précipiter le mouvement : on voit que nous voulons parler du nouveau régime administratif de Paris et des changement introduits dans le système d’expropriation pour cause d’utilité publique.

Les lois les plus récentes concernant l’administration de la ville de Paris sont la loi du 5 mai 1855, qui n’a fait pour ainsi dire qu’homologuer le décret du gouvernement provisoire de 1848, et la loi du 16 Juin 1859, dont le principal objet a paru être, en rendant à la commission municipale instituées par la république l’ancienne dénomination de conseil municipal de Paris, de donner un caractère définitif à ce qu’on aurait pu considérer encore comme provisoire. À ces deux lois il faut ajouter les décrets du 23 mars 1852 et du 9 janvier 1861, qui ont considérablement étendu les attributions du préfet de la Seine. Le résultat de cet ensemble de dispositions, législatives est la concentration la plus complète des pouvoirs dans les mains du préfet et la subordination du conseil municipal à son autorité.

Depuis l’extension des limites de Paris, qui de douze a porté à vingt le nombre des arrondissemens, le conseil municipal est formé de soixante membres, nommés directement par le chef de l’état en vertu des lois des 5 mal 1855 et 16 juin 1859. Huit membres, ajoutés en plus pour Sceaux et Saint-Denis, composent le conseil-général du département de la Seine. Avec les deux conseils, le préfet du département, à la fois maire de Paris et préfet de la Seine, le préfet de police et les maires et adjoints complètent ce que dans son ensemble on appelle le corps municipal. Cette organisation répond au principe conservateur reconnu par la loi de 1834, la concentration des attributions municipales dans la main d’un délégué du pouvoir central en raison de la situation exceptionnelle de la commune de Paris ; mais pour sauvegarder l’ordre général était-il nécessaire à Paris de sacrifier le principe libéral qui, dans toutes les communes de l’empire, appelle les contribuables à nommer ceux qui votent l’impôt, et de porter une si visible atteinte au principe fondamental du gouvernement lui-même?

On a essayé, il est vrai, de prouver que ce n’est point par dérogation à la loi commune du suffrage universel qu’on enlève aux citoyens de Paris un droit exercé par les habitans de la plus petite commune de France, et l’on a trouvé une formule commode pour justifier cette situation anormale : on prétend que Paris n’appartient point aux Parisiens, et que la capitale appartient a tout l’empire. On a seulement oublié dans cette argumentation que, sans être la capitale de la France, Lyon est soumis au même régime que Paris. il faut, sans chercher des formules vaines, se contenter, pour défendre l’organisation actuelle, du seul argument sérieux, celui de la situation exceptionnelle de Paris, qui justifie un régime exceptionnel. Que la situation de Paris comme siège du gouvernement, comme centre d’attraction pour tant de voyageurs et tant d’ouvriers nomades ou sédentaires exige en une certaine mesure des modifications restrictives dans son régime municipal comparé à celui des autres communes, cela n’est pas douteux. Non-seulement l’exercice des pouvoirs municipaux est avec raison concentré dans les mains d’un délégué direct du. gouvernement, mais il serait peut-être dangereux d’abandonner à l’unique influence de l’élément capricieux qui prévaut dans le suffrage universel l’élection des conseillers qui ont à voter l’impôt et à donner leur approbation au budget. Il est toutefois permis de se demander s’il n’existe pas un moyen efficace de concilier les principes de conservation et l’esprit de liberté en faisant disparaître une anomalie blessante pour une ville comme Paris et attentatoire au suffrage universel. En dehors de sa population flottante, Paris réunit de vastes et nombreuses agglomérations d’intérêts distincts, sortes de corps collectifs ayant leur caractère propre, dont la représentation, par un mode particulier à chacun d’eux, constituerait un ensemble plus sincère, plus conforme à la nature des choses que le système du vote commun, où de la mêlée confuse de tous ces élémens un seul sortirait victorieux. Les gouvernemens qui se sont réservé la nomination directe des conseillers municipaux ont attesté par leurs choix ces diversités d’intérêts, et on leur doit cette justice de reconnaître qu’ils ont cherché à leur donner satisfaction, Le premier empire et la restauration ont admis pour règle constante, afin que le conseil municipal représentât ces diverses catégories, de choisir, à côté de négocians, d’industriels et de propriétaires, des magistrats, des membres de l’université, des artistes et des ingénieurs. Cette sage pratique montre la voie qu’il faut suivre et ce qu’on doit demander à l’élection. Ainsi, à côté des députés élus par le suffrage universel, qui, par une disposition exceptionnelle facilement justifiée, pourraient cumuler avec le mandat de député celui de conseiller municipal, pourquoi ne pas demander aux électeurs du tribunal de commerce d’élire des représentans des besoins commerciaux, et aux électeurs du conseil des prud’hommes de choisir les délégués de l’industrie ? Pourquoi l’Institut, le conseil de l’Université, celui des ponts et chaussées, les cours de justice, ne désigneraient-ils pas quelques-uns de leurs membres chargés de défendre les intérêts des sciences, des lettres, des arts, et de représenter les aptitudes spéciales dont l’absence serait si préjudiciable dans les délibérations du corps municipal ? Enfin il est une disposition générale à toutes les communes de l’empire, introduite depuis la loi du 15 mai 1818 et toujours maintenue, dont l’application ne présenterait à Paris aucun inconvénient. Dans certains cas, la loi municipale adjoint aux membres des conseils municipaux un nombre proportionnel des habitans les plus imposés. Qui empêcherait, en laissant soit aux plus fort imposés, soit même au gouvernement le soin de désigner quelques-uns d’entre eux, d’admettre en permanence au conseil de Paris les représentans de la grande propriété?

Il serait d’autant plus nécessaire de rendre à tous ces intérêts divers leur part légitime d’influence dans le conseil municipal, que le décret du 9 janvier 1861 est venu aggraver encore le caractère exceptionnel du régime administratif de Paris. En augmentant les pouvoirs du préfet de la Seine, en l’affranchissant, dans beaucoup de cas, du recours nécessaire à l’autorité supérieure du ministre de l’intérieur, dont le décret du 24 mars 1852 avait maintenu le contrôle sur de si graves intérêts, le décret du 9 janvier 1861 a créé une. omnipotence inconstitutionnelle, que les modifications apportées aux lois relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique arment encore d’un nouvel et plus redoutable instrument.

Avant la révolution de février, l’expropriation pour cause d’utilité publique était régie par la loi de 1841, la dernière et la plus complète qui eût été promulguée sur cette importante matière. A cette époque, l’expropriation semblait une cause de ruine contre laquelle ceux qui s’y trouvaient soumis luttaient jusqu’au dernier moment au préjudice de l’achèvement des travaux réclamés par un besoin public. De nos jours au contraire, l’expropriation est devenue généralement une bonne fortune, et l’administration n’a plus à combattre contre de longues résistances. Le mal aujourd’hui ne réside qu’en un point, mais il est grave, la facilité avec laquelle l’utilité publique est déclarée, et par conséquent l’expropriation rendue possible. La loi de 1841, pas plus que les lois antérieures, ne définissait l’utilité publique; il était établi cependant que l’expropriation ne peut être employée qu’après impossibilité démontrée d’exécuter autrement un travail déterminé, et l’article 3 contenait la nomenclature de ces travaux d’utilité générale intéressant l’état, les départemens et les communes, qui peuvent donner lieu à expropriation, mais seulement en vertu d’une loi. Le régime de l’ordonnance royale était réservé à des entreprises de minime importance. L’autorité municipale n’avait d’action que pour l’élargissement des rues par voie d’alignement. Proposer une loi, la discuter devant les chambres avec une presse toujours éveillée, c’était entourer de garanties suffisantes l’éviction des propriétés particulières.

Dès 1850, une innovation grave en ce qui concerne les travaux dans Paris fut introduite par la loi du 13 avril sur les logemens insalubres. L’article 3 autorisa la ville à exproprier non-seulement la totalité des immeubles compris dans le périmètre des travaux qui pourraient être rendus nécessaires pour cause d’insalubrité permanente, mais encore les portions de ces immeubles restées en dehors de l’alignement. La loi de 1851, qui autorisa le prolongement de la rue de Rivoli, rendit spécialement applicable à l’ouverture de cette rue la disposition précédente, complétée par deux articles de la loi de 1807 sur le dessèchement des marais; l’un concernait l’élargissement des rues dans les villes, l’autre permettait non-seulement d’exproprier les parties de terrain restées en dehors de l’alignement par suite d’expropriation, mais encore l’immeuble contigu à ces parcelles, quand le propriétaire voisin refuserait de les acquérir. Celui-ci pouvait être soumis à l’expropriation pour l’ensemble de sa propriété, et on lui appliquait le principe de la plus-value. Ces prescriptions de 1851, particulières à l’ouverture de la rue de Rivoli, le décret du 26 mars 1852 les rendit enfin applicables, à toutes les voies nouvelles.

Ainsi dans les villes et surtout à Paris, la constatation de l’utilité des grands travaux se fait par décret rendu sur la proposition du préfet, et l’expropriation en est la conséquence, dans les limites étendues qu’on vient de voir, sans qu’il y ait aucun recours en ce qui concerne la déclaration d’utilité publique. De récens arrêtes rendus par le conseil d’état au contentieux montrent, il est vrai, qu’on a pu utilement repousser les décisions du préfet de la Seine en déclaration d’insalubrité de parcelles restées hors de l’alignement; mais quant à l’ouverture des rues, à la suppression des anciens quartiers, à la création des nouveaux, pour tous ces travaux enfin d’une bien autre importance que ceux dont la loi de 1841 abandonnait l’autorisation à l’ordonnance royale, on peut dire qu’avec l’organisation actuelle du conseil municipal le préfet de la Seine est omnipotent. En remettant au souverain le pouvoir de déclarer par simple décret, sauf quand l’état accorde un subside, l’utilité des grands travaux, qui faisaient auparavant l’objet d’une loi, le sénatus-consulte de 1852 a complété le système d’expropriation actuel, qui dépasse singulièrement, et non sans dommage pour les principes conservateurs, le but que s’étaient proposé les auteurs de la loi de 1841.

La concentration du pouvoir administratif, le facile maniement de l’expropriation, telles sont donc les deux forces qui ont permis au préfet de la Seine d’accomplir cette grande ouvre de la réédification de Paris; mais, sans un contre-poids suffisant, l’action de ces forces a-t-elle été suffisamment ménagée, et, tout en rendant justice à l’ensemble de l’œuvre, ne pourrait-on contester l’utilité de beaucoup de parties et trouver quelque imprudence dans l’excessive rapidité de l’exécution? Ces réserves maintenues, il faut avouer que le développement de la prospérité publique a puissamment secondé l’initiative de l’administration. Le merveilleux accroissement des recettes a favorisé et même surexcité la progression de plus en plus rapide des dépenses. Dans ce budget de la ville de Paris démesurément grossi, on doit distinguer d’abord les dépenses ordinaires et obligatoires de la ville; pour celles-ci, les ressources annuelles suffisent, et au-delà. Quant aux grands travaux de transformation, dont les générations futures recueilleront le bienfait, il a fallu grever l’avenir en demandant les ressources nécessaires au crédit. Chacune de ces catégories de recettes et de dépenses appelle donc un examen séparé.


V. — RECETTES ET DEPENSES ANNUELLES DE 1853 A 1863. — RECETTES ET DEPENSES SPECIALES. — EXTENSION DES LIMITES DE PARIS.

Le budget de 1853 se présentait avec 47 millions de recettes et de dépenses annuelles. Le budget de 1863 se compose de 117 millions de recettes ordinaires et de 12 millions de recettes extraordinaires, ensemble 129 millions. Toute l’histoire des dix années se résume dans ces chiffres. Entre la première et la dernière, il est vrai, l’extension des limites de Paris a eu lieu ; les communes suburbaines ont versé dans les murs de la capitale une population de près de 500,000 consommateurs contribuables (dans le recensement de 1856, la population des communes annexées est portée à 351,000 âmes, dans le recensement de 1861 à 518,000). L’octroi, dès la première année de l’annexion, a bénéficié de 19 millions. La situation a donc été modifiée, et les points de comparaison ne sont plus les mêmes ; mais, si l’on se reporte au dernier budget de la ville avant l’annexion, à celui de 1850, on trouve que les recettes ordinaires montent au chiffre de 73 millions et les recettes extraordinaires à 4, ensemble 77 millions, chiffre déjà bien supérieur à celui de 1853. En comprenant dans les recettes annuelles ce qu’on appelle les recettes extraordinaires, qui ne sont en général que des rentrées sur des ventes antérieures de propriétés, on peut suivre année par année cette progression vraiment remarquable. Le budget de 1854 porte les recettes à 55 millions, celui de 1856 à 62, celui de 1857 à 65, celui de 1858 à 70, le budget enfin de 1859 à 77.

En outre, dans chacun des comptes rendus à la clôture de l’exercice, les prévisions de ces mêmes budgets se trouvent dépassées : les recettes constatées sont supérieures aux recettes prévues de 5 millions en 1856 et en 1857, de 2 millions en 1858, de 6 millions en 1859. L’octroi, les locations d’emplacemens sur la voie publique, les eaux, les marchés, les halles, etc., tous les éléments du revenu se sont développés avec une merveilleuse facilité. L’octroi seul, dans le budget de 1850, dépasse le chiffre total du budget de 1853 : il est évalué à 48 millions, et en réalité il en donne 54 ; après l’annexion, le chiffre prévu pour l’octroi monte à 66, et dans le compte de l’exercice 1860, arrêté en 1861, la recette constatée dépasse 73 millions. Dans les comptes arrêtés de 1861, l’octroi atteint 76 millions. Pour 1863, le chiffre prévu est de 78 millions[11]. Une pareille progression dispense de tout commentaire, et ce n’est pas trop de dire que, pendant cette période, l’histoire de la ville offre le spectacle d’un mouvement qui éclate, et semble, le produit d’une force en quelque sorte comprimée et se faisant violemment issue plutôt que la suite du progrès régulier et modéré des périodes antérieures.

Si maintenant on rapproche du chiffre de ces recettes annuelles le montant des ressources spéciales dont on verra la création successive, et si l’on ajoute aussi au budget ordinaire le reliquat des budgets antérieurs compris sous le nom de recettes supplémentaires, on arrive à un ensemble de ressources qui donne encore une plus haute idée de l’œuvre à laquelle préside l’administration municipale. En prenant par exemple le compte du premier exercice réglé par M. Haussman, celui de 1854, on voit qu’il se composait de 61 millions de recettes ordinaires constatés, de 29 millions de reliquat des exercices précédens, et de 44 millions de fonds spéciaux appliqués à des entreprises déterminées, soit ensemble 134 millions. Ce chiffre varie à peine dans les comptes de 1856 et 1857. Il descend à 110 millions pour les comptes de 1858 et de 1859, remonte à 161 millions pour 1860, et atteint, dans le compte définitif de l’exercice 1861, le chiffre énorme de 202 millions 1/2 de recettes. Les quatre sections du budget prévu pour 1863 présentent encore un total de 193,518,697 francs 76 centimes.

On pressent à quels besoins nouveaux, à quel développement des services divers a pourvu cet énorme accroissement des recettes. Dotation de la bienfaisante et de l’instruction publique, assainissement et amélioration de la voie publique, distribution de la lumière et des eaux, construction des édifices religieux, surtout élargissement et plantation des places, des rues, des boulevards, tels sont les articles de dépenses qui forment la contre-partie des budgets de recettes. Chacun des chapitres afférens à ces divers objets a présenté des augmentations considérables. L’allocation pour l’instruction primaire est de 1,100,000 fr. dans le budget de 1848, de 1,400,000 fr. dans celui de 1854, de près de 1,700,000 fr. en 1859, de 2,400,000 fr. dans le budget de 1861, enfin de 3 millions dans celui de 1863. La dotation des hospices s’élève à 6,200,000 fr. en 1848, 6,400,000 fr. en 1854, 7,950,000 fr. en 1859, et à plus de 9 millions en 1861, sans compter une subvention extraordinaire de près de 2 millions accordée depuis plusieurs années à l’administration de l’assistance publique. La grande voirie, les travaux d’entretien, les promenades, formaient trois articles d’un ensemble de moins de 4 millions en 1848, et de 5 millions 1/2 en 1854. En 1859, la grande voirie, l’entretien du pavé, les établissemens hydrauliques, les plantations, nécessitent une allocation de 7 millions. Dans le budget de 1861, les mêmes dépenses sont évaluées à 17 millions, dont 12 seulement pour l’entretien de la voie publique. En 1862, elles sont portées à 19 millions, et à plus de 20 dans le budget de 1863. Ces chiffres toutefois ne représentent que les dépenses ordinaires et annuellement obligatoires. À côté se trouvent les dépenses extraordinaires. auxquelles il faut aussi concéder une dotation annuelle. Or tandis que le dernier budget de la monarchie de juillet, celui de 1848, ne comprenait pour dépenses imprévues, grands travaux neufs et service de l’extraordinaire, qu’une somme de 7,800,000 fr., et celui de 1854 qu’une somme de 6,870,000 fr., le budget de 1859 présente pour dépenses extraordinaires en cinq articles, travaux d’architecture et beaux-arts, des ponts et chaussées, hydrauliques, service extraordinaire de la grande voirie, une somme ronde de 19 millions. Dans les comptes de l’exercice 1861, le chiffre des dépenses extraordinaires effectuées, y compris celles que nécessite l’extension des limites de Paris, auxquelles le préfet de la Seine propose de réserver tous les ans une dotation de 15 millions, s’élève au total de 40 millions. La somme prévue pour 1863 atteint encore près de 38 millions. Assurément toutes ces dépenses présentent un ensemble considérable ; elles sont néanmoins dépassées par ce que nous avons appelé les dépenses spéciales, comme on va s’en convaincre par l’exposé des grands travaux qui, dans le cours des dix dernières années, ont si profondément changé là physionomie de Paris, et par rémunération des emprunts successifs qu’ils ont absorbés.

Cest en 1851, on l’a dit, que le premier projet relatif aux embellissemens de Paris fut présenté à l’assemblée nationale par M. Léon Faucher, ministre de l’intérieur. Ce projet embrassait à la fois la reconstruction des halles centrales et le prolongement de la rue de Rivoli. Des travaux de cette importance ne pouvant s’exécuter avec les ressources ordinaires du budget, la ville de Paris fut autorisée à émettre un emprunt de 50 millions en obligations de 1,000 fr. donnant 5 pour 100 d’intérêt et amortissables en douze années, de 1859 à 1870. La voie était désormais ouverte aux grandes mesures. Les décrets de décembre 1852 et novembre 1853 réglèrent la part contributive de l’état et de la ville dans l’entreprise du dégagement des abords des Tuileries et du Louvre. Dans une partie du travail, la ville contribuait pour un tiers, dans l’autre pour la moitié. Deux nouveaux décrets, rendus en 1854, et qui témoignent de l’activité du nouveau préfet de la Seine, ordonnèrent la création d’un boulevard entre l’Hôtel-de-Ville et la place du Châtelet en commémoration de la visite de la reine Victoria, le prolongement jusqu’à la place de Birague, c’est-à-dire le raccordement avec la rue Saint-Antoine élargie, de la rue de Rivoli arrêtée jusqu’alors dans l’impasse de la place Saint-Jean, enfin l’ouverture, du boulevard de Sébastopol, dont la gare monumentale de Strasbourg marquait le point de départ, et la place du Châtelet transformée le point d’arrivée. Dans cet ensemble de travaux, évalués à 101 millions, l’état ne prenait qu’un tiers à sa charge. Le boulevard Sébastopol, destiné à percer de part en part les quartiers les plus malsains, les plus populeux, ceux où l’insurrection avait traditionnellement établi ses forteresses, était compris dans le total pour 74 millions à lui seul. Les charges de la ville pour les deux tiers de la dépense n’étaient évaluées qu’à 41 millions, en raison de la revente des matériaux et des parcelles de terrain qui resteraient en dehors de l’alignement ; mais, à cause de l’augmentation des dépenses prévues pour les travaux objet de l’emprunt de 1851, la ville se trouvait avoir à faire face à un découvert porté par le préfet à 56 millions. Or, sur les dépenses annuelles, le budget des recettes présentait un excédant de 24 millions. La dette municipale, qui s’élevait en capital à 151 millions, exigeait une allocation annuelle de 12 millions, près de 50 pour 100 de plus qu’en 1853, et ne laissait ainsi que 12 millions applicables aux travaux extraordinaires. Toutefois cette allocation, par suite de l’amortissement successif des obligations, allait tomber à 10 millions en 1857, à 8 en 1859, et à 7 seulement de 1857 à 1870. Fallait-il donc attendre, exercice par exercice, que la diminution de l’allocation pour le service de la dette permît d’augmenter la subvention des grandes entreprises ? Était-ce d’une bonne, économie et d’une sage pratique ? N’était-il pas préférable d’accomplir en cinq ans par exemple, au lieu de quinze, des œuvres telles que le dégagement du Louvre et l’ouverture sur une large échelle du quartier le plus dangereux et le plus insalubre de Paris ? La question ainsi posée par le préfet de la Seine reçut un accueil favorable au corps législatif, et la ville fut autorisée à émettre pour une somme effective de 60 millions le nombre nécessaire d’obligations remboursables, avec lots et primes, en quarante années à partir de 1858.

Mentionnons seulement pour mémoire l’emprunt départemental de 50 millions fait en 1856, cet emprunt destiné à la création de la caisse de la boulangerie ne rentrant pas en principe dans les charges municipales, dont on poursuit l’énumération, et la caisse de la boulangerie elle-même, par suite de l’application de la surtaxe, n’ayant entraîné jusqu’à ce jour aucune dépense restant au compte de la ville de Paris.

Les années 1857 et 1858 ne furent point signalées par un nouvel appel au crédit, mais l’autorité municipale mit dans ses entreprises une activité qui la força bientôt d’y recourir encore. La loi du 19 juin 1857 engagea l’état et la ville dans les dépenses à faire pour l’ouverture du boulevard de Sébastopol sur la rive gauche de la Seine, l’achèvement de la rue des Ecoles et autres travaux dont l’état prenait le tiers à sa charge, sans toutefois) que ce tiers pût excéder 12 millions pour le boulevard de Sébastopol et 500,000 fr. pour les dépendances de l’hôtel Cluny et du musée des Thermes. En 1858, la nouvelle convention qui intervint entre l’état et la ville révéla les plus vastes projets qui eussent encore été soumis au contrôle de l’opinion publique. La ville de Paris y prit l’engagement d’exécuter dans un délai de dix ans à partir de 1859 neuf projets désignés dans l’article 1er de cette convention, comprenant la création de neuf boulevards nouveaux : les boulevards du Prince-Eugène, du Nord, du Château-d’Eau, de Malesherbes, de Beaujon, trois autres partant du pont de l’Alma, enfin le boulevard Saint-Marcel ; l’ouverture de dix rues de 20, 22 et 40 mètres de largeur : les rues du Château-d’Eau, de Rouen, Lafayette, de Rome, Madrid, la rue Mouffetard élargie à 40 mètres, trois rues au carrefour de Lourcine, la rue de Médicis aux abords du Luxembourg, enfin le raccordement et l’élargissement d’un grand nombre de rues aboutissant aux précédentes, et le percement de quatre nouvelles avenues tenant le milieu comme largeur entre les rues et les boulevards.

Dans le rapport présenté, en cette circonstance au conseil municipal, le préfet de la Seine démontre la nécessité d’ouvrir dans Paris de larges voies stratégiques qui assurent le maintien de l’ordre, qui rendent l’accès des gares de chemins de fer abordable et facile, qui embellissent en l’assainissant la capitale de l’empire. Son attention s’est portée sur toutes les extrémités de la ville : après avoir travaillé à l’amélioration du centre par l’érection des halles, l’achèvement de la rue de Rivoli, l’ouverture du boulevard de Sébastopol, il faut à l’ouest créer, du parc de Monceaux au bois de Boulogne, une ville qui sera celle du luxe et de l’élégance, prolonger à l’est vers Vincennes et embellir à l’égal de la précédente la ville industrielle et manufacturière, vivifier enfin au sud ce douzième arrondissement, jusqu’alors la honte du Paris moderne. L’exécution de ce plan, que le préfet pouvait avec juste raison dire inspiré par les besoins de l’ordre, de la salubrité, et aussi par un vif sentiment de l’art, était évaluée à 180 millions, dont l’état assumait 50 à sa charge, et elle devait être réalisée en dix années.

La loi du 28 mai 1858 ratifia cette convention, régularisa le subside de l’état et consacra les grands projets que la loi du 26 juillet 1860 vint compléter par la cession du bois de Vincennes, destiné à devenir le rival du bois de Boulogne. De tels travaux, on le comprend, nécessitaient un nouvel emprunt. La loi du 1er août 1860 autorisa en effet la ville de Paris à émettre, au meilleur taux que la négociation pourrait offrir, 287,618 obligations constituées au capital de 500 francs, rapportant 15 francs d’intérêt, avec un tirage annuel de lots montant à 600,000 francs et remboursables en trente-sept années à partir du 1er septembre 1860. Une première moitié de cet emprunt, assimilé en tout à celui de 1855, fut réalisée en 1860 ; la seconde ne l’a été qu’au mois de novembre 1862, la souscription publique n’ayant en 1860 couvert qu’une partie des obligations émises à 475 francs, tandis que celles de 1855 avaient été émises à 400 francs. Pour la seconde moitié, les obligations ont été souscrites au prix de 450 francs.

Ainsi donc trois emprunts, le premier de 50 millions en 1851, amortissable en 1870, le second de 60 millions en 1855, amortissable en 1899, le troisième de 287, 628 obligations remboursables à 500 fr., c’est-à-dire représentant un capital réel de 143,809,000 fr. qui sera payé à la même époque, telles sont les charges que la ville a souscrites pour faire face aux grande travaux spécifiés dans les lois des 4 août 1851, 2 mai 1855, 19 juin 1857, 28 mai 1858. Une loi du 26 juillet 1860 a en outre ratifié le traité passé entre la ville et l’état pour la cession et l’appropriation du bois de Vincennes.

Les entreprises qu’on vient d’énumérer comprennent-elles tout ce que l’administration actuelle a fait pour l’embellissement de Paris? Assurément non, puisqu’il reste à parler de la mesure la plus grave qui ait été prise dans ces dix dernières années : nous voulons dire l’extension des limites de la capitale opérée en vertu de la loi du 16 juin 1859. Les emprunts dont on a donné l’aperçu résument-ils la totalité des charges contractées par la ville sous l’administration de M. Haussmann? Pas davantage, car il faut ajouter aux dettes provenant des emprunts le prix de maisons et de terrains que la ville achète par expropriation ou par voie amiable, dès qu’il font élargir une ancienne rue ou bien ouvrir une voie nouvelle. Ce prix, dont quelques indemnités récemment accordées par le jury d’expropriation révèlent l’importance, est loin d’être atteint par la revente des terrains acquis en sus de ce qui est applicable à la voie publique. Les opérations relatives à ces achats et à ces ventes, comme à tout ce qui concerne les travaux qui ont été l’objet de lois spéciales, ont été séparées de toutes les autres dépenses municipales et centralisées dans une caisse particulière. Jusqu’au 14 novembre 1858, date de l’établissement de la caisse des travaux, les dépenses des grandes entreprises exécutées en vertu de lois spéciales avaient atteint le chiffre de 200 millions. Ce chiffre est déjà notablement dépassé par les dépenses que la caisse des travaux a soldés[12]

Ce sont les décrets du 14 novembre et du 27 mars 1858 qui ont institué la caisse des travaux et rendu ses opérations complètement distinctes de celles de la caisse municipale. Pourvue d’une dotation primitive de 10 millions, doublée en 1861, la nouvelle caisse fut autorisée à émettre une quantité de bons qui, limitée d’abord à 30 millions, s’est élevée à la somme de 100 millions en 1860 et 1861, et enfin à 125 millions pour 1862. Pendant les trois années de 1859, 1860 et 1861, la caisse a payé pour expropriations et travaux 257 millions, et elle a émis pour 354 millions de bons. On a calculé qu’il restait encore à dépenser 266 millions à partir de 1862 pour les dépenses spéciales. Dans la session de cette même année, en demandant que les limites pour l’émission des bons de la caisse des travaux fussent portées à 125 millions, le gouvernement avait déclaré que, dès la négociation de la deuxième moitié de l’emprunt municipal de 1860, une partie de ces bons serait amortie, et le préfet de la Seine promettait d’en restreindre la circulation à 75 millions. D’autre part, dans son rapport au conseil municipal à l’appui du budget de 1862, M. le baron Haussmann présentait à côté du passif de la caisse l’actif, qui en est la contrepartie : il montrait que la ville possédait au 31 décembre 1861 12 millions 1/2, prix à recouvrer de terrains vendus, 27 millions de terrains expropriés à vendre, près de 8 millions, également à vendre, de terrains d’origine diverse. Les parcelles restant à vendre du bois de Boulogne en valaient près de 4, celles retranchées du bois de Vincennes plus de 11, enfin l’expropriation de Bercy donnait un solde à aliéner d’environ 3 millions. A toutes ces ressources il fallait ajouter près de 60 millions, prix de maisons achetées par la ville, mais destinées à être démolies, et dont la portion de surface qui ne serait pas dévolue à la voie publique donnerait seulement un actif réalisable. Toutes ces ressources, d’un total de 125 millions, enlevaient donc aux bons de la caisse qui en étaient la représentation le caractère de dette flottante proprement dite.

L’événement a démenti ces chiffres optimistes. En effet, dans le budget de l’état voté pour 1864, un article spécial a autorisé la ville de Paris à maintenir pour les années 1863 et 1864 la circulation des bons de la caisse des travaux au chiffre de 100 millions, même après la rentrée de la seconde moitié de l’emprunt de 1860, sur laquelle 40 millions devaient être amortis. Ce chiffre de 100 millions sera réduit à 80 en 1865 et à 60 en 1866. Par contre, si l’on en croit l’assertion d’un honorable député, membre du conseil municipal de Paris, émise devant le corps législatif, la valeur des propriétés de la ville, du chiffre de 125 millions donné, en 1862 par M. le préfet de la Seine, est tombée à celui de 55 millions par suite de ventes de terrains et de démolitions de maisons. Ajoutons que si, après un emprunt considérable et des aliénations importantes de terrains, les bons de la caisse des travaux n’ont pu être réduits en 1863 à 75 millions, comme le promettait, il y a un an, M. le baron Haussman, il est logique de supposer que les dépenses nécessitées par l’annexion dépassant les évaluations primitives, on rentrera difficilement en 1865 et en 1866 dans les limites successives de 80 et de 60 millions. En tout cas, et quoique les bons dont il s’agit soient en partie représentés par des valeurs d’une réalisation plus ou moins prompte, ils n’en doivent pas moins être considérés comme une des charges importantes de la ville. En capital; ils augmentent la dette municipale d’une somme dont le chiffre définitif échappe à une exacte évaluation; en intérêts, ils nécessitent une allocation considérable, puisque les bons de la caisse des travaux sont grevés d’un intérêt de 3, 4 ou 5 pour 100, tandis que les terrains dont la ville est propriétaire ne produisent qu’un revenu insignifiant ou nul.

On peut maintenant d’après ce qui précède, sinon déterminer rigoureusement le chiffre des obligations de la ville, du moins arriver à un résultat très approximatif. Le chiffre de 294,338,521 fr. était donné dans le rapport de fin d’année de M. Devinck, membre du conseil municipal, comme représentant en 1861 le capital de toute la dette de la ville. Cette somme comprend en effet l’emprunt de 50 millions de 1851, celui de 60 millions de 855, enfin les 144 millions à peu près que coûtera le remboursement en capital des obligations de 1860, ensemble 254 millions. Les 40 millions qui, ajoutés aux trois emprunts, donnent le chiffre de M. Devinck, représentaient quelques charges du passé, comme le prix des maisons des hospices de 1811, le rachat du péage des ponts, enfin la valeur des propriétés achetées par la ville pour les travaux d’alignement, payables à terme fixe. Toutefois, comme le chiffre de 294 millions ne comprend pas ce que pourra coûter la liquidation de la caisse des travaux, et comme les vastes expropriations opérées chaque jour grossissent le chiffre de 1861, ce serait rester au-dessous de la vérité que de porter le capital de la dette municipale consolidée et flottante au chiffre de 300 millions. On voit aussitôt l’importance de l’allocation annuelle que le service de la dette impose au budget de Paris.

Dans la nouvelle classification adoptée par le préfet de la Seine, le service des intérêts, qui figure dans les dépenses ordinaires, réclamait en 1861 12,538,414 fr., et celui de l’amortissement, inscrit aux dépenses extraordinaires, 12,235,666 fr. En 1862, les charges annuelles de la dette se sont élevées à 15 millions, et dans le budget de 1863 elles sont de 14,982,000 fr. Par contre, l’amortissement n’exige plus que 9,900,000 fr. En somme, c’est une charge annuelle de près de 25 millions qui ne diminuera que progressivement par le lent amortissement des obligations. L’annuité de la dette n’atteignait pas plus de 6 millions en moyenne pendant la restauration, et sous le gouvernement de juillet elle était descendue à 4 millions 1/2. Sous ces deux régimes, les emprunts se contractaient presque toujours à courte échéance. Depuis lors, les termes de remboursement se sont singulièrement éloignés ; l’emprunt de 1852, de 50 millions, ne sera amorti qu’en 1870; celui de 1855, de 60 millions, n’est remboursable qu’en quarante années à partir de 1859, et c’est à la même époque que doit être amorti le dernier emprunt de 1860. La charge municipale annuelle doit par conséquent sembler aujourd’hui d’autant plus lourde, comparée à celle des époques précédentes, que le chiffre en aurait été plus élevé, si l’amortissement avait été réparti sur un nombre d’années analogue à celui des emprunts antérieurs. Le recours au crédit, pratiqué de nos jours sur une aussi vaste échelle, n’est pas sans provoquer quelques craintes et quelques réflexions. Fallait-il procéder avec cette rapidité extrême aux entreprises qui ont nécessité des emprunts à long terme? n’y a-t-il pas lieu de craindre qu’avant le remboursement de ces mêmes emprunts de nouvelles dépenses d’un intérêt urgent ne contraignent encore à grever plus lourdement l’avenir?

Chaque fois que le préfet de la Seine a réclamé l’approbation des plans formés pour l’amélioration de Paris, il n’a pas manqué de faire observer que ces entreprises, outre l’urgence qui en justifiait le prompt achèvement, assuraient l’avenir de tels avantages qu’il était juste de lui imposer une partie des charges. Il remarquait aussi que, lorsqu’une entreprise est résolue, il en coûte souvent moins, en raison de l’élévation croissante des prétentions particulières, d’aller vite que de procéder par étapes mesurées. Ce seraient là sans aucun doute des circonstances atténuantes mais non des motifs d’absolution complète, si la ville avait néanmoins entrepris dans le présent plus que ses forces ne comportent et surchargé l’avenir sans aucune prévision de ces catastrophes chroniques qui arrêtent trop souvent l’essor de la prospérité de notre pays. Il serait impie de formuler de semblables craintes, mais la tâche d’une administration irréprochable est de ménager les ressources publiques comme si elle les pressentait, et c’est à quoi les administrations antérieures n’ont pas failli.

En résume, s’il est juste de reconnaître que, pour des motifs de saine politique et même d’économie bien entendue, on a eu souvent raison d’exécuter rapidement les travaux projetés, on ne saurait néanmoins admettre que toutes ces entreprises aient eu au même degré le caractère d’urgence. Quand des transformations d’un intérêt secondaire ont pu être opérées sans grandes dépenses, l’administration a sagement fait de ne pas attendre; mais, elle n’a pas toujours eu cette bonne fortune. Exprimons aussi le regret que, dans la poursuite de ces entreprises, la recherche de la règle droite et du nivellement ait par trop prévalu. Pour beaucoup d’yeux délicats, la ligne droite est brutale et disgracieuse, le nivellement du sol monotone et inutilement coûteux. Grâce à quelques sinuosités, il eût été possible d’épargner de vieux monumens ou de mettre en lumière des vestiges du passé. Grâce à une inflexion prudente, on eût évité des expropriations onéreuses comme aux abords du nouvel Opéra ou au boulevard du Temple, dont les théâtres traditionnels cherchent après leur déplacement une patrie qu’ils ne retrouveront pas, ou qu’on rendra à quelques-uns d’entre eux au prix d’une double dépense. Grâce enfin à quelques pentes plus raides, on n’eût pas suspendu au-dessus d’un abîme des rues nouvellement construites, comme aux abords du Panthéon, ou laissé des quartiers en l’air, comme le long du boulevard Malesherbes. Ce qu’il faudra dépenser pour raccorder aux nouvelles voies à pente adoucie les rues latérales et les maisons hors de niveau met à la charge de la propriété privée un lourd sacrifice. Quant à la ville, une annuité de 25 millions en intérêts et amortissement est, malgré d’élévation de ses recettes, une charge dont la proportion ne devrait pas être dépassée. Il ne faut pas oublier en effet que l’élément principal du revenu de la ville est essentiellement variable et mobile, et qu’il suffit d’un temps d’arrêt dans la prospérité publique pour influer sensiblement sur le produit de l’octroi. La ville se trouverait alors sous le coup d’une véritable dette flottante pour le remboursement des bons de la caisse des travaux, dont l’échéance varie de trois mois à un an. Enfin, et c’est ici surtout le cas de faire appel à la prudence, il y a lieu de craindre que l’annexion de 1859 n’ait pas encore révélé toutes ses conséquences, et n’entraîne un nouvel accroissement de la dette municipale, même en tenant compte de la diminution obtenue chaque année par l’amortissement.

La loi du 16 juin 1859, qui a renfermé dans l’enceinte de Paris onze communes dont une, Belleville, avait près de 60,000 habitans, dont quatre, les Batignolles-Monceaux, Montmartre, La Chapelle et La Villette, en contenaient chacune plus de 30,000, et qui en outre annexa de vastes portions de treize autres communes, constitue bien certainement l’acte le plus important de l’administration de M. Haussmann. En présentant le projet d’extension des limites de Paris à l’approbation de l’empereur, le préfet faisait valoir la nécessité, sous le rapport de la viabilité et de la police, de soumettre à la tutelle de la capitale des localités qui en faisaient réellement partie, et qui avaient pris un tel accroissement que la population s’y était élevée, de 13,000 habitans en 1806, à près de 500,000 en 1859. M. Haussmann exprimait la certitude que, grâce aux obstacles apportés par la zone militaire, il serait bien difficile de reconstruire de nouveaux faubourgs, par conséquent de voir se représenter la nécessité d’une extension nouvelle. Trois ans se sont à peine écoulés, et les faits ont répondu. Pour fuir l’octroi, des villes ont surgi au pied de ces fortifications qui semblaient repousser les constructions futures. Paris a déjà retrouvé sa banlieue grande et petite. La portion des communes restée en dehors des limites a regagné son ancienne importance. Clichy, Saint-Ouen, Gentilly, Saint-Mandé, Boulogne, forment autour de l’enceinte continue un faubourg continu. De nouvelles communes se fondent et révèlent une population agglomérée tout à coup. Entre Neuilly, qui s’est doublé, et Clichy, revenu, malgré l’annexion, au chiffré de sa population, on vient d’ériger en communes les villages Levallois et Champerret, qui réunissent plus de 8,000 habitans. Neuilly en conserve 11,000, Clichy plus de 10,000, Boulogne 20,000, et déjà l’on a parlé du projet de réunir à la capitale toute la presqu’île formée par la Seine du pont de Grenelle au pont d’Asnières. Ce n’est pas tout. On voit déjà se former dans ce que nous appellerons la grande banlieue des centres de fabrication; très importans, tels que Suresnes, Puteaux et Asnières. De Paris à Saint-Denis, les hautes cheminées des usines marquent tous les points de l’espace; du Point-du-Jour à Sèvres, la plaine disparaît. Le mouvement est aussi rapide qu’avant l’annexion, et on peut se dire qu’il faudra bientôt aviser. La même cause a produit le même et infaillible effet, et cette cause c’est l’octroi. Faut-il regretter pour Paris l’organisation de Londres, où la cité s’administre en pleine liberté et où les paroisses qui se sont formées autour d’elle sont autant de centres distincts d’activité sans aucune influence sur les destinées de la cité-mère? Peut-on du moins prévoir que, pour mettre fin à cette lutte entre un pouvoir qui veut tout réunir sous sa tutelle et les intérêts qui se groupent hors des murs, l’octroi municipal sera aboli à Paris comme il l’a été à Bruxelles? Les regrets que pourrait inspirer la comparaison de la vie1administrative de Londres et de Paris sont superflus, la différence a sa raison dans la diversité des mœurs et des habitudes nationales. Quant à la substitution d’un nouveau mode d’impôt à l’octroi, source principale du revenu de la ville, la question est tout au moins inopportune. Comment remplacer avantageusement un impôt qui rend avec une si merveilleuse facilité 80 millions par an? Voudrait-on surélever l’impôt mobilier perçu en raison du prix des logemens? Mais sur les 600,000 logemens de Paris plus de la moitié échappent à l’impôt lui-même, et 15,000 appartemens seulement atteignent un loyer de plus de 1,500 francs. Quant à une nouvelle extension des limites de Paris, c’est là une éventualité qui ne semble guère possible, et que nous indiquons seulement comme une preuve des conséquences extrêmes qu’entraîne l’abus de la concentration. Il faut citer aussi à ce sujet un projet consistant dans la suppression du département de la Seine et dans la jonction des territoires en dehors des fortifications aux départemens limitrophes. Paris resterait un territoire neutre comme Washington, cesserait de former une commune et constituerait une sorte d’établissement d’utilité générale, de propriété nationale, dont la gestion pourrait être confiée, à un ministre spécial. Les recettes et les dépenses de Paris seraient discutées, devant le corps législatif. L’annexion de 1850 soulève, on le voit, des questions politiques d’une réelle gravité. En ce qui est plus particulièrement du domaine de cette étude, c’est-à-dire la situation financière que l’annexion a faite à la ville de Paris, les résultats en seront onéreux pendant une assez longue période. Les dépenses nécessitées par les conséquences matérielles de l’annexion étaient évaluées à priori à 150 millions pour déplacement de l’octroi, nivellement et percement des rues, raccordement des égouts, constructions des bâtimens communaux, service des eaux, du gaz, etc. Ces dépenses justifiaient à elles seules l’émission de l’emprunt autorisé dans l’année 1860, qui suivit l’annexion; mais le préfet de la Seine demanda l’affectation spéciale de l’emprunt aux grands travaux exécutés en vertu des lois antérieures, et il se proposa d’appliquer, aux dépenses résultant de l’annexion les ressources laissées, disponibles sur la section des dépenses, ordinaires. Tous les ans donc une somme d’environ 16 millions est réservée pour les travaux à exécuter dans les communes annexées. Si la première évaluation du préfet de la Seine ne devait pas être dépassée, dix années suffiraient pour mener à fin cette œuvre importante; malheureusement ces espérances ne peuvent être acceptées que sous bénéfice d’inventaire. Chaque jour de nouveaux besoins apparaissent, d’incessantes réclamations, s’élèvent pour demander que l’on pourvoie à l’éclairage, à la distribution des eaux, à l’enlèvement des immondices, en un mot aux améliorations de toute sorte auxquelles les nouveaux habitans de la ville ont droit depuis qu’ils paient les taxes municipales. L’administration, cette justice lui est due, s’occupe activement d’ouvrir entre les nouveaux quartiers de larges voies de communication transversale qui les relient entre eux, tandis, qu’ils n’avaient auparavant accès que vers Paris. On institue des écoles, on construit des églises, on se préoccupe de rendre salubre dans toutes ses parties le département de la Seine, dont un ingénieur a reconnu que le sol tout entier devrait être assaini par le drainage. L’administration fait tout ce qu’elle peut ; mais il y a tant à faire, et les réclamations, qui s’élèvent de tous côtés sont si pressantes et si légitimes, qu’il ne sera guère possible de ne pas devancer le terme fixé de dix ans, et par conséquent de ne pas recourir de nouveau à l’emprunt.


VI. — CARACTERE GENERAL DE L’ADMINISTRATION MUNICIPALE DE 1853 A 1863.

Quel but a-t-on poursuivi avec une rare persévérance pendant ces dernières années? Le moment est venu d’examiner cette question, et de rechercher quels enseignemens l’administration parisienne peut tirer de sa propre histoire depuis le commencement du siècle. Si le préfet du second empire a voulu, non pas, comme on l’a dit, « rendre à son souverain une ville de marbre après en avoir reçu une ville de bois,» mais transformer heureusement l’aspect extérieur de Paris, le succès est réel et incontestable. On ne peut nier que, dans l’histoire de la ville de Paris, le règne de Napoléon III ne soit destiné à tenir une grande place, et que M. Haussmann n’ait écrit en larges traits les annales de ce règne sur la surface de la capitale. Non-seulement Paris a reçu le jour, l’air et l’eau, non-seulement il a vu dans chacun de ses quartiers, et surtout dans les plus insalubres, des améliorations qu’il faut être un enfant de Paris pour apprécier, pour reconnaître pas à pas, mais il a pris dans son ensemble un aspect monumental et grandiose dont la postérité remerciera les auteurs. N’est-ce point un plan nouveau et vraiment admirable que cette conception du Paris moderne, flanqué d’un côté par le bois de Boulogne et le nouveau quartier de l’Etoile, de l’autre par le bois de Vincennes et la place du Trône, entre lesquels on médite déjà de dessiner sur les hauteurs des buttes Saint-Chaumont un troisième parc, égal aux deux autres par la limpidité des eaux et la fraîcheur des ombrages, supérieur par l’aspect du plus magnifique horizon ? De cette hauteur, Paris, vu de jour, avec tous ses boulevards, ses squares, ses larges rues, les dômes de ses monumens, n’aurait rien de comparable au monde que Paris vu de nuit, avec les guirlandes de feu qui en dessinent les contours.

Si, d’autre part, après avoir transformé la ville, on a voulu changer aussi les conditions matérielles de la vie des habitans, élever le salaire des ouvriers par le développement incessant des travaux publics, accroître la consommation, améliorer la condition sanitaire des classes les plus nombreuses, et prolonger ainsi la durée moyenne de la vie, assurément encore il n’y a qu’à se féliciter des résultats obtenus. Il n’est pas besoin de revenir sur la comparaison que nous avons faite entre l’accroissement du produit de l’octroi, l’élévation des salaires et l’augmentation de la population. On peut à coup sûr appliquer aux habitans de Paris ce qu’un des journaux les plus accrédités de Londres disait récemment au sujet de l’énorme importation de denrées introduites en Angleterre : « Cet accroissement, qui n’est pas le fait de l’augmentation de la population ni de la diminution de la production anglaise, prouve que la masse de la nation est mieux nourrie qu’autrefois. » Certes on peut en dire autant de la population parisienne : elle est mieux nourrie qu’autrefois, et sous ce rapport l’amélioration est surtout sensible dans la classe ouvrière.

Il est encore un autre besoin d’un ordre plus élevé, dont la satisfaction s’est étendue jusqu’aux couches les plus profondes de la population : c’est le besoin de mouvement, la promenade soit à l’intérieur de la ville, soit dans les campagnes ou les forêts séculaires qui l’entourent. Il a toujours été dans les habitudes de la population parisienne de se porter en foule aux promenades, aux lieux de réjouissances publiques, et de s’échapper le dimanche en joyeux essaims hors des murs. Quels progrès sous ce rapport depuis ces malheureux couscousque notre génération a vus disparaître, et même depuis ces vélocifères transportant à grand’peine, à travers la poussière du chemin, quelques centaines de voyageurs à Meudon, à Saint-Germain, à Sceaux ou à Versailles ! Aujourd’hui chacune des grandes compagnies qui se partagent le réseau des chemins de fer français, et dont la tête est à Paris, entretient pour les besoins de la capitale un service de banlieue qui, ajouté au service général de la ligne, déverse sur tous les points de la campagne parisienne des flots de promeneurs se comptant à certains jours par centaines de mille. La vapeur a mis ainsi tout un vaste rayon de verdure et de magnifiques ombrages à la disposition des habitans de Paris.

Sans doute l’administration chargée aujourd’hui des intérêts de Paris ne peut revendiquer pour elle seule un tel changement, dû surtout au progrès de l’aisance générale; mais ses actes y ont puissamment aidé, et il est d’autres améliorations dont il faut lui rapporter uniquement le mérite C’est en effet depuis 1856 seulement qu’on a vu l’établissement dans l’enceinte de Paris, à l’imitation de Londres, de ces jardins dont la végétation purifie l’air. Paris a maintenant les sept squares de la tour Saint-Jacques, des Innocens, des Arts-et-Métiers, du Temple, Vintimille, Sainte-Clotilde et Louvois, qui occupent une superficie de 20 hectares, sans compter le parc de Monceaux, qui en a plus de onze. Belleville, Batignolles, Charonne. Montrouge ont aussi leurs squares. Un parc de 20 hectares va couronner les buttes Saint-Chaumont. Enfin deux délicieuses promenades confinent à Paris : à l’ouest, le bois de Boulogne, de 873 hectares. avec tous les enchantemens dont la ville s’est montrée prodigue, et à l’est le bois de Vincennes, non moins heureusement transformé, et qui ne contiendra pas moins de 876 hectares, dont 375 en prairies et 20 en pièces d’eau.

Une autre amélioration qui saisit moins les yeux, mais qui a, elle aussi, une grande importance pour la population parisienne. c’est une plus abondante distribution des eaux salubres, un plus facile écoulement des eaux malsaines. La ville de Paris est aujourd’hui alimentée par des eaux de provenances diverses, d’un volume total de 153,000 mètres cubes. Le canal de l’Ourcq en fournit seul 105,000. Ces eaux sont distribuées par 20,948 mètres de conduites à l’usage des particuliers, et par 754,852 mètres de conduites publiques. L’administration fait installer encore au quai d’Austerlitz deux nouvelles machines qui augmenteront de 15,000 mètres cubes par jour la quantité d’eau. Enfin on sait qu’elle a recherché jusque dans les départemens de l’Aube et de la Haute-Marne des sources potables assez abondantes pour fournir à tous les besoins des habitans de Paris. Pour amener ces eaux à Paris et pour les distribuer. la ville devra dépenser encore une somme de 60 millions. — Des eaux limpides, il faut bien passer aux eaux malsaines. En 1854, Paris possédait 163 kilom. d’égouts voûtés; il y en a aujourd’hui 330, qui égalent en développement la moitié des rues de Paris (700 kilom. ou 175 lieues). Ce Paris souterrain, dont un poète vient de retracer l’étrange et saisissant tableau, offre le spectacle du plan le mieux combiné par la science de l’ingénieur. Il s’agissait d’obtenir l’écoulement rapide des eaux pluviales, qui dans l’ancien système produisaient de fréquentes inondations, d’entraîner toutes les eaux ménagères et industrielles qui faisaient des ruisseaux de Paris autant d’égouts à ciel ouvert ; enfin il fallait préparer l’écoulement même des vidanges dans les conduits souterrains et le raccordement des nouvelles galeries avec les anciennes. Au moyen de galeries principales où les anciennes viennent se déverser, de branchemens dirigés de chaque maison sur les conduites publiques, au moyen enfin du débouché de toutes les galeries dans de grands collecteurs, dont deux, sur la rive droite, traversent Paris de l’est à l’ouest, et dont un, sur la rive gauche, reçoit la Bièvre et se dirige par les quais jusqu’au pont de la Concorde, où il passe le lit de la Seine dans un siphon, les immondices de Paris s’écoulent dans un grand souterrain de 5 kilom., qui part du pont de la Concorde et aboutit à Asnières. À la lueur de lampes-phares, une vraie navigation fluviale, avec bateaux à vannes et écluses mobiles, procède au nettoiement de la grande ville. Quelle immense distance de ce savant système à celui die l’arrosement des ruisseaux par les bornes-fontaines, ouvertes deux heures par jour, et qui constituait cependant un véritable progrès sur l’état antérieur ! De telles améliorations ne s’accomplissent pas, on le conçoit, sans beaucoup d’argent : il reste donc, pour compléter le système des égouts, à dépenser 60 millions, dont 20 seront payés par les particuliers pour l’établissement des branchemens entre leurs maisons et les conduites publiques. Disons, pour en finir avec les voies souterraines, que la canalisation du gaz atteint déjà 924 kilomètres. La ville se trouve encore, on le voit, en face d’une dépense de 100 millions applicable à la distribution des eaux salubres et à l’écoulement des eaux malsaines. Quand cette œuvre sera entièrement accomplie, Paris ne laissera rien à désirer sous le rapport de la propreté et des conditions hygiéniques.

Nous n’avons point cherché à diminuer la part qui revient à l’autorité municipale actuelle dans l’amélioration matérielle de la ville de Paris ; mais, toute méritoire que soit l’œuvre, elle ne constitue pourtant que la moitié des devoirs imposés à une grande administration. À côté et au-dessus des intérêts matériels se placent ceux de l’intelligence. Or, dans la satisfaction qu’ont reçue les intérêts des habitans de Paris depuis dix ans, les intérêts matériels proprement dits n’ont-ils pas eu la plus large part ? Il est presque superflu de le démontrer. Ce n’est pas, et nos chiffres l’ont établi, que l’administration municipale ait négligé le côté moral et religieux de l’œuvre multiple qui lui était confiée. Nous avons vu comment le budget de la bienfaisance publique s’était accru et comment d’autre part la proportion entre le nombre des indigens assistés et celui des habitans de Paris avait diminué. L’administration de l’assistance, confiée à un directeur spécial et responsable devant l’opinion, poursuit et réalise toutes les améliorations que notre propre expérience et celle des peuples voisins peuvent lui enseigner. On ne peut craindre d’ailleurs de voir aujourd’hui l’autorité publique marcher avec lenteur quand il s’agit d’améliorer le sort des pauvres. Le pouvoir municipal s’est également préoccupé de satisfaire d’autres intérêts de l’ordre moral, et, sans parler de sa sollicitude pour offrir à l’exercice des cultes des édifices dignes de leur destination, l’administration parisienne, on aime à le reconnaître, a fait de larges sacrifices poulie développement des écoles, puisque les dépenses de l’instruction primaire sont spécialement à la charge des communes. Un peu avant 1848, la ville de Paris consacrait à l’instruction primaire une allocation de 1,100,000 francs au lieu de 140,000 francs dépensés en 1830. Dans le budget de 1863, l’allocation pour l’instruction primaire dépasse 2,900,000 francs. Ces chiffres sont considérables, puisqu’ils ne s’appliquent qu’aux frais ordinaires, sans comprendre toutes les sommes nécessaires pour construire de nouvelles écoles, et sous ce rapport l’extension des limites de Paris impose de grands sacrifices devant lesquels l’administration ne doit pas reculer. C’est ainsi que dans le budget de 1863, outre la somme de 2,900,000 francs destinée à l’instruction primaire, 200,000 francs sont accordés pour l’entretien des édifices scolaires et 500,000 francs pour la construction d’écoles dans la banlieue. Enfin il faut ajouter à ces allocations quelques dépenses pour l’instruction secondaire et des institutions spéciales ; néanmoins nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que ces dernières sont bien modiques; les quartiers de la rive droite demandent aussi depuis trente ans un troisième collège, et tous les bons esprits seraient heureux de voir une progression plus rapide encore dans les dépenses consacrées à l’enseignement populaire. Qui ne croit sincèrement que le corollaire du suffrage universel ne soit l’instruction universelle ? Sans professer dans un sens absolu la doctrine de l’instruction gratuite et obligatoire, il est permis d’émettre le vœu pratique que l’instruction soit distribuée avec tant de munificence et à si peu de frais que tous puissent la recevoir. Paris renferme deux modèles d’enseignement primaire supérieur qu’on ne saurait trop louer : le collège municipal Chaptal et l’école Turgot; mais, bien que la ville y fasse entrer comme boursiers les élèves qui se sont le plus distingués dans les écoles primaires ordinaires, il y a lieu de regretter que cet enseignement ne soit pas mis à la portée d’un plus grand nombre. L’enseignement primaire supérieur n’entraîne qu’une dépense annuelle de 150,000 francs environ; l’instruction secondaire n’obtient comme encouragement qu’une somme moindre encore, sur laquelle le collège municipal Rollin absorbe à lui seul près de 100,000 fr. Ces chiffres sont-ils suffisans, quand on voit par exemple le chapitre des fêtes et réjouissances publiques recevoir une allocation de 700,000 francs?

Nous croyons avoir montré, dans un sincère esprit d’équité, tout le bien produit par l’administration actuelle, et signalé avec ménagement les lacunes et les dangers que peut présenter sa gestion. Selon nous, ces dangers sont tout entiers dans la situation omnipotente faite au préfet de la Seine, et l’on nous permettra d’insister en finissant sur l’étrange anomalie qu’offre ce pouvoir absolu et sans contrôle avec le degré de civilisation où nous sommes parvenus et l’importance des intérêts qu’il gouverne. Le budget de la ville de Paris est plus élevé que celui de toutes les monarchies secondaires de l’Europe, et il atteint presque à la moitié du budget de l’Espagne. Tous les états secondaires, qui en étendue et en population dépassent de beaucoup la capital de la France, jouissent d’un gouvernement représentatif. Paris est gouverné par un seul homme, dont les volontés s’exercent, sinon sans aucune subordination hiérarchique, du moins sans contestation sérieuse, puisque le conseil municipal siégeant à côté de lui est en fait nommé sur sa présentation, et que le décret de 1861 a soustrait la plupart de ses décisions à l’approbation du ministre de l’intérieur, son chef immédiat. La prospérité s’étonnera sans doute qu’un tel régime ait été si longtemps imposé à une telle ville. Une pensée qui peut prêter à des appréciations bien diverses semble avoir présidé à cette concentration de pouvoirs, c’est l’idée de faire de Paris plutôt une ville européenne qu’une ville française. Or, par cela même que Paris aspire à un pareil rôle, il a dépassé comme centre social et comme foyer d’industrie les proportions réclamées par les besoins de la France seule. Des masses d’ouvriers nomades absorbent l’élément parisien et constituent un danger permanent pour le repos de la France entière par la mobilité de leurs sentimens et les exigences de leurs intérêts. Sans vouloir donc amoindrir en rien la grandeur du but poursuivi, il faut en signaler les dangers et chercher à en atténuer la gravité.

Pour arriver à ce résultat, pour concilier avec le rôle extérieur auquel Paris est appelé son rôle intérieur : c’est d’introduire à côté du pouvoir exclusif et hardi du dépositaire de la pensée impériale le pouvoir modérateur des représentans de la ville librement élus, et de donner dans la composition même de cette représentation non-seulement la voix des intérêts démocratiques des masses industrielles, mais encore aux intérêts de toute sorte d’un élément essentiellement stable, — la bourgeoisie parisienne. Il faut en un mot, une modification de la législation de 1855 dans le sens de la loi de 1834. Avec des représentans élus, aucun doute ne pourrait s’élever contre l’utilité, quelque rapide qu’en fût l’exécution, des plus vastes entreprises. Le juste sentiment des besoins locaux servirait de contre-poids aux inspirations en apparence étrangères à l’intérêt propre de la cité. Enfin l’esprit de liberté, cet esprit qui ennoblit tout ce qu’il anime, inspirerait une émulation féconde dans la poursuite de tous les progrès, et surtout des progrès intellectuels et moraux.

Quand au début de cette étude nous avons tracé le tableau de Paris tel qu’il existait au commencement du siècle, notre dessein était de le mettre en parallèle avec le tableau du Paris moderne dont nous avons successivement rappelé les transformations. Quel contraste! quel changement! C’est vraiment ici que l’on doit dire : Voyez et jugez ! Mais ne pouvons-nous aller au-delà? Par les résultats obtenus dans les soixante dernières années, n’est-il pas permis de juger des résultats qu’une période égale de temps promet et assure, alors surtout que les moyens d’action sont plus grands et le goût des améliorations plus vif. Ce n’est pas s’avancer beaucoup que de prédire pour cette époque l’entier achèvement de tous ces quartiers tracés d’hier et cependant déjà plus qu’esquissés, de l’Étoile, du Trône, de l’Observatoire, de Monceaux. Quand en 1899 la dette municipale actuelle sera amortie, c’est-à-dire au commencement du XXe siècle, il est permis d’assurer que la banlieue de Paris s’étendra jusqu’à Saint-Denis, Sceaux et Versailles. Dans cette immense enceinte sillonnée de locomotives, arrosée et purifiée par l’eau, rafraîchie par la verdure des parcs, enrichie par le développement de l’industrie, la moyenne de la vie se sera augmentée sans aucun doute grâce aux soins hygiéniques de toute sorte et aux progrès de la bienfaisance publique et privée. Les sacrifices financiers consentis pour obtenir de tels résultats sembleront minimes alors, et l’on s’étonnera peut-être qu’on ait fait des calculs d’économie d’argent quand il s’agissait d’économiser la vie des hommes. Nous entrevoyons et nous saluons toutes ces merveilles; mais à côté de tant d’avantages matériels nous en appelons d’autres : nous nous demandons quelle sera la situation morale et intellectuelle de ce Paris de 1900, de quel état social et politique il jouira. En même temps que plus de prospérité, de bien-être, de plaisirs, lui aura-t-on ménagé plus d’instruction et de liberté? Le culte de la propriété, de la famille, l’orgueil de la responsabilité personnelle, l’énergie du libre arbitre, ennoblissent les hommes. Si nous avons présenté quelques observations sur la tendance actuelle de l’administration qui apporte une sollicitude exclusive à l’embellissement de Paris, c’est que nous voudrions qu’on songeât encore plus à l’état moral de la société parisienne qu’à son bien-être matériel, et que nos descendans, avec tous les biens de ce monde, possédassent aussi les mâles vertus qui font les grandes nations et les peuples libres.


BAILLEUX DE MARISY.

  1. C’est l’estimation donnée par M. Le Berquier dans son livre sur l’administration de la commune de Paris.
  2. D’après un compte général de l’administration des finances qui remonte à quelques années, sur un total de 2 milliards 739 millions de paiemens faite par le trésor, le département de la Seine avait seul absorbé 877 millions. Depuis lors, sa part ne s’est pas amoindrie.
  3. Un ancien chef de division de la préfecture de la Seine, M. Saint-Léon, a publié en 1843 le résumé statistique des recettes et dépenses de la ville de 1797 à 1840, qui permet de suivre année par année l’augmentation des unes et des autres.
  4. Le droit d’entrée ou d’octroi frappe sur les objets de consommation usuelle compris dans les cinq divisions suivantes : boissons et liquides, comestibles, combustibles, fourrages et matériaux, etc. La nomenclature des objets de perception ne contenait en l’an viii que trente-trois articles. En 1840, ce nombre avait doublé. — Il faut observer que les agens de l’octroi perçoivent sur les liquides, outre le droit municipal, un droit d’entrée au profit du trésor pour libérer Paris de l’exercice.
  5. De 1805 à 1806, la désignation des recettes comprend dix-sept articles : centimes communaux, octrois, droits sur les ventes dans les halles et marchés, droits de mesurage, droits de voirie, abonnemens d’eaux, caisse de Poissy, entrepôts, locations de places dans les halles et marchés, location d’emplacemens et droits de stationnement sur la voie publique, loyers de propriétés communales, créances diverses, expéditions d’actes de l’état civil, taxe des inhumations, concessions de terrains dans les cimetières, reventes de terrains et matériaux, recettes diverses. — Sous la restauration, on y ajouta la ferme des jeux et le produit des abattoirs, qui n’étaient pas construits en 1815. Aujourd’hui les articles de recettes sont au nombre de seize ; il n’y a de supprimé que la ferme des jeux. La plupart de ces droits sont perçus par des agens de la préfecture de la Seine, quelques-uns seulement par des agens de la préfecture de police.
  6. Les abattoirs de Paris, commencés en 1811 et terminés en 1818, ont coûté 18 millions et n’ont longtemps rapporté que 1 million : aujourd’hui le produit s’élève à 1 million 1/2. L’entrepôt a coûté 20 millions et ne donne encore que 380,000 francs de revenu. Les marchés publics, les halles centrales, le service des eaux, ne rendent pas à beaucoup près l’intérêt des sommes qu’ils ont coûtées. Les propriétés communales enfin représentent un très gros capital, et le loyer de toutes ces propriétés ne s’élève encore qu’à 700,000 francs environ.
  7. Les palais impériaux et les bâtimens de la couronne nécessitaient une dépense de 62 millions. Le Louvre seul en absorbait 50, on en avait déjà dépensé plus de 21. 6,700,000 fr, avaient été employés à dégager les abords des Tuileries, et 2 millions 1/2 à jeter les fondemens du palais du roi de Rome. Les églises de Sainte-Geneviève, Saint-Denis, Notre-Dame, le palais de l’archevêché, étaient restaurés. Les fondations d’un hôtel pour les postes, pour le ministère des affaires étrangères, pour le palais des Archives, avaient déjà entraîné une dépense de 3,800,000 fr. Enfin en dehors de il millions appliqués à d’autres travaux, près de 13 millions avaient été consacrés à la façade du corps législatif, à la colonne Vendôme, au temple de la Gloire, à l’obélisque du Pont-Neuf, à la fontaine de la Bastille.
  8. Voyez la Revue du 15 août et du 15 septembre, - le Pain à Paris.
  9. Lorsque le premier consul organisa la préfecture de police et lui donna les attributions qui incombaient autrefois au prévôt des marchands, au lieutenant-général de police ou enfin au bureau central du directoire, il ne voulut pas la soustraire au contrôle de l’autorité municipale ; le préfet de police dut, comme le préfet de la Seine, requérir l’assistance du conseil municipal. Chacun des deux magistrats dut se mouvoir dans une sphère d’attributions distincte, mais sans qu’il fût possible toutefois, dans bien des cas, d’éviter des embarras et des conflits. La préfecture de police a son budget spécial, ses dépenses et même ses recettes particulières, qui font sous-budget, soumis comme celui des hospices au conseil municipal, et qui figure ensuite en un seul chiffre au budget général de Paris. Inutile d’ajouter que, pour la préfecture de police comme pour les hospices, la ville pourvoit à l’insuffisance des recettes. Sous le gouvernement de juillet, les recettes de la préfecture de police se composaient d’un subside de 2 millions donné par l’état pour l’entretien et la solde de la garde municipale, de 2 millions produits par les droits perçus sur les ventes aux halles d’approvisionnement sur la volaille, la marée, les huîtres, et qui ont ensuite été convertis en droits d’octroi, enfin de revenus d’origines fort diverses, parmi lesquels il faut noter le produit des vidanges, celui de l’enlèvement des boues, etc.
  10. Ce chiffre de 100,000 assistés comprend les individus reçus dans les hospices de tout genre aussi bien que les individus inscrits aux bureaux de bienfaisance. Le dernier relevé de l’administration de l’assistance publique ne porte pour les vingt arrondissemens de Paris que 36,713 ménages inscrits aux bureaux de bienfaisance, contenant 60,287 individus, c’est-à-dire à peu près le même nombre qu’en 1847 pour les douze anciens arrondissemens ; mais il est probable que les inscriptions dans les huit nouveaux arrondissemens atteindront un chiffre plus élevé que ne l’indique ce premier recensement opéré à la hôte. M. Husson a donné les chiffres de la décroissance constante du nombre des indigens inscrits aux bureaux de bienfaisance. En 1802, on compte 1 indigent sur 5,99 habitans, en 1818 1 sur 8,08, en 1832 1 sur 11,17, en 1847 1 sur 13,93, en 1859 enfin 1 sur 18,47. Aux indigens inscrits il faut ajouter les vieillards, les infirmes, les enfans recueillis, etc., pour dresser l’état de ce qu’on peut appeler la population souffrante.
  11. En regard du produit de l’octroi, il n’est pas sans intérêt de constater, comme un signe du progrès de la prospérité publique, l’accroissement de quelques autres revenus de la ville. En 1861, la redevance payée, par la compagnie du gaz a monté de 22 pour 100, les remises sur les ventes en gros dans les halles de 5 3/4, les droits de location de places dans les marchés de 9 pour 100, les revenus du poids public et du mesurage de 64 pour 1004 enfin le produit du droit de voirie de 30 pour 100.
  12. Pour compléter le tableau de ce que coûte déjà la métamorphose de Paris, il faut ajouter aux dépenses soldées par la ville celles que l’état s’est imposées pour lui venir en aide. De 1852 à 1858, l’ensemble des crédits alloués sur les fonds de l’état s’est élevé à 203 millions, auxquels il faut joindre les 22 millions que nécessitera la construction du nouvel Opéra.
    Détail des subsides accordés par l’état à partir de 1852
    Réunion du Louvre aux Tuileries, de 1852 à 1858 62,500,000 fr.
    Elysée 1,400,000
    Réparations aux monumens historiques 2,170,000
    Monument pour le maréchal Ney 50,000
    Boulevard de Strasbourg 3,149,000
    Boulevard de Sébastopol.. 23,500,000
    Hippodrome de Longchamps, 1,500,000
    Tombeau de l’empereur 865,000
    Ministère des affaires étrangères. 4,500,000
    Bâtimens de l’île des Cygnes 428,000
    Palais de l’Industrie 14,880,000
    Boulevard de Sébastopol, rive gauche 12,500,000
    Ponts des Invalides, d’Iéna, d’Austerlitz, d’Arcole 4,250,000
    Cathédrale 3,500,000
    Casernes Napoléon, garde impériale 7,850,000
    Grands travaux de la loi de 1858 60,000,000
    Nouvel Opéra 22,000,000
    225,042,000 fr.