La Vocation/Deuxième partie/V

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Paul Ollendorff (p. 97-102).
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V


Un jour Mme  Daneele trouva Wilhelmine tout en larmes. Elle s’était jetée sur son lit et pleurait, la tête dans l’oreiller. Ses cheveux dénoués couraient en ruisseaux noirs…

— Qu’as-tu ?

— Rien… Laisse-moi…

Mot des douleurs morales, comme des souffrances physiques, craignant qu’on approche de leur mal, qu’on touche à leur plaie, même pour la guérir. Mais les mains des mères ont des remèdes, comme si, avec les layettes mortes, elles avaient fait de la charpie dont, toute la vie, elles pansent en silence leurs enfants.

Wilhelmine était une nature sensitive, ardente. Dans ce manège de causeries et de rencontres avec Hans, que les mères favorisaient, il était naturel que la jeune fille se troublât, se charmât de lui. Il avait un visage noble, et si beau, que toutes les femmes le remarquaient. Wilhelmine souffrait de sa froideur. Au commencement, elle ne demandait que d’être avec lui. Elle rougissait, mais c’était bon de rougir, quand c’était vers le soir et que, grâce à l’ombre, il ne s’en apercevait pas. Elle en éprouvait toute une tiédeur, une caresse de roses, comme si tout à coup elle avait mis son visage dans un bouquet. Quand il était là, elle se sentait une autre, elle avait l’air de s’être retrouvée après s’être perdue, et d’être rentrée dans la maison après un long voyage. Et cette voix de Hans, grave et d’un son qui se continue, elle la voyait pour ainsi dire venir à elle, descendre en elle, éveiller des choses en elle qui bougeaient, s’étiraient, sortaient, s’en allaient, à leur tour, vers lui, et c’était un unisson, un échange, le bon voisinage de deux toits qui mêlent leurs fumées. Premier amour ! Trouble de tout l’être ! Émoi d’on ne sait quoi ! Naissance dans le cœur d’un mystérieux rosier blanc qu’il faut arroser avec des larmes !

Lorsque Hans était parti, accompagnant sa mère, Wilhelmine se trouvait désemparée. Les heures étaient longues. Le silence de la demeure l’ennuyait. Elle cherchait à réentendre la voix de Hans, à recomposer son visage, triste d’en perdre sans cesse le fuyant dessin. Fragilité de la mémoire humaine où n’apparaît que le présent, qui remédie si peu à l’absence et ne garde de ce qu’on voudrait revoir que ce qu’un miroir conserve, tout au fond. À peine se rappelait-elle, de Hans, ses cheveux de lumière, l’arête vive de son nez, l’ensemble de sa stature ; mais la nuance indéfinissable de ses yeux, la ligne de sa bouche qui aboutissait à un petit pli, un peu dédaigneux ? Wilhelmine cherchait, s’efforçait ; car elle avait besoin du cher visage. Elle aurait bien voulu avoir son portrait, pour s’aider…

Mais elle n’osait pas le lui demander, elle n’osait rien lui dire. Il était toujours si grave et froid, causant avec elle comme avec une étrangère ou comme avec une sœur plus jeune à qui on n’a rien à dire ! Sans doute qu’il l’avait trop connue enfant, pour la traiter maintenant comme une grande personne, comme une jeune fille qu’elle était devenue.

Jamais l’idée ne lui viendrait de l’aimer autrement que comme une amie d’enfance, et de l’épouser.

Wilhelmine se désolait.

Mme  Daneele, quand elle la trouva en pleurs, ne douta pas une minute de la cause de son chagrin. Larmes de jeune fille, larmes d’amour !

Elle provoqua sa fille aux confidences… Puis, doucement, la consola, la conseilla. Elle lui raconta ce que Wilhelmine ignorait : la dévotion extrême de Hans, ses anciens projets, sa vocation religieuse, sa volonté d’entrer dans les Ordres, contrariée par Mme  Cadzand, qui lui avait fait promettre d’attendre un peu, d’atermoyer jusqu’au moment de sa majorité. Mais des résolutions de ce genre ne tiennent pas, s’évanouissent pourvu qu’on s’attarde quelques années dans le monde.

— Oh ! oui, fit Wilhelmine ; quand j’étais au couvent, je voulais aussi devenir religieuse.

— Donc, ne t’afflige pas. Aie bon espoir. Moi-même et Mme  Cadzand, qui avions vu clair dans ton cas, nous serons ravies que tu épouses Hans. Il mérite que tu l’aimes ! Ne pleure plus, Wilhelmine !

La jeune fille sauta au cou de sa mère, l’embrassa avec ivresse, les yeux clarifiés, séchés de tout ce vilain chagrin qui avait plu en eux. Puis, se ravisant :

— Oui ! Mais s’il s’obstine, veut être prêtre ?…

— Cela, c’est affaire à toi, Wilhelmine. Fais-toi aimer. Tu l’aimes, c’est le principal. Arrange-toi pour qu’il le devine, le sache un peu… Les hommes aiment surtout quand ils savent qu’on les aime…