La Vraie Histoire comique de Francion/Avis aux lecteurs

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A. Delahays (p. 13-18).



AVIS AUX LECTEURS





Cest ici un ouvrage du sieur du Parc, qui s’est assez fait connoître par les aventures de Floris[1] et de Cléonte, et celles de Phinimène et de Chrysaure, dans son livre des Agréables diversités d’amour. Il est vrai que ces histoires ont un style fort poétique et fort figuré, mais tel qu’il convenoit au sujet et à la mode du temps, pendant lequel on ne trouvoit point agréable de parler des mignardises d’amour avec des paroles simples. Or il faut avouer qu’il a très-bien réussi dans cette manière d’écrire, et qu’il a même fait paroître par ses applications, qui se trouvent de tous côtés, qu’il entendoit l’histoire et la fable, et qu’il étoit aussi fort bien instruit dans la plus secrète philosophie ; mais, comme il avoit l’esprit souple, il varioit son style selon les desseins qu’il prenoit, et nous avons eu de lui d’autres pièces où il s’est efforcé de mettre moins de paroles et plus de choses. Entre toutes celles qu’il a faites, il faut avouer qu’il n’y en a point qui égale cette Histoire comique de Francion, laquelle il fit la dernière, étant las de tant d’histoires tragiques qu’il avoit composées, comme il déclare dès l’entrée du livre. L’on y remarquera une grande différence de ses autres ouvrages ; car il sçavoit bien qu’en ce lieu-ci il falloit écrire simplement comme l’on parloit, sans user d’aucune afféterie ; et, puisqu’il quittoit une matière triste pour une joyeuse, il étoit besoin que l’on y vît beaucoup de changement. Ceux qui affectionnent ce livre diront qu’il n’y a point de comparaison des autres à lui, et que l’auteur y a tout autrement réussi, ce qui les étonne merveilleusement ; mais qu’ils prennent garde aussi que l’on n’écrit jamais mieux que quand l’on ne suit que la nature et son génie. Le sieur du Parc étoit d’une conversation fort agréable et fort joviale, tellement qu’il se plaisoit bien plus à écrire des choses sérieuses avec un langage courant que de se contraindre pour écrire à la mode de son siècle, ainsi qu’il avoit fait quelquefois pour plaire à quelques dames. Enfin, l’on peut dire qu’il avoit trouvé son talent. L’on cherche tant, que l’on rencontre ce qui nous est propre. Ses Diversités d’amour furent imprimées en l’an 1614. Depuis, il fit encore deux ou trois livres, et entre autres un, des Fidèles affections, où son style commençoit de se changer petit à petit ; car, en effet, même il y avoit plusieurs personnes qui se lassoient de la mode ancienne, et qui demandoient quelque nouveauté. Enfin, il ne se donna plus d’autre but que Francion et ses diverses fortunes. Mais il y avoit longtemps possible qu’il se préparoit à cette histoire-ci ; car, dedans celle de Floris et Cléonte, et en d’autres lieux, vous trouverez qu’il parle déjà de Francion. Il écrivit donc les aventures de ce cavalier, auxquelles il donna le titre d’Histoire comique ; et ce fut à l’envi de du Souhait[2], Champenois, et comme pour le braver, à cause qu’auparavant du Souhait avoit donné le même titre à quelques contes qu’il avoit ramassés. Il y avoit de la contention entre ces deux esprits, qui étoient d’un même temps ; mais notre auteur a bien précédé celui-là, comme l’on peut voir par le bon accueil que l’on a fait à son ouvrage, au lieu que celui de de Souhait a demeuré dans l’obscurité, et n’a été imprimé qu’une fois. Néanmoins il y a eu beaucoup de gens qui, à cause de ce livre d’Histoire comique que du Souhait avoit déjà fait, ont cru qu’il avoit encore fait celui-ci ; mais nous ne devons pas demeurer dans cette pensée. Cette Histoire comique de Francion fut imprimée pour la première fois en l’an 1622, mais il n’y avoit que sept livres. Quelques autres livres suivans étant venus entre les mains des libraires, après la mort de du Parc, on les fit promptement imprimer, d’autant que ce que l’on avoit déjà vu avoit été reçu parfaitement bien ; mais l’on dit que, parce qu’il y avoit eu des brèches en cet original, il y eut quelques gens qui aimèrent tellement cet ouvrage, qu’ils prirent la peine de le réparer et d’y insérer quelques contes de leur invention, qui s’y trouvèrent fort à propos. Or, parce que cela parloit de choses qui sembloient être fort récentes, beaucoup de personnes y étoient abusées, et prenoient le livre entier pour tout nouveau, et ne s’alloient point imaginer que ce fût du Parc qui en fut aucunement l’auteur. D’ailleurs, comme le langage devient plus poli chaque jour, il se peut faire que l’original de notre auteur n’avoit pas toutes les douceurs qui sont venues depuis ; mais l’on avoit remédié à cela, et l’on avoit réformé les façons de parler qui n’étoient plus en usage, tellement que, comme peu de chose fait grand bien en ces occasions-là, cela aidoit à tromper le monde, et l’on attribuoit ce livre à des personnes qui n’y avoient pas beaucoup contribué. Mais, tant y a, que depuis il a eu si bonne chance, que chacun l’a voulu voir, et il s’est imprimé plusieurs fois ensuite de la seconde, sans qu’il y eût guère de changement, et l’histoire ne contenant toujours que onze livres. Il étoit à croire que l’auteur en avoit fait douze, et chacun demandoit ce douzième ; mais personne ne le pouvoit donner. C’est en quoi je voudrois prendre ceux qui penseroient attribuer cette histoire à d’autres ; car à quoi tenoit-il qu’ils n’en donnoient la fin ? Mais il falloit attendre cela du vrai auteur, et que l’on cherchât ce qu’il en avoit fait de son vivant. Enfin, il est arrivé qu’un homme, qui demeuroit avec le sieur du Parc à l’instant de sa mort, est revenu d’un long voyage, et a déclaré à quelqu’un qu’il avoit chez lui beaucoup de manuscrits, lesquels il falloit feuilleter. L’on y trouva une copie de la plus grande part de l’Histoire comique, qui étoit plus ample en quelques lieux que celle que nous avions, et qui avoit un autre commencement et une autre fin, et même ce douzième livre tant souhaité. L’on a tant fait, que l’on a eu ceci pour le faire imprimer, tel que nous le voyons maintenant, et l’an a réformé ce qui étoit à réformer, comme, par exemple, cette épître aux grands, et le narré de la préface du livre de Francion, qui étoient du corps de l’histoire, y ont été insérés, au lieu que l’on avoit mis tout cela au commencement du livre à faute d’autre chose[3]. Aussi a-t-on bien vu que cela devoit être ainsi ; car même l’on a trouvé une autre épître liminaire adressée à Francion, laquelle devoit être au commencement de l’histoire, ainsi que l’on l’a mise. Or nous voyons dans le onzième livre que Francion avoue qu’il a fait un ouvrage qu’il appelle les Jeunes Erreurs, lequel même a été publié, à ce qu’il dit, et néanmoins nous n’avons point sçu qu’il se soit imprimé un tel livre ; mais ce n’est aussi qu’une feinte, et du Parc a pris plaisir de faire dire cela à Francion, pour donner à songer aux lecteurs : car ce n’est point là qu’il a appris les aventures de ce cavalier, puisqu’il confesse, dans son épître, qu’il les lui a racontées de sa propre bouche. Toutefois c’est à sçavoir si ce n’est point encore ici une autre fiction d’esprit, ou si ce Francion étoit véritablement quelque gentilhomme ami de du Parc, dont il avoit entrepris d’écrire la vie, et duquel il avoit eu quelques mémoires. Mais cela n’importe de rien ; il suffit que nous reconnoissions l’excellence du livre. Au reste, en ce qui est de ces choses modernes qui ont été mises ici, parce que l’on les a trouvées fort bien enchâssées dedans l’histoire, et qu’elles étoient trop connues pour être désormais oubliées, il les y a fallu laisser ; mais néanmoins tout cela est arrangé avec tel ordre, que nous pouvons dire que nous avons maintenant la vraie histoire de Francion, ayant été corrigée sur les manuscrits de l’auteur. Et, pour ce qui est de ces choses étrangères, nous ne disons point si elles sont meilleures ou pires que le principal du livre, car il y a différentes espèces de beautés. Il faut considérer aussi que cela est en si petite quantité, au prix de ce qui a été fait par du Parc, que cela n’est pas considérable, et que, quand cela n’y seroit pas, l’histoire n’en vaudroit guère moins ; tellement que l’on ne l’y laisse que pour rendre plus satisfaits les plus curieux, qui ne veulent rien perdre de ce qu’ils ont vu une fois dans les livres, joint que c’est une maxime, qu’en ce qui est de ces livres de plaisir il est permis d’y changer plus librement qu’aux autres. Toutefois il est certain que, si l’on a ajouté quelque chose à celui-ci, ce n’a pu être que selon les desseins du premier auteur, lesquels il a été besoin de suivre ; tellement que l’honneur lui est dû de tout ce que l’on y a pu faire. Nous devons considérer, d’un autre côté, que nous ne manquons point de trouver beaucoup de personnes qui assurent que le tout doit être d’un même auteur, et que ces choses, que l’on soupçonne être d’un autre que de du Parc, ne sont pas arrivées si nouvellement, qu’il n’en ait pu avoir connoissance ; si bien que cela pouvoit être compris dans les derniers livres de son histoire, et c’est à tort que, pour deux ou trois discours, l’on soupçonne tout le reste. Chacun doit demeurer dans cette opinion, et ne point croire qu’autre que le sieur du Parc soit auteur de l’Histoire comique de Francion tout entière ; car pourquoi l’attribuera-t-on à un autre, puisque même il ne se trouve personne qui se l’attribue ? Aussi nous a-t-il laissé cette agréable pièce en un tel état, qu’elle se pouvoit faire estimer sans aucun aide, et que les embellissemens que l’on y a pu apporter ne sont pas capables de lui ôter l’honneur qu’il mérite ; de sorte qu’il ne faut point aussi que les vivans pensent s’attribuer la gloire des morts. Il y a beaucoup de choses à dire pour la recommandation de son ouvrage ; mais à quoi cela sert-il, puisque le voici présent, et qu’il n’y a qu’à le considérer pour voir combien il est estimable[4].


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  1. Sorel se trahit dès les premières lignes, car il a publié lui-même, dans son extrême jeunesse, un livre intitulé : les Amours de Floris.
  2. Auteur des Divers Souhaits d’amour, des Amours de Glorian et d’Ismène ; des Amours de Poliphile et de Mélonimphe, etc.
  3. Voy. livre XI.
  4. Sorel, sous le couvert du sieur du Parc, est en belle situation pour se louer tout à son aise : on voit qu’il ne s’en est pas fait faute.