La Vraie Pierre philosophale, ou le moyen de devenir riche à bon compte

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La vraye pierre philosophale, ou le moyen de devenir riche à bon conte. Le tout espuisé d’une prophetie authentique, traduicte en françois de la fiole hebraique de Salomon, où sont enfermez sept esprits qu’il evoqua des planettes jusques au jour du jugement.

XVIIe siècle



La vraye pierre philosophale, ou le moyen de devenir riche à bon conte. Le tout espuisé d’une prophetie authentique, traduicte en françois de la fiole hebraïque de Salomon, où sont enfermez sept esprits qu’il evoqua des planettes jusques au jour du jugement.
LA PROPHETIE.

L’Actéon demeurant aux bornes
Du bis sept bénedicité
Guérira du mal de ses cornes
Par bois qui remet la santé.

Imprimé à Salemanque, jouxte la coppie fraischement
apportée de chez l’imprimeur des Catadupes
.
S. l. ni d. In-81.
Explication d’Allegorie.

Benevole Lecteur, il est question maintenant d’ajuster ses lunettes aux oreilles, pour mieux entendre (ainsi que dit Panurge) le moyen de devenir riche, et à peu de frais, qui n’est autre chose que la vraye pierre philosophale, que je vous apprens fort ingenieusement par ce mien petit opuscule, si, prealablement que de tirer la consequence des premisses, vous deviez percevoir humainement la petite histoire que je galope vous desduire, s’il plaît à celuy qui a fait les constellations et les planettes.

Sçache donc, Lecteur, que du temps que l’on portoit le pourpoinct attaché aux chausses2 l’ile d’Angleterre nourrissoit une princesse de laquelle les moindres actions estoyent perfections, et ses perfections des miracles. Le bruit de ceste merveille venant jusques aux oreilles de la France, il se trouva un de ses cavalliers tellement espris et passionné au simple raport de l’idole, qu’il se delibère de s’equiper de son possible pour aller coler sa veue sur le subject lequel luy faisoit horriblement bouillir la vessie, à cause des devorantes flammes qu’amour attisoit sur le buscher de son cœur, tellement que, pour attaindre plus commodement l’epilogue de la comedie, il desgueilleta3 les esperons de gentilhomme pour chausser la mitaine d’un fauconnier4 verreux, croyant par tel moyen estre receu dans la maison de son doux esmoy, c’est à dire de ceste aymable image, au recit qu’il avoit ouy que le Monsieur aymoit moult la fauconnerie. Or arriva comme il se seroit proposé : après qu’il eut servi l’espace de quatre ou cinq ans de fauconnier, l’office de maistre d’hostel venant à vaquer par mort, à cause de ses agreables services et qu’il estoit tout propre pour une meilleure affaire, les destinées ayant escrit dans leurs feuillets d’airain une bonne fortune, il eut la charge que ses merites ne luy pouvoyent refuser ; mais icelle exerçant fort bragardement sans bouger les yeux de la teste, il fit tant avec la bibliotèque de ses œillades amoureuses, que la princesse, se laissant prendre au glu de cest expert oyseleur, pour faire porter l’egrette de bœuf à son mary, rompant les bornes de la pudicité, luy donna un soir assignation de se rendre à la ruelle de son lit pour illec luy froter le busq, jouissant du loyer que meritoit la perseverance de semblables amours. Et advint qu’estant au lieu de l’assignation, sa dame luy print la main, laquelle attacha avec la sienne d’un ruban, incarnat ou fleur de lin s’il m’en souvient ; puis secouant et remuant son espoux, qui à ceste heure ronfloit melodieusement, l’ayant esveillé en sursault, luy dit : Monsieur, il me semble que vous m’avez dit une plaine hote de fois que vostre maistre d’hostel vous servoit si fidellement et gentiment que pour une plaine cuve de diamans de la nouvelle roche vous ne le voudriez perdre ; or, sachez à la bonne heure que c’est un perfide et meschant homme, m’ayant sollicité aujourd’huy de lui prester la courtoysie savoureuse au prejudice et honnissement de vostre honneur et du mien et toutes autres belles besongnes, etc. (Je vous laisse à penser en ceste belle paranthèse si le drolle, ne sçachant rien de tout cecy, se tenoit vilaine et lourde peur.) Pourtant je luy ay donné assignation dessoubs l’arbre de nostre jardin. Levez-vous promptement et prenez mes habits, l’alant attendre, deussiez vous demeurer jusques à une heure et trois minutes après minuict, car il m’a promis d’y venir aux despens d’abreger le peloton de sa vie. Cela fut dit, cela fut fait, et ce cocu in fieri, attendant de l’estre in facto, soudainement se botit et puis parta. Et arriva qu’après que le nouveau mary eut occupé le giste nouvellement et chaudement laissé, et qu’il eut, comme l’on dit en nostre village, entribardé à double carillon sa dame, par commandement et ruse d’icelle il print un gros baston et long à l’equipolent, et de bois de cormier, ou plustost de cornier, saluant avec ses invectives, et tel fust la mademoiselle expectante : « Comment, taupe diène ! » Et zest ! coups de bastons sur l’escoffion. « Est-ce ainsi que vous pensez d’adouber mon maistre ! Parbleu ! je vous zape ! » Et allons bourrassades en campenie. « Je jure qu’il n’en ira pas de la sorte, rusée masque, chaude chopine, je ne voye jamais mon cul en face, serment des bonnes festes et vie. » Redoublant plus fort, « Je vous accomoderay qu’il vous en souviendra trois jours après la Pentecoste ! » Il avoit beau crier : « Holà ! tout beau, mon amy ! c’est moy, je ne suis pas elle. » Le palefrenier n’avoit non plus d’oreilles qu’un rocher de Casprée, mais tousjours allons sus donne Martine ! L’un estoit Briarée en manière de faire pleuvoir coups de bastons, et l’autre estoit un asne de moulin pour les endurer. Tellement que le meilleur conte que le sieur desguisé pût avoir fut que d’aller trouver sa femme bride abatue, cocu, batu et content5. Je veux conclure par là, in modo et figura, que qui gueriroit tous les cocus depuis orient jusques en occident, et depuis le septentrion jusques au midi, sans y conter ceux des antipodes, en telle forme de proceder, seulement à une portugaloise par teste, il deviendroit plus riche et opulent que tous les faiseurs de pierre philosophale du Peru. Je me recommande

Astra regunt homines cornua sydus habes.

Prenez en gré le passe-temps.

Advertissement au lecteur.

D’autant que cecy est dedié aux beaux esprits, seuls d’en juger capables, l’œil des avaricieux (comme celuy du Basilic) en doit estre privé. C’est pourquoy nous avons cacheté à double ressort la presente pierre philosophalle, affin qu’elle ne soit communiquée qu’à ceux qui se trouveront le quid phisique, qui se reduict à une pièce d’or ou d’argent qui porte visage.


1. Le conte qui va suivre, et qu’on n’auroit pas certainement été chercher sous le titre singulier de cette pièce, est une imitation abrégée d’une nouvelle du Décameron de Boccace (la 7e de la 7e journée), qui procédoit elle-même en grande partie du fabliau de la Borgeoise d’Orléans (v. Barbazan, t. 3, p. 161). Le conte de La Fontaine Le cocu battu et content. (liv. 1, conte 3) en vient aussi, de même que l’un des contes de d’Ouville, t. 1, p. 186. M. Edelstand Duméril, dans son curieux chapitre des sources du Décameron et de ses imitations (Hist. de la poésie Scandinave, prolégomènes, p. 354), suit ce conte sous ses diverses formes dans les littératures angloise, italienne, provençale, et même espagnole ; il le retrouve dans une vieille romance du recueil Poesias escogidas de nuestros cancioneros y romanceros antiguos, t. 17, p. 178, ce qui prouveroit peut-être que le nom de la ville de Salamanque, en Espagne, n’a pas été indiqué sans quelque motif comme étant le lieu d’impression de cette pièce, et donneroit à croire qu’ici la tradition espagnole a surtout été suivie.

2. Molière, dans l’Avare (acte 2, scène 6), donne aussi, comme signe d’ancienneté reculée cette mode du haut de chausse « attaché au pourpoint avec des aiguillettes ».

3. C’est-à-dire ôta les aiguillettes, les lacets qui retenoient ses éperons.

4. Boccace dit qu’il se fit domestique du mari, mais sans indiquer la charge qu’il prit dans la maison. La Fontaine, au contraire, d’accord avec ce qu’on lit ici, soit par hasard, soit parcequ’il connoissoit en effet notre pièce, dit :

Messire Bon, fort content de l’affaire,
Pour fauconnier le loua bien et beau.

5. Ce passage nous donneroit encore à penser que La Fontaine connut cette pièce. Il trouva là le titre de son conte : Le cocu battu et content.