La cache aux canots/08

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Éditions de l'Action canadienne-française (p. 56-62).


VIII

LE MANCHOT REÇOIT DES VISITEURS



LE DÉPART du chasseur créa, dans l’existence du manchot, un vide inusité. Son cœur, depuis si longtemps sevré de toute affection, s’était ému de cette amitié fraternelle que lui témoignait Brisot, et son attachement au fils du Français s’en accrut encore davantage.

Tous les jours, le Castor arrivait à la maisonnette et, lorsque le temps était beau, Jeannot et son grand ami allaient faire des explorations au bord du lac ou à l’intérieur de la forêt.

Cet Indien de trente ans était d’une sagacité remarquable ; sa belle intelligence se doublait, cependant, d’une naïve simplicité de caractère et ce trait distinctif rapprochait le solitaire des bois du précoce petit Visage-Pâle, devenu son camarade. Amiscou se sentait heureux aussi du sentiment de protection qui donnait une portée quasi-paternelle à son affection pour Jeannot.

Un matin de beau soleil, ils partirent gaiement ensemble, en causant, le gamin, comme d’habitude, posant à son ami de nombreuses questions.

Le Huron avait promis à l’enfant de lui faire visiter son gîte caché de la forêt que, depuis longtemps, Jeannot désirait voir. La distance pour s’y rendre n’était pas très considérable mais il fallait quitter le sentier et faire plusieurs détours ; dans la sauvage épaisseur du bois, il était difficile de repérer cet abri sans le connaître à l’avance. Le terrain déclinait à cet endroit en une pente assez accentuée et un dense rempart de jeunes sapins semblait en défendre l’accès. À cause des nombreuses obstructions, Amiscou souleva le petit dans son bras, enjamba plusieurs obstacles, puis remit l’enfant sur pied, auprès d’un ruisseau qui serpentait parmi les herbes… on était en vue de la cache ! Une caverne profonde en formait l’abri principal, mais Jeannot ne la vit pas tout d’abord, à cause de l’émerveillement que lui causait l’entrée de l’habitation… Pour la durée de la belle saison, l’Indien y avait construit une arcade rustique… une treille de branches recouvrait le plus charmant nid de verdure qu’il soit possible de rêver !

Entre de hautes touffes de fougères, un moelleux tapis de mousse recouvrait le sol, çà et là de gracieux liserons s’enroulaient autour d’autres plantes sauvages ; des petits massifs de quatre-temps entr’ouvraient déjà leurs pétales étoilés encore verts. Le parfum résineux de la treille embaumait l’air dans ce portique improvisé ; on était au début de juin, et Jeannot, avec un cri de joie, découvrit deux jolis sabots de la Vierge qui se dressaient, roses et délicats, entre les longues feuilles qui leur servaient de soutien.

— Que c’est beau dans ta maison de mousse ! s’écria l’enfant.

— Ceci est l’entrée ; viens plus loin, dans la grotte, fit Amiscou, poussant de la main une espèce de panneau qui en masquait l’ouverture.

À la suite de l’Indien, l’enfant pénétra dans la caverne où de nombreuses fissures donnaient de l’air et même un peu de lumière. Lorsque la vue s’était habituée à ce demi-jour sombre, on pouvait distinguer l’aménagement de l’intérieur. Un lit de branches et quelques tronçons d’arbres en composaient l’ameublement. Sur le plancher pierreux et terreux, plusieurs peaux de renard et une peau d’ours ; dans un coin, les cendres d’un foyer éteint au-dessus duquel on pouvait distinguer dans la voûte une petite ouverture par où, sans doute, devait s’échapper la fumée. Le mur de roc, gradué et inégal en plusieurs endroits, servait de tablettes et Amiscou y avait entassé pêle-mêle une quantité de choses dont il se servait soit pour sa nourriture ou pour sa chasse.

L’intérêt de Jeannot se voyait dans le soin qu’il mettait à tout observer. L’inspection de la grotte une fois terminée, on sortit de nouveau sous la treille, et Amiscou dit à l’enfant :

— Reste bien tranquille ici, ne bouge pas du tout, et, tu vas voir… nous allons recevoir des visiteurs !

Jeannot se tapit dans un petit coin et attendit avec curiosité… Amiscou avait pris une poignée de blé et un morceau de pain, puis il se mit à siffler, imitant à s’y méprendre le chant des oiseaux… bientôt il en vint sur les branches avoisinantes, peu à peu ils se rapprochèrent, tandis que l’Indien, sifflant toujours doucement, égrenait à ses pieds le grain et les miettes de pain. Les visiteurs ailés devenaient moins craintifs, sautillant sur le sol, saisissant vivement les miettes dans leur petit bec solide… pendant quelques moments pinsons, goglus, fauvettes, étourneaux et alouettes, becquetaient à qui mieux mieux autour du grand manchot qui continuait son chant siffleur. Quand il eut fini sa distribution, il leva la main :

— Fini, mes amis ! Plus rien à becqueter… à demain !

Et les oiseaux s’envolèrent à tire d’ailes !

— Comme ils te connaissent bien ! s’écria Jeannot ravi, comment as-tu pu si bien les apprivoiser ?

— J’ai vécu seul si longtemps, mon gars… les oiseaux et les bêtes des bois ont été mes seuls compagnons… nous nous connaissons bien maintenant… mais j’ai encore des petits amis à te faire voir ; cache-toi comme tantôt et attends…

Amiscou rentra dans la caverne et souleva une roche ; dans un creux du sol il prit quelques noix et des faînes ; puis il sortit de l’abri et vint s’asseoir face à l’entrée. Là, il fit entendre un cri léger, comme un sifflement étouffé… plusieurs fois, il répéta cet étrange appel, posant deux doigts sur ses lèvres, puis il attendit… Jeannot se demandait ce qui allait venir… Extrait d’une ancienne carte de la Nouvelle-France montrant la disposition de la rivière et des lacs mentionnés dans ce récit. Des travaux modernes ont changé le cours de cette rivière.

Tout à coup, il entendit courir… des pas légers, feutrés et rapides, sur le sol de la forêt… le manchot jeta des faînes et deux petits écureuils ne tardèrent pas à s’en emparer… bientôt, il en vint plusieurs et parmi eux un joli suisse à pelage soyeux et à dos rayé… ces petits affamés saisissaient les noix, se plantaient sur leur train de derrière, la queue sur le dos, et, tenant la noix ou la faîne dans leurs pattes de devant, se hâtaient d’en extraire l’amande avec leurs fortes dents de rongeurs.

Jeannot voulut se rapprocher, mais les petits fourrés s’enfuirent !

— Je t’apprendrai à les apprivoiser, dit l’Indien et à siffler entre tes doigts pour les appeler !

— Bon ! Et à appeler aussi les oiseaux, n’est-ce pas, Grand-Castor ?

— Hé ! Hé ! Tu pourras aussi apprendre à imiter leur chant… ils te répondront, tu verras !

— As-tu encore d’autres amis, dans la forêt ?

— Oui, plusieurs, mais il est trop tard pour aujourd’hui. Une autre fois, je te ferai voir mon corbeau, ma merluche, et aussi une marmotte qui a des petits dans un terrier… je lui donne à manger, et elle me connaît bien… mais retournons, maintenant, c’est l’heure de ton repas et Onata doit commencer à être inquiète !