La civilité des petites filles/13

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13. — En voyage.


Par un beau jour de printemps, Mme Lebon partait en voyage pour une semaine. Elle emmenait avec elle ses trois enfants : Pierre, âgé de onze ans, sa sœur Clémence qui avait neuf ans, et leur petit frère René.

On se rendait chez une sœur de Mme Lebon, demeurant à environ 60 kilomètres du pays.

Les enfants, comme toujours, étaient enchantés de voyager, et l’on se rendit à l’embarcadère du chemin de fer. Ici commenceront les tribulations de la pauvre mère. Pierre, en garçon turbulent, s’élança aussitôt sur la voie. La mère, effrayée, cria, s’élança après l’imprudent, et le chef de gare eut de la peine à le ramener près d’elle ; il était temps, le train arrivait à toute vapeur : une seconde de plus, et Pierre était broyé.

Pierre, au lieu d’attendre que le train soit complètement arrêté, veut monter sur le marche-pied d’un compartiment : il prend mal ses mesures, tombe sur l’épaule et se fait grand mal. Un des employés le relève en maugréant et le hisse dans le wagon.

Sa mère et les deux autres enfants montent à leur tour. Dans le compartiment, les quatre coins étaient occupés. Les nouveaux venus durent se placer au milieu des banquettes. Dans un des coins se trouvait une jeune femme maladive, très pâle. Sa mère, placée en face d’elle, la regardait avec inquiétude. Dans les coins opposés étaient deux hommes en blouse, des ouvriers sans doute, qui dormaient leurs casquettes baissées sur les yeux et leur cachant à moitié la figure ; ils avaient probablement passé la nuit en chemin de fer.

Pierre, aussitôt installé, veut passer pour aller à la portière et regarder à travers les vitres. Sans demander pardon, il s’avance, marche sur le pied de ces dames. La dame âgée est obligée de le prendre par le bras et de le repousser. Elle lui dit : — Ce que vous faites-là est impoli, petit garçon ; restez à votre place.

Pierre se retourne et essaye d’aller à l’autre bout. Il heurte les jambes des dormeurs fort ennuyés d’être dérangés dans leur sommeil. L’un d’eux lui dit en colère : — Vas-tu finir, galo-
pin ? Si tu recommences, je te corrigerai et te tirerai les oreilles.

De guerre lasse, pierre se met à chanter, à siffloter, monte debout sur la banquette au risque de la salir, puis il taquine son petit frère, le fait pleurer, et enlève la poupée de sa sœur Clémence sans vouloir la lui rendre.

Il faisait un tel tapage, il était si remuant que la pauvre jeune femme malade dit à sa mère : — Que ce bruit me fait mal ! Ne pourrions-nous pas changer de compartiment ?

Cependant les ouvriers étaient descendus. Pierre se trouva près de la portière. Comme la glace était fermée, il voulut la baisser, malgré la défense de sa mère. Dans un mouvement brusque il donna du poing sur le verre et la vitre se brisa en mille morceaux.

Justement on arrivait à destination. Un employé entendit le bruit : dine ! dine ! il s’approcha et dit à la mère :

— Madame, c’est 3 francs que vous allez remettre à la compagnie ; qui casse les verres les paye.

Mme Lebon n’était pas riche et, ne s’attendant pas à ce surcroît de dépense, elle fut vivement contrariée. Elle se dit en elle-même : — C’est là le plaisir des voyages avec Pierre ! Je ferai en sorte de n’en plus faire dans sa compagnie : c’est le premier et ce sera le dernier.

Le lendemain de ce jour, une autre mère voyageait avec ses deux enfants, Armand et Henriette ; mais ceux-ci étaient aussi raisonnables que Pierre l’était peu. Ils montèrent avec précaution dans le compartiment, saluèrent gentiment les voyageurs et s’assirent près d’eux.

Il y avait justement une dame tenant dans ses bras un bébé qui pouvait avoir huit à neuf mois, et bébé ne s’amusait guère en chemin de fer : il grognait et pleurait. Alors Armand, qui avait un polichinelle dans un panier, le retira, le montra à l’enfant et le fit manœuvrer à sa grande satisfaction.

Henriette avait du bonbon dans sa poche, elle donna un bâton de sucre d’orge au petit pleureur. Puis le frère et la sœur s’ingénièrent tout le temps de la route à amuser le bébé : ils frappaient dans leurs mains, le faisaient rire et l’embrassaient. Tous les voyageurs admiraient ces deux charmants enfants. Ils les questionneront et ils furent ravis de leur tenue, de leurs réponses et de leurs manières gentilles.

Une dame, placée près de leur mère, lui dit tout bas à l’oreille :

— Que je vous trouve heureuse d’avoir des enfants si aimables, j’envie votre sort !…

Et elle soupira douloureusement.

Il est bien probable que ses enfants à elle ne leur ressemblaient pas.

Lorsqu’on voyage avec des enfants polis et bien élevés, chacun cherche à leur faire plaisir ; on aime à jouir de leur babil, on s’intéresse à eux. En voyage, il ne faut pas se rendre incommode aux autres et chercher avant tout ses aises. Les enfants doivent ne gêner aucunement leurs voisins et ne parler que lorsqu’on les interroge. Une personne discrète, parlant peu, se fait mieux juger qu’une personne parlant beaucoup et se familiarisant.

La familiarité peut avoir de graves inconvénients, surtout pour les femmes, car on ignore souvent avec qui on est.

Une jeune fille qui se trouve dans une voiture publique : omnibus, tramway ou chemin de fer, doit offrir sa place, si elle est plus commode, à une dame âgée qui arrive, ou à une mère tenant son enfant dans ses bras. Si elle descend en même temps que ses voisines, il est convenable qu’elle sorte la première, les débarrasse de leurs paquets et leur offre la main pour descendre.

Seuls les gens grossiers se permettent de fumer devant des femmes et lèvent ou baissent les glaces à leur convenance, sans consulter les personnes qui les entourent.

Cela est dit à l’adresse des frères de mes petites lectrices. Elles pourraient au besoin le leur rappeler.

C’est un grand étonnement pour certaines étrangères qui viennent en France de voir le peu d’égards que le plus souvent les hommes témoignent aux femmes dans les rues ou dans les réunions publiques. En Amérique, d’après ce que disent les Américaines, jamais un homme ne croiserait une femme sur un trottoir sans descendre afin de ne la point gêner ; jamais il ne resterait assis dans une voiture publique si une femme est debout.

Un Français qui a voyagé dans le nouveau monde raconte deux faits curieux. Le premier surtout caractérise bien les mœurs du nouveau continent ; mais nous nous empressons d’ajouter qu’une Française qui se conduirait comme la jeune fille américaine se ferait juger sévèrement :

« Un homme d’âge mur était assis dans un tramway et lisait son journal. Il reçoit sur l’épaule un coup d’éventail. C’est une jeune fille qui lui fait signe de lui céder sa place. Il se lève sans mot dire, s’installe tant bien que mal sur le marchepied tandis que l’intruse s’assied commodément. »

« Les garçons et les filles sont reçus dons les mêmes classes et il arrive assez souvent que quand une écolière a mérité une punition (la férule existe encore dans ce pays), un écolier innocent se lève et va faire la pénitence à la place de la coupable, et cela simplement, comme une chose toute naturelle. »

En France, nos écoliers auraient-ils la même générosité ? Je me permets d’en douter.


RÉSUMÉ


1. Un enfant turbulent et désobéissant s’attire bien des avanies en voyage. Il fait des imprudences et s’expose à des accidents.

2. Un enfant poli cède son coin dans un compartiment à une personne âgée ou souffrante.

3. Il ne se rend pas importun en marchant sur les pieds des voyageurs ou en voulant toujours regarder par la portière.

4. Il ne siffle pas, ne chante pas, ne parle pas à tort et à travers.

5. Il rend de petits services aux voyageurs qui montent ou qui descendent.


MAXIME


En voyage, faites en sorte que votre société soit agréable à autrui et jamais gênante.

Rédaction. Comment un enfant doit-il se conduire en voiture ou en chemin de fer, vis-à-vis des autres voyageurs ?

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