La civilité des petites filles/21

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21. — Caroline veut faire honneur à sa grand’mère.


Caroline avait quitté ses parents depuis quelques années et était allée habiter avec sa grand’mère qui demeurait seule dans une commune voisine.

Lorsque Caroline eut douze ans, son père et sa mère la réclamèrent pour la mettre en apprentissage. Avant de partir, la bonne grand’mère lui dit :

— Ma chère mignonne, je n’ai rien négligé pour te bien élever ; tu vas rentrer dans ta famille, n’oublie pas les conseils que je t’ai donnés tant de fois sur la conduite que tu auras à tenir partout où tu iras. Tâche de me faire honneur…

— Je vous le promets, grand’mère.

— Avant tout, chère enfant, sache le faire aimer. Dans la vie, vois-tu, pour être heureux, il faut aimer et être aimé, et pour être aimé, il faut être aimable.

Être aimable, c’est avoir pour ceux avec lesquels nous sommes en rapport, des prévenances, des égards, de la politesse. Cette politesse doit s’étendre à tout et se montrer partout ; elle est le simulacre, je veux dire l’imago de la bonté, et c’est la bonté qui gagne les cœurs.

— Grand’mère, puisque vous désirez que je vous fasse honneur, ne voudriez-vous pas me résumer tout ce que vous m’avez dit sur la civilité ?

— Ce serait trop long, ma petite Caroline, je vais me contenter de te parler ce matin des choses principales qui vont me venir à la pensée. Je te l’ai souvent répété, c’est surtout dans l’intimité de la famille qu’il faut garder ses attentions et faire jouir des charmes de son caractère.

Si ton père, las et fatigué, arrive de son travail, accueille-le avec un bon sourire, une figure gracieuse. Prépare-lui un siège, donne-lui la meilleure place au foyer, apporte-lui ce dont il peut avoir besoin, va chercher ses pantoufles. S’il est arrivé avec un front soucieux, ennuyé de ses affaires, ton accueil affectueux et empressé le déridera et lui réchauffera le cœur.

Seconde la mère dans les soins du ménage, fais tout ce qui est en ton pouvoir pour la soulager, sache te déranger pour lui éviter de la peine, durant les repas, par exemple, et ne te figure jamais que tu peux lui commander et te faire servir par elle.

Sois non seulement obéissante, mais encore soumise. La soumission, c’est l’obéissance voulue, consentie par le cœur. J’ajoute : non seulement obéis, mais va au-devant des désirs de tes parents, fais de toi-même ce qui doit leur être agréable. Ne discute pas avec eux, n’élève pas la voix en leur parlant, et si, par extraordinaire, ils avaient tort, ne cherche pas à le leur prouver. Tiens-toi toujours devant eux comme tu le ferais devant des étrangers. Si tu les vois causer ensemble, sois discrète, ne t’approche pas et laisse-leur un peu de liberté.

La plupart des jeunes filles aiment trop la toilette ; toi, ma chère petite, évite la coquetterie, rappelle-toi qu’il faut toujours être mise suivant son âge et sa condition. Une personne dans la gêne ou de position modeste, qui veut porter des vêtements chers et luxueux, fait rire d’elle et est jugée défavorablement. D’ailleurs, une toilette simple et de bon goût sied mieux et est plus admirée qu’une toilette riche de mauvais goût. À ce compte, une humble ouvrière peut avoir une toilette plus distinguée qu’une grande dame dans ses atours.

Ne te serre pas de manière à nuire à ta santé, ne crois pas que la beauté de la taille consiste à être très mince ; c’est la proportion qui fait la beauté. Une personne forte, ayant ce qu’on appelle une taille de guêpe, est absolument ridicule et disgracieuse.

Fais régner sur toi et autour de toi la plus grande propreté. Jamais de taches d’aucune sorte sur tes vêtements, ni de cheveux en désordre, mal peignés et broussailleux.

Débarbouille-toi chaque jour avec de l’eau froide afin que ta figure soit fraîche et rose. Lave tes mains avant et après les repas, et autant de fois qu’il est utile. Prends des bains de pieds, aie soin de tes ongles, coupe-les quand il le faut. Lave tes dents tous les matins avec une brosse douce, ou du moins passe dessus un linge mouillé.

Les dents, outre qu’elles sont un ornement pour le visage, ont une grande influence sur la santé ; on ne saurait trop les soigner. Avec de mauvaises dents, les aliments sont mal broyés, imparfaitement digérés, et peuvent ainsi occasionner des maladies d’estomac.

Pour ce qui me reste à te dire, je ne puis mieux faire que d’emprunter quelques recommandations à la civilité qu’on enseignait autrefois à nos arrière-grand’mères. En ce temps-là, on disait ce qu’on voulait dire en termes crus, sans ambages ni précautions oratoires. Tu vas voir, écoute bien : « Ne mets pas, enfant, les doigts dans tes cheveux et encore moins dans ton nez. Ne te ronge pas les ongles, c’est une habitude détestable et qui déforme le bout des doigts. « Quand tu as besoin de te moucher, fais cette ennuyeuse besogne proprement. Prends ton mouchoir dans ta poche, ouvre-le toujours du même côté, sers-t’en au milieu et non au hasard, et ne fais pas de bruit avec ton nez. Ferme ensuite ton mouchoir sans regarder dedans, replie-le un peu sans le bouchonner, et remets-le à sa place.

« Crache le moins possible et, quand tu ne peux faire autrement ; ne crache ni sur le plancher, ni dans le feu, ni par la fenêtre, mais dans ton mouchoir, et fais cela avec adresse et propreté.

« Si, étant avec quelqu’un, tu as le besoin impérieux de tousser, fais-le avec le moins de bruit et d’efforts possible, alors tourne-toi de côté. Si tu es entre plusieurs personnes, couvre-toi la bouche avec ta main ou avec ton mouchoir. À table, on se couvre le bas du visage avec sa serviette.

« Quand tu as envie d’éternuer, prends des précautions pour qu’il ne t’arrive pas d’accident… Tire vite ton mouchoir, éternue dedans et fais cette action déplaisante doucement et non comme certaines gens, qui par le bruit qu’ils font, en ébranlent la maison[1]. « Si tu ne peux t’empêcher de bâiller, mets ta main ou ton mouchoir devant ta bouche et agis de telle manière qu’on ne s’aperçoive pas de cette marque d’ennui ou de sommeil de ta part.

« Évite en parlant d’avoir des tics, de faire de certaines grimaces d’habitude, comme de rouler la langue dans la bouche, de se mordre les lèvres, de cligner les yeux, de se frotter les mains de joie, de se faire craquer les doigts, de se gratter, de hausser les épaules, etc., etc.

« Ne ris pas de tout et sans sujet, et évite les grands éclats de rire. « Dans tes conversations, ne te permets jamais de plaisanteries blessantes ; les moqueurs sont rarement bons, on les craint et on ne les aime pas. »

— Mais finissons-en, ma chère petite. Inutile, n’est-ce pas, de te rappeler mes leçons sur la manière de te tenir à table, dans la rue, chez les personnes que tu iras voir. Je n’ajouterai qu’un mot : Fais en sorte que ta conduite soit toujours irréprochable, sois un modèle pour tes frères et tes sœurs, donne-leur de bons exemples. Tu seras ainsi la joie, la consolation de ta famille, l’orgueil de ta grand’mère !..

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  1. Autrefois, ou disait a la personne qui éternuait : Dieu vous bénisse ! aujourd’hui encore quelques personnes s’inclinent sans rien dire, le plus grand nombre n’y fait aucune attention.