La civilité des petites filles/22

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22. Où conduit la bonne éducation.


HISTOIRE DE FRANÇOISE.


Lorsque j’ai connu Françoise, elle avait seize ans. Elle avait été une excellente écolière et avait obtenu son certificat d’études avec mention honorable. Sa mère, après l’avoir retirée de l’école, l’avait placée chez une couturière et la jeune fille savait passablement son métier quand un jour son père, un charpentier très habile, tomba du deuxième étage d’une maison en construction. On rapporta le malheureux à son domicile sur une civière. Il avait une jambe brisée à plusieurs endroits et une blessure grave à la poitrine.

Sa femme et sa fille aînée Françoise lui prodiguèrent les plus grands soins ; mais au bout de quelques jours, malgré les espérances données par le médecin, le malade sentit qu’il allait mourir. Il adressa des adieux touchants à sa femme et à ses quatre enfants, puis, faisant signe à Françoise de s’approcher, il la serra sur son cœur, l’embrassa tendrement et lui dit : — Ma fille chérie, quand je n’y serai plus, sois la consolation de ta mère ; aide-la dans sa lourde tâche, donne toujours le bon exemple à ton frère, à tes sœurs et n’oublie jamais ton père qui t’aimait tant et qui te bénit de tout son cœur.

Le lendemain de ce jour, le charpentier mourut. Sa veuve fut en proie à un véritable désespoir ; elle répétait sans cesse : « Quatre enfants ! Qu’allons-nous devenir ? » Françoise par sa tendresse, ses bonnes paroles, relevait le courage de sa mère : — Maman, lui disait-elle, je suis là, j’ai promis à mon père de vous seconder, nous en viendrons à bout ; la Providence viendra aussi à notre secours.

Elle y vint en effet. Un riche négociant marseillais, M. Leduc, propriétaire de la maison où le charpentier s’était blessé, avait une femme bonne, douce et charitable. Ayant appris l’accident arrivé à un des ouvriers, cette dame voulut aller porter des consolations à la famille du pauvre charpentier et laissa une généreuse offrande Mais ce n’est point assez de donner de l’or ; il faut donner surtout de son cœur aux éprouvés de ce monde, adresser à ceux qui souffrent des paroles affectueuses, réconfortantes ; cette aumône-là est plus précieuse encore que l’aumône matérielle.

Mme Leduc fit largement les deux aumônes. Au cours de ses fréquentes visites, elle avait remarqué la bonne tenue de Françoise, sa politesse, quand elle lui adressait la parole, son air distingué sous ses habits de paysanne, ses manières gentilles avec son petit frère et ses sœurs, son respect pour sa mère.

Chaque fois qu’elle venait, elle se plaisait à la faire causer, et bientôt, il lui vint à la pensée de lui trouver un emploi dans sa
maison.

Une année à peine s’était écoulée que Mme Leduc demanda Françoise pour surveiller ses petits enfants. La veuve, quoique très peinée de se séparer de sa fille, consentit néanmoins à son déport, d’autant plus que sa fille cadette pouvait à peu près remplacer l’aînée.

Françoise quitta donc la maison paternelle le cœur gros, mais avec courage, et arriva chez Mme Leduc. Elle se mit vite au courant de la besogne qu’on réclamait d’elle et sa maîtresse se louait chaque jour de l’avoir introduite dans sa maison.

Quoique jeune, elle prit de l’autorité sur les enfants qui lui étaient confiés. Jamais un mot impoli ou malhonnête ne sortait de sa bouche, elle répondait avec aisance et simplicité, n’était déplacée nulle part.

Elle savait se faire aimer des autres serviteurs, si bien qu’un jour, la vieille bonne de la maison dit en parlant d’elle : « Ne croirait-on pas que c’est une vraie, demoiselle ! »

C’en était une par les sentiments et les bonnes manières. Françoise se fit de plus en plus aimer et estimer ; on augmenta successivement ses gages et bientôt elle gagna de quoi subvenir aux besoins les plus urgents de ses sœurs et de son frère. Elle les aida même à se placer, grâce aux protections puissantes de M. Leduc. Plus tard, Françoise fut regardée presque comme un membre de la famille de ses maîtres, devint femme de confiance et sut se faire une position honorable et lucrative. Inutile d’ajouter qu’elle fut toujours pour sa mère la fille la plus dévouée et la plus tendre.

À quoi, chères enfants, Françoise dut-elle tous ces avantages ? Aux qualités qui distinguent une personne bien élevée. Je ne saurais trop vous le répéter : le Savoir-vivre, qui seul aujourd’hui crée une distinction entre les hommes, n’est pas l’apanage exclusif des gens riches. Tous, quelle que soit notre position, nous pouvons le mettre en pratique, et tous nous en obtiendrons les plus précieux résultats.

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RÉSUMÉ

l. Si vous entrez chez des étrangers, soit pour servir, soit pour apprendre un état, sachez tenir votre place.

2. Tenir sa place, c’est faire son devoir avec conscience et se conduire toujours honnêtement, poliment, avec tact, avec mesure.

3. Une jeune fille n’est déplacée nulle part quand elle suit les règles du savoir-vivre.

4. On peut, même dans la condition la plus modeste, avoir des manières convenables, sinon distinguées, qui vous attirent l’estime et la considération de chacun.

MAXIME

Après notre propre estime, désirons l’estime des gens de bien.

Rédaction. Vous avez une de vos compagnes qui doit se placer comme petite bonne dans une maison, donnez-lui des conseils afin qu’elle remplisse sa tâche convenablement et se fasse bien voir de tous.