La civilité des petites filles/23

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23. — Curieuse comparaison de deux familles voisines.


Mme Ménart, maîtresse d’une école assez nombreuse, avait plusieurs de ses élèves atteintes en même temps de la rougeole. On parlait d’épidémie.

Elle était inquiète.

— Serait-ce aussi la rougeole qui a empêché de venir en classe hier et ce matin
Louise Duval et Jeanne Morel ? Il faudra que j’aille voir cela, se dit-elle.

À quatre heures, elle mettait son manteau, son chapeau, et se rendait chez les deux enfants, qui demeuraient à cinq minutes de l’école, justement dans la même maison.

Mme Duval ? Mme Morel ? demande-t-elle à la concierge.

— Tiens ! fait celle-ci, mais c’est à Mme Ménart que j’ai le plaisir de parler ! Est-ce que vous ne me reconnaissez pas, Madame ? Vous avez eu ma fille, la petite Leroux. Entrez donc, je vous en prie.

Mme Ménart entre, s’assied pour s’informer de l’enfant, qui est maintenant en apprentissage. Puis elle hasarde une question sur la santé de ses jeunes élèves.

— Ce que je peux vous dire, répond la concierge, c’est que le médecin est venu dans les deux familles. Elles habitent sur le même palier, au troisième étage. J’espère que vous n’allez pas monter chez les Duval !…

— Pourquoi donc ?

— C’est que…

— Eh bien ?

— Ils ne sont pas très convenables.

— Comment cela ?

— D’abord, ils sont malpropres. Ainsi ils salissent toute la maison. On peut les suivre à la trace : quand ils montent de l’eau ou du lait, toutes les marches en reçoivent. Quand ils descendent leur boîte à ordures, ils en sèment le long de l’escalier, sans souci des voisins qui peuvent glisser sur une épluchure et tomber. C’est désolant. Pas moyen de leur dire un mot, ou ils vous ricanent au nez. Avec cela, malhonnêtes, il faut voir ! Jamais un bonjour le matin, ou un merci quand je donne une lettre, jamais un pardon en passant. Ah ! quels vilains locataires ! On les connaît dans le quartier, allez ! Personne ne peut les souffrir à cause de leur air insolent. Pour ma part, je voudrais bien les voir partir ! Entendez-vous ce vacarme ? C’est leur gamin qui descend en sifflant. Quelle dégringolade ! Tout tremble. Encore heureux qu’il ne glisse pas du haut en bas sur la rampe comme cela lui arrive souvent ! Oh ! mais, le propriétaire va bientôt leur donner congé, j’espère.

Mme Ménart essaie de calmer la concierge qui reprend :

— Bien, bien, vous allez juger par vous-même, puisque vous tenez à y aller ; mais, croyez-moi, gardez pour la bonne bouche les Morel. À la bonne heure, parlez-moi de ceux-là ! Et si convenables, si polis, si paisibles, si d’accord entre eux ! Quels braves gens ! Si vous saviez comme chacun les estime !

— Allons, je vais voir les deux ménages, dit l’institutrice préoccupée.

Elle monte, frappe à l’une des portes du troisième étage au hasard. Un bruit de chaises culbutées, puis des cris perçants se font entendre.

— Bon ! je tombe chez les Duval, murmure Mme Ménart.

En effet. On ouvre. L’institutrice entre dans un logis en désordre, où on ne trouve que difficilement un siège propre à lui offrir. Tous les visages ont un air fâché. Sans doute, il y avait dispute.

— Cela se comprend, pense Mme Ménart ; comment être de bonne humeur dans un taudis pareil ! Chacun souffre et est maussade.

— Eh bien, et notre petite malade ? demande-t-elle.

— Elle a la rougeole, répond le père d’un ton bourru. Ah ! nous avons bien du malheur. Tout va mal.

— Voyons, voyons, du courage ! fait l’institutrice. Puis-je vous aider à quelque chose ?

— Tenez, Madame, dit la mère, décidez donc ce méchant garçon à aller chez le pharmacien pour faire remplir l’ ordonnance de Louise. On attend après, et il ne veut pas se déranger de son jeu.

Mme Ménart cause tout bas au garçonnet, qui part enfin, mais de mauvaise grâce, en traînant les pieds. Au passage, il taquine sa plus jeune sœur ; celle-ci lui tire les cheveux ; il y a une bousculade.

— Là, là, même devant le monde ! Oh ! quels enfants ! dit le père honteux.

Mme Ménart s’approche de la couchette, arrange les couvertures, console la fillette qui pleurniche, fait prendre la potion.

À ce moment, l’aînée de la famille, une grande fille de quinze ans, rentre comme un coup de vent :

« Elle paraît bien hardie ! » remarque en elle-même l’institutrice.

— Toi, à cette heure ? questionne le père.

— Oui, il y a du nouveau, dit la grande fille avec Colère.

On me renvoie de ma place.

— Malheureuse ! qu’est-ce que tu as encore fait ?

— Rien. Une pimbêche de cliente n’en finissait pas de choisir un chapeau ; ça m’a ennuyée, je l’ai dit, voilà tout.

— Mais, mon enfant, intervient Mme Ménart, dans le commerce, il ne faut pas montrer d’humeur aux clients, ou bien jamais on ne vous gardera nulle part.

La grande fille fait un geste d’indifférence. La mère gémit. Le père menace. L’institutrice cherche quelques paroles de conciliation. On l’écoute à peine. Elle se retire vite de cet enfer en se disant :

— Mon Dieu, quels sauvages ! Si la société se composait de gens pareils, ce serait à vous faire fuir ou désert. Toute oppressée encore, elle frappe en face.

— Ah ! c’est Madame, quel bonheur ! comme notre Jeanne va être contente !

Mme Ménart est à l’aise tout de suite, car Mme Morel s’empresse, tandis que M. Morel s’incline en lui approchant une chaise, et que l’un des enfants lui met un petit tabouret sous les pieds. Dans cet intérieur, où règne un certain confortable, où tout plaît aux regards tant c’est propre et rangé, il n’y a que des visages agréables. Même la petite malade est souriante, afin de ne pas tourmenter ses bons parents, et Mme Ménart l’entend dire :

— Petite mère, j’ai bien chaud, mais je ne me découvre


pas, puisque le médecin l’a défendu. Tu sais, la rougeole, ce n’est pas grave quand on ne prend pas froid. Sois tranquille.

Un coup léger à la porte. C’est le grand frère qui revient de son travail. Il salue l’étrangère en passant, se découvre pour embrasser sa mère, serre affectueusement la main de son père, et dit un mot aimable à chacun des petits qui sont bien sages dans un coin afin de ne pas fatiguer leur sœur. Il est radieux, ce grand garçon.

— Qu’y a-t-il ? demande le père avec un geste amical.

— Ah ! je suis bien heureux…

— Vrai ! de quoi donc ?

— Le patron m’augmente de 15 francs par mois. — À quel propos ?

— Sans propos ; il m’a dit qu’il était content de moi, et m’a donné un beau louis en or de plus.

Se tournant vers sa mère, il ajoute :

— J’ai pensé tout de suite qu’un chaud manteau ferait bien l’affaire de notre Jeannette ; qu’en dites-vous, maman ?

— Cher enfant ! murmure la mère attendrie.

On cause, et, après quelques instants :

— Mes amis, dit Mme Ménart, je vous laisse ; je suis sans inquiétude pour la mignonne. Quant à vous, vous avez l’aisance, le calme, le contentement et par-dessus tout vous vous aimez, vous vous dévouez les uns pour les autres : c’est le bonheur ! Si noire société comptait beaucoup de familles comme la vôtre, ce serait le paradis…

Elle prend congé, reconduite par tous, car chacun veut la remercier encore de sa visite, la saluer une dernière fois.

— Mon Dieu ! pense-t-elle, en repassant devant la porte de la famille Duval, les moralistes ont bien raison de regarder la civilité comme le moyen par excellence d’adoucir les mœurs et de faciliter les relations sociales. Plus que jamais, j’exigerai de mes élèves l’observation exacte des règles de la bienséance.

Et en effet, mes chères enfants, la vie est si difficile, si épineuse, qu’il faut tâcher de la rendre plus agréable par nos bons rapports les uns avec les autres ; et, il faut l’avouer, la politesse ou savoir-vivre est peut-être le moyen le plus efficace pour y réussir.

Mettez donc en pratique, mes petites amies, les leçons contenues dans cet ouvrage, et, n’en doutez pas, elles auront sur voire vie entière la plus heureuse influence.


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RÉSUMÉ


1, Que votre intérieur soit propre et bien rangé, afin qu’il ne puisse choquer en rien les personnes qui viennent vous rendre visite.

2. Veillez à ne gêner en rien vos voisins et les divers locataires de la maison que vous habitez.

3. Ne salissez pas l’escalier, descendez les marches sans glisser sur la rampe, et si vous croisez une grande personne, éffacez-vous pour la laisser passer. Toujours, en passant devant quelqu’un, dites : pardon ou excusez.

4. Saluez les personnes de votre maison que vous rencontrez.

5. Soyez prévenante, attentionnée pour ceux qui viennent voir vos parents.


MAXIME


Conduisez-vous de manière à mériter une bonne réputation et rappelez-vous qu’une bonne réputation vaut mieux que la richesse.

Rédaction. Quelles sont les qualités qui nous font estimer dans notre voisinage et nous font mériter une bonne réputation ?