La philosophie du bon sens/V/I

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RÉFLEXION QUATRIEME,
concernant
LA MÉTAPHYSIQUE.

§. I.

Introduction.


LE Terme de Métaphyſique ſignifie Philoſophie Surnaturelle, ou Théologie, qui veut dire Diſcours ſur Dieu, parce qu’on
Incertitude de Métaphysique.
Incertitude de la Métaphisique
traitte principalement en Métaphyſique, de Dieu, & des Choſes qui font au-deſfus de la Nature.

Si nous nous arrétons aux Sentimens d’un illuſtre Philoſophe, la Métaphyſique, & la Théologie Scolaſtique, ne ſervent à rien, & ne donnent à l’Entendement aucune Connoiſſance nouvelle. Chacun peut voir, dit Locke, une Infinité, de Propoſitions, de Raiſonnemens, & de Concluſions,… dans les Livres de Métaphyſique, de Théologie Scolaſtique, & d’une certaine Phyſique, dont la Lecture ne lui apprendra rien de plus de Dieu, des Eſprits, & des Corps, que ce qu’il en ſavoit avant d’avoir parcouru ces Livres[1].

Cet Auteur eut pu ajouter, que ces Ecrits, loin de ſervir à inſtruire, empêchent de trouver la Vérité, par la Confuſion que cauſent les Idées fauſſes dont ils rempliſſent l’Entendement. La Métaphyſique Scolaſtique, & les Queſtions inutiles dont elle eſt ſemée, ſont auſſi pernicieuſes à l’Eſprit, que les Regles de la Logique d’Ariſtote. Elles ſont plus propres, dit Mallebranche[2], pour diminuer la Capacité de l’Eſprit, que pour l’augmenter : parce qu’il eſt viſible, que ſi on veut ſe ſervir, dans la Recherche de quelque Vérité, des Regles qu’elles nous donnent, la Capacité de l’Eſprit en ſera partagée de ſorte qu’il en aura moins, pour être attentif, & pour comprendre toute l’Etendue du Sujet qu’il éxamine. Il en eſt de même de la Métaphyſique des Ecoles : elle traitte tant de Queſtions inutiles & inpénétrables, elle embraſſe tant de Sujets différens, & qui ſont abſolument au-deſſus de la Portée de l’Entendement Humain, qu’elle empêche & détourne l’Attention qu’on devroit donner aux Choſes néceſſaires, & qui ſont à la Portée des Connoiſſances Humaines.

Les Philoſophes Scolaſtiques ont encore le Défaut de répandre le Doute ſur les Matieres les plus claires & les plus évidentes : ils ſont accoutumez à mettre en Controverſe les Sujets les plus connus, & dont on a les Notions les plus certaines. Cette Conduite accoutume inſenſiblement l’Eſprit à douter des Choſes les plus certaines, & à croire Probables celles qui ſont les plus fauſſes. Ce ſont ces vaines diſputes parmi les Théologiens & les Moines, qui ont occaſionné tant d’Héréſies, & qui encore aujourd’hui fourniſſent des Armes à l’Athéïſme, qu’on doit regarder comme le Comble de l’Aveuglement.

Je vous avoue, Madame, que je trouve ridicule qu’on mette en Doute tous les jours dans les Ecoles l’Exiſtence de Dieu. Il eſt ridicule d’agiter une Queſtion, que tout Homme, qui n’eſt pas privé de la Raiſon, & qui veut faire uſage de la Lumiere Naturelle, reconnoît évidente. Il arrive ſouvent, que, dans ces Diſputes, on apporte, pour prouver l’Exiftence de Dieu, les Raiſons les plus foibles ; & que les Débauchés & les Libertins, s’ils n’éteignent pas entiérement leur Lumiere Naturelle, la laiſſent obſcurcir par mille Doutes dangereux.

Je crois donc, que, lorſqu’on veut prouver la Néceſſité de l’Exiſtence de Dieu, il faut préciſement n’apporter que des Raiſons déciſives, certaines, & qui ſont connues de tous les Hommes, pour peu qu’ils veuillent réfléchir. Je penſe, qu’il faut rejetter toutes les Prevues douteuſes, ou qu’on peut mettre en Controverſe, telles que ſont celles qu’on veut tirer de l’Idée innée de Dieu, du Conſentement univerſel, &c ; leſquelles étant douteuſes, & peut-être fauſſes, ne ſervent qu’à éloigner les véritables Démonſtrations d’une Vérité évidente.

  1. Locke Eſſai Philoſophique ſur l’Entendement Humain, Livr. IV, Chap. VIII, pag. 791.
  2. Recherche de la Vérité, livr. III, Chap. III, pag. 181.