La pomme de terre, considérations sur les propriétés médicamenteuses, nutritives et chimiques de cette plante/15

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CHAPITRE XV.
PROPRIÉTÉS DE L’ORGE MALT OU GERMÉE.

L’orge ainsi maltée possède la propriété de fluidifier et de saccharifier la fécule réduite en empois par un mélange d’eau froide et d’eau bouillante, et cette fluidification précédant la saccharification, qui paraît n’en être qu’une conséquence immédiate, pourra, étant observée avec soin, nous permettre d’établir plusieurs périodes bien distincts dans la décomposition de la fécule. Le premier sera évidemment sa transformation en empois ; le second sera sa fluidification, et le troisième sa saccharification. Ces trois périodes seront applicables non-seulement à la décomposition de la fécule destinée à être réduite en sirop, mais encore à toutes les opérations des arts qui ont pour objet la distillation de ce végétal.

La propriété que possède l’orge de fluidifier et de saccharifier la fécule dans un court espace de temps, étant évidemment reconnue, l’on s’est occupé à déterminer par des expériences comparatives la limite d’intensité de cette action ; et il a été reconnu que forge, ajoutée à la fécule dans une proportion plus grande que 25 pour 100, n’ajoutait rien ni à la saveur saccharine du nouveau produit, ni à la production alcoolique. Il a de plus été reconnu que 20 pour 100 d’orge donnaient sensiblement des résultats équivalans à 25 pour 10,0 sous tous les rapports, et qu’on ne pouvait réduire cette proportion sans nuire au succès de l’opération.

On me permettra d’observer en passant que ces résultats sont d’accord avec la pratique des distillateurs qui traitent les pommes de terre en nature : ils ont remarqué que 5 pour 100 d’orge étaient suffisans pour obtenir une macération parfaite dans leur pâte ; et comme celle-ci ne contient que Je quart de son poids en fécule, il s’ensuit que 5 sont à 25 ce que 20 sont à 100, et que la proportion est parfaitement égale à celle qui vient d’être indiquée pour le traitement de la fécule.

Si l’on était dans l’impossibilité de se procurer du malt, on pourrait à la rigueur se servir d’orge crue réduite en farine plus divisée, et opérer exactement de la même manière et dans les mêmes circonstances, par une égale quantité ; mais alors la masse d’empois se fluidifierait plus lentement, la saccharification mettrait aussi plus long-temps à se développer, et si l’on avait pour but la distillation, la fermentation alcoolique marcherait moins bien, et ses produits seraient un peu affaiblis, quoique toutes les précautions eussent d’ailleurs été les mêmes. Ainsi la supériorité de l’orge maltée sur l’orge crue n’est point équivoque, Je crois qu’il est convenable de nous livrer ici à quelques réflexions sur les causes probables de cette supériorité.

M. Proust nous a donné {Annales de Chimie et de Physique, t. V, p. 33y), l’analyse comparée de l’orge germée et de l’orge crue ; la voici :

Orge crue. Orge germée.
Résine jaune. 1. 1.
Gomme. 4. 15.
Sucre. 5. 15.
Amidon. 32. 56.

A l’inspection de ces résultats, nous devons déjà être frappés des lumières qui pourraient jaillir de la présence d’un corps particulier dans l’orge, pour l’explication des propriétés qui la distinguent éminemment des autres céréales. Ce nouveau corps, M. Proust l’a indiqué sous le nom d’hordeine, et nous devons regretter que ce chimiste habile n’ait point étendu ses recherches sur les caractères et les propriétés chimiques de cette substance. L’hordeine, suivant M. Proust, constituerait l’un des matériaux les plus abondans de l’orge. La présence de ce nouveau corps dans cette céréale devrait être supposée, si ce savant ne l’eut point démontrée. En effet, d’où viendrait la supériorité de l’orge sur les autres céréales ? Du gluten ? Mais le gluten y est contenu en quantité très-minime relativement à la fécule, et dans cette hypothèse le froment occuperait sans contredit le premier rang ; ce qui n’est point : il faut donc attribuer les phénomènes de la fluidification et de la saccharification à un agent analogue à celui qui constitue la supériorité de l’orge, et il n’est pas improbable que cet agent soit l’hordeine.

Par la germination, les matériaux qui constituent le grain sont mis à nu par la destruction d’une partie du gluten, et par la solubilité qu’acquiert l’autre ; le gluten, non détruit et devenu soluble, n’agit que comme saccharifiant sur la fécule fluidifiée par un autre agent que l’orge possède dans une proportion bien plus grande qu’aucune autre graminée : car si le gluten soluble possédait par lui-même cette propriété fluidifiante, l’orge, je le répète, ne devrait point avoir, sous ce rapport, de supériorité sur le froment ; cela est incontestable.


Ainsi, la fécule étant transformée en amidon par la solidification des élémens d’une portion d’eau qu’elle s’assimile pour changer de nature, tout porte à croire que l’hordeine agit d’abord comme agent fluidifiant sur cet empois, et que celui-ci se trouvant par-là même dans un contact parfait avec le gluten, qui lui-même est dissous, cède plus facilement à l’action de cet agent, pour changer à son tour de nature et devenir substance sucrée.

Ainsi, le fait une fois bien connu et bien constaté de la propriété que possède l’orge maltée de saccharifier la fécule qu’elle contient, il a été démontré par l’expérience qu’elle a encore celle d’opérer le même changement sur une quantité supplémentaire de cette substance, égale au moins à quatre fois son poids ; en conséquence, il est facile de concevoir qu’on peut en faire une application utile, non-seulement à la fabrication du sirop de fécule, mais encore à l’art du distillateur, comme nous le verrons dans la suite.