La province de Québec/Chapitre X

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Département de l’Agriculture de la province de Québec (p. 315-321).

CHAPITRE X


CLIMAT


LE climat de la province de Québec n’est pas le même que celui des contrées européennes situées sous les mêmes latitudes. Le 45e degré, celui que l’on peut considérer comme la ligne médiane du territoire laurentien et qui est celui de la frontière méridionale de la province, passe en Europe à travers le midi de la France, la Lombardie, la vallée du Danube, la péninsule de Crimée. « On sait que les rivages occidentaux de l’Europe ont, à latitude égale, une température beaucoup plus élevée que les rivages orientaux de l’Amérique, grâce au mouvement général des eaux et des airs ; les vents du sud-ouest prédominent sur les côtes européennes, tandis que les eaux échauffées du golfe mexicain se portent vers les mers de France, les Îles Britanniques et la Norvège. Au contraire, le vent qui l’emporte au Canada est le vent polaire, soufflant dans la direction du nord-est au sud-ouest, c’est-à-dire, précisément dans l’entonnoir que présente le golfe Saint-Laurent. Les autres courants aériens venus des régions arctiques, du nord ou du nord-ouest, ne trouvent guère d’obstacles dans la traversée du Labrador et des Laurentides, tandis que les vents du sud-est, ceux qui apportent les tièdes effluves de la mer des Antilles, sont plus facilement détournés de leur marche par les montagnes bordières du bas Saint-Laurent et par les chaînes de la Nouvelle-Angleterre. » (Elisée Reclus.)

La province de Québec étant moins soumise à l’influence de la mer, les saisons intermédiaires y sont moins marquées, mais l’hiver et l’été y sont plus soutenus. Le printemps, l’automne passent rapidement ; la vie se révèle par explosion dans les forêts après le long hiver, et presque aussi brusquement, après un court mais délicieux automne, comme le sommeil des plantes. Le cycle entier de la flore s’est accompli en quatre ou cinq mois, de la fin de mai à la première quinzaine d’octobre. Dès qu’elles sont tombées, vers les premiers jours de décembre, les neiges restent sans se fondre et durcissent peu à peu. Grâce à cette couche protectrice, les plantes sont à l’abri de la gelée et du brusque dégel qui les menaceraient sous un climat moins rude ; la neige abrite même les maisons contre le froid.

« Quand la terre fertile du Canada s’est enfin débarrassée de l’étreinte inexorable de l’hiver, l’herbe renaît sous la neige fondante dont la nappe blanche, bientôt déchirée, laisse entrevoir la couleur tendre


Attelage d’hiver

des pousses hâtives. Dans un brusque réveil, la nature

généreuse semble accumuler ses pouvoirs fécondants pour recouvrir aussitôt le sol d’un décor estival. Alors surgissent comme par enchantement les violettes aux teintes variées, les orchidées de terre froide, les reines-marguerites et, de mois en mois, les tournesols, les lis tigrés et autres fleurs sauvages à foison. Des colibris, au dos d’émeraude et à gorge de rubis, y viennent butiner. D’autres oiseaux remplissent l’air de leurs chants. Les récoltes mûrissantes, le susurrement des insectes nous annoncent bientôt le plein été : voici juillet » (Ferdinand Van Bruyssel.)

La neige sert à tenir la terre chaude en hiver et à la fertiliser, parce que : 1° sa conductibilité étant très faible, lorsqu’elle couvre d’une couche épaisse la surface du sol, la température de ce dernier ne s’abaisse pas au-dessous du point de congélation, tandis que celle de l’air est beaucoup plus basse ; 2° parce que la neige contient de l’acide carbonique, et même plus souvent des nitrates et de l’ammoniaque, substances azotées fertilisantes qui, lorsque la neige fond, pénètrent lentement dans le sol et s’insinuent dans les sillons et les mottes de terre. Enfin, la neige tempère la chaleur ardente de l’été en refroidissant les vents qui passent sur le sommet des montagnes ; lorsqu’elle s’amasse dans les lieux élevés, elle sert, en fondant, à alimenter les rivières, qui se convertiraient en torrents dévastateurs ou en vastes lacs, si la même quantité d’eau leur arrivait sous forme de pluie, dans un temps trop court.

Il ne faut donc pas croire que la rigueur du climat canadien soit un obstacle à la culture des céréales. des plantes fourragères, des racines et des fruits. Bien au contraire. La province de Québec est d’une fertilité exceptionnelle ; la neige n’empêche nullement l’élevage ; le climat donne, au contraire, au bétail une vigueur remarquable qui contribue pour beaucoup à le préserver des épidémies. La neige donne en outre à la terre un repos absolu ; au printemps, le dégel l’imbibe et la prépare admirablement pour la production, en développant naturellement les sucs les plus nutritifs qu’en Europe on est obligé de provoquer artificiellement.

Diverses plantes cultivées se développent plus facilement et prospèrent mieux par l’emploi de semences provenant d’altitudes polaires, que de graines qui ont mûri dans des zones méridionales. Les graines de la plupart des végétaux augmentent jusqu’à un certain point en dimension et en poids, à mesure qu’on transporte ces végétaux dans le nord. Les graines des localités septentrionales germent plus promptement et mieux, et donnent naissance à des plantes plus vigoureuses et plus rustiques que les graines de provenance méridionale. Le pouvoir germinatif des graines du nord est incomparablement supérieur à celui des semences méridionales, non seulement par le nombre de graines aptes à germer, mais aussi par l’énergie avec laquelle la germination s’engage et par leur haut degré de pureté.

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La province de Québec étant placée par sa situation géographique entre les 45eet 53e degrés de latitude nord, et entre le 57e et le 80e degré de longitude ouest, offre donc une grande variété de terres arables douées d’un rare pouvoir fertilisant. Cependant, les défrichements agricoles y sont encore à peine parvenus au 49e parallèle.


Bon nombre de personnes habitant la province de Québec croient avoir remarqué des changements notables dans la température de ce pays, survenus à la suite des défrichements, qui ont été aussi considérables dans le dernier quart de siècle que dans presque tout un siècle antérieur. « Non seulement, dit M. Ulric Barthe, la physionomie du sol s’est transformée, mais encore l’atmosphère s’est modifiée sensiblement. Du reste, sur toute la surface du globe, la civilisation et le travail de l’homme transforment la nature. Déjà le Klondyke, sous le 62e degré de latitude, a perdu de son aspect farouche, grâce à l’invasion de quelques 25 à 30 mille hommes ; la Sibérie elle-même, métamorphosée par le transsibérien, apparaît déjà sous un jour différent. Ainsi en est-il des « quelques arpents de neige » des bords du Saint-Laurent, comme on appelait le Canada au 18e siècle, destinés à devenir avant peu l’un des plus vastes champs de l’activité humaine, l’une des plus abondantes sources de production et de prospérité. »