La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky/Démocratie bourgeoise et démocratie prolétarienne

La bibliothèque libre.
Bibliothèque Communiste (p. 26-36).

Démocratie bourgeoise et démocratie
prolétarienne


La question que Kautsky a embrouillée de façon si abominable se présente en réalité comme suit :

À moins de se moquer du sens commun et de l’histoire, il est clair qu’on ne peut parler de « démocratie pure » tant qu’il existe des classes distinctes. On peut parler seulement de démocratie de classe (soit dit entre parenthèsse, « démocratie pure » est non seulement une phrase d’ignorant qui ne comprend rien à la lutte de classes ni à la nature de l’État, mais encore une phrase trois fois vide de sens, car dans la société communiste la démocratie, régénérée et transformée en habitude, s’éteindra sans avoir jamais été une « démocratie pure » ).

La « démocratie pure » n’est qu’une phrase hypocrite de libéral destinée à tromper les travailleurs. L’histoire connaît seulement la démocratie bourgeoise qui a remplacé la féodalité, et la démocratie prolétarienne qui supplante la démocratie bourgeoise.

Lorsque Kautsky consacre des dizaines de pages à « prouver » cette vérité, que la démocratie bourgeoise constitue un progrès par rapport au Moyen Âge, et que le prolétariat doit absolument se servir d’elle dans sa lutte contre la bourgeoisie, voilà bien encore du bavardage libéral destiné à berner les travailleurs, car c’est une vérité évidente aussi bien dans la Russie inculte que dans l’Allemagne civilisée. Kautsky jette sa poudre « savante » aux yeux des travailleurs, prend des airs graves pour nous parler de Weitling et des Jésuites du Paraguay ou autres balivernes, afin de passer sous silence la nature bourgeoise de la démocratie contemporaine, c’est-à-dire de la démocratie capitaliste.

Du marxisme, Kautsky prend ce qui est admissible pour les libéraux, pour la bourgeoisie (critique du moyen âge, rôle historique utile du capitalisme en général, et de la démocratie capitaliste en particulier) ef jette par dessus bord, passe sous silence ou laisse dans l’ombre ce qui, dans le marxisme, est inadmissible pour la bourgeoisie, (violence révolutionnaire du prolétariat contre la bourgeoisie jusqu’à l’anéantissement final de cette dernière). Voilà pourquoi, par la position qu’il occupe en fait et quelles que puissent être ses convictions subjectives, Kautsky est inévitablement un laquais de la bourgeoisie.

La démocratie bourgeoise, tout en constituant dans l’histoire un progrès immense sur le moyen âge, reste toujours, et ne peut pas ne pas rester sous le régime capitaliste, un régime étroit, étriqué, menteur, hypocrite, un paradis pour les riches, un piège et un leurre pour les exploités et les pauvres. Voilà la vérité qui fait le fond de la doctrine marxiste et que le « marxiste » Kautsky n’a pas comprise. Dans cette question fondamentale, Kautsky dépose mille amabilités aux pieds de la bourgeoisie, au lieu d’analyser scientifiquement les conditions qui font de toute démocratie bourgeoise une démocratie pour les riches.

Commençons par rappeler au savantissime Monsieur Kautsky les déclarations théoriques de Marx et d’Engels, que notre érudit a « oubliées » à sa honte pour le plus grand profit de la bourgeoisie ; ensuite nous tirerons la question au clair de façon plus terre à terre. Non seulement l’État antique et féodal, mais « l’État représentatif moderne est un instrument d’exploitation du travail salarié par le capital » (citation d’Engels dans son ouvrage sur l’État). « Puisque l’État n’est qu’une institution transitoire dont il faut se servir dans la lutte, dans la révolution, pour abattre ses adversaires, c’est un pur non sens que de parler d’État populaire libre : tant que le prolétariat a besoin de l’État, il en a besoin non pas pour sauvegarder la liberté, mais pour écraser ses adversaires ; lorsque le moment est venu de parler de liberté, l’État comme tel cesse-d’exister » (Engels dans la lettre à Bebel du 28 Mars 1875). « L’État n’est autre chose qu’une machine à abattre une classe entre les mains d’une autre classe, et cela sous la république démocratique non moins que sous la monarchie ». (Engels dans la préface de la « Guerre Civile » de Marx). « Le suffrage universel est l’indice de la maturité de la classe ouvrière. Il ne peut donner et ne donnera jamais rien de plus dans l’État moderne » (Engels dans son ouvrage sur l’État). Kautsky rabâche jusqu’à plus soif la première partie de cette thèse, admissible pour la bourgeoisie. Mais la deuxième, que nous avons soulignée, et qui n’est pas admissible pour la bourgeoisie, Kautsky le renégat l’a passée sous silence, « La Commune ne devait pas être une corporation parlementaire, mais un organe de travail, à la fois légiférant et exécutant ses propres lois. Au lieu de désigner une fois tous les trois ou tous les six ans le membre de la classe dominante appelé à représenter et à opprimer (ver-und zertreten) le peuple au parlement, le suffrage universel devait servir au peuple, à recruter, pour son entreprise organisée en communes, des ouvriers, des contremaîtres, des comptables, tout comme son droit d’élection individuel sert au même objet à n’importe quel patron » (Marx, dans son ouvrage sur la Commune de Paris, « La Guerre Civile en France » ).

Chacune de ces thèses, bien connues de l’érudit Kautsky, le cingle au visage et dévoile sa trahison. Dans toute sa brochure, Kautsky ne dénote pas la moindre conception de ces vérités et d’un bout à l’autre il ne fait que se moquer du marxisme.

Prenez les lois fondamentales des États contemporains, prenez leur Gouvernement, prenez les libertés de réunion ou de presse, prenez « l’égalité des citoyens devant la loi », et vous verrez à chaque pas l’hypocrisie de la démocratie bourgeoise bien connue de tout travailleur honnête et conscient. Il n’y a pas d’État, même le plus démocratique, qui n’ait dans sa constitution quelque fissure ou quelque réserve fournissant à la bourgeoisie le moyen de lancer la troupe contre les ouvriers, de décréter l’état de siège, etc., « en cas de perturbation de l’ordre », entendez à la moindre tentative de la classe exploitée pour secouer son esclavage et essayer de se conduire en être humain. Kautsky farde sans vergogne la démocratie bourgeoise, et ne souffle mot des répressions dirigées par exemple contre les grévistes par les bourgeois les plus républicains et les plus démocrates d’Amérique et de Suisse.

Oh ! non, le prudent et savant Kautsky n’en souffle mot. Il ne comprend pas, ce politique érudit, que le silence en l’occurence est-une lâcheté. Il préfère berner les travailleurs en leur contant par exemple que démocratie veut dire « défense de la minorité ». Incroyable ! mais c’est comme cela !

L’an 1918 après la naissance de J. C., dans la cinquième année de la boucherie impérialiste universelle et de l’étouffement dans toutes les « démocraties » du monde des minorités internationalistes, (je ne parle bien sûr pas des infâmes renégats du socialisme tels que les Renaudel et les Longuet, les Scheidemann et les Kautsky, les Henderson et les Webb, etc.), M. le savant Kautsky célèbre d’une voix mielleuse « la défense de la minorité ».

Si le cœur vous en dit, vous pouvez le lire en toutes lettres page 15 de la brochure de Kautsky. Et, à la page 16, ce savant personnage vous parlera des whigs et des tories du XVIIIe siècle en Angleterre.

Ô érudition ! Ô servilité raffinée devant la bourgeoisie ! Ô manière raffinée de ramper sur le ventre devant les capitalistes et de leur lécher les bottes ! Si j’étais Krupp, Scheidemann, Clemenceau ou Renaudel, je payerais des millions à M. Kautsky, je récompenserais ses baisers de Judas, je ferais son panégyrique devant les travailleurs, je prêcherais « l’unité de front socialiste » avec des gens aussi bornés que Kautsky. Écrire des brochures contre la dictature du prolétariat, raconter l’histoire des whigs et des tories au XVIIIe siècle siècle en Angleterre, affirmer que la démocratie veut dire « défense de la minorité » et taire les massacres d’internationalistes organisés dans la république « démocratique » des États-Unis, est-ce que ce ne sont pas là des services de valet rendus à la bourgeoisie ?

Le savant Kautsky a « oublié », sans doute par mégarde, une « bagatelle », à savoir que dans la démocratie bourgeoise le parti dominant ne confie la défense de la minorité qu’à un autre parti bourgeois, tandis que le prolétariat, lui, dans chaque question sérieuse, profonde, fondamentale, ne reçoit en guise de défense de la minorité que l’état de siège ou les massacres.

Plus la démocratie est développée et plus, en cas de divergence politique profonde et dangereuse pour la bourgeoisie, elle a des chances de tourner au massacre ou à la guerre civile. Cette « loi » de la démocratie bourgeoise, le savant monsieur Kautsky aurait pu l’observer à l’occasion de l’affaire Dreyfus dans la France républicaine, ou du lynchage des nègres et des internationalistes dans la république démocratique d’Amérique, par l’exemple de l’Irlande et de l’Ulster dans l’Angleterre démocratique, dans les persécutions et les massacres organisés contre les bolchéviks en avril 1917 dans la république démocratique russe. C’est exprès que je cite des exemples non seulement du temps de guerre, mais du temps de paix.

Le doucereux M. Kautsky se plaît à fermer les yeux sur ces faits du XXe siècle, mais en revanche, il débite aux travailleurs des choses étonnamment neuves, remarquablement intéressantes, inaccoutumées et instructives, incroyablement importantes sur les whigs et les tories du XVIIIe siècle.

Prenez le parlement bourgeois. Peut-on admettre que le savant Kautsky n’ait point ouï-dire que les parlements bourgeois sont dans une dépendance d’autant plus grande de la bourse et des banquiers, que la démocratie est plus développée. Il ne s’ensuit pas qu’il ne faille pas se servir du parlementarisme bourgeois, et les bolchéviks s’en sont servi avec succès plus qu’aucun autre parti du monde, puisque de 1912 à 1914 nous avons conquis toute la curie ouvrière dans la quatrième Douma. Mais il s’ensuit qu’il n’y a qu’un libéral capable d’oublier l’étroitesse et la relativité du parlementarisme bourgeois, comme le fait Kautsky. Dans l’état bourgeois le plus démocratique, les masses opprimées se heurtent à chaque pas à une contradiction criante entre l’égalité formelle, proclamée par la « démocratie » des capitalistes, et les milliers de restrictions et de complications réelles qui font des prolétaires des esclaves salariés. C’est précisément cette contradiction qui ouvre les yeux des masses sur la pourriture, la fausseté, l’hypocrisie du capitalisme. C’est cette contradiction que les agitateurs et les propagandistes du socialisme découvrent sans relâche aux masses, pour les préparer à la révolution. Et lorsque l’ère de la révolution commence, Kautsky se tourne vers elle et se met à célébrer les charmes de la démocratie bourgeoise agonisante.

La démocratie prolétarienne, dont le régime soviétiste est une des formes, a donné à la démocratie un développement et une extension inconnus au monde, au profit de l’immense majorité de la population, au profit des exploités et des travailleurs.

Écrire tout un livre sur la démocratie, comme Kautsky qui consacre deux pages à la dictature et des dizaines de pages à la « démocratie pure », et ne pas remarquer tout cela, c’est, en vrai libéral, complètement dénaturer les faits.

Prenez la politique extérieure. Pas un pays bourgeois, même le plus démocratique, où elle se fasse au grand jour. Partout les masses sont bernées, et dans la France démocratique, en Suisse, en Amérique et en Angleterre, avec cent fois plus d’ampleur et de raffinement qu’ailleurs. Le pouvoir soviétiste a déchiré par les moyens révolutionnaires le voile qui cachait le mystère de la politique extérieure. Kautsky ne l’a point remarqué, il se tait là-dessus et pourtant à l’époque des guerres spoliatrices et des traités secrets sur les « sphères d’influence », c’est-à-dire sur le partage du globe par les brigands capitalistes, ce fait a une importance capitale, car de lui dépendent la vie ou la mort de dizaines de millions d’hommes.

Prenez la structure de l’État. Kautsky s’en prend à des « minuties », comme les élections « indirectes » de la constitution soviétiste, mais il ne voit pas le fond de la question. Il ne remarque pas que l’appareil gouvernemental, la machine gouvernementale sont essentiellement des organes de classe. Dans la démocratie bourgeoise, au moyen de mille trucs d’autant plus ingénieux et plus efficaces que la « démocratie pure » est plus développée, on écarte les masses de la participation au gouvernement, de la liberté de réunion, de presse, etc. Le premier au monde — pour mieux dire le deuxième, car la Commune de Paris avait déjà commencé, — le Pouvoir des Soviets appelle les masses exploitées au gouvernement. Mille barrières empêchent les masses laborieuses de participer à un parlement bourgeois (et d’ailleurs, dans la démocratie bourgeoise, ce n’est jamais lui qui résout les questions capitales ; c’est la bourse, les banques qui les décident), et les travailleurs savent et sentent à merveille, ils voient et ils touchent du doigt cette vérité, que le parlement bourgeois est une institution étrangère, un instrument d’oppression des prolétaires par la bourgeoisie, l’institution d’une classe hostile, d’une minorité d’exploiteurs.

Les Soviets sont l’organisation directe des travailleurs et des masses exploitées ; elle leur donne toute facilité pour organiser l’État et le gouverner par tous les moyens possibles. L’avant-garde des travailleurs et des exploités, le prolétariat des villes, a l’avantage d’être le mieux uni, grâce aux grandes entreprises ; il a plus de facilité pour élire et pour surveiller ses élus.

L’organisation soviétiste facilite automatiquement l’union de tous les travailleurs et exploités autour de leur avant-garde, le prolétariat. Le vieil appareil bourgeois, le fonctionnarisme, les privilèges de la fortune, de l’instruction bourgeoise, des relations, etc. (privilèges d’autant plus variés que la démocratie bourgeoise est plus développée), tout cela est supprimé avec l’organisation soviétiste. La liberté de la presse cesse d’être une hypocrisie, car les typographies et le papier sont enlevés à la bourgeoisie. De même pour les meilleurs édifices, les palais, les hôtels particuliers, les châteaux, etc. Le pouvoir soviétiste a d’un coup enlevé par milliers les meilleurs immeubles aux exploiteurs ; de cette façon il a rendu mille fois plus « démocratique » le droit de réunion pour les masses, ce droit de réunion sans lequel la démocratie est un leurre. Les élections indirectes aux soviets centraux facilitent les congrès des soviets, rendent tout l’appareil moins coûteux, plus mobile, plus accessible aux travailleurs et aux paysans, dans un temps où la vie bouillonne et où il faut pouvoir sans délai rappeler son député local ou l’envoyer au congrès général des soviets.

La démocratie prolétarienne est mille fois plus démocratique que n’importe quelle démocratie bourgeoise ; le pouvoir soviétiste est mille fois plus démocratique que la plus démocratique des républiques bourgeoises.

Pour ne pas remarquer cette vérité il faut être ou bien un valet conscient de la bourgeoisie, ou bien un homme politiquement mort, aveuglé sur la vie par la poussière des livres bourgeois, imprégné de préjugés démocratiques bourgeois et descendu en fait, par là même, au rôle de laquais de la bourgeoisie.

Pour ne pas remarquer cette vérité, il faut être incapable de poser la question du point de vue des classes opprimées.

Y a-t-il un seul pays au monde, parmi les pays bourgeois les plus démocratiques, dans lequel le simple ouvrier moyen ou le demi-prolétaire villageois, c’est-à-dire les représentants de la masse opprimée, de l’immense majorité de la population, jouissent de la liberté de tenir leurs réunions dans les meilleurs immeubles, de la liberté d’avoir, pour exprimer leurs idées et défendre leurs intérêts, les plus grandes imprimeries et les meilleurs stocks de papier, de la liberté de porter des hommes de leur classe au gouvernement et à la « construction » de l’État, et cela à un degré approchant un tant soit peu la Russie Soviétiste ?

Il est ridicule même de penser que Kautsky pourrait trouver dans n’importe quel pays un ouvrier ou un ouvrier agricole sur mille qui, une fois informé, hésiterait sur la réponse à faire à cette question. À en juger d’après les bribes d’aveux échappés aux journaux bourgeois, les travailleurs du monde entier sympathisent d’instinct avec la République Soviétiste, parce qu’ils voient en elle la démocratie prolétarienne, la démocratie des pauvres, à l’encontre de la démocratie bourgeoise qui, même la meilleure, est toujours en fait une démocratie pour les riches.

Nous sommes gouvernés et notre État est toujours conduit par les fonctionnaires bourgeois, les parlementaires bourgeois, les juges bourgeois. Voilà la vérité pure, évidente, indiscutable que connaissent par leur expérience vécue, et que sentent et éprouvent chaque jour à leur détriment des dizaines et des centaines de millions d’hommes des classes opprimées dans tous les pays bourgeois, y compris les plus démocratiques.

Or, en Russie, on a mis en pièces l’appareil du fonctionnarisme, on n’en a pas laissé pierre sur pierre, on a chassé tous les anciens magistrats, dispersé le parlement bourgeois et donné aux ouvriers et aux paysans une représentation infiniment plus accessible, puisque leurs soviets ont remplacé les fonctionnaires, leurs soviets commandent aux fonctionnaires, leurs soviets élisent les juges. C’en est assez pour que toutes les classes opprimées reconnaissent le pouvoir des Soviets, c’est-à-dire la forme soviétiste de la dictature du prolétariat, mille fois plus démocratique que la plus démocratique des républiques bourgeoises.

Cette vérité, intelligible et évidente pour tout travailleur, Kautsky ne la comprend pas, car il a « oublié » de poser, il ne sait plus poser cette question : pour quelle classe la démocratie ? Il raisonne avec la démocratie « pure » (c’est-à-dire sans classes ? ou au-dessus des classes ?) Il argumente comme Shylock : « une livre de viande », rien de plus. Égalité de tous les citoyens, sinon pas de démocratie.

Au savant Kautsky, au « marxiste » et au « socialiste » Kautsky, nous sommes obligés de demander :

Peut-il y avoir égalité entre l’exploité et l’exploiteur ?

Il est monstrueux, il est incroyable qu’on en soit réduit à poser cette question à propos d’un livre du théoricien en chef de la IIe Internationale. Enfin, le vin est tiré, il faut le boire, Tu as entrepris d’écrire sur Kautsky, explique donc à cet érudit pourquoi il ne peut y avoir d’égalité entre l’exploiteur et l’exploité.