Lausanne à travers les âges/Aperçu/02

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Collectif
Librairie Rouge (p. 8-14).


II

La formation de la ville nouvelle.

Les circonstances qui amenèrent le transfert de l’ancienne Lausanne des bords du lac sur les collines où elle s’étage aujourd’hui nous sont inconnues ; sa ruine fut sans doute amenée par une invasion des hordes barbares qui désolaient l’empire romain au cinquième siècle. Ce fut apparemment pour pouvoir mieux se défendre contre les agressions auxquelles ils étaient exposés, que les Lausannois construisirent la nouvelle ville sur les hauteurs escarpées qui dominent les ravins du Flon et de la Louve. Quoi qu’il en soit, il faut croire que la cité naissante avait assez promptement pris une certaine importance et éclipsé Avenches puisque entre 585 et 594 l’évêque Marius[1] y établissait le siège de son diocèse ; c’est à ce prélat que paraît devoir remonter la construction de l’église de Saint-Thyrse.

Après la destruction de Lousonna, les Helvéto-Romains se fixèrent sur le contrefort avancé de la forêt de Sauvabelin. À ce moment même, le christianisme se propageait dans nos contrées. La ville nouvelle, gagnée à la foi nouvelle, devint le centre religieux du pays, la Cité épiscopale. Autour de la Cathédrale, se multiplièrent les monastères : Saint-Thyrse ou Saint-Maire, au nord ; Saint-Étienne et Saint-Paul au sud. Ce dernier était couvent de femmes. Ces trois maisons durèrent peu : au dixième siècle, elles étaient sécularisées, et leurs chapelles transformées en églises paroissiales.

Vis-à-vis, séparée par le Flon, s’élevait une seconde colline, qui, d’après



La cathédrale vue de la route de la Solitude.



M. Dumur, reçut le nom de bourg à cause des populations burgondes qui s’y seraient fixées, populations qui, au début du dixième siècle, étaient desservies par la chapelle Saint-Pierre. Enfin, à l’ouest, au delà de la Louve, un troisième
La cathédrale vue de la place de la Riponne.
quartier se groupait autour de l’église Saint-Laurent et semble avoir constitué un vicus à part.

La ville de Lausanne est donc formée de trois groupements distincts. Les nécessités de l’industrie amenèrent les Lausannois à occuper le fond des vallons de la Laus et de la Louve pour utiliser ces cours d’eau. Du bas du Calvaire à Chauderon, des moulins s’égrenèrent. Tout auprès furent installées les boucheries, les corroyeries. Non loin de là, au Pont, furent les premières halles. Ces bas quartiers se développèrent d’autant plus rapidement qu’ils étaient situés sur la grande route de Genève à Avenches : celle-ci arrivait à Vidy, remontait la vallée du Flon, passait devant l’hôpital Saint-Jean, qui était essentiellement une hôtellerie pour les passants, continuait par l’étroite rue du Petit-Saint-Jean et la rue du Pré. À la porte Saint-Martin, la route se bifurquait, par le chemin du Calvaire, vers Berne, par la Cheneau de Bourg et Etraz, vers Vevey. En deçà, au Pont, un premier embranchement montait par les Degrés du Marché et la rue des Merciers vers la Cathédrale.

La ville se développe. Le confluent marécageux du Flon et de la Louve, assaini, devient le quartier de la Palud, qui sera bientôt le cœur de Lausanne et où s’élève aujourd’hui l’Hôtel de Ville. Puis la ville brise les entraves de son mur d’enceinte. Des faubourgs se créent ; à l’est, ceux de Martheray et d’Etraz, à l’ouest, celui de l’aile de Saint-Laurent. La fondation des couvents de la Madelaine et de Saint-François provoque de nouvelles agglomérations. L’enceinte de la ville est à plusieurs reprises élargie.


Chœur de la cathédrale.
À l’intérieur même de la vieille Cité, de nouvelles constructions s’élèvent, l’hôpital de Notre-Dame en 1282, le Château épiscopal de Saint-Maire en 1398, le Château de Menthon. Au quinzième siècle, la ville a atteint à peu près le développement qu’elle gardera jusqu’au dix-huitième siècle.

On peut encore se représenter l’aspect qu’elle offrait autrefois. Des rues étroites et mal pavées. Des maisons en bois et à un étage seulement jusqu’au quatorzième siècle ; même après les grands incendies de 1219 et 1235, lorsqu’on construit en pierre, les maisons restent petites et peu aérées, mais chacune a son jardin et ses dépendances. Devant la porte, un seau en cuir prêt à être rempli d’eau en cas d’incendie[2].

L’évêché de Lausanne, fondé par l’évêque Marius, était destiné à devenir un des plus riches de l’Helvétie. Ses prélats avaient un droit de préséance sur les autres évêques suffragants de la métropole de Besançon. Le diocèse était limité au sud-ouest par l’Aubonne, au sud-est par l’Eau-Froide, qui se jette dans le lac près de Villeneuve ; il comprenait les vallées de la Sarine, de l’Aar et le versant oriental du Jura, jusqu’au nord de Soleure. Des milliers de pèlerins accouraient chaque année pour faire leurs dévotions à l’église de Notre-Dame qui était en grande vénération dans tout le pays[3]. L’évêque et le chapitre possédaient des biens considérables ; aussi voit-on figurer parmi les prélats les cadets des plus
Intérieur de la cathédrale. Croisée du transept.
grandes familles du pays, des Grandson, des Champvent, des Cossonay, des Prangins et même des maisons souveraines de Faucigny, de Savoie, de Lenzbourg, de Kibourg et de Neuchâtel.

Ce qui contribua surtout au développement de cette puissance temporelle, ce fut la donation du comté de Vaud, faite en 1011, par le dernier roi de la Bourgogne Transjurane, Rodolphe III, dit le Fainéant, à l’évêque Henri de Lenzbourg. Dès l’an 1125, les évêques de Lausanne sont qualifiés de princes d’Empire, ce qui leur confère les droits régaliens, tels que celui de battre monnaie, d’établir des péages, d’exercer la police des routes, des cours d’eau, des forêts, des marchés, etc. Ils faisaient profession de tenir cette souveraineté de la Vierge elle-même dont ils étaient les administrateurs « Tota civitas Lausannensis, tam civitas quam burgum est dos et allodium beate Marie Virginis », est-il dit dans l’acte où les Lausannois reconnaissent les droits de l’évêque.

Le chapitre de Notre-Dame, composé de trente chanoines recrutés parmi les



Intérieur de la cathédrale. Grande nef.



plus nobles familles du pays romand, avait ses biens particuliers, entièrement indépendants de la mense épiscopale. Il nommait l’évêque sauf ratification papale, il avait la collation d’un certain nombre d’églises, ce qui lui valait des revenus considérables.


Intérieur de la cathédrale. Déambulatoire.

Les dignitaires du Chapitre étaient le prévôt, le trésorier, le chantre et le sacristain.

  1. Suivant une tradition longtemps admise, Marius aurait été évêque d’Avenches avant de fixer à Lausanne le siège de son diocèse ; cette opinion, encore soutenue par M. l’abbé Marius Besson, a été battue en brèche par M. Maxime Reymond. (Voir leur polémique dans les Archives de la Société d’histoire du canton de Fribourg, tome VIII, page 139, dans la Revue historique vaudoise, année 1904, page 380, dans la Revue de Fribourg, année 1905, page 52, et dans l’Anzeiger für Schweizerische Geschichte 1905, numéros 1 et 2.)
  2. Ces renseignements topographiques nous ont été obligeamment communiqués par M. Maxime Reymond et proviennent de recherches faites aux archives cantonales.
  3. Cette église apparaît dès le début du septième siècle. Elle a été plusieurs fois reconstruite. L’édifice actuel a été élevé entre 1160 et 1275.