Le Bec en l’air/Le Soi-disant Bolide de Madrid

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LE SOI-DISANT BOLIDE DE MADRID


GRAVES RÉVÉLATIONS


Le lundi 10 février 1896[1], vers dix heures et demie du matin, par un ciel pur et bleu où le soleil brillait ainsi qu’aux plus beaux printemps, une formidable explosion se produisit en l’air, au-dessus de Madrid, jetant la terreur parmi les habitants.

Il était exactement neuf heures vingt-neuf quand eut lieu ce phénomène : une lueur fulgurante illumina brusquement le ciel, tandis qu’une formidable détonation, bien supérieure aux plus effroyables coups de tonnerre, retentissait presque aussitôt.

Les vitres des maisons volèrent en éclats… etc., etc.

… Je pourrais continuer ce récit en détaillant les dégâts matériels (de beaux dégâts, bien entendu, puisque la scène se passe en Espagne), en insistant sur l’affolement de la population, etc., etc.

Je préfère arriver tout de suite à l’explication de ce phénomène, lequel (n’en déplaise à ces messieurs de l’Observatoire) n’a rien de météorologique.

Tout le monde, jusqu’à ce jour, a cru à un bolide.

Erreur !

D’une conversation que nous venons d’avoir avec M. Ollier, le sympathique consul de la Havane au Vésinet, il résulte l’explication suivante :

Pour peu, chers lecteurs, que vous lisiez assidûment les journaux, vous avez dû vous apercevoir que Cuba est, depuis quelque temps, en guerre avec l’Espagne, sa vieille métropole.

Contrairement à leurs voisins les Portugais, qui sont toujours gais, les Espagnols sont toujours gnols, surtout quand il s’agit de questions coloniales.

Cette monstrueuse expédition de Cuba est en train de leur coûter beaucoup d’or, beaucoup de sang, sans compter beaucoup de boue, comme dit Drumont, dès que viendra la saison des pluies.

Les Cubains ont la prétention de vivre libres dans leur pays libre : quand un peuple s’est mis bien en tête ce, très naturel, en somme, programme, rien au monde ne saurait se mettre en travers de la réussite.

Sans pouvoir favoriser ostensiblement le mouvement cubain, les États-Unis ne négligent rien pour en assurer le proche succès. (Doctrine de Munroë.)

L’ingénieur Blagsmith, un savant auprès duquel Edison n’est qu’un pâle enfant, a reçu de M. Cleveland la mission d’organiser scientifiquement et secrètement la déconfiture espagnole.

Pendant que les patriotes cubains se battent, et bellement, pour leur liberté, une équipe de hardis Américains va attaquer les Espagnols chez eux.

L’ingénieux Blagsmith a construit pour la circonstance un curieux appareil catastrophophore qui tient à la fois de la torpille, de l’obus et de l’aérostat.

D’un navire mouillé au large, il peut lancer son engin à l’endroit de terre qu’il désire et le faire éclater à l’instant voulu.

Le soi-disant bolide du 10 février n’était autre qu’un essai du procédé Blagmisth.

Cette tentative ayant parfaitement réussi, l’inventeur américain est retourné dans ses vastes usines de l’Illinois, pour y activer la fabrication de ce matériel guerrier.

Il compte être de retour sur les côtes d’Espagne dans les premiers jours de mars.

Si rien ne s’oppose à la bonne marche des opérations, Madrid devra être complètement détruit le dimanche 15 mars, à midi précis.

Les Madrilènes qui désireraient accomplir leurs devoirs religieux devront donc assister, ce jour-là, aux offices de la veille.


  1. Vous êtes trop jeunes pour vous souvenir de cela.