Le Bhâgavata Purâna/Livre I/Chapitre 1

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Traduction par Eugène Burnouf.
Imprimerie royale (tome 1p. 1-4).


LIVRE PREMIER.




CHAPITRE PREMIER.

QUESTIONS DES RĬCHIS DANS LA FORÊT DE NÂIMICHA.



ÔM ! ADORATION À BHAGAVAT, FILS DE VASUDÉVA !


1. Méditons sur l’être duquel dérive la création [la conservation et la destruction] de cet univers, parce qu’il s’unit aux choses et qu’il en reste cependant distinct ; sur cet être tout-puissant, resplendissant de son propre éclat, qui a tiré de son intelligence, pour le premier chantre inspiré, le Vêda qui trouble les sages eux-mêmes ; sur cet être en qui le triple produit [des qualités] existe de la même réalité que les phénomènes dans lesquels on prend l’un pour l’autre les éléments, comme le feu, l’eau, la terre ; sur cet être dont la lumière n’est jamais obscurcie par l’erreur, l’être existant, absolu.

2. Voici un livre où est exposée la loi suprême, dégagée de toute illusion, des hommes vertueux et sans envie ; un livre dans lequel est révélée l’essence qui doit être connue comme réellement existante, celle qui donne la béatitude et fait disparaître les trois espèces de douleurs. C’est le divin Bhâgavata composé par le grand solitaire [Nârayana]. À peine les hommes purs, désireux de l’entendre, le connaissent-ils, qu’Içvara (le Seigneur) fixe son séjour dans leur âme. D’autres livres ont-ils un tel pouvoir ?

3. Le Bhâgavata est tombé de la bouche de Çuka sur la terre, comme un fruit détaché de l’arbre fécond de la loi (le Vêda) et dont le suc est l’Amrǐta (l’Ambroisie) même. Ô vous tous dont le goût exercé sait reconnaître ce qu’on lui présente, savourez sans cesse ce divin breuvage, au sein même de la libération !

4. Ôm ! Dans la forêt de Nâimicha, consacrée à Vichṇu, Çâunaka et les autres Rǐchis célébraient le sacrifice de mille années pour obtenir le ciel.

5. Un jour ces solitaires, après avoir jeté dans le feu l’offrande du matin, adressèrent avec respect la question suivante à Sûta, leur hôte, assis devant eux.

LES RǏCHIS dirent :

6. Pieux solitaire, tu n’as pas seulement lu, tu as encore raconté les Purâṇas avec les Itihâsas (les histoires) et les livres des devoirs.

7. Que connurent et le bienheureux Vâdarâyana (Vyâsa), le plus parfait des sages habiles, dans le Vêda, et les autres solitaires qui savent que l’être a deux formes, l’une supérieure et l’autre inférieure.

8. Grâce à leur bienveillance, tu sais tout cela d’une manière approfondie ; tes maîtres ont révélé ce mystère même à leur disciple bien-aimé.

9. Maintenant, sage vénérable, hâte-toi de nous raconter ici ce dont tu as si bien reconnu la vérité, ce qui assure aux hommes la plénitude du bonheur.

10. Dans l’âge de Kali, où nous sommes, la vie est généralement de peu de durée ; les hommes sont indolents ; leur intelligence est lente, leur existe difficile ; bien des maux les accablent.

11. De tant de récite où sont recommandés de si nombreux devoirs, et qu’il faut entendre séparément, que ton esprit rassemble ici la substance, et raconte, pour le bonheur des êtres, ce récit qui donne à l’âme un calme parfait.

12. Ô Sûta, tu sais, et puisse le bonheur être avec toi ! tu sais dans quel dessein Bhagavat, le chef des Sâtvats, devint le fils de Dêvakî, femme de Vasudêva.

13. Voilà ce que nous désirons entendre : daigne nous exposer l’histoire de celui dont l’incarnation eut pour but la protection et le bonheur des créatures.

14. Tombé dans le fleuve redoutable du monde, l’homme privé de l’espoir de se sauver est sûr, en prononçant ce nom [divin] que la terreur elle-même redoute, d’être immédiatement délivré.

15. Les solitaires, ô Sûta, qui cherchent à ses pieds un asile, marchant dans la voie de la quiétude, n’ont besoin que d’être abordés avec respect pour donner aussitôt la pureté ; les eaux du Gange, [au contraire, ] ne purifient qu’autant qu’on les touche.

16. Quel est l’homme ami de la pureté qui ne désirerait entendre l’histoire glorieuse de Bhagavat, dont les actions doivent être célébrées dans de purs distiques, cette histoire qui dissipe les malheurs du Kaliyuga ?

17. Raconte-nous, car nous avons la foi, les actions sublimes, chantées par les sages, de celui qui donne en se jouant l’être à des portions de sa substance.

18. Retrace-nous, sage solitaire, les belles histoires des incarnations de Hari (Vichṇu), du souverain Seigneur, qui librement se livre à ces jeux, à l’aide de la Mâyâ (l’Illusion) dont il dispose.

19. Non, nous ne pouvons nous rassasier de la grandeur de celui dont la gloire est excellente, grandeur dont les hommes de goût qui l’entendent trouvent à chaque instant le récit de plus en plus délicieux.

20. En effet, caché sous la trompeuse apparence d’un mortel, Bhagavat a fait, par les mains de Kêçava (Krǐchna) et de Râma (Balarâma), d’héroïques actions qui surpassent la puissance de l’homme.

21. Pour nous, qui avons reconnu l’arrivée du Kaliyuga, assis dans ce lieu consacré à Vichṇu, pour célébrer un long sacrifice, nous croyons l’instant favorable pour entendre l’histoire de Hari.

22. Au moment où nous désirions traverser les flots difficiles du Kaliyuga qui détruit la vertu parmi les hommes, tu nous as été montré par Brahmâ comme un pilote sur l’océan.

23. Et maintenant que Krǐchna, le maître du Yoga, l’ami des Brahmanes, le défenseur de la justice, est rentré dans sa propre substance, dis-nous dans quel asile s’est réfugiée la justice ?


FIN DU PREMIER CHAPITRE, AYANT POUR TITRE
QUESTIONS DES RǏCHIS,
DE L’ÉPISODE DE LA FORET NÂIMIGHA, DANS LE PREMIER LIVRE DU GRAND PURÂṆA,
LE BIENHEUREUX BHÂGAVATA,
RECUEIL INSPIRÉ PAR BRAHMÂ ET COMPOSÉ PAR VYÂSA.