Le Bohême (Guillemot)/05
LE BOHÊME EXOTIQUE.
ombien serait piquante et pleine d’intérêt l’étude complète et détaillée de la Bohême exotique ! Mais la question est si complexe, elle touche à tant de points délicats, elle nécessiterait des recherches si nombreuses, elle exigerait des précautions si minutieuses, que malgré le vif désir que nous en aurions, nous sommes obligés de nous borner à un aperçu sommaire, et pour ainsi dire à la mention pure et simple.
« Glissez, mortels, n’appuyez pas, » est pour l’écrivain, dans la plupart des cas, le commencement de toute sagesse ; dans le cas présent, plus que jamais.
En touchant à ce tas d’étrangers dont la position sociale est si difficile à établir, à fixer, à définir, sait-on jamais à qui on a affaire ?
Simples aventuriers ou princes voyageant incognito ? Qui m’éclairera ? Qui me guidera ?
Ils fréquentent les mêmes salons, les mêmes cercles, les mêmes femmes.
Ils ont les mêmes allures et les mêmes décorations…
Marquis douteux, comtes louches, barons borgnes, que j’en vois de ces gaillards, Italiens, Espagnols, Brésiliens, Péruviens, Mexicains et Turcs, Grecs de toute latitude et de toute longitude, qui, tous, seraient fort en peine d’exposer au public le budget de leurs recettes et dépenses !
À les entendre, ils ont dans leur pays tous les titres, tous les grades, tous les honneurs… Forêts, châteaux, terres à perte de vue. « A beau mentir qui vient de loin. » C’est pour ces bohêmes-là que fut fait ce proverbe.
Or, non pas une fois, mais dix fois, mais vingt fois à l’étranger, il m’est arrivé de demander : « Connaissez-vous le duc *** ou le vidame ***, un élégant, un raffiné richissime qui mène grand train à Paris ?… » Non-seulement on ne le connaissait pas, mais encore il n’y avait jamais eu dans la contrée personne de ce nom.
Quelques-uns, pour se donner une contenance, font semblant de s’occuper d’art. Ils se disent peintres, sculpteurs, musiciens…
L’art devient de la sorte une excuse, un paravent.
Ils vivent joyeusement, grassement, luxueusement… « Vos ressources, mes seigneurs ?
— L’art, parbleu !… »
L’art a bon dos.
Un beau matin, de temps en temps, on apprend que dans une soirée de viveurs du plus grand monde deux gentilshommes étrangers ont été surpris trichant au jeu,… et tout s’explique.
Au moins en ce qui concerne ces deux-là.