Le Cadran de la volupté ou les Aventures de Chérubin/06
LE TEMPLE DE VÉNUS
GNIDIENNE.
Le troisième jour, une voiture s’arrête
vers le soir à ma porte, un laquais
vient m’avertir qu’on m’attendait pour
y monter, j’arrive, je me place auprès
d’un jeune homme enveloppé d’un riche
manteau… c’était Divine ;
un baiser sur sa bouche de rose lui
prouva que je la reconnaissais… La
voiture part, elle vole, nous arrivons
à Paris dans un espace de tems très-court.
Nous arrêtons à la porte d’un
hôtel, dans un impasse ; nous descendons,
la voiture s’éloigne ; une femme
à qui Divine dit quelques mots mystérieux,
nous introduisit dans une salle
basse où étoit une malle, Divine
en tira deux habits blancs complets,
dans le costume grec, elle m’en revêtit,
me noua une superbe ceinture rose,
et m’attacha une couronne de fleurs
sur la tête ; elle-même fut bientôt costumée
à son tour. Dieux ! qu’elle était
belle ; je crus voir une grâce. Nous
montâmes un superbe escalier, garni
de festons et de guirlandes. Arrivés à
un portique, Divine frappa trois
petits coups, on ouvre ; trois guerriers
armés de toutes pièces me conduisent
auprès d’un petit autel, sur
lequel étaient deux épées nues en sautoir,
là on me fit jurer par tout ce qu’il
y a de plus sacré, de garder le plus
strict silence sur tout ce que j’allais
voir : il y va de ta vie, me dit-on. Ce
début, et l’appartement tendu de noir,
m’effrayèrent ; je promis tout ce qu’on
voulut ; ensuite, un des chevaliers
nous prenant, Divine et moi par la
main, nous fit entrer dans un temple,
un double rang de Gnidiens et de Gnidiennes
entourait un autel jonché de
fleurs, une musique dont les sons mélodieux
et doux enivraient l’âme de
volupté, portait le trouble dans tous
les sens. Je crus être aux tems fortunés
où les mortels communiquant avec
les dieux, les prenaient pour modèles
et témoins de leurs plaisirs : toutes les
jeunes nymphes qui embellissaient ce
temple vinrent me donner le baiser de
fraternité. Qu’il était tendre et voluptueux !
Les jeunes gens vinrent à leur
tour ; leurs baisers aussi lascifs que
passionnés, me firent une impression
non moins vive. Après cette cérémonie,
trois jeunes prêtresses vinrent me faire
quitter mes habits ; on me fit placer
nud sur un canapé, la troupe forma
un cercle autour de moi. Les trois prêtresses
firent successivement l’éloge
de toutes les parties de mon corps, il
fut décidé que j’étais digne d’être initié
aux plus secrets mystères. Toutes
ces beautés, l’une après l’autre, vinrent
baiser cette belle et précieuse portion
de mon être à laquelle je dois toute
ma félicité. Les hommes à leur tour,
me baisèrent ces deux globes qui jadis
méritèrent des autels à Vénus Calpigienne.
Des scènes si lascives ne pouvaient
manquer de m’enflammer
à mon tour : j’en donnai la preuve
la moins équivoque, et tous aussitôt de
frapper dans les mains, et de vanter
ma gloire. Un coup de tonnerre
annonça l’approche du dieu qui présidait
à ces fêtes ; il descend dans un nuage
doré, au son des instrumens de toute
espèce ; son front était ceint d’une
couronne de roses, il tenait pour sceptre
le plus beau priape qu’on puisse voir,
chacun dans le silence attendait qu’il
prononçât ses oracles. — Il est tems,
dit-il, il est tems, jeunesse aimable et
impatiente de jouir, d’ouvrir la carrière
à vos plaisirs ; approchez, jeune et
bel initié, recevez de ma main votre
charmante maîtresse ; allez et multipliez
vos plaisirs : vous, prêtres et
prêtresses, formez autour d’eux des
groupes voluptueux, et que Vénus
préside à ces mystères. Divine fut
aussitôt dans mes bras, le dieu lui-même,
dont tout le corps était un chef-d’œuvre
de la nature, plaça de sa main
mon trait radieux dans le réduit brûlant
qu’il devait occuper. Chacun de
son côté se livra avec fureur aux
plaisirs les plus variés ; que de
soupirs, que d’attitudes multipliées !
Ah ! m’écriai-je, dans l’extase du
bonheur :
Restez, adorables images,
Restez à jamais sous mes yeux ?
Soyez l’objet de mes hommages,
Mes législateurs et mes dieux…