Le Capitaine Pamphile/6

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Michel Lévy frères (p. 56-68).
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VI

Comment Jacques Ier commença par plumer des poules,
et finit par plumer un perroquet.


Aussitôt après le dîner funéraire, qui finit sur les sept ou huit heures du soir, Jadin, dont le récit dans la précédente séance avait inspiré le plus vif intérêt, fut invité à le continuer. Mademoiselle Camargo tout intéressante qu’elle était, n’avait pu, vu l’existence claustrale qu’elle avait menée pendant les six mois et un jour qu’elle avait habité l’atelier de Decamps, laisser de profonds souvenirs ni dans l’esprit ni dans le cœur des habitués. Thierry était celui de nous avec lequel elle avait eu le plus de relations : encore ces relations étaient-elles purement scientifiques ; il en résulta que les regrets causés par sa mort furent de courte durée et effacés bientôt par l’immense avantage qu’en avait retiré la science. On comprendra donc facilement ce retour rapide à la curiosité que nous inspiraient les aventures de notre ami Jacques, racontées par un narrateur aussi fidèle, aussi consciencieux et aussi habile que Jadin, dont la réputation était déjà faite comme peintre par son beau tableau des Vaches et, comme historien par son Histoire du prince Henry, ouvrage composé en collaboration avec M. Dauzats[1], et qui, même avant sa publication, jouit déjà dans le monde de toute la réputation qu’il mérite. Jadin tira donc sans se faire prier son manuscrit de sa poche, et reprit l’histoire où il l’avait laissée.

» Le perroquet qu’avait acheté le capitaine Pamphile était un cacatois de la plus belle espèce, au corps blanc comme la neige, au bec noir comme l’ébène, et à la crête jaune comme du safran, crête qui se relevait ou s’abaissait selon qu’il était de bonne ou de mauvaise humeur, et lui donnait tantôt l’air paterne d’un épicier coiffé de sa casquette, tantôt l’aspect formidable d’un garde national orné de son bonnet à poils. Outre ces avantages physiques, Catacoua avait une foule de talents d’agrément ; il parlait également bien l’anglais, l’espagnol et le français, chantait le God save the king comme lord Wellington, le Pensativo estaba el cid comme don Carlos, et la Marseillaise comme le général La Fayette. On comprend qu’avec de pareilles dispositions philologiques, il ne tarda point, tombé qu’il était entre les mains de l’équipage de la Roxelane, à étendre rapidement le cercle de ses connaissances ; si bien qu’à peine se trouva-t-on, au bout de huit jours, en vue de l’île Sainte-Hélène, qu’il commençait à jurer très-proprement en provençal, à la grande jubilation du capitaine Pamphile, qui, comme les anciens troubadours, ne parlait que la langue d’Oc.

» Aussi, quand le capitaine Pamphile avait passé en se réveillant l’inspection de son bâtiment, regardé si chaque homme était à son poste et chaque chose à sa place ; lorsqu’il avait fait distribuer la ration d’eau-de-vie aux matelots et les coups de garcette aux mousses ; lorsqu’il avait examiné le ciel, étudié la mer et sifflé le vent ; lorsqu’il arrivait enfin avec cette sérénité de l’âme que donne la certitude d’avoir rempli ses devoirs, il allait à Catacoua, suivi de Jacques, qui grossissait à vue d’œil, et qui partageait avec son rival emplumé toute l’affection du capitaine Pamphile, et lui donnait sa leçon de provençal ; puis, s’il était content de son élève, il introduisait un morceau de sucre entre les barreaux de la cage, récompense à laquelle Catacoua paraissait très-sensible, et dont Jacques se montrait fort jaloux ; aussi, dès qu’un incident imprévu attirait le capitaine Pamphile d’un autre côté, Jacques s’approchait de la cage, et faisait si bien, que le morceau de sucre changeait habituellement de destination, au grand désespoir de Catacoua, qui, la patte en l’air et la crête dressée, faisait alors retentir l’air de ses chants les plus formidables ou de ses jurons les plus terribles ; quant à Jacques, il restait d’un air innocent auprès de la prison où le volé faisait rage, fourrant, lorsqu’il n’avait pas le temps de le croquer, dans les poches de ses joues le corps du délit, qui y fondait tout doucement, tandis qu’il se grattait le côté, clignait béatement les yeux, forcé qu’il était, pour toute punition, de boire son sucre au lieu de le manger.

» On comprend que cette atteinte à la propriété mobilière était des plus désagréables à Catacoua, et, sitôt que le capitaine Pamphile s’approchait de lui, il défilait tout son répertoire. Malheureusement, aucun de ses instituteurs ne lui avait appris à crier au voleur, de sorte que son maître prenait cette sortie, qui n’était autre chose qu’une dénonciation en forme, pour le plaisir que lui causait sa présence, et, convaincu qu’il avait mangé son dessert, se contentait de lui gratter délicatement la tête ; ce que Catacoua appréciait jusqu’à un certain point, mais infiniment moins cependant que le morceau de sucre en question. Catacoua comprit donc qu’il fallait qu’il s’en remît à lui seul du soin de sa vengeance, et, un jour qu’après lui avoir volé le morceau, Jacques repassait la main à travers la cage pour en ramasser les miettes, Catacoua se laissa pendre par une patte, et, tout en ayant l’air de s’occuper de gymnastique, attrapa le pouce de Jacques et le mordit outrageusement. Jacques jeta un cri perçant, s’accrocha aux cordages, monta tant qu’il trouva du chanvre et du bois ; puis, s’arrêtant sur le point le plus élevé du navire, il resta là piteusement cramponné de ses trois pattes au mât, et secouant la quatrième comme s’il eût tenu un goupillon.

« À l’heure du dîner, le capitaine Pamphile siffla Jacques : mais Jacques ne répondit pas ; ce silence était si contraire à ses habitudes hygiéniques, que le capitaine Pamphile commença à s’en inquiéter ; il siffla derechef, et, cette fois, il entendit une espèce de grondement qui semblait lui répondre des nuages ; il leva les yeux et aperçut Jacques, qui donnait la bénédiction urbi et orbi ; alors il s’établit entre Jacques et le capitaine Pamphile un échange de signaux, dont le résultat fut que Jacques refusait obstinément de descendre. Le capitaine Pamphile, qui avait formé son équipage à une obéissance passive, et qui ne voulait pas que ses mesures de discipline fussent faussées par un singe, prit son porte-voix et appela Double-Bouche. L’individu interpellé apparut incontinent, montant à reculons l’échelle de la cuisine, et s’approcha du capitaine à peu près comme le chien qu’on dresse, s’approche du garde qui le châtie ; le capitaine Pamphile, qui ne se prodiguait pas avec ses inférieurs, montra au mousse le récalcitrant qui grimaçait sur la pointe de son mâtereau ; Double-Bouche comprit à l’instant même ce qu’on demandait de lui, s’accrocha à l’échelle qui conduisait aux haubans, et se mit à grimper avec une agilité qui indiquait que le capitaine Pamphile, en honorant Double-Bouche de cette mission hasardeuse, avait fait un choix des plus judicieux.

» Un autre point, mais qui reposait tout entier, je ne dirai pas sur l’étude du cœur, mais sur la connaissance de l’estomac, avait encore influencé la détermination du capitaine Pamphile ; Double-Bouche était spécialement employé à la cuisine, fonctions honorables appréciées de tout l’équipage, et notamment de Jacques, qui affectionnait surtout cette partie du bâtiment ; il s’était donc lié d’une amitié sympathique avec le nouveau personnage que nous venons d’introduire en scène, lequel devait le nom expressif qui avait remplacé son appellation patronymique, à la facilité que lui donnait son poste de dîner avant les autres ; ce qui ne l’empêchait pas de dîner encore après les autres. Jacques avait donc compris Double-Bouche, de même que Double-Bouche avait compris Jacques, et il résulta, de cette appréciation mutuelle, qu’au lieu de chercher à fuir, ce qu’il n’eût pas manqué de faire si tout autre que Double-Bouche lui eût été envoyé, Jacques fit la moitié du chemin, et que les deux amis se rencontrèrent sur la barre du grand perroquet, et redescendirent immédiatement, l’un portant l’autre, sur le pont, où le capitaine Pamphile les attendait.

» Le capitaine Pamphile ne connaissait qu’un remède aux blessures, de quelque nature qu’elles fussent : c’était une compresse d’eau-de-vie, de tafia ou de rhum ; il trempa donc un linge dans le liquide précité et en enveloppa le doigt du blessé ; au contact de l’alcool et de la chair vive, Jacques commença par faire une grimace atroce ; mais, comme il vit, pendant que le capitaine Pamphile avait le dos tourné, Double-Bouche avaler vivement ce qui était resté du liquide dans le verre où l’on avait trempé le linge, il comprit que la liqueur, douloureuse comme médicament, pouvait être bienfaisante comme boisson ; en conséquence, il approcha la langue de l’appareil, lécha délicatement la compresse, et, peu à peu, prenant goût à la chose, finit tout bonnement par sucer son pouce ; il en résulta que, comme le capitaine Pamphile avait recommandé que l’on imbibât le bandage de dix minutes en dix minutes, et que l’on exécutait ponctuellement ses ordres, au bout de deux heures, Jacques commença à cligner des yeux et à dodeliner la tête, et que, comme le traitement allait toujours son train, et que Jacques appréciait de plus en plus le traitement, il finit par tomber ivre-mort entre les bras de son ami Double-Bouche, qui descendit le blessé dans la cabine et le coucha dans son propre lit.

» Jacques dormit douze heures de suite : et, lorsqu’il se réveilla, la première chose qui frappa ses yeux fut son ami Double-Bouche occupé à plumer une poule. Ce spectacle n’était pas nouveau pour Jacques ; cependant, il parut, cette fois, y donner une attention singulière ; il se leva doucement, s’approcha les yeux fixes, examina le mécanisme à l’aide duquel le travailleur procédait, et demeura immobile et préoccupé pendant tout le temps que dura l’opération ; la poule plumée, Jacques, qui se sentait la tête encore un peu lourde, monta sur le pont afin de prendre l’air.

» Le vent continuait d’être favorable le lendemain, de sorte que le capitaine Pamphile, voyant que tout marchait au gré de ses vœux, et jugeant inutile de transporter à Marseille les poules qui restaient à bord et qu’il n’avait point d’ailleurs achetées dans un but de spéculation, donna ordre, sous prétexte que sa santé commençait à se déranger, qu’on lui servît tous les jours, outre sa tranche d’hippopotame et sa bouillabaisse, une volaille fraîche, bouillie ou rôtie. Cinq minutes après ces ordres donnés, les cris d’un canard que l’on égorgeait se firent entendre.

À ce bruit, Jacques descendit de la grande vergue si rapidement, que quelqu’un qui n’aurait point connu son caractère égoïste, aurait cru qu’il courait au secours de la victime, et se précipita dans la cabine. Il y trouva Double-Bouche, qui remplissait consciencieusement son office de marmiton, en plumant la volaille jusqu’à ce qu’il ne lui restât plus le moindre duvet sur le corps ; cette fois comme l’autre, Jacques parut prendre le plus grand intérêt à la chose ; puis il remonta sur le pont, lorsqu’elle fut finie, s’approcha pour la première fois depuis son accident de la cage de Catacoua, tourna plusieurs fois autour de lui, tout en ayant soin de se tenir hors de la portée de son bec ; puis enfin, saisissant le moment favorable, il attrapa une plume de sa queue, et la tira tant et si bien, malgré les battements d’ailes et les jurements de Catacoua, qu’elle finit par lui rester dans les mains. Cette expérience, si peu importante qu’elle parut au premier abord, sembla cependant faire grand plaisir à Jacques ; car il se mit à danser sur ses quatre pieds, s’élevant et retombant à la même place, ce qui était de sa part la manifestation du plus suprême contentement.

» Cependant on avait perdu de vue la terre, et l’on voguait à pleines voiles dans l’océan Atlantique ; partout le ciel et l’eau, et, derrière l’horizon, le sentiment de l’immensité. De temps en temps, des oiseaux de mer au long vol, mais ceux-là seulement, passaient à perte de vue se rendant d’un continent à l’autre ; aussi le capitaine Pamphile, se fiant à l’instinct animal qui devait apprendre à Catacoua que ses ailes étaient trop faibles pour se hasarder dans un long voyage, ouvrit-il la prison de son pensionnaire et lui donna-t-il liberté entière de voltiger dans les cordages. Catacoua en profita aussitôt pour monter jusqu’au mât de perroquet, et, arrivé là, joyeux jusqu’au ravissement, il se mit, à la grande satisfaction de l’équipage, à défiler tout son répertoire, faisant autant de bruit à lui tout seul que les vingt-cinq matelots qui le regardaient.

» Pendant que cette parade se passait sur le pont, une scène d’un autre genre s’accomplissait dans la cabine. Jacques, selon son habitude, s’était approché de Double-Bouche au moment de la plumaison ; mais, cette fois, le mousse, qui avait remarqué l’attention de son camarade à le regarder faire, avait cru reconnaître en lui une vocation inconnue jusqu’alors pour l’office qu’il exerçait. Il en résulta qu’une pensée des plus heureuses vint à l’esprit de Double-Bouche : c’était d’employer désormais Jacques à plumer ses poules et ses canards, tandis que, changeant de rôle, lui se croiserait les bras et le regarderait faire. Double-Bouche était un de ces esprits décidés qui mettent le moins d’intervalle possible entre l’idée et l’exécution ; aussi s’avança-t-il doucement vers la porte qu’il ferma, se munit-il à tout hasard d’un fouet qu’il passa dans la ceinture de sa culotte, en ayant soin d’en laisser le manche parfaitement visible, et, revenant immédiatement à Jacques, lui mit-il entre les mains le canard qui devait se déplumer dans les siennes, lui montrant du bout de l’index le manche du fouet qu’il comptait, en cas de discussion, prendre pour tiers arbitre.

» Mais Jacques ne lui donna même pas la peine de recourir à cette extrémité ; soit que Double-Bouche eût deviné juste, soit que le nouveau talent qu’il mettait Jacques à même d’acquérir parût à ce dernier le complément obligé de toute bonne éducation, il prit le canard entre ses deux genoux, comme il avait vu faire à son instituteur, et il se mit à la besogne avec une ardeur qui dispensa Double-Bouche de toute voie de fait envers lui ; vers la fin même, et lorsqu’il vit que les plumes disparaissaient, faisant place au duvet et le duvet à la chair, le sentiment qui l’animait s’éleva jusqu’à l’enthousiasme ; si bien que, lorsque la besogne fut entièrement terminée, Jacques se mit à danser, comme il avait fait la veille à côté de la cage de Catacoua.

De son côté, Double-Bouche était dans la joie ; il ne se faisait qu’un reproche, c’était de ne pas avoir profité plus tôt des dispositions de son acolyte ; mais il se promit bien de ne pas les laisser refroidir ; aussi, le lendemain, à la même heure, dans les mêmes circonstances, et les mêmes précautions prises, il recommença la seconde représentation de la pièce de la veille ; elle eut le même succès que la première ; de sorte que, le troisième jour, Double-Bouche, reconnaissant Jacques comme son égal, lui noua son tablier de cuisine à la ceinture et lui confia entièrement la partie des dindons, des poules et des canards ; Jacques se montra digne de sa confiance, et, au bout d’une semaine, il avait laissé son professeur bien loin derrière lui en promptitude et en habileté.

» Cependant le brick marchait comme un navire enchanté : il avait dépassé la terre natale de Jacques, laissé à sa gauche et hors de vue les îles de Sainte-Hélène et de l’Ascension, et s’avançait à pleines voiles vers l’équateur ; c’était pendant une de ces journées des tropiques où le ciel pèse sur la terre : le pilote seul était à la barre, la vigie dans les haubans, et Catacoua sur son mâtereau : quant au reste de l’équipage, il cherchait le frais partout où il croyait pouvoir le trouver, tandis que le capitaine Pamphile lui-même, étendu dans son hamac et fumant son gourgouri, se faisait éventer par Double-Bouche avec une queue de paon. Cette fois, par extraordinaire, Jacques, au lieu de plumer sa poule, l’avait reposée intacte sur une chaise, s’était dépouillé de son tablier de cuisine et paraissait comme tout le monde, ou accablé par la chaleur ou perdu dans ses réflexions. Cependant cette atonie fut de courte durée : il jeta autour de lui un regard rapide et intelligent ; puis, comme effrayé de sa hardiesse, il ramassa une plume, la porta à sa gueule, la laissa retomber avec indifférence, se gratta le côté en clignant de l’œil ; et, d’un bond où l’observateur le plus méticuleux n’aurait pu voir que l’effet d’un caprice, il sauta sur le premier bâton de l’échelle : là, il s’arrêta encore un instant, regardant le soleil par les écoutilles, puis il se mit à monter nonchalamment sur le pont, comme un flâneur qui ne sait que faire, et qui s’en va cherchant des distractions sur le boulevard des Italiens.

» Arrivé au dernier échelon, Jacques vit le pont abandonné : on eût dit un navire vide qui flottait au hasard. Cette solitude parut satisfaire Jacques au dernier degré ; il se gratta le côté, fit claquer ses dents, cligna les yeux et exécuta deux petits sauts perpendiculaires, tout en ayant soin de chercher des yeux Catacoua, qu’il aperçut enfin à sa place accoutumée, battant des ailes et chantant à plein bec le God save the king. Alors Jacques parut ne plus s’occuper de lui ; il monta sur les bastingages les plus éloignés du mât d’artimon, au haut duquel son ennemi était perché, gagna les vergues, s’arrêta un instant dans les huniers, grimpa au mât de misaine, se hasarda sur le cordage isolé qui conduit au mât d’artimon ; arrivé au milieu de ce chemin tremblant, il se suspendit par la queue lâcha les quatre pattes et se balança la tête en bas, comme s’il ne fût venu que pour jouer à l’escarpolette. Puis, convaincu que Catacoua ne faisait aucune attention à lui, il s’en approcha doucement, tout en ayant l’air de penser à autre chose, et, au moment où son rival était au plus fort de sa chanson et de sa joie, criant à tue-tête et battant l’air de ses bras emplumés, comme un cocher qui se réchauffe, Jacques interrompit son ariette et sa jubilation, en le saisissant vigoureusement de la main gauche par l’endroit où les ailes s’attachent au corps. Catacoua jeta un cri de détresse ; mais personne n’y fit attention, tant l’équipage entier était accablé par la chaleur étouffante que versait à flots le soleil à son zénith.

» — Tron dé l’air ! dit tout à coup le capitaine Pamphile, en voilà un de phénomène, de la neige sous l’équateur…

» — Eh non ! dit Double-Bouche, ça n’est pas de la neige ; c’est… Ah ! bagasse !

» Et il s’élança dans l’escalier.

» — Eh bien, qu’est-ce que c’est ? dit le capitaine Pamphile se soulevant dans son hamac.

» — Ce que c’est, cria Double-Bouche du haut de son échelle, c’est Jacques qui plume Catacoua.

» Le capitaine Pamphile fit retentir les échos de son bâtiment d’un des plus magnifiques jurons qui aient jamais été entendus sous l’équateur, et monta lui-même sur le pont, tandis que tout l’équipage réveillé en sursaut comme par l’explosion de la sainte-barbe, grimpait à son tour par tout ce que la carcasse du brick présentait d’ouvertures.

» — Eh bien, drôle ! cria le capitaine Pamphile saisissant un épissoir, et s’adressant à Double-Bouche, qu’est-ce que tu fais donc ? Alerte ! alerte !

» Double-Bouche s’accrocha aux cordages et grimpa comme un écureuil ; mais plus il mettait de promptitude, plus Jacques mettait d’activité : les plumes de Catacoua formaient un véritable nuage et tombaient comme la neige au mois de décembre ; de son côté, Catacoua, en voyant s’approcher Double-Bouche, redoubla de cris ; mais, au moment où son sauveur étendait le bras vers lui, Jacques, qui n’avait, jusqu’alors, paru faire aucune attention à ce qui se passait sur le navire, jugea que sa besogne habituelle était suffisamment faite, et lâcha son ennemi, auquel il ne restait plus que les plumes des ailes. Catacoua, troublé au plus haut degré par la douleur et par la crainte, oublia que le contre-poids de sa queue lui manquait, voleta un instant d’une manière grotesque, et finit par tomber à la mer, où il se noya, n’ayant point les pieds palmés. »

— Flers, dit Decamps interrompant le lecteur, toi qui as une belle voix, crie donc à la petite fille de la portière de nous monter de la crème, nous n’en avons plus.



  1. Sous presse, pour paraître incessamment chez tous les libraires de la capitale : Histoire du prince Henry, qui avait le cœur bardé de trois cercles de fer, avec son portrait au moment où il vient de s’arracher l’œil, et un fac-simile de son écriture. On souscrit, sans rien payer d’avance, chez M. Amaury Duval, rue d’Anjou-Saint-Honoré, n° 36.