Le Captain Cap/II/32

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Juven (p. 207-211).

CHAPITRE XXXII

Le sanatorium de l’avenir.


De tous côtés, on ne parle que de « sanatoriums ».

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… Messieurs les typographes, veuillez avoir l’obligeance de m’ouvrir une de vos plus confortables parenthèses :

(Au pluriel, n’en déplaise à certains messieurs, je n’hésite pas à écrire « sanatoriums », et mon attiude, à cet égard, ne changera qu’au jour improbable où, généralisant leur pédanterie, ces certains messieurs diront des « aquaria », des « harmonia », etc.

Suivez plutôt mon raisonnement :

Quand un étranger se fait naturaliser Français, cela n’implique-t-il pas qu’il consent à épouser nos lois ?

De même pour les mots.

Dès qu’un terme exotique entre dans notre langue, à lui d’en subir, sans murmurer, la règle, si tyrannique, si arbitraire puisse-t-elle lui sembler, ou alors qu’il retourne dans son sale patelin et qu’il nous fiche la paix !

Quand une dame me raconte qu’elle vient d’entendre de magnifiques « soli », je lui demande incontinent comment se portent ses « gigoli ». (Tête généralement de la personne !)

S’il s’agit, comme en l’espèce, d’une langue morte, engageons alors le pauvre bougre de mot à regagner prestement la paix de son sépulcre, et qu’il n’en soit plus question !)

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De tous côtés, donc, on ne parle que de sanatoriums.

Et non seulement on en parle, ce qui ne suffirait pas à terrasser la tuberculose, mieux : on en édifie, on en inaugure même.

Pas en nombre suffisant, hélas ! mais il y a commencement à tout, pas vrai ?

Je n’ai pas la prétention de vous faire une leçon sur les conditions de bon agencement d’un sanatorium.

Vous savez tous qu’un établissement de ce genre doit réaliser tout ce qu’il existe au monde de mieux comme isolement, bon air, température.

Aussi, ne grouillent-ils pas en myriades, les endroits idoines à telles entreprises.

Et puis, il y a les voisins, qui poussent des cris de porc frais[1] et clament à la contamination dès qu’on parle d’installer, auprès de leurs domaines, châteaux ou masures, quelqu’un de ces fameux sanatoriums.

Tout être qui réfléchit est amené donc à frémir en constatant les ravages sans cesse croissants du fléau terrible, et les rares barricades que, malgré toute notre science et tout notre effroi, nous arrivons à lui opposer, dérisoirement.

Triste ! triste ! triste !

Celui qui découvrira le secret du sanatorium nombreux et bon marché aura rendu, — d’avance, nous lui tirons notre casquette — un de ces services à l’humanité qui mettent un homme au rang des Jenner, des Lister, des Pasteur !

Or, cet homme-là n’est pas à venir.

Il existe, n’étant autre que notre glorieux Captain Cap.

Emplacement immense, idéal, bon air, température chaude et constante, pas de voisins, pas de loyer, que désirez-vous de mieux pour un sanatorium véritablement digne de ce nom ?

Où donc, que j’y coure ? souriez-vous, incrédules.

… Je ne veux pas vous faire languir plus longtemps.

L’emplacement que Cap a découvert pour tous les sanatoriums de l’avenir, c’est le « Gulf-Stream ».

Je n’insiste pas, vous avez compris.

Exagérais-je en exaltant les avantages incomparables de cette gigantesque station — c’est le cas de le dire — thermale ?

Il va de soi que notre nouvelle formule de sanatorium se rapprochera par sa construction beaucoup plus du bateau qui va sur l’eau que de la terrienne demeure.

Sans compter que les pauvres embrasés, comme dit Michel Corday, pourront s’amuser à pêcher à la ligne et se nourrir, en grande partie, du produit de leur pêche, riche en phosphore, alimentation recommandée, dans le cas qui nous occupe, par les meilleurs praticiens.

Tout cela est très simple, comme vous voyez ; mais fallait-il pas moins y songer.


  1. Certaines personnes disent « des cris d’orfèvre ». La véritable expression est « des cris d’orfraie ». Mais, outre que l’orfraie est un volatile à peine connu du seul Louis Ternier, l’impeccable ornithologue, je préfère « porc frais », cet animal se recommandant par le plus discordant des vacarmes, principalement pendant la période immédiatement antérieure à sa mise en contact avec le joyeux charcutier, maître de nos destinées.