Le Cercle rouge (Leblanc)/Chapitre XVII

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Épisode 6

Un autre cercle apparaît

XVII

La robe bleue et la marque rouge


— Où est-elle passée ? Où est-elle passée ? Qui est cette fille ? D’où sort-elle ? C’est fou, cette histoire ! criait Ted Drew qui, devant la cabine de bains, trépignait dans une décharge de rage.

Les traits décomposés, la main sanglante, les yeux étincelants de fureur, il était sinistre et son compagnon, tout aussi bouleversé que lui, mais infiniment plus pondéré et se contenant beaucoup mieux, modéra son irritation en raison directe de la surexcitation du jeune homme.

— Assez ! lui cria-t-il comme à un enfant qu’il faut dominer pour le calmer. Assez ! Ce n’est pas le moment d’avoir des crises de nerfs. Voyons, monsieur Ted Drew, un peu de sang froid !

— C’est facile à dire, du sang-froid, dit l’autre en enveloppant de son mouchoir sa main blessée… Elle m’a marqué, comme elle l’est elle-même !… J’ai la main traversée de part en part !…

— Il faut la retrouver, dit Chertek. N’avez-vous pu voir dans quelle direction elle s’est enfuie ?

— Je n’ai rien vu du tout ! Est-ce que j’ai eu le temps de voir quelque chose ? Que le diable emporte ces galets où il n’est resté aucune trace ! Courons, nous la rattraperons !

— Courons si vous voulez ! Et du côté de la ville, parce que l’autre côté étant désert, elle aurait craint d’y être plus facilement découverte… Mais qu’y a-t-il donc sous votre pied ?

Le comte de Chertek se pencha. Sous le pied de Ted Drew, il ramassa une mince et longue, tige d’acier, pointue d’un côté et de l’autre côté portant encore des vestiges de colle et quelques débris aigus.

— C’est son épingle à chapeau, dit l’étranger en examinant l’objet. C’est avec cela qu’elle vous a blessé à la main. Voyez, il y a vers la pointe des traces de sang. Il est bien fâcheux que vous en ayez écrasé la tête, cela eût pu nous servir d’indice.

— C’est fâcheux, mais ce n’est pas une raison pour rester plantés ici, dit l’autre. Pendant ce temps-là, elle file. Courons après elle et que le diable m’emporte si je n’arrête pas tous les costumes marins que je rencontre… et si je ne regarde pas toutes les mains !…

Florence, sans hâte, s’en allait le long de la mer, au pied des hautes falaises. Elle s’avança jusqu’au bout d’une passerelle en bois, afin de jeter les yeux une fois encore sur l’endroit où avait disparu le paquet contenant les vêtements du tailleur Osborne, le manteau noir de la femme voilée et les plans de l’invention terrible qu’Amos Drew n’avait jamais voulu produire au grand jour, et que son fils indigne s’apprêtait à vendre à l’étranger. Puis, la jeune fille regarda sa main, où le Cercle Rouge mettait encore son anneau insolite qui pâlissait, mais ne s’effaçait que lentement.

Florence, pour la première fois depuis qu’elle agissait sous l’influence de la fatalité mystérieuse qui la dominait, pour la première fois depuis qu’elle devait obéir, sans pouvoir s’en défendre, à l’hérédité morbide qui la courbait sous les caprices étranges de ses impulsions irrésistibles, Florence n’éprouvait pas le moindre remords. Jusqu’alors, un sentiment pénible de déchéance et de vague honte se mêlait à la satisfaction qu’elle éprouvait de réussir dans ses tentatives périlleuses et coupables d’apparence, sinon d’intention. Cette fois-ci, il n’en était pas de même. Elle était pleinement contente d’elle, et ce qu’elle avait fait lui inspirait une fierté raisonnée et sans mélange.

Soudain, au-dessus d’elle, elle entendit, répercutée par les rochers, dont l’écho propageait les voix, une conversation que tenaient deux personnages qu’elle ne distingua pas tout d’abord, mais ce qu’ils disaient était suffisant pour qu’elle les reconnût.

— Un cercle rouge et une robe bleue… Allez donc reconnaître cela parmi les centaines de jeunes filles en robe bleue qui sont sur la plage, disait la voix (que Florence identifia aussitôt) de Ted Drew. Qui peut être cette fille, je me le demande ? D’où venait-elle ? Par qui a-t-elle été chargée de me voler ?

— Il y a beaucoup de concurrence dans les opérations de ce genre, répondit d’un ton détaché, mais où perçait l’angoisse, une autre voix au léger accent étranger. C’est une affaire fâcheuse, monsieur Ted Drew.

— Il y a aussi des guets-apens habilement préparés, dit celui-ci brutalement. Un agent vous attire dans un endroit désert et un autre agent, — une femme ou un jeune homme habillé en femme, — vous vole… Comme cela, on a gratis ce qu’on désire.

Sa voix sonnait, menaçante, et l’autre eut une révolte fugitive contre le soupçon qu’il trouvait injurieux, par un point d’honneur assez plaisant chez un homme dont le métier était la fraude et le mensonge.

— Monsieur ! dit-il d’un ton cinglant. On voit que vous appréciez les autres d’après vous-même !

Mais il dut réfléchir ; il domina son irritation et reprit, parfaitement calme :

— Ne perdons pas de temps, monsieur Ted Drew. Je vous affirme que vous vous trompez. Je fais la part de votre légitime colère et je veux bien négliger vos injures ; mais, pour l’amour de Dieu, ne nous égarons pas. Je suis volé autant que vous, et même davantage. Vous perdez de l’argent, soit. Je perds ma réputation et peut-être ma position. Mon maître n’est pas commode et il tenait vivement à cette affaire. Donc, agissons de concert et sans arrière-pensée pour retrouver, si cela nous est possible, la voleuse.

— Je vous demande pardon, dit l’autre, qui se rendit compte que son plus élémentaire intérêt était d’éviter une discussion entre eux. Je suis affolé, vous comprenez…

— Oui, je comprends, mais il faut raisonner de sang-froid. C’est fort malheureux que vous ayez écrasé la tête de cette épingle à chapeau, elle aurait pu être un indice utile.

Leurs voix s’éloignèrent. En entendant les derniers mots, Florence avait porté la main à son chapeau. Elle n’y retrouva pas son épingle. La jeune fille ne se souvenait du reste plus si, dans sa hâte à s’éloigner, elle l’y avait replacée après en avoir frappé Ted Drew.

C’était une complication fâcheuse. Si elle rencontrait les deux hommes, — et elle n’était aucunement sûre de pouvoir les éviter avant de rentrer chez elle, — son costume marin attirerait leur attention, et s’ils la voyaient sans épingle à chapeau, leurs soupçons se préciseraient, ils ne la quitteraient plus, et d’un moment à l’autre le Cercle Rouge pouvait réapparaître et la dénoncer implacablement.

Florence réfléchit un instant sans savoir à quoi se résoudre. Elle songeait à risquer le retour en se fiant à sa bonne chance pour ne pas rencontrer ses ennemis lorsqu’elle entendit derrière elle un léger bruit. Au même moment, quelqu’un la saisit par la taille.

Florence fit un bond et jeta un cri. Mais une voix enfantine et gaie criait à son oreille :

— Bonjour, Flossie ! C’est moi, Madge ! Oh ! je t’ai fait peur, tu es toute pâle !… Comme j’ai été bête !…

C’était la fille d’une amie de Mme Travis, une enfant de douze à treize ans, blonde et gracieuse avec son costume de plage en serge blanche et son béret blanc d’où s’échappaient ses boucles épaisses.

— J’ai su que tu étais arrivée aujourd’hui, continua-t-elle, et je t’ai cherchée sur la plage. J’avais tellement hâte de te voir… Mais comme je suis fâchée de t’avoir fait peur !

— Ce n’est rien, ma petite Madge, dit Florence en souriant, bien que le cœur lui battît encore violemment. J’ai été surprise, voilà tout… Comment va ta maman ?

— Oh ! maman va très bien, elle est là-bas, du côté des tentes… Je dois aller la rejoindre. Viens-tu la voir avec moi ?

Florence regardait l’enfant. Dans le béret blanc de celle-ci, étaient fixées deux longues épingles d’argent à tête ciselée, et une idée soudaine avait traversé l’esprit de la jeune fille.

— Non, répondit-elle. J’ai rendez-vous ici avec une de mes amies. Va seule rejoindre ta mère. Je tâcherai de venir vous voir tout à l’heure… Eh bien ! Madge, tu ne m’embrasses pas ?

— Oh ! si ! cria la petite en se jetant dans les bras de Flossie.

Celle-ci, lui prenant la tête entre ses mains, l’embrassa affectueusement, et en même temps, sans que l’enfant s’aperçût de rien, lui enleva avec adresse une des épingles d’argent qui fixaient son béret.

L’enfant s’éloigna en courant. Jusqu’à ce qu’elle l’eût perdue de vue. Florence garda l’épingle d’argent, dissimulée dans sa main, puis elle la fixa dans son chapeau.

— Cette fois-ci, me voilà franchement une voleuse, se dit-elle avec un rire un peu forcé… et ce n’est pas un vol dont je doive être très fière… il ne s’agit pas ici de déjouer des plans criminels ni de punir des usuriers… Pauvre petite Madge, elle sera désolée quand elle s’apercevra qu’elle n’a plus qu’une de ses belles épingles. Mais, bast ! demain, je lui renverrai celle-ci en lui disant que je l’ai trouvée par terre après qu’elle m’a eu quittée et j’y joindrai un sac de bonbons qui la consolera… Elle ne sera même pas grondée, tant sa mère la gâte. Et moi, je vais pouvoir rentrer sans trop de risques…

Elle sortit des rochers pour se diriger vers la villa, mais à peine avait-elle fait quelques pas, qu’un groupe joyeux de jeunes gens et de jeunes filles l’entoura et l’obligea à rester encore quelque temps sur la plage avec eux.

Lancés à la poursuite de l’inconnue en robe bleue marine, Ted Drew et Chertek, lorsqu’ils furent sortis des rochers, arrivèrent à un coin de plage écarté.

— Là-bas, regardez là-bas Chertek, un costume marin, s’écria soudain le jeune homme en saisissant le bras de son compagnon.

À quelque distance, au bord de la mer, se trouvait un groupe formé par trois jeunes filles qui causaient gaiement. Deux d’entre elles étaient en costume de bain, la troisième portait un costume de jersey bleu marine.

Déjà Ted Drew, que suivit son compagnon, s’était précipité dans leur direction. Avec toute la brutalité de son caractère qu’exagérait encore sa surexcitation, qui lui enlevait toute retenue, il se jeta positivement sur la jeune fille, en bleu, et sans un mot lui saisit brutalement la main droite et l’examina.

La jeune fille, ahurie de l’assaut de ce furieux, se rejeta en arrière avec un cri de surprise effrayé et arracha sa main à la main brutale qui la tenait.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que vous voulez ? cria-t-elle.

— Sauvons-nous, Édith ! C’est un fou ! s’exclama une de ses compagnes.

— Pas du tout, il n’est pas fou ! c’est un grossier personnage, reprit la première, chez qui la surprise avait fait place à la colère.

Chertek, d’un coup d’œil, avait constaté que non seulement la jeune fille n’avait aucune marque sur la main, mais encore qu’elle portait deux épingles à chapeau à tête de métal doré.

Il intervint en s’inclinant avec ses allures les plus aristocratiques.

— Excusez mon ami, mademoiselle, il vient de subir une très vive contrariété qui a bouleversé ses idées… Il n’est plus maître de lui et son geste est excusable…

Il aurait voulu trouver une raison à donner, mais ne sut, rien inventer de plausible et se contenta d’adresser à la jeune fille un sourire gracieux et vainqueur qu’il estimait propre à calmer son courroux ; mais elle n’y fut pas sensible le moins du monde.

— Je ne sais pas si votre ami a eu une contrariété, et ça m’est égal ! C’est un grossier personnage, voilà tout, et si mon frère était ici, cela ne se passerait pas comme cela !

Elle tourna le dos avec mépris.

À quelques pas de là, Ted Drew, absolument indifférent à la scène qu’il avait suscitée, s’impatientait.

— Venez donc, Chertek ! en voilà des histoires ! Je ne lui ai fait aucun mal, à cette petite fille ! cria-t-il.

Il s’éloignait déjà. Chertek le rejoignit et essaya quelques remontrances, mais l’autre ne voulut rien entendre.

— Courons vers la ville, interrompit-il. Notre voleuse ne s’est probablement pas amusée à rester sur la plage !

Ils se hâtèrent vers un long boulevard bordant la mer, et, cette fois, ce fut Chertek qui tomba en arrêt.

— Monsieur Ted Drew, voyez… au coin de la rue, là-bas, ce costume marin. Ne serait-ce pas ?… Non, non, arrêtez-vous ! de l’adresse, cette fois-ci ! pas de violence, que diable ! Vous allez…

Ces objurgations arrivaient trop tard. Ted Drew était parti comme un forcené dans la direction de deux femmes qui étaient arrêtées à peu de distance. L’une d’elles, une jeune fille blonde, était en bleu marine, l’autre, plus âgée, brune et sèche, vêtue sévèrement, semblait son institutrice.

La jeune fille, comme celle de la plage, fit un bond de surprise et de terreur et poussa un cri perçant quand Ted Drew, survenant comme un bolide, lui empoigna violemment la main droite.

— Quelle brute ! il recommence !… murmura Chertek qui accourait pour intervenir.

Mais déjà la jeune fille, pâle et tremblante de la frayeur qu’elle avait eue, s’était dégagée, et son institutrice, repoussant l’agresseur, brandissait son parapluie d’un bras vigoureux et tombait sur Ted Drew à coups redoublés dont Chertek, en se jetant entre eux, reçut sa part.

— Voyou !… Vous êtes un voyou ! criait l’institutrice tout en maniant son arme improvisée avec dextérité.

— Cessez, je vous en prie ! Il y a méprise. Mon ami regrette bien… disait Chertek en essayant d’éviter les coups et en contenant les efforts de Ted Drew, qui voulait se défendre.

Soudain, chacun des deux hommes se sentit saisir solidement par le bras.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? En voilà des manières ! Qu’est-ce qui vous prend d’attaquer les demoiselles sur la voie publique ? dit une voix rude.

C’était un agent de police qui avait, de loin, assisté à la scène et qui était accouru.

— Voulez-vous me lâcher ? De quoi vous mêlez-vous ? protesta Ted Drew en essayant, mais en vain, de se dégager de la poigne solide qui le maintenait.

— Non, je ne vous lâcherai pas ! répondit l’agent en le serrant plus fort. Et vous allez venir vous expliquer à la Station de police !

— Mais c’est une méprise, regrettable sans doute, mais excusable, commença Chertek, très ennuyé du tour que prenait l’aventure. Mon ami a été volé…

— Je suis Ted Drew, le fils du grand inventeur !… Lâchez-moi ou je vous ferai révoquer !… criait l’autre.

— Ah ! c’est comme ça ? Des menaces ? Eh bien ! nous allons voir ce que mon chef en dira. Moi, je vous emmène !

— Mais nous avons été volés… Un costume marin et un Cercle Rouge ! protesta Chertek.

— Tout ça, c’est trop compliqué, dit l’agent, narquois. Vous avez assailli des jeunes filles dans la rue, c’est tout ce que j’ai à savoir. Je vous emmène !

Pendant cette conversation, la jeune fille et son institutrice, peu soucieuses d’être mêlées plus longtemps à une histoire de ce genre, s’étaient éclipsées. L’agent, inexorable, entraîna, malgré leurs protestations, les deux hommes jusqu’à la Station de police.

Là, ils essayèrent en vain de s’expliquer. Leur attitude parut des plus louches au chef de poste, qui se refusa absolument à les remettre en liberté jusqu’à ce qu’une personne honorablement connue répondît d’eux.

— Ça va bien, dit Ted Drew, qui était furieux, mais ne pouvait que se soumettre. Dans ce cas, laissez-moi envoyer un message téléphonique. Je connais très bien le docteur Lamar, qui fait partie de mon club. Je vais lui demander de venir nous chercher ici.

» Si quelqu’un peut nous aider à retrouver notre voleuse, c’est bien Lamar, continua-t-il, en s’adressant à Chertek. Je sais qu’il s’occupe d’une affaire où est mêlée d’une façon ou d’une autre une histoire de Cercle Rouge.

Au nom du docteur Lamar, qu’il connaissait fort bien, le chef du poste de police s’était radouci et il fit aussitôt transmettre le message suivant, que dicta Ted Drew :

« Docteur Lamar,

» Les plans de la dernière invention de mon père m’ont été volés par une femme dont la main droite était marquée d’un Cercle Rouge. Pouvez-vous m’aider à la retrouver ? Dans ce cas, voulez-vous venir immédiatement ?

» Ted Drew. »

Le message fut envoyé au bureau officiel de Max Lamar. Celui-ci s’y trouvait et sa réponse vint aussitôt.

« J’arrive par le premier train.

 » Dr  Lamar. »


Sous la garde d’un inspecteur de police, Ted Drew et Chertek se rendirent à la gare du chemin de fer sur route qui devait amener le médecin légiste.

Le train, bientôt, entra en gare. Il se composait de deux longs wagons. Lamar, chargé d’un léger bagage, descendit du second. Ted Drew se précipita au-devant de lui, suivi de près par le policier et par Chertek.

À ce moment, une femme, portant une valise, et qui venait de descendre du premier wagon, s’avançait dans leur direction. Elle aperçut le médecin légiste. Elle tressaillit, hésita, et, faisant demi-tour, Clara Skimer, car c’était elle, gagna une autre sortie.

Cependant, Ted Draw expliquait à Lamar avec volubilité et fureur ce qui s’était passé, tout en laissant dans l’ombre le côté coupable de ses négociations avec l’agent étranger.

— Ça va bien, inspecteur, dit Lamar au policier. Je vous affirme que monsieur se nomme bien Ted Drew. Quant à l’affaire de la plage, elle n’a aucune importance, d’autant plus qu’il n’y a pas de plaignante, n’est-ce pas ? Vous pouvez aviser votre chef que je réponds du tout.

L’inspecteur salua et s’éloigna. Lamar chargea un commissionnaire de porter ses bagages à son hôtel et se mit en marche entre Ted Drew et Chertek. Ceux-ci, à sa demande, reprirent le récit du vol, et Lamar commençait à leur poser des questions précises, lorsque Ted Drew, poussant une exclamation, voulut s’élancer en avant. Il avait de nouveau vu au loin un costume marin. Mais, cette fois, la poigne solide de Lamar le maintint en place.

— Un peu de calme, monsieur Ted Drew, lui dit-il. Cette fois-ci, je puis vous affirmer tout de suite que vous vous trompez. Je connais la jeune fille qui vient au-devant de nous. C’est Mlle Florence Travis, et envers elle les soupçons ne sont pas de mise, prenez-y garde.

Une minute plus tard, le médecin légiste saluait la jeune fille qui, joyeuse de le voir, lui tendit amicalement la main.

L’incorrigible Ted Drew, en dépit de ce que lui avait dit Lamar, et insensible à la grâce de Florence, se pencha pour inspecter de plus près cette petite main parfaitement blanche.

Florence, au geste de Ted Drew, eut un mouvement de surprise et, d’un air interrogateur et étonné, parfaitement joué, elle regarda Lamar, comme pour lui demander ce que signifiait cette étrange conduite.

Mais Chertek, qui avait remarqué l’épingle d’argent fichée dans le grand chapeau de Florence et qui, d’ailleurs, trouvait ridicules les soupçons obstinés de son compagnon, se mit en avant pour détourner l’attention de la jeune fille.

— Voulez-vous me faire l’honneur de me présenter à mademoiselle, docteur Lamar ? demanda-t-il avec ses plus grands airs.

Lamar obéit et nomma également Ted Drew. La jeune fille leur adressa quelques paroles, puis les trois hommes prirent congé d’elle.

— Je compte vous voir ce soir au bal de l’hôtel Surfton, dit-elle gaiement à Max Lamar. N’y manquez pas !

Ils s’inclinèrent et poursuivirent leur route, pendant que Florence regagna sa villa. Sur la route, elle trouva Mary, que son absence prolongée tourmentait et qui lui exprima le désir qu’elle avait de l’accompagner, le soir, à l’hôtel Surfton, bien que Mme Travis eût manifesté l’intention de s’y rendre avec sa fille.

La pauvre gouvernante semblait si profondément inquiète de ce qui se passerait à ce bal ; que Florence ne put lui dire non.