Le Chemin des ombres heureuses/Erasippe

La bibliothèque libre.
Édition du Mercure de France (p. 9-10).

ERASIPPE


Ô mort, malgré tes airs de souveraine
tu ne m’imposes pas, je te regarde en face.
Quand tu braves la vie, tu n’es que son esclave ;
c’est son triomphe que tu prépares
sous le semblant de tes conquêtes.
Tu penses commander et subis une loi ;
ton geste impérieux se tourne contre toi.

Un jour tu me tiendras sous ton talon de glace ;
tu m’escortes partout, et tu ricanes
parce que tu pourrais au moment où je parle
me faire trébucher, vaincu.

Mais je ris, moi qui peux, sans attendre ton heure,
arrêter d’un poignard le rythme de mon cœur
ou bien vider la coupe de ciguë.
Tends, à ta volonté, un piège sous mes pas ;
je sais qu’au jour la nuit s’enchaîne ;
tu serais redoutable, en étant incertaine ;
tu guettes, je ne l’oublie pas.
J’abandonne au lâche l’effroi
du mystère que tu nous cèles ;
quand on a modelé ses actes sur sa foi
on t’accueille d’une âme sereine.

C’est ainsi que parlait Erasippe ;
l’agonie sur son front ne creusa pas de rides.