Le Chemin des ombres heureuses/Saon

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Édition du Mercure de France (p. 25-26).
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SAON


Vantez à d’autres que moi
Solon et sa prétendue sagesse.
Le cas de Crésus fut le mien.
Bien que pauvre auprès de ce roi
j’ai commencé par la richesse,
et misérable fut mon déclin.

Lorsque Crésus était lié sur le bûcher,
Solon le railla sans pitié
sur la perte de ses trésors.
— Vois aujourd’hui le prix de l’or,
lui criait-il. Ô vanité de l’opulence ! —

Le monarque se tut
et l’on conclut de ce silence
qu’il devait être convaincu.
Mais on oublie
que l’infortuné roi de Lydie
était environné de flammes,
posture peu propice à disserter morale.
Sans doute, en tout autre moment,
il aurait répondu comme j’ai pu le faire
(la race de Solon accable la misère) :

— Quand le soleil s’enfonce à l’occident,
bien après son départ, le jour persiste encore,
après que le battant a cessé de frapper
vibre longtemps l’airain sonore.
Les biens que j’ai perdus, je les ai possédés ;
je fus heureux et m’en souviens.
Ce que je fus, tu ne l’as pas été,
et tu ne te rappelles rien.