Le Christianisme dévoilé/Chapitre VII

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CHAPITRE VII.

Des mystères de la religion chrétienne.

Révéler quelque chose à quelqu’un, c’est lui découvrir des secrets qu’il ignoroit auparavant[1]. Si on demande aux Chrétiens quels sont les secrets importans qui exigeoient que Dieu lui-même se donnât la peine de les révéler, ils nous diront que le plus grand de ces secrets, et le plus nécessaire au genre humain, est celui de l’unité de la divinité ; secret que, selon eux, les hommes eussent été par eux-mêmes incapables de découvrir. Mais ne sommes-nous pas en droit de leur demander si cette assertion est bien vraie ? On ne peut point douter que Moïse n’ait annoncé un dieu unique aux hébreux, et qu’il n’ait fait tous ses efforts pour les rendre ennemis de l’idolâtrie et du polythéïsme des autres nations, dont il leur représenta la croyance et le culte comme abominables aux yeux du monarque céleste qui les avoit tirés d’. Egypte. Mais un grand nombre de sages du paganisme, sans le secours de la révélation judaïque, n’ont-ils pas découvert un dieu suprême, maître de tous les autres dieux ? D’ailleurs, le destin, auquel tous les autres dieux du paganisme étoient subordonnés, n’étoit-il pas un dieu unique, dont la nature entiere subissoit la loi souveraine ? Quant aux traits, sous lesquels Moïse a peint sa divinité, ni les juifs, ni les chrétiens, n’ont point droit de s’en glorifier. Nous ne voyons en lui qu’un despote bizarre, colere, rempli de cruauté, d’injustice, de partialité, de malignité, dont la conduite doit jetter tout homme, qui le médite, dans la plus affreuse perpléxité. Que sera-ce, si l’on vient à lui joindre des attributs inconcevables, que la théologie chrétienne s’efforce de lui attribuer ? Est-ce connoître la divinité, que de dire que c’est un esprit, un être immatériel, qui ne ressemble à rien de ce que les sens nous font connoître ? L’esprit humain n’est-il pas confondu par les attributs négatifs d’infinité, d’immensité, d’éternité, de toute-puissance, d’omniscience, etc. Dont on n’a orné ce dieu, que pour le rendre plus inconcevable ? Comment concilier la sagesse, la bonté, la justice, et les autres qualités morales que l’on donne à ce dieu, avec la conduite étrange, et souvent atroce, que les livres des chrétiens et des hébreux lui attribuent à chaque page ? N’eut-il pas mieux valu laisser l’homme dans l’ignorance totale de la divinité, que de lui révéler un dieu rempli de contradictions, qui prête sans cesse à la dispute, et qui lui sert de prétexte pour troubler son repos ? Révéler un pareil Dieu, c’est ne rien découvrir aux hommes, que le projet de les jetter dans les plus grands embarras, et de les exciter à se quereller, à se nuire, à se rendre malheureux.

Quoi qu’il en soit, est-il bien vrai que le christianisme n’admette qu’un seul dieu, le même que celui de Moïse ? Ne voyons-nous pas les chrétiens adorer une divinité triple, sous le nom de Trinité  ? Le dieu suprême génére de toute éternité un fils égal à lui ; de l’un et de l’autre de ces dieux, il en procéde un troisieme, égal aux deux premiers ; ces trois dieux, égaux en divinité, en perfection, en pouvoir, ne forment néanmoins qu’un seul dieu. Ne suffit-il donc pas d’exposer ce système, pour en montrer l’absurdité ? N’est-ce donc que pour révéler de pareils mystères, que la divinité s’est donné la peine d’instruire le genre humain ? Les nations les plus ignorantes, et les plus sauvages, ont-elles enfanté des opinions plus monstrueuses, et plus propres à dérouter la raison[2] ? Cependant les écrits de Moïse ne contiennent rien qui ait pu donner lieu à ce système si étrange ; ce n’est que par des explications forcées, que l’on prétend trouver le dogme de la trinité dans la bible. Quant aux juifs, contens du dieu unique, que leur législateur leur avoit annoncé, ils n’ont jamais songé à le tripler.

Le second de ces dieux, ou, suivant le langage des chrétiens, la seconde personne de la trinité, s’est revêtue de la nature humaine, s’est incarnée dans le sein d’une vierge, et renonçant à sa divinité, s’est soumise aux infirmités attachées à notre espéce, et même a souffert une mort ignominieuse pour expier les péchés de la terre. Voilà ce que le christianisme appelle le mystère de l’incarnation . Qui ne voit que ces notions absurdes sont empruntées des égyptiens, des indiens, et des grecs, dont les ridicules mythologies supposoient des dieux revêtus de la forme humaine, et sujets, comme les hommes, à des infirmités[3] ?

Ainsi, le christianisme nous ordonne de croire, qu’un dieu fait homme, sans nuire à sa divinité, a pu souffrir, mourir, a pu s’offrir en sacrifice à lui-même, n’a pu se dispenser de tenir une conduite aussi bizarre, pour appaiser sa propre colere. C’est là ce que les chrétiens nomment le mystère de la rédemption du genre humain.

Il est vrai que ce dieu mort est ressuscité ; semblable en cela à l’Adonis de Phénicie, à l’Osyris d’égypte, à l’Atys de Phrygie, qui furent jadis les emblêmes d’une nature mourante et renaissante, le dieu des chrétiens renaît de ses propres cendres, et sort triomphant du tombeau.

Tels sont les secrets merveilleux, ou les mystères sublimes, que la religion chrétienne découvre à ses disciples ; telles sont les idées, tantôt grandes, tantôt abjectes, mais toujours inconcevables, qu’elle nous donne de la divinité ; voilà donc les lumieres que la révélation donne à notre esprit ! Il semble, que celle que les chrétiens adoptent, ne se soit proposé que de redoubler les nuages qui voilent l’essence divine aux yeux des hommes. Dieu, nous dit-on, a voulu se rendre ridicule, pour confondre la curiosité de ceux que l’on assure pourtant qu’il vouloit illuminer par une grace spéciale. Quelle idée peut-on se former d’une révélation, qui, loin de rien apprendre, se plaît à confondre les notions les plus claires ?

Ainsi, nonobstant la révélation, si vantée par les chrétiens, leur esprit n’a aucune lumiere sur l’être qui sert de base à toute religion ; au contraire, cette fameuse révélation ne sert qu’à obscurcir toutes les idées que l’on pourroit s’en former. L’écriture sainte l’appelle un dieu caché . David nous dit qu’ il place sa retraite dans les ténébres, que les eaux troubles et les nuages forment le pavillon qui le couvre . Enfin, les chrétiens, éclairés par Dieu lui-même, n’ont de lui que des idées contradictoires, des notions incompatibles, qui rendent son existence douteuse, ou même impossible, aux yeux de tout homme qui consulte sa raison[4].

En effet, comment concevoir un dieu, qui, n’ayant créé le monde que pour le bonheur de l’homme, permet pourtant que la plus grande partie de la race humaine soit malheureuse en ce monde et dans l’autre ? Comment un dieu, qui jouit de la suprême félicité, pourroit-il s’offenser des actions de ses créatures ? Ce dieu est donc susceptible de douleur ; son être peut donc se troubler ; il est donc dans la dépendance de l’homme, qui peut à volonté le réjouir ou l’affliger. Comment un dieu puissant laisse-t-il à ses créatures une liberté funeste, dont elles peuvent abuser pour l’offenser, et se perdre elles-mêmes ? Comment un dieu peut-il se faire homme, et comment l’auteur de la vie et de la nature peut-il mourir lui-même ? Comment un dieu unique peut-il devenir triple, sans nuire à son unité ? On nous répond, que toutes ces choses sont des mystères ; mais ces mystères détruisent l’existence même de Dieu. Ne seroit-il pas plus raisonnable d’admettre dans la nature, avec Zoroastre, ou Manès, deux principes, ou deux puissances opposées, que d’admettre, avec le christianisme, un dieu tout-puissant, qui n’a pas le pouvoir d’empêcher le mal ; un dieu juste, mais partial ; un dieu clément, mais implacable, qui punira, pendant une éternité, les crimes d’un moment ; un dieu simple, qui se triple ; un dieu, principe de tous les êtres, qui peut consentir à mourir, faute de pouvoir satisfaire autrement à sa justice divine ? Si dans un même sujet les contraires ne peuvent subsister en même tems, l’existence du dieu des juifs et des chrétiens est sans doute impossible ; d’où l’on est forcé de conclure, que les docteurs du christianisme, par les attributs dont ils se sont servis pour orner, ou plûtôt pour défigurer la divinité, au lieu de la faire connoître, n’ont fait que l’anéantir, ou du moins la rendre méconnoissable. C’est ainsi, qu’à force de fables et de mystères, la révélation n’a fait que troubler la raison des hommes, et rendre incertaines les notions simples qu’ils peuvent se former de l’être nécessaire, qui gouverne la nature par des loix immuables. Si l’on ne peut nier l’existence d’un dieu, il est au moins certain que l’on ne peut admettre celui que les chrétiens adorent, et dont leur religion prétend leur révéler la conduite, les ordres et les qualités. Si c’est être athée, que de n’avoir aucune idée de la divinité, la théologie chrétienne ne peut être regardée que comme un projet d’anéantir l’existence de l’être suprême[5].

  1. Dans les religions payennes, on révéloit des mystères aux initiés ; on leur apprenoit alors quelque chose qu’ils ne savoient pas. Dans la religion chrétienne, on leur révèle qu’ils doivent croire des Trinités, des Incarnations, des Résurrections, &c. &c. &c. c’est-à-dire, des choses qu’ils ne comprennent pas plus, que si on ne leur avoit rien révélé, ou qui les plongent dans une plus grande ignorance qu’auparavant.
  2. Le dogme de la Trinité est visiblement emprunté des rêveries de Platon, ou peut-être des allégories sous lesquelles ce philosophe romanesque cherchoit à cacher la doctrine. Il paroît que c’est à lui que le christianisme est redevable de la plûpart de ses dogmes. Platon admiettoit trois hypostases, ou façons d’être de la divinité. La premiere constitue le Dieu suprême : la seconde le Logos, le verbe, l’intelligence divine, engendrée du premier Dieu ; la troisième est l’esprit, ou l’ame du monde. Les premiers docteurs du christianisme paroissent avoir été platoniciens : leur enthousiasme trouvoit, sans doute, dans Platon, une doctrine analogue à leur religion : s’ils eussent été reconnoissans, ils auroient dû en faire un prophéte, ou un pere de l’église. Les Missionnaires Jésuites ont trouvé au Thibet une divinité presque semblable à celle de nos pays : chez ces Tartares, Dieu s’appelle Kon-cio-cik, Dieu unique, & Kon-cio-fum, Dieu triple. Sur leurs chapelets, ils disent, om, ha, hum, intelligence, bras, puissance ; ou parole, cœur, amour. Ces trois mots sont un des noms de la divinité. Voyez Lettres édif. tom. 15. Le nombre trois fut toujours révéré des anciens ; parce que, dans les langues orientales, falom, qui signifie trois, signifie aussi salut.
  3. Les Egyptiens paroissent être les premiers qui aient prétendu que leurs dieux aient pris des corps. Foé, le dieu du peuple Chinois, est né d’une vierge, fécondée par un rayon du soleil. Personne ne doute, dans l’Indostan, des incarnations de Vistnou. Il paroît que les théologiens de toutes les nations, désespérés de ne pouvoir s’élever jusqu’à Dieu, l’ont forcé de descendre jusqu’à eux.
  4. Un pere de l’Eglise a dit : Tunc Deum maximè, cùm ignorare cum cognoscimus.
  5. Jamais les Théologiens Chrétiens n’ont été d’accord entr’eux sur les preuves de l’existence d’un Dieu. Ils se traitent réciproquement d’athées, parce que leurs démonstrations ne sont jamais les mêmes. Il est très-peu de gens, parmi les Chrétiens, qui aient écrit sur l’existence de Dieu, sans se faire accuser d’athéisme. Descartes, Clarke, Pascal, Arnauld, Nicole, ont été regardés comme des athees ; la raison en est bien simple : il est totalement impossible de