Le Christianisme dévoilé/Chapitre VI

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CHAPITRE VI.

Des preuves de la religion chrétienne ; des miracles ; des prophéties ; des martyrs.

Nous avons vu, dans les chapitres précédens, les motifs légitimes que nous avons de douter de la révélation faite aux Juifs & aux Chrétiens : d’ailleurs, relativement à cet article, le chriſtianiſme n’a aucun avantage ſur toutes les autres religions du monde, qui toutes, malgré leur diſcordance, ſe diſent émanées de la Divinité, & prétendent avoir un droit excluſif à ſes faveurs. L’Indien aſſure que le Brama lui-même eſt l’auteur de ſon culte. Le Scandinave tenoit le ſien du redoutable Odin. Si le Juif & le Chrétien ont reçu le leur de Jehovah, par le miniſtere de Moïſe & de Jéſus, le Mahométan aſſure qu’il a reçu le ſien par ſon prophéte, inſpiré du même Dieu. Ainſi, toutes les religions ſe diſent émanées du ciel ; toutes interdiſent l’uſage de la raiſon, pour examiner leurs titres ſacrés ; toutes ſe prétendent vraies, à l’excluſion des autres ; toutes menacent du courroux divin ceux qui refuſeront de ſe ſoumettre à leur autorité ; enfin toutes ont le caractere de la fauſſeté, par les contradictions palpables dont elles ſont remplies ; par les idées informes, obſcures, & ſouvent odieuſes, qu’elles donnent de la Divinité ; par les loix bizarres qu’elles lui attribuent ; par les diſputes qu’elles font naître entre leurs ſectateurs ; enfin, toutes les religions, que nous voyons ſur la terre, ne nous montrent qu’un amas d’impoſtures & de rêveries qui révoltent également la raiſon. Ainſi, du côté des prétentions, la religion chrétienne n’a aucun avantage ſur les autres ſuperstitions dont l’univers eſt infecté, & ſon origine céleſte lui eſt conteſtée, par toutes les autres, avec autant de raison qu’elle conteste la leur.

Comment donc se décider en sa faveur ? Par où prouver la bonté de ses titres ? A-t-elle des caracteres distinctifs qui méritent qu’on lui donne la préférence, et quels sont-ils ? Nous fait-elle connoître, mieux que toutes les autres, l’essence et la nature de la divinité ? Hélas ! Elle ne fait que la rendre plus inconcevable ; elle ne montre en elle qu’un tyran capricieux, dont les fantaisies sont tantôt favorables, et le plus souvent nuisibles à l’espéce humaine. Rend-elle les hommes meilleurs ? Hélas ! Nous voyons que par-tout elle les divise, elle les met aux prises, elle les rend intolérants, elle les force d’être les bourreaux de leurs freres. Rend-elle les empires florissans et puissans ? Par-tout où elle régne, ne voyons-nous pas les peuples asservis, dépourvus de vigueur, d’énergie, d’activité, croupir dans une honteuse léthargie, et n’avoir aucune idée de la vraie morale ? Quels sont donc les signes auxquels on veut que nous reconnoissions la supériorité du christianisme sur les autres religions ? C’est, nous dit-on, à ses miracles, à ses prophéties, à ses martyrs. Mais je vois des miracles, des prophéties, et des martyrs dans toutes les religions du monde. Je vois par-tout des hommes, plus rusés et plus instruits que le vulgaire, le tromper par des prestiges, et l’éblouir par des œuvres, qu’il croit surnaturelles, parce qu’il ignore les secrets de la nature et les ressources de l’art.

Si le juif me cite des miracles de Moïse, je vois ces prétendues merveilles opérées aux yeux du peuple le plus ignorant, le plus stupide, le plus abject, le plus crédule, dont le témoignage n’est d’aucun poids pour moi. D’ailleurs, je puis soupçonner que ces miracles ont été insérés dans les livres sacrés des Hébreux, long-tems après la mort de ceux qui auroient pu les démentir. Si le chrétien me cite Jérusalem, et le témoignage de toute la Galilée, pour me prouver les miracles de Jésus-Christ, je ne vois encore qu’une populace ignorante qui puisse les attester ; ou je demande comment il fut possible qu’un peuple entier, témoin des miracles du messie, consentît à sa mort, la demandât même avec empressement ? Le peuple de Londres, ou de Paris, souffriroit-il qu’on mît à mort, sous ses yeux, un homme qui auroit ressuscité des morts, rendu la vûe aux aveugles, redressé des boîteux, guéri des paralytiques ? Si les juifs ont demandé la mort de Jésus, tous ses miracles sont anéantis pour tout homme non prévenu.

D’un autre côté, ne peut-on pas opposer aux miracles de Moïse, ainsi qu’à ceux de Jésus, ceux que Mahomet opéra aux yeux de tous les peuples de la Mecque et de l’Arabie assemblés ? L’effet des miracles de Mahomet fut au moins de convaincre les arabes qu’il étoit un homme divin. Les miracles de Jésus n’ont convaincu personne de sa mission : S Paul lui-même, qui devint le plus ardent de ses disciples, ne fut point convaincu par les miracles dont, de son tems, il existoit tant de témoins ; il lui fallut un nouveau miracle pour convaincre son esprit. De quel droit veut-on donc nous faire croire aujourd’hui des merveilles qui n’étoient point convaincantes du tems même des Apôtres, c’est-à-dire, peu de tems après qu’elles furent opérées ?

Que l’on ne nous dise point que les miracles de Jésus-Christ nous sont aussi bien attestés qu’aucuns faits de l’histoire prophane, et que vouloir en douter, est aussi ridicule que de douter de l’existence de Scipion ou de César, que nous ne croyons que sur le rapport des historiens qui nous en ont parlé. L’existence d’un homme, d’un général d’armée, d’un héros, n’est pas incroyable ; il n’en est pas de même d’un miracle[1]. Nous ajoutons foi aux faits vraisemblables rapportés par Tite-Live, tandis que nous rejettons, avec mépris, les miracles qu’il nous raconte. Un homme joint souvent la crédulité la plus stupide aux talens les plus distingués ; le christianisme lui-même nous en fournit des exemples sans nombre. En matiere de religion, tous les témoignages sont suspects ; l’homme le plus éclairé voit très-mal, lorsqu’il est saisi d’enthousiasme ou, ivre de fanatisme, ou séduit par son imagination. Un miracle est une chose impossible ; Dieu ne seroit point immuable, s’il changeoit l’ordre de la nature.

On nous dira, peut-être, que, sans changer l’ordre des choses, Dieu, ou ses favoris, peuvent trouver dans la nature des ressources inconnues aux autres hommes ; mais alors leurs œuvres ne seront point surnaturelles, et n’auront rien de merveilleux. Un miracle est un effet contraire aux loix constantes de la nature ; par conséquent, Dieu lui-même, sans blesser sa sagesse, ne peut faire des miracles. Un homme sage, qui verroit un miracle, seroit en droit de douter s’il a bien vu ; il devroit examiner si l’effet extraordinaire, qu’il ne comprend pas, n’est pas dû à quelque cause naturelle, dont il ignoreroit la maniere d’agir.

Mais accordons, pour un instant, que les miracles soient possibles, et que ceux de Jésus ont été véritables, ou du moins n’ont point été insérés dans les évangiles longtems après le tems où ils ont été opérés. Les témoins qui les ont transmis, les apôtres qui les ont vus, sont-ils bien dignes de foi, et leur témoignage n’est-il point récusable ? Ces témoins étoient-ils bien éclairés ? De l’aveu même des chrétiens, c’étoient des hommes sans lumieres, tirés de la lie du peuple, par conséquent crédules et incapables d’examiner. Ces témoins étoient-ils désintéressés ? Non ; ils avoient, sans doute, le plus grand intérêt à soutenir des faits merveilleux, qui prouvoient la divinité de leur maître, et la vérité de la religion qu’ils vouloient établir. Ces mêmes faits ont-ils été confirmés par les historiens contemporains ? Aucun d’eux n’en a parlé, et dans une ville, aussi superstitieuse que Jérusalem, il ne s’est trouvé, ni un seul juif, ni un seul payen, qui aient entendu parler des faits les plus extraordinaires et les plus multipliés que l’histoire ait jamais rapportés. Ce ne sont jamais que des chrétiens qui nous attestent les miracles du Christ. On veut que nous croyions, qu’à la mort du fils de Dieu la terre ait tremblé, le soleil se soit éclipsé, les morts soient sortis du tombeau. Comment des événemens si extraordinaires n’ont-ils été remarqués que par quelques chrétiens ? Furent-ils donc les seuls qui s’en apperçurent ? On veut que nous croyions que le Christ est ressuscité ; on nous cite pour témoins, des apôtres, des femmes, des disciples. Une apparition solemnelle, faite dans une place publique, n’eut-elle pas été plus décisive, que toutes ces apparitions clandestines, faites à des hommes intéressés à former une nouvelle secte ? La foi chrétienne est fondée, selon S. Paul, sur la résurrection de Jésus-Christ ; il falloit donc que ce fait fût prouvé aux nations, de la façon la plus claire et la plus indubitable[2]. Ne peut-on point accuser de malice le sauveur du monde, pour ne s’être montré qu’à ses disciples et à ses favoris ? Il ne vouloit donc point que tout le monde crût en lui ? Les juifs, me dira-t-on, en mettant le Christ à mort, méritoient d’être aveuglés. Mais, dans ce cas, pourquoi les apôtres leur prêchoient-ils l’évangile ? Pouvoient-ils espérer qu’on ajoûtât plus de foi à leur rapport, qu’à ses propres yeux ?

Au reste, les miracles ne semblent inventés, que pour suppléer à de bons raisonnemens ; la vérité et l’évidence n’ont pas besoin de miracles pour se faire adopter. N’est-il pas bien surprenant, que la divinité trouve plus facile de déranger l’ordre de la nature, que d’enseigner aux hommes des vérités claires, propres à les convaincre, capables d’arracher leur assentiment ? Les miracles n’ont été inventés, que pour prouver aux hommes des choses impossibles à croire ; il ne seroit pas besoin de miracles, si on leur parloit raison. Ainsi, ce sont des choses incroyables, qui servent de preuves à d’autres choses incroyables. Presque tous les imposteurs, qui ont apporté des religions aux peuples, leur ont annoncé des choses improbables ; ensuite ils ont fait des miracles, pour les obliger à croire les choses qu’ils leur annonçoient. vous ne pouvez, ont-ils dit, comprendre ce que je vous vous dis ; mais je vous prouve que je dis vrai, en faisant à vos yeux des choses que vous ne pouvez pas comprendre. Les peuples se sont payés de ces raisons ; la passion pour le merveilleux les empêcha toujours de raisonner ; ils ne virent point que des miracles ne pouvoient prouver des choses impossibles, ni changer l’essence de la vérité. Quelques merveilles que pût faire un homme, ou, si l’on veut, un dieu lui-même, elles ne prouveront jamais, que deux et deux ne font point quatre, et que trois ne font qu’un ; qu’un être immatériel, et dépourvu d’organes, ait pu parler aux hommes ; qu’un être sage, juste et bon, ait pu ordonner des folies, des injustices, des cruautés, etc. D’où l’on voit que les miracles ne prouvent rien, sinon l’adresse et l’imposture de ceux qui veulent tromper les hommes, pour confirmer les mensonges qu’ils leur ont annoncés, et la crédulité stupide de ceux que ces imposteurs séduisent. Ces derniers ont toujours commencé par mentir, par donner des idées fausses de la divinité, par prétendre avoir eu un commerce intime avec elle ; et pour prouver ces merveilles incroyables, ils faisoient des œuvres incroyables, qu’ils attribuoient à la toute-puissance de l’être qui les envoyoit. Tout homme, qui fait des miracles, n’a point de vérités, mais des mensonges, à prouver. La vérité est simple et claire ; le merveilleux annonce toujours la fausseté. La nature est toujours vraie ; elle agit par des loix qui ne se démentent jamais. Dire que Dieu fait des miracles, c’est dire qu’il se contredit lui-même ; qu’il dément les loix qu’il a prescrites à la nature ; qu’il rend inutile la raison humaine, dont on le fait l’auteur. Il n’y a que des imposteurs qui puissent nous dire de renoncer à l’expérience et de bannir la raison.

Ainsi, les prétendus miracles, que le christianisme nous raconte, n’ont, comme ceux de toutes les autres religions, que la crédulité des peuples, leur enthousiasme, leur ignorance, et l’adresse des imposteurs pour base. Nous pouvons en dire autant des prophéties. Les hommes furent de tout tems curieux de connoître l’avenir ; ils trouverent, en conséquence, des hommes disposés à les servir. Nous voyons des enchanteurs, des devins, des prophétes, dans toutes les nations du monde. Les juifs ne furent pas plus favorisés, à cet égard, que les tartares, les négres, les sauvages, et tous les autres peuples de la terre, qui tous posséderent des imposteurs, prêts à les tromper pour des présens. Ces hommes merveilleux dûrent sentir bientôt que leurs oracles devoient être vagues et ambigus, pour n’être point démentis par les effets. Il ne faut donc point être surpris, si les prophéties judaïques sont obscures, & de nature à y trouver tout ce que l’on veut y chercher. Celles que les chrétiens attribuent à Jésus-Christ, ne sont point vues du même œil par les juifs, qui attendent encore ce messie, que ces premiers croient arrivé depuis 18 siécles. Les prophétes du judaïsme ont annoncé de tout tems, à une nation inquiete et mécontente de son sort, un libérateur, qui fut pareillement l’objet de l’attente des romains, et de presque toutes les nations du monde. Tous les hommes, par un penchant naturel, espérent la fin de leurs malheurs, et croyent que la providence ne peut se dispenser de les rendre plus fortunés. Les juifs, plus superstitieux que tous les autres peuples, se fondant sur la promesse de leur dieu, ont dû toujours attendre un conquérant, ou un Monarque, qui fît changer leur sort, et qui les tirât de l’opprobre. Comment peut-on voir ce libérateur dans la personne de Jésus, le destructeur, & non le restaurateur de la nation Hébraïque, qui, depuis lui, n’eut plus aucune part à la faveur de son Dieu ?

On ne manquera pas de dire, que la destruction du peuple juif, et sa dispersion, furent elles-mêmes prédites, et qu’elles fournissent une preuve convaincante des prophéties des chrétiens. Je réponds, qu’il étoit facile de prédire la dispersion et la destruction d’un peuple toujours inquiet, turbulent, et rebelle à ses maîtres ; toujours déchiré par des divisions intestines : d’ailleurs, ce peuple fut souvent conquis et dispersé ; le temple, détruit par Titus, l’avoit déja été par Nabuchodonosor, qui amena les tribus captives en Assyrie, et les répandit dans ses états. Nous nous appercevons de la dispersion des juifs, et non de celle des autres nations conquises, parce que celles-ci, au bout d’un certain tems, se sont toujours confondues avec la nation conquérante, au lieu que les Juifs ne se mêlent point avec les nations parmi lesquelles ils habitent, & en demeurent toujours distingués. N’en est-il pas de même des Guébres, ou Parsis de la Perse et de l’Indostan, ainsi que des arméniens qui vivent dans les pays mahométans ? Les Juifs demeurent dispersés, parce qu’ils sont insociables, intolérans, et aveuglément attachés à leurs superstitions[3].

Ainsi, les chrétiens n’ont aucune raison pour se vanter des prophéties contenues dans les livres mêmes des hébreux, ni de s’en prévaloir contre ceux-ci, qu’ils regardent comme les conservateurs des titres d’une religion qu’ils abhorrent. La Judée fut de tout tems soumise aux prêtres, qui eurent une influence très-grande sur les affaires de l’état, qui se mêlerent de la politique, et de prédire les événemens heureux, ou malheureux, qu’elle avoit lieu d’attendre. Nul pays ne renferma un plus grand nombre d’inspirés ; nous voyons que les prophétes tenoient des écoles publiques, où ils initioient aux mystères de leur art, ceux qu’ils en trouvoient dignes, ou qui vouloient, en trompant un peuple crédule, s’attirer des respects, et se procurer des moyens de subsister à ses dépens[4].

L’art de prophétiser fut donc un vrai métier, ou, si l’on veut, une branche de commerce fort utile et lucrative dans une nation misérable, et persuadée que son dieu n’étoit sans cesse occupé que d’elle. Les grands profits, qui résultoient de ce trafic d’impostures, dûrent mettre de la division entre les prophétes juifs ; aussi voyons-nous qu’ils se décrioient les uns les autres ; chacun traitoit son rival de faux prophéte, et prétendoit qu’il étoit inspiré de l’esprit malin. Il y eut toujours des querelles entre les imposteurs, pour savoir à qui demeureroit le privilége de tromper leurs concitoyens.

En effet, si nous examinons la conduite de ces prophétes si vantés de l’ancien testament, nous ne trouverons en eux rien moins que des personnages vertueux. Nous voyons des prêtres arrogans, perpétuellement occupés des affaires de l’état, qu’ils surent toujours lier à celles de la religion ; nous voyons en eux des sujets séditieux, continuellement cabalans contre les souverains qui ne leur étoient point assez soumis, traversans leurs projets, soulevans les peuples contr’eux, et parvenans souvent à les détruire, et à faire accomplir ainsi les prédictions funestes qu’ils avoient faites contr’eux. Enfin, dans la plûpart des prophétes, qui jouerent un rôle dans l’histoire des juifs, nous voyons des rebelles occupés sans relâche du soin de bouleverser l’état, de susciter des troubles, et de combattre l’autorité civile, dont les prêtres furent toujours les ennemis, lorsqu’ils ne la trouverent point assez complaisante, assez soumise à leurs propres intérêts[5]. Quoi qu’il en soit, l’obscurité étudiée des prophéties permit d’appliquer celles qui avoient le messie, ou le libérateur d’Israël, pour objet, à tout homme singulier, à tout enthousiaste, ou prophéte, qui parut à Jérusalem, ou en Judée. Les chrétiens, dont l’esprit est échauffé de l’idée de leur Christ, ont cru le voir par-tout, et l’ont distinctement apperçu dans les passages les plus obscurs de l’ancien testament. à force d’allégories, de subtilités, de commentaires, d’interprêtations forcées, ils sont parvenus à se faire illusion à eux-mêmes, et à trouver des prédictions formelles dans les rêveries décousues, dans les oracles vagues, dans le fatras bizarre des prophétes[6].

Les hommes ne se rendent point difficiles sur les choses qui s’accordent avec leurs vues. Quand nous voudrons envisager sans prévention les prophéties des hébreux, nous n’y verrons que des rapsodies informes, qui ne sont que l’ouvrage du fanatisme et du délire ; nous trouverons ces prophéties obscures et énigmatiques, comme les oracles des payens ; enfin, tout nous prouvera, que ces prétendus oracles divins n’étoient que les délires et les impostures de quelques hommes accoutumés à tirer parti de la crédulité d’un peuple superstitieux, qui ajoutoit foi aux songes, aux visions, aux apparitions, aux sortiléges, et qui recevoit avidement toutes les rêveries qu’on vouloit lui débiter, pourvu qu’elles fussent ornées du merveilleux. Par-tout où les hommes seront ignorans, il y aura des prophétes, des inspirés, des faiseurs de miracles ; ces deux branches de commerce diminueront toujours dans la même proportion que les nations s’éclaireront.

Enfin, le christianisme met au nombre des preuves de la vérité de ses dogmes, un grand nombre de martyrs, qui ont scellé de leur sang la vérité des opinions religieuses qu’ils avoient embrassées. Il n’est point de religion sur la terre qui n’ait eu ses défenseurs ardens, prêts à sacrifier leur vie pour les idées auxquelles on leur avoit persuadé que leur bonheur éternel étoit attaché. L’homme superstitieux et ignorant est opiniâtre dans ses préjugés ; sa crédulité l’empêche de soupçonner que ses guides spirituels aient jamais pu le tromper ; sa vanité lui fait croire, que lui-même il n’a pu prendre le change ; enfin, s’il a l’imagination assez forte, pour voir les cieux ouverts, et la divinité prête à récompenser son courage, il n’est point de supplice qu’il ne brave et qu’il n’endure. Dans son ivresse, il méprisera des tourmens de peu de durée ; il rira au milieu des bourreaux ; son esprit aliéné le rendra même insensible à la douleur. La pitié amollit alors le cœur des spectateurs ; ils admirent la fermeté merveilleuse du martyr ; son enthousiasme les gagne ; ils croyent sa cause juste ; et son courage, qui leur paroît surnaturel et divin, devient une preuve indubitable de la vérité de ses opinions. C’est ainsi que, par une espece de contagion, l’enthousiasme se communique ; l’homme s’intéresse toujours à celui qui montre le plus de fermeté, et la tyrannie attire des partisans à tous ceux qu’elle persécute. Ainsi, la constance des premiers chrétiens dut, par un effet naturel, lui former des prosélytes, et les martyrs ne prouvent rien, sinon la force de l’enthousiasme, de l’aveuglement, de l’opiniatreté, que la superstition peut produire, et la cruelle démence de tous ceux qui persécutent leurs semblables pour des opinions religieuses.

Toutes les passions fortes ont leurs martyrs ; l’orgueil, la vanité, les préjugés, l’amour, l’enthousiasme du bien public, le crime même, font tous les jours des martyrs, ou du moins font que ceux que ces objets enivrent, ferment les yeux sur les dangers. Est-il donc surprenant que l’enthousiasme & le fanatisme, les deux passions les plus fortes chez les hommes, aient si souvent fait affronter la mort à ceux qu’elles ont enivrés des espérances qu’elles donnent ? D’ailleurs, si le christianisme a ses martyrs, dont il se glorifie, le judaïsme n’a-t-il pas les siens ? Les juifs infortunés, que l’inquisition condamne aux flammes, ne sont-ils pas des martyrs de leur religion, dont la constance prouve autant en sa faveur, que celle des martyrs chrétiens peut prouver en faveur du christianisme ? Si les martyrs prouvoient la vérité d’une religion, il n’est point de religion, ni de secte, qui ne pût être regardée comme véritable.

Enfin, parmi le nombre, peut-être exagéré, des martyrs dont le christianisme se fait honneur, il en est plusieurs qui furent plûtôt les victimes d’un zéle inconsidéré, d’une humeur turbulente, d’un esprit séditieux, que d’un esprit religieux. L’ église elle-même n’ose point justifier ceux que leur fougue imprudente a quelquefois poussés jusqu’à troubler l’ordre public, à briser les idoles, à renverser les temples du paganisme. Si des hommes de cette espéce étoient regardés comme des martyrs, tous les séditieux, tous les perturbateurs de la société, auroient droit à ce titre, lorsqu’on les fait punir.

  1. Un fait surnaturel demande, pour être cru, des témoignages plus forts qu’un fait qui n’a rien contre la vraisemblance. Il est facile de croire qu’Apollonius de Thyane a existé ; je m’en rapporte là-dessus à Philostrate, parce que son existence n’a rien qui choque la raison ; mais je ne crois plus Philostrate, quand il me dit qu’Apollonius faisoit des miracles. Je crois bien que Jésus-Christ est mort ; mais je ne crois point qu’il soit ressuscité.
  2. Les Bazilidiens & les Cérinthiens, hérétiques qui vivoient du tems de la naissance du christianisme, soutenoient que Jésus n'étoit point mort, & que Simon le Cyrénéen avoit été crucifié en sa place. Voyez S. Epiphan. har. ch. 28. Voilà, dès le berceau de l’Eglise, des hommes qui révoquent en doute la mort, & par conséquent la résurrection de Jésus-Christ, & l’on veut que nous la croyions aujourd’hui !
  3. Les actes des Apôtres prouvent évidemment que, dès avant Jésus-Christ, les Juifs étoient dispersés ; il en vint de la Grèce, de la Perse, de l’Arabie, &c. à Jérusalem, pour la fête de la Pentecôte. Voyez les actes, ch. 2. v. 3. Ainsi, après Jésus, il n’y eut que les habitans de la Judée qui furent dispersés par les Romains.
  4. S. Jérôme prétend que les Saducéens n’adoptoient point les prophétes, se contentant d’admettre les cinq livres de Moïse, Dodwell, de jure laïcorum, dit que c’étoit en buvant du vin, que les prophètes se disposoient à prophétiser. Voyez p. 259. Il paroît qu’ils étoient des jongleurs, des danseurs, des poëtes & des musiciens, qui apprenoient, comme par-tout, leur métier.
  5. Le Prophéte Samuel, mécontent de Saül, qui refusa de se prêter à ses cruautés, le déclare déchu de la couronne, & lui suscite un rival dans la personnel de David. Elie ne paroît avoir été qu’un séditieux, qui eut du dessous dans les querelles avec ses Souverains, & qui fut obligé de se soustraire, par la fuite, à de justes châtimens. Jérémie nous fait entendre lui-même qu’il étoit un traître, qui s’entendoit avec les Assyriens contre la patrie assiégée : il ne paroît occupé que du sois d’ôter à ses concitoyens le courage & la volonté de se défendre ; il achète un champ de ses parens, dans le tems même où il annonce à ses compatriotes qu’ils vont être dispersés & menés en captivité. Le Roi d’Assyrie recommande ce prophéte à son général Nabuzardan, & lui dit d’avoir grand soin de lui. Voyez Jérémie.
  6. Il est aisé de tout voir dans la bible, en s’y prenant comme fait S. Augustin, qui a vu tout le nouveau testament dans l’ancien. Selon lui, le sacrifice d’Abel est l’image de celui de Jésus-Christ ; les deux femmes d’Abraham sont la Synagogue & l’Eglise ; un morceau de drap rouge, exposé par une fille de joie, qui trahissoit Jéricho, signifioit le sang de Jésus-Christ ; l’agneau, le bouc, le lion, sont des figures de Jésus-Christ ; le serpent d’airain représente le sacrifice de la croix ; les mystères même du christianisme sont annoncés dans l’abcien testament ; la manne annonce l’Eucharistie, &c. Voy. S. Aug. serl. 78. & son Ep. 157. Comment un homme sensé peut-il voir dans l’Emmanuel, annoncé par Isaïe, le Messie, dont le nom est Jésus ? Voyez Isaïe ch. 7. v. 14. Comment découvrir, dans un Juif obscur, & mis à mort, un chef qui gouvernera le peuple d’Israël ? Comment voir un Roi libérateur, un restaurateur des Juifs, dans un homme, qui, bien loin de délivrer ses concitoyens, est venu pour détruire la loi des Juifs, & après la venue duquel leur petite contrée est désolée par les Romains ? Il faut un profond aveuglement pour trouver le Messie dans ces prédictions. Jésus lui-même ne paroît pas avoir été plus clair, ni plus heureux dans ses prophéties. Dans l’évangile de S. Luc, chap. 21. il annonce visiblement le jugement dernier ; il parle des anges, qui, au fon de la trompette, rassembleront les hommes, pour comparoître devant lui. Il ajoute : Je vous dis, en vérité, que cette génération ne passera point, sans que ces prédictions soient accomplies. Cependant le monde dure encore, & les Chrétiens, depuis dix-huit cens ans, attendent le jugement dernier.