Le Collage/Le Collage/VI

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Édouard Dentu (p. 27-30).
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VI


22 avril.

Dimanche dernier, vers minuit et demi, nous rentrions par la rue Chaptal, Célina et moi.

Depuis l’église Notre-Dame-de-Lorette, Célina m’a lâché le bras. Elle me boude. Voici deux jours qu’elle ne fait que ça, bouder. D’ailleurs, il y a des circonstances atténuantes : ses yeux sont significativement cernés.

Soudain, en passant contre une maison en reconstruction, à travers les planches de la palissade, nous entendons un miaulement faible. Moi, je n’y prends garde, mais Célina s’arrête. Célina aime au moins les animaux. Un tout petit chat, quelque orphelin abandonné, errait parmi les pierres de taille du chantier, la queue en l’air, au clair de lune.

Célina, remuée, passe son bras entre les planches.

— Mon minet, mon mignon chéri !

Le minet se laisse saisir. Célina saute de joie.

— Le voilà, mon amour d’amour !… Tout noir, avec des taches blanches ! Vois, comme il est mignon et doux… Il me prend peut-être pour sa mère…

Et de lui embrasser le museau, les oreilles, les pattes ; puis de me dire, sur son ton de supplication caressante :

— Si tu voulais !… Laisse-moi l’emporter…

Parbleu, je veux toujours, moi, lorsqu’on me demande une chose ainsi ! Surpris et charmé, j’embrasse même Célina en pleine rue.

— Embrasse-le aussi, lui !

Une fois chez nous, après lui avoir donné à manger et à boire, Célina frotte de beurre ses pattes. Le petit chat se lèche avec ardeur. Je ris.

— Tu ne sais pas ? me dit gravement Célina, c’est pour qu’il ne s’en aille plus ?… Ça se pratiquait chez mes parents, à la ferme… Va maintenant, on pourrait tenir la porte grande ouverte…

Depuis que « Momiche » est installé chez nous, Célina ne me casse plus la vaisselle. Occupée de son chat du matin au soir, le cajolant, lui parlant comme à une personne, elle me laisse travailler.

Momiche n’est pas propre, et fait un peu partout, excepté dans le plat rempli de cendres qu’on a installé pour lui à la cuisine. Tout l’appartement « sent le chat ». Je recommande à Célina de corriger ce sans-gêne ; elle a l’air de m’écouter, mais se contente de nettoyer les ordures, en grondant le coupable, pour la forme. Elle ne veut pas en venir aux voies de fait, et me défend à moi-même d’agir.

Momiche s’est-il assis sur le bas de sa robe, elle ne se lèvera pas, de peur de déranger Momiche. Le gredin comprend qu’elle est indulgente et faible, compte là-dessus, devient un vrai tyran : j’aime mieux ça !

La nuit, Momiche, frileux, ne veut absolument pas coucher sur le lit, à nos pieds ; il ne se tient tranquille que lorsqu’on l’a laissé se blottir sous les draps, entre nous deux. Moi, je ne trouve pas cela bien propre. « Célina, il a des puces ! » Mais Célina me ferme la bouche avec un baiser. Puis, au lieu de s’endormir comme autrefois, en chien de fusil, elle s’allonge au fond, le long du mur.

Enfin, depuis que nous sommes trois, Célina a beaucoup gagné. Le boulet que je me suis mis au pied est moins lourd. Elle a une occupation, « un enfant ». On dirait qu’en ayant mis du beurre aux pattes du jeune animal, il lui en est resté quelque chose, une douceur dans le caractère.