Le Corsaire/Chant I

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traduit par A. Regnault.
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L E   C O R S A I R E
ou
LE CHEF DES PIRATES[1]




CHANT I


Non il n’est aucune douleur
Et plus poignante et plus amère
Que le souvenir du bonheur
Se réveillant dans la misère.

(Dante.)


I


Sur la mer azurée aux reflets radieux,
Nos pensers sans limite, et nos cœurs sans entrave,
Aussi loin que la brise et le flot écumeux
Parcourent cet espace où nul n’habite esclave.
Contemplez notre empire, un domaine infini,
Où tous, rois et sujets, concourent tributaires ;
Notre bannière, un sceptre en tous lieux obéi
Par des confédérés, légions volontaires.
Et notre vie à nous, c’est tantôt le fracas,

Tantôt le mol loisir, vie abrupte et sauvage,
Mais joyeuse en tout temps. Eh ! qui le sait ? Non pas,
Le lâche citadin, qui dans le luxe nage,
Dont le cœur faillirait sur les montagnes d’eau,
Ni toi, roi vaniteux de l’abondance altière
Que le sommeil ne peut charmer de ses pavots,
À qui le doux plaisir même a cessé de plaire.
Ah ! qui la décrirait, sauf celui dont le cœur
De ce rude métier a fait l’apprentissage,
A dansé sur le gouffre, intrépide, vainqueur ?
Qui dirait cette ivresse et cette folle rage
Dans la route sans trace entraînant le rôdeur,
Provoquant le combat de tous ses vœux lui-même,
Lorsque vers le péril il court avec ardeur
Prompt comme s’il volait au délice suprême,
Recherchant le danger que le lâche veut fuir,
Et se relève fort quand le faible succombe.
Il sent au fond du cœur qu’enflamme le désir
Son espoir s’éveiller, et du sein de la tombe
Son esprit vers les cieux prendre un sublime essor.
Nulle peur de la mort si nous mourons ensemble,
Nos ennemis et nous, si ce n’est même encor
Qu’elle semble moins lourde au lieu qui nous rassemble
Que le pesant repos. Vienne à son gré la mort !
À la vie on enlève ici même la vie,
Immolée. Ah ! qu’importe, à l’arrivée au port,
Si c’est dans le combat ou par la maladie ?

Que cet être rampant, d’un vil corps soucieux
Se cramponne à sa couche, et, chargé d’ans, qu’il traîne
De sa tête en tremblant le poids laborieux,
Et tire en aspirant une pénible haleine :
À nous le frais gazon, et non le lit fiévreux ;
Quand son âme en hoquets avec effort s’arrache,
Notre esprit en un bond sort libre, généreux.
Son corps peut se vanter de l’urne qui le cache ;
Qui l’abhorra vivant, peut dorer son tombeau.
À nous les rares pleurs que le cœur fait répandre,
Quand du vaste océan le liquide manteau
En linceul azuré sur nos morts vient s’étendre.
Pour eux nos banquets même ont de tendres regrets.
Dans la coupe de vin rayonne leur mémoire
Et leur brève épitaphe est peinte en quelques traits,
Lorsqu’au jour du danger, lorsqu’au jour de la gloire,
Le front appesanti d’un triste souvenir,
Leurs compagnons vainqueurs en partageant leur proie
S’écrient, avec cent voix heureuses de s’unir :
Le brave qui tomba, quelle eût été sa joie !

II


Tels étaient les accents, autour des feux du guet
Retentissant partout dans l’île des Pirates.
Tel était le refrain, que chacun d’eux chantait,

Perçant l’écho des rocs, sons rudes, disparates.
Dans ces groupes épars, là sur le sable d’or
On joue, on parle, on boit, on attise la flamme,
On se choisit une arme, on la manie encor,
Et d’un soin scrupuleux l’on aiguise sa lame,
Où l’œil insouciant voit la tache de sang :
Le bateau démâté s’agrée et se répare,
Quand d’autres à l’écart marchent réfléchissant.
Là pour l’oiseau sauvage un lacet se prépare ;
On étend au soleil le filet ruisselant ;
On observe de loin un point comme une étoile
D’une bouche béante et d’un œil qui se tend
Sur le butin que cache à l’horizon la voile.
De mainte et mainte nuit l’on redit les travaux ;
On demande où sera cette prochaine proie.
N’importe où ? Car leur chef les guidant sur les flots
A promis et voulu que chaque forban croie,
Que l’on divisera tout en partage égal.
Mais quel est donc ce chef ? Son nom sur maint rivage
Est fameux, redouté, marqué comme un fanal.
On le demande en vain, nul n’en sait davantage,
On souffre son silence en faveur du succès.
Pour sa lèvre jamais ne se remplit le verre ;
Il le laisse passer sans le goûter jamais,
Et le dernier des siens, tant est maigre sa chère,
Voudrait laisser du chef le repas non goûté ;
Son pain le plus grossier et la racine vile,

Le plus vulgaire fruit des trésors de l’été ;
Ce court repas qu’admet à peine un humble asile
Ne saurait contenter l’ermite tempérant.
Mais tandis que des sens il fuit la jouissance,
Son esprit loin du corps au dehors semble errant,
On le dirait nourri d’une telle abstinence.
« Timonier, vers ce bord ! » On part. « Fais ceci ! » Fait.
« En rang et suivez-moi. » La dépouille est ravie !
Tant sa parole est prompte et tant son acte est prêt.
Tous d’obéir. Pourquoi ? Peu, nul ne se soucie
D’une réponse brève : un regard dédaigneux,
Seul reproche, a fermé la bouche aux curieux.

III


Une voile, une voile ! Ah ! quelque riche prise !
Que dit le télescope ? Et quelle nation ?
Point de capture, hélas ! mais on voit sous la brise
Briller le drapeau rouge. Et plus de question :
C’est une voile amie, elle revient fidèle,
Vents propices, soufflez ! Elle ancre avant le soir,
Et le cap est doublé ; l’orgueilleuse nacelle
S’avance dans la baie. Ah ! beau spectacle à voir !
Son aile déployée, elle fend glorieuse
L’écume, mais jamais pour fuir des ennemis.
Elle glisse animée, être vivant ! heureuse,

Elle semble affronter les périlleux conflits.
Qui ne voudrait braver le canon, le naufrage,
Roi d’un vaisseau peuplé, pour régner sur la plage !

IV


Le câble froissé, rauque, a gémi sur son flanc
La voile du vaisseau se ferle ; à l’ancre il flotte,
De terre les oisifs en rond s’accumulant
Distinguent la chaloupe, à la voix du pilote
Descendant de la proue avec ses matelots.
La rame en deux temps bat la vague blanchissante
Et la quille fendant rapidement les flots
Sur la grève se hisse et se traîne grinçante.
Salut au cri de joie, à la voix du bonheur.
Quand la main à la main se joint, se presse avide,
À la vive demande et réplique rapide,
Au sourire, salut à la fête du cœur !

V


La nouvelle circule et les groupes s’étendent,
Et la voix bourdonnante et les rires bruyants,
Mais des femmes surtout les doux accents s’entendent ;
Chaque bouche a ses noms, amis, époux, amants.

Sont-ils saufs ? Du succès ne s’informe personne
Mais quand les verrons-nous, entendrons-nous leur voix ?
Où le flot vient rugir, où la bataille tonne
Ils ont agi sans doute en braves, mille fois.
Mais qui d’entre eux est sauf ? Ah ! que chacun s’empresse
De surprendre et charmer ici nos cœurs joyeux ;
Et de bannir au loin le doute de nos yeux
À force de baisers, à force de tendresse.

VI


« Où notre chef est-il ? D’un message pour lui
Nous arrivons chargés et craignons que la joie
Qui vient de saluer notre arrivée ici,
Ne soit courte ; pourtant que le chagrin se noie.
Mais Juan, vers le chef à l’instant guide-nous.
Du salut au retour nous aurons notre fête
Et ce qu’on veut savoir sera connu de tous. »
On gravit le chemin dans le roc où du faîte
Dominant tout le golfe, on voit surgir la tour ;
Par les buissons épais et sur les fleurs sauvages
De leur douce fraîcheur calmant les feux du jour,
Par cent sources d’argent aux caprices volages,
Du granit s’élançant en jets vifs et hardis,
Et jetant dans les airs leur brillante rosée
En irritant la soif, de perles, de rubis,

Qu’elles laissent tomber sur la terre arrosée.
Un pic succède au pic. Près d’un antre, là-bas,
Quel rêveur isolé regarde au loin la plage ?
Dans sa pose pensive, il supporte son bras
Sur son arme qui sert à peine à cet usage.
C’est bien lui, c’est Conrad. « Pousse, avance, Juan,
Il a vu notre barque. Ah ! toujours solitaire !
Dis-lui notre dessein, et qu’à notre prière
À l’instant il entende un message pressant.
Nous n’osons approcher. Tu sais son caractère,
Quand sans ordre on surprend ainsi son sanctuaire. »

VII


Juan a prévenu Conrad de leur désir.
Il n’a point répondu, sauf d’un signe de tête.
Appelés devant lui, le chef daigne accueillir
D’un geste leur salut, mais sa bouche est muette.
« Ces lettres, commandant, sont du Grec l’espion,
Annonçant le butin ou du péril l’approche.
N’importe sa nouvelle ou sa prédiction, »
Ce point est sûr. » — « Paix, paix ! » Ce ton dur de reproche
Leur coupe la parole. Ils se tournent surpris,
Confondus, mais tout bas, entre eux la conjecture,
Épiant ses regards, de leurs yeux ébahis,
Comme en s’interrogeant, l’un à l’autre murmure

Pour savoir quel effet la nouvelle a produit.
Mais devinant leur but, et la tête baissée
D’émotion, de doute ou bien d’orgueil, il lit
Un papier exprimant la nouvelle tracée.
« Mes tablettes, Juan ; écoute : Où Gonzalvo
Est-il en ce moment ? » — « Dans sa barque en vedette. » —
« Qu’il y reste. — Mais toi, vas lui porter ce mot,
Puis retourne à ton poste. — À partir qu’on s’apprête ;
Moi-même je serai de la course ce soir. » —
« Ce soir, seigneur Conrad ? » — « Cette nuit je commande,
Quand fraîchira la brise en son voile plus noir. —
Mon manteau, mon armure, et que chacun m’attende.
Nous serons dans une heure en route. Prends ton cor. »
Que de ma carabine en son jeu le ressort
De rouille soit exempt et fasse bien l’ouvrage.
Qu’on donne à l’armurier mon sabre d’abordage ;
Qu’il l’aiguise avec soin, de suite ; en dernier lieu,
Plus que par l’ennemi ma main en fut lassée.
Surtout que le canon du signal fasse feu,
Lorsque l’heure qui reste encor sera passée ! »

VIII


Tout le monde obéit, empressé de partir
Pour se lancer déjà sur l’élément perfide.
Conrad les guidera. Peut-on s’en repentir ?

Et qui contesterait ce que ce chef décide ?
Cet homme solitaire, être mystérieux
Qui ne sourit qu’à peine et rarement soupire,
Dont le nom fait pâlir les plus audacieux,
Tous ces fronts basanés, et d’un terrible empire
Subjugue aussi les cœurs par l’art de commander,
Qui fascine, dirige et glace un cœur vulgaire.
Quel est donc ce pouvoir où chacun doit céder
Qu’envie et reconnaît sa troupe aventurière ?
Quel est donc ce lien qui tient ainsi leur foi ?
Ta puissance, ô pensée, et ton art, ô génie !
Conquérant le succès, tu le gardes en roi,
Assimilant au fort le faible en ta magie.
En restant à leurs yeux insondable, inconnu,
Tu sais approprier leurs exploits à ton moule ;
Ainsi, sous le soleil ceci s’est toujours vu,
C’est pour un seul qu’il faut que travaille la foule.
La nature le veut. Mais que le travailleur
Au riche possesseur veuille épargner sa haine,
Qu’il pèse le joug d’or et le poids du labeur,
Il trouvera légère et sa peine et sa chaîne !

IX


Différent des héros des siècles fabuleux,
Démons en actions, mais dieux en apparence,

Conrad en son aspect n’a rien de merveilleux,
Bien que de son œil noir le feu darde et s’élance.
Fort, sans être un Hercule, il n’a pas d’un géant
La taille colossale et la stature altière.
Mais à bien l’observer, il semble cependant
Porter plus que les traits et le type vulgaire.
On regarde, on admire, on veut savoir pourquoi
C’est ainsi ; mais en vain, et l’on subit sa loi.
Son teint hâlé, son front haut et pâle qu’inonde
De ses cheveux de jais la tresse vagabonde,
Sa lèvre se crispant, tout révèle et trahit,
Même en la réprimant, sa hautaine pensée
Qu’elle déguise à peine et que l’œil y saisit.
Mais dans sa douce voix, sa mine composée
Est un je ne sais quoi qui veut n’être point vu.
Les lignes de son front et sa mobile teinte
Ont attiré parfois le regard confondu,
Comme si son esprit, tortueux labyrinthe,
Agitait des pensers vagues et dangereux.
Cela pourrait bien être, et qui le saurait dire ?
Dans l’âme de Conrad quel lynx put jamais lire ?
Son air farouche et dur glace l’œil curieux.
D’hommes il est bien peu, si même il en existe,
Dont l’aspect soutiendrait ce coup d’œil scrutateur,
Car il possédait Fart, si la ruse à la piste
Voulait lire en ses traits et pénétrer son cœur,
D’acculer l’espion en son for, en lui-même,

De peur qu’il ne dévoile à Conrad ses secrets,
Pour lui ravir les siens ; qu’ainsi son stratagème
Ne le fasse tomber dans ses propres filets.
Un rire de démon se déchaîne en son rire,
Excitant crainte et rage. Où son sourcil haineux
Sillonne un arc de feu, au ténébreux empire
L’espoir fuit, la pitié soupire ses adieux.

X


La mauvaise pensée a de légers indices
Au dehors ; au dedans fermentait son esprit.
L’amour laisse tout voir, ses phases, ses caprices
L’ambition, la haine, un rancuneux dépit
Ne décèlent aux yeux rien qu’un amer sourire,
Une lèvre crispée, une faible pâleur
Sur ses traits composés, seuls signes du délire,
De passions vibrant aux profondeurs du cœur.
Que celui qui veut voir soit lui-même invisible.
Alors le pas pressé, vers le ciel ce regard,
Le poing fermé, s’arrête en une transe horrible :
Dans l’attente fiévreuse avec un œil hagard,
De peur qu’un pas perfide à l’instant ne saisisse
Cette terreur de l’âme en approchant trop près.
Puis chacun de ces traits exprimant le supplice
De ce cœur découvert à nu dans ses secrets,

Et tous ces mouvements qui brisent leur barrière,
Non pour s’évaporer, mais courir violents,
Déchaînés, convulsifs, sans frein dans la carrière,
Se calmant, s’enflammant, ou glacés ou brûlants,
La sueur sur le front et le feu sur la joue ;
Étranger, vois alors, si lu peux, sans trembler,
Cette âme, cette scène où le rôle se joue.
Quel repos de son sort pourrait le consoler ?
Des premiers ans maudits vois comme la mémoire
Déchire, fer aigu, ce sein vide et flétri.
Vois ! mais qui vit jamais ou verra dans l’histoire,
L’esprit intime, libre, et le cœur sans repli ?

XI


Et cependant Conrad n’est pas né pour conduire
Du crime l’instrument le plus fort et le pire,
La bande destructive. Avant il dut changer,
Avant de déclarer à son voisin la guerre,
Contre le ciel qu’il perd avant de s’insurger.
Par les déceptions poussé dans la carrière,
En paroles trop sage, en sa conduite un fou,
Trop ferme pour céder, trop fier pour vers la terre,
Devant un autre humain abaisser le genou,
De ses propres vertus la dupe involontaire,
Il croyait ces vertus causes de ses malheurs,

Non les traîtres payant le bien en perfidie ;
Sans penser que ces dons et ces rares faveurs
Dont la vertu souvent par le ciel est bénie
Lui laissèrent de quoi faire encor des heureux.
Craint et calomnié lui-même, avant que l’âge
Vînt affaiblir ce corps robuste et vigoureux,
Il haïssait trop l’homme en sa précoce rage
Pour sentir le remords, n’écoutant que la voix
De son ressentiment, voix fière qui l’appelle
Et le pousse à venger, dans son aveugle zèle,
Les torts de quelques-uns sur le reste à la fois.
Coupable il se sentait ; mais nul de ses semblables
À ses yeux ne valait plus, ni n’était meilleur.
Méprisant les plus purs et les plus respectables,
Gomme hypocrites faux voilant d’une couleur
Ce que de plus hardis faisaient avec audace,
Il ne craignait jamais de se montrer en face
Dans l’éclat du grand jour, en présence de tous.
Il se sentait haï ; mais il voyait à terre
Tremblants, ramper ces cœurs pour lui-pleins de dégoûts.
Farouche, misanthrope, étrange, solitaire,
Exempt d’affection, au-dessus du dédain,
Son nom créait l’effroi, ses actes, la surprise.
Bizarre, énigmatique, on l’ignore, on le craint,
On n’ose rien de plus, et nul ne le méprise.
On foule au pied le ver. Replié dans son sein
Si l’on a rencontré le serpent, on s’arrête

Avant que du reptile on écrase la tête
Dont on peut contre soi réveiller le venin,
Le ver peut se tourner, non venger sa blessure ;
L’autre meurt sans laisser son ennemi vivant :
Au pied de l’offenseur il siffle en s’enroulant.
Tous pouvez l’écraser, mais sans fuir sa morsure.

XII


Nul n’est méchant à fond. Un tendre sentiment,
Pénétrant tout son être, en ce cœur vit, respire ;
Si malgré lui souvent Conrad se prit à rire
De ces amours qui sont d’un fol ou d’un enfant,
Contre la passion, la lutte en lui fut vaine ;
Elle devait porter en lui lé nom d’amour.
Oui, ce fut l’amour pur, passion souveraine,
Constante, invariable, et non l’accès d’un jour,
Pour un objet sacré, toujours brûlante et vive.
Le trait profondément demeurait enfoncé ;
Bien qu’en tous les instants mainte beauté captive
S’offre, en essaim riant, à-son regard blasé.
De ces mille houris qu’enferme le bocage,
Nulle n’a pu séduire et surprendre son cœur.
Oui, ce fut bien l’amour, sa vie et son langage.
Car c’était la tendresse épurée au malheur,
Par la tentation chaque jour éprouvée,

Résistant à l’absence et ferme en tous pays,
Et beaucoup plus encor, par le temps ravivée.
Car son espoir déçu, car ses projets trahis,
Près de la bien-aimée, accordant un sourire,
Sous le poids du dépit ne purent l’irriter.
Il ne laissa jamais dans un fougueux délire
Une plainte, un murmure, un seul mot éclater ;
Et sa pensée enfin, heureuse de la joindre,
La quittait avec calme, avant qu’un air chagrin
Pour affliger son cœur parût et vînt à poindre,
Qu’un nuage troublât son front toujours serein.
Si parmi les mortels l’amour jamais respire,
C’était l’amour ! Conrad fut un homme perdu :
Mais ni la passion, sa force et son empire
Croissant, quand était morte en lui toute vertu,
Ni le rôle odieux qui tua tout le reste,
Ne put éteindre en lui cette flamme céleste.

XIII


Il s’arrête un moment, attendant au détour
D’un sentier, ses soldats du val suivant la pente.
« Bruit étrange, dit-il, j’ai vu maint mauvais jour,
Couru plus d’un péril ; mais en cette heure instante,
Je ne sais pas pourquoi je pressens le dernier.
Mon cœur, qui le prédit, pourtant ne doit point battre ;

Mes compagnons verraient pâlir un front d’acier !
Non, s’il est imprudent cette fois de combattre,
Il l’est bien plus d’attendre ici même la mort,
D’attendre qu’on nous chasse en notre dernier gîte,
Irrévocablement, et sous le coup du sort.
Mais si je réussis dans cette âpre poursuite.
Si la fortune encor veut sourire à mes vœux,
Maints pleureurs vengeront nos bûchers funéraires.
Mais qu’ils sommeillent ! Paix à leurs rêves heureux !
Le matin n’envoya jamais à leurs paupières
Un plus brillant réveil et des feux aussi clairs
Que ceux que je prépare aux lents vengeurs des mers
Pour luire cette nuit. Mais, souffle douce brise !…
À toi, ma Médora ! quel poids j’ai dans ma crise
Sur mon cœur ! Plus longtemps que le sien soit léger !
Je fus brave pourtant. Vaine et sotte jactance.
Qui n’est brave ? L’insecte aussi pour protéger
Une proie, a son dard qu’aux ennemis il lance.
Ce courage, commun à là brute, aux humains,
Qui doit au désespoir tous ses efforts suprêmes,
N’est qu’un mince mérite, et je voulais aux miens
Apprendre noblement, en des périls extrêmes
Contre une forte troupe à lutter, faible essaim,
De son généreux sang non vainement prodigue.
Je les guidai longtemps ! Quelle sera la fin ?
Point de milieu ! mourons, ou mort à cette ligue !
C’en est fait ! sans regret je suis prêt à mourir.

Mais les pousser ainsi dans un dernier asile
D’où foulés, acculés, ils ne pourront plus fuir !…
Jusqu’ici sur mon sort je fus peu difficile,
Mais mon orgueil s’offense au piège d’être pris.
Est-ce là mon talent, ma ruse, ma science,
Sur un seul coup de dés de jeter tous ces prix,
Espérance, pouvoir et même l’existence ?
Accuse ta folie, ô Conrad, non le sort,
Elle peut te sauver, il en est temps encor. »

XIV


C’est ainsi que Conrad converse avec lui-même
Gravissant le sommet du mont où pend la tour,
Il s’arrête au portail, pour les accents qu’il aime,
Tons sauvages et doux, que la nuit et le jour
Il n’entend pas assez. Du haut de la tourelle,
À travers les barreaux, l’oiseau de la beauté.
Adresse à son amant intrépide et fidèle
Ces notes de douleur pleines de suavité :

(1)

    Au fond de mon cœur solitaire,
    Mort à jamais à la lumière,
Vivant enseveli, dort ce tendre secret,
    Excepté quand l’âme captive

    À ton âme répond plaintive
El palpite pour toi dans un trouble muet.

(2)

    Au centre, en la prison claustrale,
    Brûle la lampe sépulcrale,
Invisible, veillant toute une éternité.
    Le désespoir dans les ténèbres,
    De ses voiles froids et funèbres
N’éteint pas le rayon d’une vaine clarté.

(3)

    Pense à moi près du mausolée
    Où je dois dormir isolée,
Oh ! non, ne passe pas sans un penser d’ami.
    Le seul choc dont mon cœur frissonne,
    C’est qu’un jour le tien m’abandonne,
C’est que le tien si cher me laisse dans l’oubli.

(4)

    L’accent de mon cœur le plus tendre,
    Le dernier, ah ! daigne l’entendre.
Le deuil des morts, que sacre et prescrit la vertu,
    Aux morts est le plus doux hommage.
    Une larme de toi pour gage,
C’est le premier, dernier, le seul prix qui m’est dû.

Il franchit le portail, le passage, et s’élance
Vers la chambre au moment où finit la romance.
« Ma chère Médora, ton chant est douloureux. » —
« Ah ! loin de mon Conrad peut-il être joyeux,
Sans ton oreille ici gui pour moi s’intéresse ?
Mon chant peint ma pensée et trahit ma tendresse ;
Chaque accent doit vibrer avec mon cœur d’accord,
Si ma bouche est sans voix, mon cœur résonne encor.
Oh ! que de nuits foulant ma couche solitaire,
Ma crainte, à l’air prêtant l’orage imaginaire,
Fit du souffle léger qui caressait le flot
Le prélude du vent fatal au matelot.
La brise avait le son du glas qui se lamente,
Prophétisant la mort sur la vague écumante.
Je me levais soudain, attisant le, fanal,
Une autre eût négligé la flamme du signal ;
Mes heures sans repos épiaient chaque étoile,
Et l’aurore venait nous ramener ta voile.
Ah ! comme sür mon sein l’âpre bise a soufflé !
Quel triste point du jour à mon regard troublé !
Je regardais toujours, toujours, nulle nacelle
N’est donnée à mes pleurs, nulle à mon vœu fidèle.
Enfin il est midi. J’ai salué, béni
Un mât, mais ce n’est point celui de mon ami.
Il passe… Un autre… Enfin ta voile se déploie.
Puissent ces jours finir ! Mais la paix et la joie,
N’apprendras-tu jamais, Conrad, à les sentir ?

Des richesses, de l’or ne saurais-tu jouir ?
Maint domaine de luxe et d’existence heureuse
Nous invite à quitter ta vie aventureuse.
Tu sais que ce n’est point le péril dont j’ai peur,
Mais ton absence seule excite ma frayeur,
Non pour ma vie à moi, pour la tienne si chère,
Pour toi, qui fuis l’amour et cours après la guerre.
Chose étrange qu’un cœur, pour moi si tendre encor,
Combatte la nature et son plus doux essor ! » —
« Chose étrange, en effet, qu’en sa longue souffrance
Ce cœur depuis longtemps se trouve ainsi changé !
Foulé comme le ver, vipère il s’est vengé.
Sauf ton amour sur terre il n’a plus d’espérance
Et de pardon au ciel à peine une lueur.
Pourtant ce sentiment qu’en moi ta bouche blâme,
L’amour pour toi, d’autrui c’est la haine et l’horreur ;
Et s’ils sont tous les deux désunis dans mon âme,
Aimant le genre humain, je cesse de t’aimer.
Cependant ne crains rien : reçois ma foi jurée ;
Tout mon amour passé, je puis te l’affirmer,
De mon futur amour t’assure la durée.
Mais, ô ma Médora, dans ces derniers instants
Arme ton tendre cœur de force et de courage,
Une heure encore et puis nous quittons le rivage
Et nous nous séparons, mais non pas pour longtemps. » —
« Dans une heure tu pars ? Je le sentais d’avance.
Ainsi s’évanouit mon rêve d’espérance !

Une heure seulement ; se peut-il ? Aussitôt ?
Ton navire au mouillage à peine est-il à flot,
L’autre est encore absent, et tout ton équipage
A besoin de repos pour un autre voyage.
Tu ris de ma faiblesse et veux d’acier munir
Contre l’épreuve un cœur qui doit plus tard souffrir.
Cesse donc de te faire un jeu de ma misère….
Mais laissons ce sujet. Mon ami, viens goûter
Le repas que ma main s’est plue à t’apprêter,
Douce tâche qu’amour assaisonné ; il convie
Mon Conrad au soutien de sa frugale vie.
Vois : les fruits qui semblaient à mes yeux plus exquis,
Dans mon doux embarras, ma main les a cueillis ;
J’ai choisi les plus beaux. Trois fois sur la colline
Mes pas ont circulé vers la source argentine.
Vois : ton sorbet ce soir va couler excellent,
Dans son vase d’albâtre il frémit pétillant.
Tu ne sens nulle joie au doux jus de la vigne ;
À toi bien plus qu’au Turc, quand ta coupe paraît
(De blâme ne crois pas que je te trouve digne),
Ce qu’on dit pénitence offre un puissant attrait.
Viens ! la table est servie et la lampe d’argent
Luit au plafond, bravant le sirocco brûlant.
Mes suivantes aussi dont je serai le guide
Vont en danses, en chants, charmer l’heure rapide ;
Ou ma guitare encor, qui caressa tes sens,
Reviendra les flatter de ses nouveaux accents.

Si leur son monotone offensait ton oreille,
L’Arioste dira dans sa rare merveille
Les amours d’Olympie et son triste abandon.
Ah ! tu serais cent fois pire en ta trahison
Que ce perfide amant qui déserta sa belle,
Si, loin de Médora, tu courais infidèle ;
Oui, pire que ce traître, en tout âge fameux,
Qui… je te vis sourire un jour, quand à nos yeux
Un ciel pur dévoila sur la mer diaphane,
Saillante entre les rocs, son île d’Ariane.
Moitié jeu, moitié peur, je me disais à moi :
Si le temps me jetait dans le doute et l’effroi,
Conrad laisserait-il l’amante qu’il adore ?
Il me trompait, car lui des mers revient encore. » —
« Oui, Conrad reviendra, tu pourras le revoir
Tant qu’il aura la vie et là haut de l’espoir.
Oui, Conrad reviendra, Médora, sois-en sûre ;
Mais le temps fuit, déjà du départ l’heure est mûre.
Que t’importe h présent le motif et le lieu,
Si tout doit aboutir au mot cruel : adieu.
Je voudrais, si le temps le permettait, te dire…
Allons, bannis l’effroi que l’absence t’inspire,
Pour toi ces ennemis ne sont point dangereux ;
La garde veillera double partout contre eux,
Prête au siège soudain, à la longue défense.
Ne sois point seule ici de ton maître en l’absence ;
Nos matrones pour toi, tes femmes vont rester,

Et s’il est un bonheur dont je te puis flatter,
C’est la sécurité qui, sortant des alarmes,
Au repos à venir ajoutera des charmes.
Écoute ! Un son perçant ! de Juan c’est le cor.
Un baiser, deux, adieu… puis le dernier encor ! »
Elle se lève et vole en ses bras, et s’attache
À son sein palpitant où se plonge et se cache
Ce visage qu’il n’ose à présent affronter,
Et ces deux beaux yeux bleus qu’il semble redouter,
Baissés dans l’agonie, arides et sans larmes.
Sa longue chevelure, en ses sauvages charmes,
En flots désordonnés sur ses épaules court ;
Son sein à peine bat d’un souffle lent et lourd,
Ce sein, où respirait une image chérie,
Où la sensation est presque anéantie.
Écoutez ! du canon qui tonne au loin, le bruit
Annonce le coucher du soleil qu’il maudit ;
Et cette forme encor qu’avec transport il presse
Qui muette l’étreint, l’implore, le caresse,
En tremblant il la porte à sa couche, un instant
La contemple une fois d’un regard palpitant,
Peut-être le dernier, car il sent que la terre
Pour lui ne contient qu’elle en ce val solitaire,
Baise son front glacé, se tourne… Est-il parti ?


XV


« Est-il, est-il parti ? Dans une solitude
Imprévue et soudaine, ah ! qu’elle a ressenti
La question fatale avec ce mot si rude.
C’est ici qu’il était, lui passé ce moment
Et maintenant où donc ? » — Du porche elle s’élance,
La digue enfin se brise et ses pleurs en torrent
Ont coulé gros, amers dans un morne silence,
Et comme à son insu. Le mot terrible adieux
Seul, n’a pu s’échapper de ses lèvres rebelles,
Car dans ce mot cruel, funeste, douloureux
Bien qu’il exprime espoir, promesse, foi fidèle,
Règne le désespoir. Ici sur chaque trait
De ce visage froid, calme, pâle, insensible,
Le chagrin a scellé comme un plomb son cachet
Dont le temps creusera le type indestructible.
Ces yeux d’azur, si beaux, tendres et pleins d’amour,
Éteints se sont glacés mornes, vitreux et vides
D’un objet bien aimé sans l’espoir du retour.
D’une lueur soudaine ils deviennent limpides,
Croyant revoir Conrad Qu’il est loin ! Dans ces pleurs,
Sous ses cils longs et noirs ce doux azur se noie
Et semblerait nager, quand cette amante en proie
S’abandonne aux transports de poignantes douleurs !
Il est parti ! sa main convulsive et froissée

Se croise sur son cœur, puis se tend vers les cieux.
Elle regarde alors la vague qui s’élève,
La blanche voile en l’air, et détourne les yeux
Vers la porte, accablée !… « Ah ! ce n’est pas un rêve
Seule avec ma douleur délaissée !… »

XVI


Seule avec ma douleur délaissée !… »En avant
De rocher en rocher Conrad se précipite
Et sans se détourner, inflexible il descend,
De peur qu’un seul détour du sentier ne l’invite,
Ne le retienne aux lieux qu’évitent ses regards.
Loin du mont il doit fuir cette tour solitaire,
Qu’il saluait naguère au sortir des hasards
Du perfide océan l’accueillant la première.
Et Médora, cet astre aujourd’hui nuageux
Dont le rayon si doux de loin venait l’atteindre,
Sur elle il ne doit point dès lors fixer les yeux,
Et même sa pensée ose à peine la joindre.
Près d’elle il peut rester, mais toujours sur le bord
De la destruction et penché sur l’abîme.
Il s’arrête : va-t-il livrer aux flots son sort,
Ses projets au hasard ? Non, ce serait un crime.
Un digne chef peut bien quelquefois s’attendrir ;
Pour un amour de femme il ne doit point trahir !

Il a vu son navire, observe un vent propice,
Il rappelle sa force et prompt, haie le pas ;
Et quand tout à la fois de la voile qu’on hisse,
Du bruyant équipage il entend le fracas,
Les rames, les signaux et mille cris de joie ;
Lorsqu’il voit sur le mât le mousse suspendu,
Les ancres se lever, les voiles qu’on déploie,
Et les mouchoirs qu’agite au loin dans l’air tendu
Un bras ami tourné vers celui qui fend l’onde,
Muet adieu qu’emporte une nef vagabonde ;
Surtout son pavillon rouge comme le sang,
Conrad s’étonne alors d’avoir un cœur si tendre.
Le feu dans l’œil, la rage en son sein bondissant,
Sa sauvage vigueur semble en tout le reprendre.
Il court, vole, s’arrête où le rocher finit,
Où commence la grève, et là se ralentit
Moins pour y respirer des flots la fraîche brise
Que pour recomposer son air de dignité,
Et dérober son trouble à la foule surprise
D’un mouvement si brusque en sursaut agité.
Il a pour gouverner l’art qui cache et s’observe,
Sauvegarde des grands. Altier était son port ;
Son air digne et glacé dans sa froide réserve
Fuyant les yeux, mais vu, plus imposant encor ;
Son aspect grave et fier, son geste qui commande,
Poli, mais repoussant la familiarité,
Forçant l’assentiment à tout ce qu’il demande.

Mais si vers quelque objet il tend sa volonté,
Il sait bien rassurer celui qui vient l’entendre.
D’un autre les présents sont même moins puissants
Que cette voix qui vibre, en échos d’un cœur tendre,
À d’autres cœurs, des sons profonds et caressants.
Mais ces moyens si doux, c’est rarement son arme ;
N’importe s’il séduit, il veut assujettir.
Ses jeunes passions avaient rompu le charme ;
Conrad se fait toujours moins aimer qu’obéir.

XVII


Devant son chef, Juan range à l’entour sa garde.
« Tout le monde est-il prêt ? » — « On est même embarqué
Et la dernière nef est la seule qui tarde
En attendant son chef » — Conrad a répliqué :
« Mon sabre et ma capote ! » Et bientôt sa capote,
Jetée en un instant sur ses épaules, flotte,
Pendant qu’à son côté son sabre est attaché.
« Appelle ici Pedro ! » Pedro s’est approché.
Comme avec ses amis Conrad pour lui s’incline,
Lui faisant courtoisie et gracieuse mine.
« Reçois, lis ces papiers. Un secret important
Réclame un sûr témoin, un digne confident.
Double la garde, et puis, quand d’Anselme la barque
Reviendra, que cet ordre attire sa remarque.

Grâce à la brise, ici que le troisième jour
(Reste en paix jusque-là) fête notre retour ! »
Il dit, il a pressé la rude main d’un frère ;
Ensuite à la chaloupe il marche avec fierté,
La rame a dans les airs fait jaillir l’onde amère,
Le phosphore en reflets a soudain éclaté.
On atteint le vaisseau. Le chef du pont domine,
Le sifflet sonne aigu ; la main circule, agit.
Ah ! comme sous son roi le vaisseau se dessine,
Et l’équipage actif, exécute, obéit !
Aussi, daignant d’un chef lui donner le sourire,
Conrad vers Gonzalvo se tourne avec orgueil.
Mais d’où vient qu’il frémit et que son cœur soupire ?
Hélas ! c’est que la tour s’est offerte à son œil,
Qui s’arrête un moment à cette heure suprême.
Elle, sa Médora, donna-t-elle un regard
À la glissante proue ? Ah ! cet objet qu’il aime,
Jamais ne fut plus cher qu’à l’heure du départ…
Mais il reste beaucoup à faire avant l’aurore :
Allant au gouvernail que sa main a saisi,
Lui-même le dirige et l’abandonne encore ;
Dans sa chambre il descend, de Gonzalvo suivi,
Il lui montre ses plans, ses moyens et leurs suites ;
La lampe brûle alors, la carte est sous leurs yeux,
De l’art naval ici les ruses sont décrites.
Minuit voit prolonger ces débats sérieux,
Mais pour l’œil inquiet quelle heure est avancée !

Le zéphir cependant souffle pur sous le ciel,
L’aile du vaisseau fuit, comme un faucon, lancée,
Et bientôt a franchi les groupes d’Archipel
Gagnant le port avant le matinal sourire ;
Le télescope alors dans le golfe a plongé.
Du Pacha, sur les eaux où la flotte se mire,
On compte chaque voile et maint vaisseau rangé.
Sur le Turc imprudent les feux brillent en rade.
Conrad inaperçu passe en sécurité
Et jette l’ancre au point où sera l’embuscade,
Gardé des espions par le cap projeté
Dont la forme dans l’air fantastique est pendante.
La troupe, d’un élan, s’est levée en sursaut,
Non du sommeil, mais prête et toujours vigilante,
Sur la terre et sur Tonde à chaque rude assaut.
Pendant ce temps son chef en un calme sauvage
Lui parle, et c’est pourtant de sang et de carnage !

  1. Ce poëme, composé en 1815, a été achevé en quelques mois. Byron y a résumé avec énergie tout ce qu’il avait observé dans son premier voyage des habitudes, des mœurs, du courage de ces hardis pirates, de ces réfugiés de la Grèce, de la Dalmatie, de l’Albanie, qui sillonnèrent longtemps les flots de l’Archipel sous la conduite d’un chef, généralement de trempe supérieure.