Le Dernier Jour d’un Condamné/Revue de la Critique

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Le Dernier Jour d’un Condamné
Le Dernier Jour d’un condamné, Texte établi par Gustave SimonImprimerie Nationale ; OllendorffRoman, tome I (p. 719-721).


II

REVUE DE LA CRITIQUE.


Le plus grand reproche que la critique ait adressé à Victor Hugo, c’est d’avoir écrit un livre d’une effrayante et atroce vérité, c’est peut-être là le plus grand éloge. Oui, Victor Hugo a voulu inspirer l’épouvante parce qu’il voulait communiquer à ceux qui le lisaient sa haine de la peine de mort. Il a réussi au moins pour l’épouvante ; il a rencontré plus de résistance dans sa propagande pour l’abolition de l’échafaud.

Deux des articles que nous reproduisons sont signés d’initiales ; J. J. étaient les initiales de Jules Janin, N, l’initiale de Nodier. On ne peut s’empêcher de supposer, en lisant l’article de la Quotidienne, que c’est lui qui a inspiré ce spirituel plagiat de la Critique de l’Ecole des femmes que Victor Hugo a intitulé Une Comédie à propos d’une Tragédie. Les expressions les plus significatives du rédacteur de la Quotidienne y sont citées et à peine ridiculisées. Quoi qu’en disent ces deux critiques, devenus par la suite deux admirateurs, Victor Hugo a bien, même pour eux, atteint son but : il a effrayé, mais il a ému.

La Quotidienne.

J. J.

… Ce livre, tout étincelant d’une horrible et atroce vérité, doit mettre à bout le peu d’émotions qui nous restent. Or, ici, le succès ne peut pas justifier un écrivain, le talent ne peut pas le rendre excusable, rien ne peut lui faire pardonner son acharnement à flétrir une âme d’homme, à effleurer la paix d’une nation qui certainement, après ce qu’elle a vu, devrait se croire habituée à l’échafaud, et qui, en lisant le Dernier Jour d’un Condamné, reculera d’épouvante. Figurez-vous une agonie de trois cents pages. Figurez-vous un homme de style et d’imagination et de courage, un poète habitué à jouter avec les plus grandes difficultés de la langue et des passions, se plongeant avec plaisir dans ces longues tortures, interrogeant le pouls de ce misérable, comptant les battements de ses artères, prêtant l’oreille à ce cœur qui se gonfle dans cette poitrine, et ne se retirant de l’échafaud que lorsque sa tête a roulé ! Tout ceci n’est-il pas de l’atroce ? Et puis, ne s’agit-il pas d’un homme de sang ? Que si par hasard vous avez essayé un plaidoyer contre la peine de mort, je vous répondrai qu’un drame ne prouve rien. De grâce ! vous me faites trop peur et trève à tous ces tristes efforts ! Préservez-nous d’une vérité si nue ! Permettez-nous encore de nous sentir hommes quelquefois, c’est-à-dire des êtres assez bien organisés pour être émus par des beautés simples et naturelles, intéressés par une fable riante et jeune, attendris par des récits animés et vivement passionnés.

Voyez ce que vous avez fait : vous êtes allés plus loin que ces modèles en cire, destinés aux amphithéâtres, plus loin que la peinture la plus hardie : votre livre a fait pâlir en même temps le cabinet de M. Dupont et le pinceau de M. Boulanger ! ou bien mettez en tête de votre livre cette épigraphe qui l’expliquera très bien : Ægri somnia.

La Revue des Deux-Mondes.

A. Fontaney.

… À vrai dire, ce n’est pas un roman que le Dernier Jour d’un Condamné. C’est quelque chose de plus haut ; c’est un livre à part, un livre dont on n’avait pas l’idée et qu’on n’imitera point ; c’est une création qui doit demeurer isolée, unique dans l’art. Après cela, si bon vous semble, et comme le veut bien lui-même l’auteur, nommez l’ouvrage un plaidoyer, j’y consens aussi. Au moins celui-là n’est point de ceux qu’on déclame au palais ; il n’y a rien là du procureur général ou de l’avocat. C’est tout simplement le réquisitoire d’un homme de génie contre la peine de mort, ce grand crime de la société, flagrant depuis tant de siècles.

Nouveau Journal de Paris.

Léon Pillet.

… Il y a dans le Dernier Jour d’un Condamné de belles pages, des scènes épouvantablement vraies, d’autres non moins affreuses mais plus attendrissantes, qu’il ne m’a pas été possible de lire sans émotion ; mais à côté de cela, on gémit de retrouver presque à chaque phrase cette malencontreuse manie de pittoresque et cette fâcheuse exagération de sentiment qui viennent, à chaque instant, vous renfoncer les larmes en détruisant toute l’influence de l’illusion.

… Dans l’ouvrage de M. Hugo, les détails abondent ; ce n’est pas un tableau qu’il nous donne, c’est une narration ; le condamné ne se borne pas à penser, il écrit jusque sur l’échafaud, jusque sous le coup fatal. Comment peut-on se prêter à une pareille fiction ? Comment M. Hugo n’a-t-il pas gagné en liberté, combien ne se serait-il pas senti plus à l’aise si, au lieu de continuer un manuscrit qui devait être interrompu depuis longtemps, il se fût borné à faire penser son condamné, à le faire penser tout haut, comme au théâtre.

(L’écrivain reproduit la scène entre la petite fille et le condamné.)

Retranchez de cette scène l’épisode de la lecture de l’arrêt, qui ressemble trop à une combinaison de mélodrame, et c’est un modèle déchirant et pathétique ! Pourquoi M. Victor Hugo n’écrit-il pas toujours de même ? Est-il pittoresque qui approche de cela ?

Journal des Débats.

N.

… Rien de ce que fait M. Hugo n’est indifférent pour notre littérature, soit qu’il fasse mauvais, soit qu’il fasse bon. C’est un homme désormais hors ligne, qui en est venu à ce point de renommée où les critiques témoignent mieux que les éloges de son importance littéraire.

La première chose dont on s’inquiète, quand un livre paraît, c’est de ceci : Pourquoi ce livre ? De notre temps surtout, où tout se pèse par l’utilité, même les plaisirs de l’esprit, cette question est dans toutes les bouches. Aussi quand l’annonce du Condamné a paru dans les journaux, on s’est dit, avant de lire : Que nous veut ce condamné ? Et il y avait lieu, cette fois, à s’intriguer : les apparences étaient si bizarres ! Après avoir lu, beaucoup se demandent encore : Que nous voulait-on ! à quoi bon cette débauche d’imagination, ce long rêve de crime, de sang, d’échafaud ? Et pourtant, l’auteur avait un but : dès les premières pages, il le fait dire et développer par son héros en très belles phrases. Ce but, c’est de faire horreur de la peine de mort. Si l’on ne s’en souvient plus la lecture finie, c’est sans doute qu’il a été manqué.

M. Victor Hugo a fait son livre dans ce noble dessein, je l’en crois sur parole ; et pendant que les avocats battaient en ruine, sur d’autres points, cette vieille cruauté de notre législation, le poète s’est adressé à l’imagination et au cœur, et il a montré tout ce que l’âme d’un homme a de puissance pour souffrir, tout ce qui peut se passer et s’épuiser de douleurs au fond d’un cachot. Cette partie de la question était toute neuve. Elle allait merveilleusement au sombre et énergique talent de Victor Hugo.

… À présent, si je juge ce roman de peu d’utilité pour les condamnés à mort, comme morceau littéraire, j’en admire quelques pages, belles au plus haut degré de poésie et d’éloquence. Quand la vérité s’est rencontrée sous la plume de M. Victor Hugo, elle sort si originale et si bien parée, qu’elle a tout l’air d’une création, et je ne sais si on lui saurait plus de gré d’inventer que de remettre à neuf.

Sa prose, riche et pittoresque comme ses vers, a pourtant le tort d’être un peu tendue, et, chose rare, cette sorte de fatigue qui se fait sentir dans quelques tournures, n’ôte pas à la pensée son abondance naturelle, ni au style son mouvement. C’est presque la faute de l’inspiration qui est venue toute fatiguée et laborieuse.

Ce sont d’admirables pages, à mon gré, que celles où le condamné pense au Roi, qui est seul comme lui dans le monde et qui, d’un mot, peut lui faire grâce ; et celles où, promenant sa lampe autour des murs de son cachot, il lit à cette funèbre lueur les noms de ceux qui ont été là, comme lui, sous les mêmes verrous, nourris et conservés pour l’échafaud ; et celles où il demande pour l’assister dans ses angoisses un jeune prêtre qui ne se soit pas encore vu face à face avec un condamné à mort et n’ait pas réduit en formules sèches et stériles ces paroles consolantes que la religion murmure jusque sous le couteau à l’oreille de l’homicide.