La description géographique des provinces/Livre 3 - 25 à 32

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Edition de E. Groulleau (p. 230-239).


De plusieurs autres coustumes du royaume de Var.
Chapitre     XXV.



Outre coustume y à en ceste province de Var, que tant le Roy que ses subjectz & habitans du pays, soit pour eulx reposer, ou prendre leur refection, s’assient tousjours en terre : & s’il advient qu’on les en repregne, ilz dient & respondent qu’ilz sont nez de la terre, & doibvent retourner en la terre : pour ceste raison veullent honorer la terre. Ilz ne sont aucunement belliqueux ne usitez aux armes : & quand ilz vont a la guerre, ilz ne se couvrent d’aucuns vestemens ou armeures, mais seulement portent sur eulx leurs targes & javelotz. Ilz ne veullent tuer aucunes bestes, mais s’ilz veullent manger de la chair ilz la feront tuer par quelque autre qui ne sera de leur nation. Tant les hommes que les femmes se lavent le corps deux fois par chacun jour, & s’ilz avoient obmis a ce faire, ilz seroient tenuz & reputez pour heretiques. Ilz punissent rigoreusement les larrons & meurdriers. L’usage du vin leur est totalement defendu. Et si quelqu’un se treuve avoir beu du vin, cela verifié on le repute infame, & jamais n’est receu a porter tesmoignage en justice. Semblablement ilz estiment reprochables & indignes se porter tesmoignage ceulx qui se sont adventurez d’aller en navires sur mer : car ilz dient que ce sont gens desesperez, & qu’ilz n’ont l’esperit certain & asseuré.


De quelques autres manieres de faire des habitans du royaume de Var.
Chap.   XXVI.



Le royaume de Var ne produist aucunes bestes chevalines : au moyen dequoy le Roy d’iceluy comme semblablement les autres quatre Roys de la province de Maabar exposent & emploient chacun an gros deniers pour fournir leurs escuyries de chevaulx. Car ordinairement par chacune année ilz acheptent environ dix mil chevaulx qui leur sont admenez par les marchandz & maquignons des provinces de Curmos, Chisi, Durfar, Ser & Edon qui en retirent d’eulx grand proffit & emolument. Oultre que par chacunes années ilz sont contrainctz ou les changer & troquer, ou en achepter d’autres : car en ceste contrée les chevaulx n’y peuvent vivre longuement : on ne scait si cest par l’inclemence de l’air, ou faulte de ceulx qui les traictent qui n’entendent le moyen de leur subvenir s’ilz tumbent malades. Mesme s’il advient qu’aucunes jumens facent leurs poullains en ce pays, ou elles abortivent, ou leur poullain aura les piedz tors, ou quelque autre deffault naturel, qui le rendra inhabille a chevaucher. Joinct qu’en ceste province ne croist aucune espece de bled, fors du riz, qui cause qu’ilz n’ont le moyen d’avoir fourrages, ne de pouvoir nourrir chevaulx : sinon qu’ilz leur presentent de la chair cuitte avec du riz. En cest pays faict merveilleusement chault, pour ceste cause les habitans cheminent en tout temps nudz, & jamais n’y pleut, sinon es moys de Juing, Juillet & Aoust. Mais s’il avoit cessé de pleuvoir en ces trois mois a suffire pour refraischir & temperer l’air, il ne s’y trouveroit aucun homme qui peust y vivre & converser, a cause de la grande & extreme chaleur. On y trouve grande quantité d’oyseaulx, & de diverses sortes, qui sonf par deça incongneuz.


De la ville en laquelle repose le corps de sainct Thomas Apostre.     Chap.   XXVII.



En la province de Maabar qui est en la hault Inde est conservé curieusement le corps de sainct Thomas apostre, qui peu de temps apres la passion de nostre Seigneur Jesuschrist y fut pour le soustenement & publication de la foy martyrisé : le corps duquel repose en une petite ville, en laquelle y à grand nombre de Chrestiens, mesmes des Sarrazins qui observent le corps sainct en grans honneur & reverence : encores qu’en ce lieu peu de marchandz y frequentent, car il y à bien peu de traffiques de marchandises. Les habitans du pays dient que ce sainct Apostre à esté un grand prophete, & l’appellent Avarijam, c’est a dire homme sainct. Et les Chrestiens qui viennent de loingtain pays visiter en pelerinage le corps sainct, emportent avec eulx de la terre, en laquelle on dict le benoist apostre avoir esté occis, & d’icelle font certains breuvages pour les bailler aux malades, qu’ilz croyent par ce moyen venir a convalescence & estre delivrez de leurs infirmitez. Oultre ilz dient qu’en l’an de nostre Seigneur mil deux cens quatre vingtz & sept, advint tel miracle au lieu de sa sepulture : que le gouverneur du païs ayant ceste année recueilly grande quantité de riz, & n’ayans granges & lieux suffisans pour le retirer, print & occupa les maisons & eglise de sainct Thomas, esquelles malgré les ministres conservateurs d’icelles, il en fist serrer & retirer grande quantité. Advint que peu de temps apres ce gouverneur prenant son repos de nuict, s’apparut a luy le benoist Sainct, tenant une fourche fiere en sa main qu’il presentoit contre la gorge du gouverneur le menassant de le faire mourir, luy disant : Si tu ne vuides incontinent & sans delay mes maisons que tu as usurpées & empeschées tu mourras de male mort. Lequel resveillé fist en toute diligence vuider & nettoyer lesdictes maisons, selon l’admonition & advertissement de l’Apostre. Et d’icelle vision les Chrestiens advertiz, en grande joye & solennité rendirent graces a Dieu, & au benoist sainct.


De l’idolatrie des paysans de ce royaume. Chap. XXVIII.



Tous les habitans de la province de Maabar, tant hommes que femmes, sont fort noirs, aussi par moyens artificielz ilz sçavent appliquer ceste couleur noire a leur corps : car la couleur de noir extreme soit en homme ou en femme leur semble extreme beaulté. Pour ceste cause ilz oignent leurs petitz enfans trois fois la sepmaine d’huille de sosime, qui les rend noirs perfaictement : & d’autant qu’un d’entre eulx est le plus noir, il est estimé le plus beau. Aussi les idolatres d’entre eulx peignent leurs images les plus noires qu’il est possible : & dient que les dieux & sainctz sont tous noirs. Et au regard des diables ilz les peignent blancz : affermans que les mauvais esperitz son fort blancz. Et quant a ceulx qui adorent les beufz, s’ilz vont d’adventure a la guerre, ilz porteront sur eulx du poil de quelque beuf sauvage, ou l’attachent aux creins de leurs chevaulx, sur lesquelz ilz seront montez : & les gens de pied les attachent a leurs targues ou a leurs cheveulx, s’asseurant par ce moyen d’estre exemptz de tout peril & danger, car ilz ont le beuf sauvage en grande reverence, croyans qu’en luy y à grande saincteté.


Du royaume de Mursil auquel on trouve les diamantz.     Chap.   XXIX.



Oultre le royaume de Maabar, a distance de soixante ou quatre vingtz lieuës est le royaume de Mursil, qui n’est subject ne tributaire a aucun. Les habitans d’iceluy vivent de laictages, chairs, & riz, & sont idolatres. En aucunes montaignes de ce royaume on trouve des diamantz : car quand il à pleu les paysans viennent aux lieux des ruisseaux & ravines d’eaues qui descendent des montaignes ou ilz recueillent dedans l’arene & sablon grande quantité de diamantz. Mesmes en esté ilz grimpent sur les crouppes & sommetz des montaignes, pour chercher les diamantz qu’ilz trouvent entre les collynes & concavitez des courrances de l’eaue, ce qui ne se faict sans grande difficulté & labeur, tant pour l’extreme chaleur qui les moleste, que pour le danger ou ilz s’exposent a cause des grans serpens qui y repairent en grand nombre. Et quelquefois advient qu’ilz y recueillent grande quantité de diamantz en ceste maniere : Il y à certains aigles blancz qui se retirent & font leurs aires en ces haultes montaignes inaccessibles, & se repaissent des serpens dessusdictz. Et quand les paisans qui sont accoustumez de grimper en ces montaignes, & rechercher les susdictes pierres, rencontrent quelques rochers eminens, qui les empeschent de passer oultre pour parvenir a quelque petite bute ou colline, au fond de laquelle ilz jugent y avoir des diamantz, incontinent prennent une piece de chair fresche & la gettent en cest endroict a la veuë des aigles qui se ruent incontinent dessus & la transportent : ce qui ne se peut faire sans qu’il y ayt quelques diamantz, joinctz & adherens a la chair : ce que les paysans sçavent bien poursuivre : car ilz regardent en quel endroict l’aigle portera la piece de chair, & courent apres tellement qu’ilz luy font lascher la piece, autour de laquelle ilz trouvent les pierres adherentes. OU bien si l’aigle mange sur le lieu la chair ilz adviseront l’endroict de son giste & ou elle se retirera la nuict, puis recherchans dedans sa fiante, trouvent les diamantz, si aucuns elle a mangez avec la chair. Les Roys & Princes de ceste region acheptent pour eulx les plus belles & excellentes pierres : les autres ilz permettent estre transportées par les marchans es pays estranges. Le pays est abondant & fertile de toutes sortes de vivres, mesmement y à des moutons de telle grandeur que je ne pense en tout le monde y en avoir de plus grandz.


Du royaume de Lae.       Chap.   XXX.



En tirant de la province de Maabar vers occident, se presente la province de Lae, en laquelle habitent les Abraiamins, qui sont gens abhorrés sur tout le mentir. Ilz n’espousent qu’une femme. Ilz ont en grande abomination les ravissemens & larrecins. Ilz n’usent de vin ne de chair, & ne tuent jamais beste. Ce sont grandz idolatres, & adonnez aux divinations. Quand ilz veulent achepter quelque chose, ilz regardent premiereement leur umbre au soleil, & lors (selon leur folle superstition) ilz parachevent leur marché. Ilz mangent peu, & font de grandes abstinences. Encores en leurs viandes usent de certain herbe qui est singuliere pour advancer la digestion. Jamais ne se font tirer sang des veines. Entre eulx y a certains idolatres qui en l’honneur & reverence de leurs idoles vivent fort religieusement : ilz cheminent tous nudz, n’ayans aucune partie de leurs corps couverte, dont ilz dient n’avoir honte pource qu’ilz sont sans tache de peché. Ilz adorent les beufz, & en grande ceremonie & reverence frottent leurs corps de certain unguent qu’ilz font de la moelle extraicte des os broyez des beufz. Quand ilz mangent ilz n’ont aucunes escuelles, mais ilz mettent leurs viandes sur des fueilles seiches cueillies de certains arbres qui portent des pommes de paradis, ou sur quelques autres fueilles seiches. Jamais ne mangent sur fueilles freschement cueillies. Semblablement ne mangent d’herbe verde ne fruict recent : car ilz dient que tout cela estant encores en verdure, & vie & une ame, & pour ceste cause ne les veulent tuer & faire mourir : ce qu’ilz estimoient a grand peché & offense s’ilz avoient privé aucune creature de sa vie. Ilz reposent sur la plaine terre : & les corps des trespassez ilz les font brusler.


Du royaume de Coylum.     Chap.   XXXI.



Si en delaissant la province de Maabar on passe oultre, se presentera a distance de deux cens lieuës ou environ le royaume de Coylum, auquel habitent plusieurs Chrestiens, Juifz & Payens indifferemment. Le Roy n’est tributaire ne subject a aucun superieur. Semblablement ont les habitans du pays langage propre & peculier : & y croist le poyvre en grande abondance, car les forestz & campaignes du pays sont pleines de poyvriers, desquelz ilz recueillent le fruict es moys de May, Juin & Juillet. Oultre croist en ce pays une certaine herbe, de laquelle les taincturiers font une couleur qu’ilz appellent Endice, qui est merveilleusement plaisante & aggreable, & se prepare telle herbe en ceste forme : Premierement ilz la font tremper en certains vaisseaux pleins d’eaue, puis l’ayant faict desecher au soleil, la divisent bien menu, & rompent en p)etites pieces, en telle forme qu’elle est a present transportée es pays de deça. Ceste region est tellement molestée de grandes & intolerables chaleurs, qu’a grande difficulté on y peult vivre : mesmes l’eaue des rivieres d’icelle est si chaulde, que lon y peult faire cuire un œuf en petite espace de temps. Toutesfois le pays est fort frequenté de marchans, & s’y faict de grandes traffiques, pour le grand gaing & proffit que les marchans en peuvent retirer a cause des espiceries. Semblablement on y trouve plusieurs & diverses sortes de bestes totalement estranges, & qui en rien ne ressemblent aux autres communes es autres pays : car on y trouve des lyons entierement noirs : des papegays blancz, ayant les piedz & le bec rouges : & des poulles totallement dissemblables aux nostres : laquelle difference & diversité ilz esiment proceder a cause de la chaleur extreme qui est au pays. La ne croist aucun bled fors du riz. Leur boiture en lieu de vin est faicte avec sucres : ilz ont grand nombre d’astrologues & medecins. Ilz vont tous nudz tant hommes que femmes, excepté les parties honteuses qu’ilz couvrent d’un linge : & neantmoins sont oultre mesure adonnez a volupté charnelle, a cause de la grande chaleur du soleil : Ilz sont fort noirs, laidz & difformes, ce que toutesfois ilz reputent a grande beaulté. Ilz prennent en mariage leurs parentes & consanguines au troisiesme degré. Semblablement apres la mort de leur pere espousent la belle mere, & la vefve de leur frere, & ainsi observent communement par toute l’Inde.


De la province de Comary.
Chap.   XXXII.



Comari est une province de l’Inde Orientale : en laquelle on peult encores veoir & descouvrir le pol artique : toutesfois depuis l’isle de Java jusques en ceste province, on ne le veoit aucunement, car toutes les regions qui sont entre deux, sont oultre le cercle equinoctial. Toute ceste province est bocageuse & pleine de forestz. Aussi on y trouve grande quantité de bestes diverses & dissemblables des autres regions : mesmement y a des singes qui representent merveilleusement la figure humaine : oultre y a grande quantité de lyons & leopardz, qui discourent toute la province.