Voyage de Marco Polo/Livre 3/Chapitre 16

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Voyage de Marco Polo, Texte établi par Eugène MüllerDelagrave (p. 278-279).
XVI
Du royaume de Samara.


J’ai été, moi Marco, dans le royaume de Samara avec mes compagnons pendant cinq mois ; mais ce ne fut pas sans beaucoup d’ennui : car nous attendions là que le temps fût propre à naviguer. Les habitants y vivent comme des bêtes, mangeant la chair humaine d’un grand appétit. C’est pourquoi, méprisant leur compagnie, nous nous bâtîmes de petites baraques de bois tout près de la mer, où nous nous tenions sur la défensive contre les insultes de cette canaille. On ne voit dans ce royaume-là ni la Grande ni la Petite Ourse (constellations polaires boréales), comme les astronomes les appellent, tant cette île est éloignée du septentrion. Les habitants sont idolâtres ; ils ont là de fort bons poissons, et en abondance ; mais il n’y croît point du blé. Ils font du pain de riz. Ils n’ont point de vignes non plus, mais ils tirent une boisson de certains arbres de la manière suivante. Il y a en ce pays-là beaucoup d’arbres qui n’ont que quatre branches (sorte de palmiers), lesquels ils coupent dans une certaine saison de l’année et dont il sort une liqueur qu’ils ramassent. Elle coule en si grande abondance que dans un jour et une nuit ils peuvent remplir du flux d’une seule branche une cruche ; après quoi ils en emplissent une autre, jusqu’à ce que la branche ne coule plus, et c’est là leur vendange[1]. Ils ont un moyen de rendre ce flux plus abondant par les arrosements des eaux, qu’ils répandent sur les racines de l’arbre lorsqu’il pleure trop lentement ; mais alors cette liqueur n’est pas si agréable que lorsqu’elle coule naturellement. Ce pays est aussi très abondant en noix d’Inde (cocos).

  1. Chacun a entendu parler du vin de palmier, boisson très agréable et très capiteuse.