Le Dhammapada/XXIII

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Traduction par Fernand Hû.
Ernest Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, XXIp. 77-79).

CHAPITRE XXIII




L’ÉLÉPHANT


320 Les paroles injurieuses ne sauraient avoir plus de prise sur moi, que n’en a sur l’éléphant la flèche lancée par l’arc dans la mêlée. Le commun des mortels est naturellement méchant.

321 L’éléphant dompté, on le mène au combat. L’éléphant dompté, le roi le monte. De même, parmi les hommes, le meilleur est celui qui s’est dompté, qui est insensible aux paroles injurieuses.

322 Supérieurs à tous, quand ils sont domptés, sont ou les mules, ou les nobles coursiers de l’Indus, ou les éléphants aux grandes défenses. Supérieur à tous aussi est l’homme qui s’est dompté lui-même.

323 À l’aide d’aucun de ces animaux, on n’arriverait à la région peu fréquentée où, lorsqu’on s’est dompté soi-même, on arrive par ce seul fait de s’être dompté.

324 L’éléphant a pour nom Dhanapâlaka ; ses tempes ruissellent d’une humeur âcre. Il est difficile à maîtriser ; attaché, il ne mangerait pas une bouchée. C’est après la forêt aux éléphants que l’éléphant soupire.

325 Lorsqu’on est grand mangeur, gras et endormi, lorsqu’on se roule de côté et d’autre, comme un gros porc nourri des restes de l’offrande, on rentre sans cesse à nouveau, insensé que l’on est, dans le sein d’une mère.

326 Auparavant ma pensée vagabonde allait çà et là, où le désir, où l’amour, où le plaisir l’appelaient. Aujourd’hui je la maîtrise complètement, comme le cornac maîtrise l’éléphant en rut.

327 Complaisez-vous dans la vigilance ; veillez sur votre pensée ! Ainsi qu’un éléphant couché dans la boue, arrachez-vous de la voie mauvaise.

328 Si vous rencontrez un compagnon mûri par l’expérience, un sage suivant le même chemin que vous et pratiquant la justice avec fermeté, surmontez tous les obstacles, et marchez à côté de lui, charmé et attentif.

329 Si vous ne rencontrez pas un compagnon mûri par l’expérience, un sage suivant le même chemin que vous et pratiquant la justice, marchez seul, comme un roi vaincu abandonnant son royaume, comme un éléphant solitaire.

330 Mieux vaut vivre seul ; un sot n’est point une société. Qu’on vive seul et qu’on s’abstienne du mal, avec aussi peu de désirs qu’un éléphant solitaire.

331 Lorsque l’occasion s’en présente, c’est un bonheur que des compagnons ; c’est un bonheur que la joie, quelle qu’en soit la cause ; c’est un bonheur que des mérites acquis à l’article de la mort ; c’est un bonheur que le renoncement à toute douleur.

332 C’est un bonheur, en ce monde, que la maternité ; c’est un bonheur aussi que la paternité ; c’est un bonheur, en ce monde, que la condition de Çramana ; c’est un bonheur, en ce monde, que celle de Brâhmana.

333 C’est un bonheur que la pratique de la vertu jusqu’à la vieillesse ; c’est un bonheur qu’une foi solide ; c’est un bonheur que l’acquisition de la Science Parfaite ; c’est un bonheur que l’abstention de toute mauvaise action.