Le Diable à Paris/Série 1/Ce qu’on a dit de Paris

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CE QU’ON A DIT DE PARIS

dans tous les temps et dans tous les pays.

* L’Assemblée des représentants se tiendra dans Lutèce, ville des Parisiens. — Jules César. (53 ans av. J.-C.)

* Paris ne sera jamais pris que si les Parisiens le veulent bien. — Camulogène. (53 av. J. C.)

* On ne peut oublier Paris. — Strabon. (L’an 20 après J.-C.)

* Paris est un bon lieu de séjour. — L’empereur Antonin. (150 ans après J.-C.)

* Paris est une bonne ville ; Le peuple y écoute avec plaisir et comprend très-bien les choses spirituelles : il a de l’imagination et du cœur. Les persécutés sont ses amis. — Saint Denis. (iiie siècle. — Acta sanctorum.)

* C’est à Paris qu’il faut faire des révolutions, quand on veut se rendre maître de la Gaule. — Ammien Marcellin. (ive siècle.)

* Paris comprend tout, pardonne tout, même le ridicule de vivre en philosophe. — L’empereur Julien. (ive siècle.)

* « Bourgeois, je vous dis que vous laissiez vos biens à Paris et ne bougiez de cette ville : par la grâce de Dieu, Paris sera toujours plus sûre que toutes les autres cités. » — Sainte Geneviève. (ve siècle. — Légende dorée.)

* Quand les femmes se mêlent d’être patriotes, Paris n’a rien à craindre. — Attila. (ve siècle.)

* Je veux avoir Paris. — Childéric. (478.)

* Restons à Paris quelque temps ; on s’y repose mieux qu’ailleurs. — Clovis. (498.)

* Paris est à tout le monde et n’est à personne. — (Acte de partage des fils de Clovis. 511.)

* Paris est le grand marché des peuples. — Frédégaire. (viie siècle.)

* Paris élève sa tête entre les autres villes, autant qu’un chêne domine au-dessus des roseaux. L’abbé Abbon. (ixe siècle.)

* Paris, la ville des lettres : on y enseigne tout. — Chronique du ixe siècle.

* Paris la noble et puissante ville. — Guillaume le Breton. (La Philippide. — xiiie siècle.)

* Paris, ville de boue ! — Le roi Philippe-Auguste. (1215.)

* Paris, ville de baguenaudage, de ribaudage et de grande prouesse. Froissard. (1400.)


Flammèche en était là de la lecture des citations fournies par le petit homme, quand celui-ci se glissa dans son cabinet.

« Monseigneur, dit-il, c’est un remords qui m’amène. Il se peut que vous soyez émerveillé de découvrir qu’on parlait de Paris quand il n’existait pas, — ou presque pas, comme vous allez voir qu’on en parle aujourd’hui. J’ai voulu vous prévenir qu’en vertu d’un privilège qui est celui de tout citateur, qu’il s’agisse de science, d’histoire, d’art, ou même de religion, parmi les premières citations que je vous ai données, quelques-unes, bien qu’exactes quant à la lettre, sont peut-être légèrement bistournées quant à leur esprit même. Mais j’ai pensé que le tiroir du diable ne devait pas se priver d’un moyen dont légistes, historiens, théologiens, savants usent tous les jours avec autant de succès que de candeur. Si je ne vous avais pas donné les premiers mots que le passé ait bégayés sur l’enfance de Paris. si je ne les avais pas rendus un peu plus clairs qu’ils ne semblent peut-être dans les originaux, mon travail eût fait pitié à tous mes confrères. Si enfin je ne les avais pas groupés de façon à les approprier à votre livre, on m’eût taxé d’être un maladroit.

« Mais cette confession faite pour le début de mon travail, je puis vous rassurer sur le reste. J’ai poussé jusqu’au scrupule le soin de la vérité aussitôt que, sorti des origines, je n’ai plus eu qu’à choisir, pour vous satisfaire, dans les documents authentiques. Ah ! monseigneur, les origines ! les origines ! que de temps on perd à les inventer ! » Flammèche réfléchit un instant, mais prenant bientôt son parti :

« Ma foi ! dit-il, mon brave homme, je ne vois qu’un moyen de me laver les mains de ce que vous m’apprenez : c’est de consigner vos paroles, ici même. Si pour des ouvrages d’importance le public admet la méthode que vous venez de m’exposer, j’espère qu’il la trouvera bonne aussi pour un livre qui n’a pas mission d’être majestueux.

« Continuons. »


* Paris vaut moins qu’on ne le dit, et pourtant c’est une grande chose que Paris. — Pétrarque (1361.)

Il n’est bon bec que de Paris.
Villon. (xve siècle.)

* En ceste ville, il y ha force preudes femmes et chastes. — Rabelais.

* Paris est une bonne ville pour vivre, mais non pour mourir. Rabelais.

* Les autres villes sont des villes ; Paris est un monde. — Charles-Quint. (1539.)

* Paris est l’enfer des chevaux, le purgatoire des maris, le paradis des femmes. — Charles-Quint.

Tant que Paris ne périra,
Gaîté du monde existera.

Nostradamus. (1555.)

* À Paris, il n’y a écu qui n’y doive dix sols de rente une fois l’année. — Blaise de Montluc. (xvie siècle.)

* Il ne fait jamais mauvais temps pour retourner à Paris. — Adages français. (xvie siècle.)

* Paris, ville ingrate et perfide. — Henri III.

* Paris, tête du royaume, mais tête trop grosse et trop capricieuse. Henri III.

* Paris ! quel nid de coquettes ! — Henri IV.

* Paris vaut bien une messe. — Henri IV.

* Je donnerai quelque jour à Paris un nouveau blason et j’y mettrai des dés, une épée et une cotte de femme. — Henri IV.

* Je ne veux oublier cecy, que je ne me mutine jamais tant contre la France que je ne regarde Paris de bon œil : elle (cette ville) a mon cœur dez mon enfance, et m’en est advenu comme des choses excellentes ; plus j’ay veu, depuis, d’aultres villes belles, plus la beauté de cette cy peult et gaigne sur mon affection : je l’aime par elle mesme, et plus en son estre seul que rechargée de pompe étrangière : je l’aime tendrement jusques à ses verrues et à ses taches. Je ne suis François que par cette grande cité, grande en peuples, grande en félicité de son assiette ; mais surtout grande et incomparable en variété et en diversité de commoditez ; la gloire de la France et l’un des plus nobles ornements du monde. Dieu en chasse loing nos divisions ! Entière et unie, je la treuve défendue de toute aultre violence : je l’advise que de tous les partis, le pire sera celui qui la mettra en discorde ; et ne crainds pour elle qu’elle mesme, et crainds pour elle autant certes que pour aultre pièce de cet Estat. Tant qu’elle durera, je n’auray faulte de retraicte où rendre mes abbois ; suffisante à me faire perdre le regret de toute aultre retraicte. — Montaigne.

Paris est sans comparaison :
Il n’est plaisir dont il n’abonde.
Chacun y trouve sa maison ;
C’est le pays de tout le monde.

Chanson du xviie siècle.

Paris................
Il y vient de tous lieux des gens de toute sorte ;
Et dans toute la France il est fort peu d’endroits
Dont il n’ait le rebut aussi bien que le choix.

P. Corneille.

* Les marchands de Paris dans leurs boutiques raisonnaient des affaires de l’État et étaient infectés de l’amour du bien public qu’ils estimaient plus que leur avantage particulier. (1608.) — Mme de Mortteville.

* À Paris le poste d’homme du public est plus beau et même plus sûr que celui de favori du prince. Vous vous étonnerez peut-être de ce que je dis « plus sûr » à cause de l’instabilité du peuple ; mais il faut avouer que celui de Paris se fixe plus aisément qu’aucun autre. — Le Cardinal de Retz.

paris en 1650.

Un amas confus de maisons ;
Des crottes dans toutes les rues ;
Ponts, églises, palais, prisons,
Boutiques bien ou mal pourvues ;

Force gens noirs, roux et grisons ;
Des prudes, des filles perdues,
Des meurtres et des trahisons,
Des gens de plume aux mains crochues ;

Maint poudré qui n’a pas d’argent,
Maint homme qui craint le sergent,
Maint fanfaron qui toujours tremble ;

Pages, laquais, voleurs de nuit,
Carrosses, chevaux et grand bruit ;
C’est là Paris : que vous en semble ?

scarron.

* Fluctuat, non mergitur (ballottée, jamais coulée) ; devise donnée à la ville de Paris, qui avait, comme on sait, pour blason un navire.

* Mascarille. — Eh bien, mesdames, que dites-vous de Paris ?

Madelon. — Hélas ! qu’en pourrions-nous dire ? Il faudrait être l’antipode de la raison pour ne pas confesser que Paris est le grand bureau des merveilles, le centre du bon goût, du bel esprit et de la galanterie.

Mascarille. — Pour moi, je tiens que, hors Paris, il n’y a point de salut pour les honnêtes gens.

Cathos. — C’est une vérité incontestable.

Mascarille. — Il y fait un peu crotté ; mais nous avons la chaise. — Molière, les Précieuses ridicules (1659).

Le bois le plus funeste et le moins fréquenté
Est, auprès de Paris, un lieu de sûreté.

Boileau.

* M. de Pourceaugnac. — Ah ! je suis assommé ! Quelle maudite ville ! assassiné de tous côtés.

Sbrigani. — Qu’est-ce, monsieur ? est-il encore arrivé quelque chose ?

M. de Pourceaugnac. — Oui, il pleut en ce pays des femmes et des lavements. — Molière. (1669.)

* On ne voit à Paris que travail et qu’industrie. Où est donc ce peuple efféminé dont tu parles tant ? — Montesquieu.

* Paris est le siège de l’empire de l’Europe. — Montesquieu.

* À Paris règnent la liberté et l’égalité. La naissance, la vertu, le mérite même de la guerre, quelque brillant qu’il soit, ne sauvent pas un homme de la foule dans laquelle il est confondu. — Montesquieu.

* On ne s’amuse qu’à Paris. — Le maréchal de Saxe.

* Paris !.. Une ville où il faut promener la moitié du temps son corps dans une voiture et où l’âme est toujours hors de chez elle. — Voltaire.

* On aperçut enfin les côtes de France.

« Avez-vous jamais été en France, monsieur Martin ? dit Candide.

— Oui, dit Martin, j’ai parcouru plusieurs provinces. Il y en a où la moitié des habitants est folle, quelques-unes où l’on est trop rusé, d’autres où l’on est communément assez doux et assez bête, d’autres où l’on fait le bel esprit ; et, dans toutes, la principale occupation est l’amour ; la seconde, de médire ; et la troisième, de dire des sottises. — Mais, monsieur Martin, avez-vous vu Paris ? — Oui, j’ai vu Paris ; il tient de toutes ces espèces-là ; c’est un chaos, c’est une presse dans laquelle tout le monde cherche le plaisir, et où presque personne ne le trouve, du moins à ce qu’il m’a paru. J’y ai séjourné peu : j’y fus volé, en arrivant, de tout ce que j’avais, par des filous ; on me prit moi-même pour un voleur, et je fus huit jours en prison, après quoi je me fis correcteur d’imprimerie pour gagner de quoi retourner à pied en Hollande… On dit qu’il y a des gens fort polis dans cette ville-là : je le veux croire. »

Voltaire. (Candide.)

* Paris est une basse-cour composée de coqs d’Inde qui font la roue et de perroquets qui répètent des paroles sans les entendre. — Voltaire.

* Un Anglais pense tout haut, un Français ose à peine laisser soupçonner ses idées. En revanche les auteurs français se dédommageaient de la hardiesse qui était interdite à leurs ouvrages, en traitant supérieurement les matières de goût et tout ce qui est du ressort des belles-lettres ; égalant par la politesse, les grâces et la légèreté, tout ce que le temps nous a conservé de plus précieux des écrits de l’antiquité. — Frédéric Le Grand.

* Paris est un désert d’hommes ! — J.-J. Rousseau.

* Il est inconcevable que, dans ce siècle de calculateurs, il n’y ait pas un Français qui sache voir que la France serait beaucoup plus puissante si Paris était anéanti. — J.-J.-Rousseau.

* Quand j’entends un Français et un Anglais, tout fiers de la grandeur de leurs capitales, disputer entre eux lequel de Paris ou de Londres contient le plus d’habitants, c’est pour moi comme s’ils disputaient ensemble lequel des deux peuples a l’honneur d’être le plus mal gouverné. — J.-J. Rousseau.

* On peut regarder Paris comme le centre de l’incontinence de la France, et même comme le mauvais lieu de l’Europe. — Rétif de la Bretonne. (1775.)

* Paris, singulier pays, où il faut trente sous pour dîner, quatre francs pour prendre l’air, cent louis pour avoir le superflu dans le nécessaire, et quatre cents louis pour n’avoir que le nécessaire dans le superflu. — Chamfort.

* C’est à Paris que les ambitions, les préjugés, les haines et les tyrannies des provinces viennent se perdre et s’anéantir. Là, il est permis de vivre obscur et libre. Là, il est permis d’être pauvre, sans être méprisé. L’homme affligé y est distrait par la gaieté publique, et le faible s’y sent fortifié des forces de la multitude. — Bernardin de Saint-Pierre.

* À Paris, la Providence est plus grande qu’ailleurs. — Rivarol.

* À Paris, on trouve tout. — Mercier.

* Paris est l’alambic de la France. — Le prince de Ligne.

* Viens à Paris ; rien ne vaut ce séjour où les sciences, les arts, les grands hommes, les ressources de toute espèce pour l’esprit se réunissent à l’envi. — Mme  Roland.

* Paris n’est pas, ainsi que les autres, une ville qui appartienne en propre à ses habitants ; Paris est plutôt la patrie commune, la mère-patrie de tous les Français. — Camille Desmoulins.

* La France est dans Paris. — Danton.

* Dans les batailles, dans les plus grands périls, sur les mers, au milieu même des déserts, j’ai eu toujours en vue l’opinion de cette grande capitale de l’Europe. — Napoléon. (16 décembre 1804.)

* Il n’y a pas d’art humain pour gouverner Paris, car c’est le Diable qui le mène. — Joseph de Maistre.

* Paris s’occupe davantage d’une comédie nouvelle que de dix batailles gagnées ou perdues. — Savary, duc de Rovigo. (1810.)

* Paris est le lieu du monde où l’on peut le mieux se passer de bonheur. C’est sous ce rapport qu’il convient si bien à la pauvre espèce humaine. — Mme  de Staël.

* Mme  de Staël demeurait rue de Grenelle Saint-Germain, près de la rue du Bac, lorsqu’elle fut exilée (à la fin de 1803). Forcée de quitter Paris, elle se dirigea aussitôt vers l’Allemagne. La mort de son père la ramena subitement à Coppet… En 1805, s’occupant d’écrire son roman-poëme (Corinne), Mme  de Staël ne put demeurer plus longtemps à distance de ce centre unique de Paris où elle avait brillé, et en vue duquel elle aspirait à la gloire. C’est alors que se manifeste en elle cette inquiétude croissante, ce mal de la capitale, qui ôte sans doute un peu à la dignité de son exil, mais qui trahit du moins la sincérité passionnée de tous ses mouvements. Un ordre de police la rejetait à quarante lieues de Paris ; instinctivement, opiniâtrement, comme le noble coursier au piquet qui tend en tous sens son attache, comme la mouche abusée qui se brise sans cesse à tous les points de la vitre en bourdonnant, elle arrivait à cette fatale limite, à Auxerre, à Châlons, à Blois, Saumur. Sur cette circonférence qu’elle décrit et qu’elle essaye d’entamer, sa marche inégale devient une stratégie savante ; c’est comme une partie d’échecs qu’elle joue contre le gouvernement représenté par quelque préfet plus ou moins rigoriste. Quand elle peut s’établir à Rouen, la voilà dans le premier instant qui triomphe, car elle a gagné quelques lieues sur le rayon géométrique. Mais ces villes de province offraient peu de ressources à un esprit si actif, si jaloux de l’accent et des paroles de la pure Athènes. Voyageant plus tard en Allemagne, elle disait : « Tout ce que je vois ici est meilleur, plus instruit, plus éclairé peut-être que la France, mais un petit morceau de France ferait bien mieux mon affaire. » Enfin il y eut moyen de s’établir à dix-huit lieues de Paris (quelle conquête !), à Acosta. « Oh ! le ruisseau de la rue du Bac ! » s’écriait-elle quand on lui montrait le miroir du Léman. À Acosta, comme à Coppet, elle disait ainsi ; elle tendait plus que jamais les mains vers cette rive si prochaine. Se promenant un jour avec les deux Schlegel, et M. Fauriel, celui-ci, qui lui donnait le bras, se mit involontairement à admirer un point de vue : « Ah ! mon cher Fauriel, dit-elle, vous en êtes donc encore au préjugé de la campagne. » Et sentant aussitôt qu’elle disait quelque chose d’extraordinaire, elle sourit pour corriger cela. L’année 1806 lui sembla trop longue pour que son imagination tînt à un pareil supplice, et elle arriva à Paris un soir, n’amenant ou ne prévenant qu’un très-petit nombre d’amis. Elle se promenait chaque soir et une partie de la nuit à la clarté de la lune, n’osant sortir de jour. Des indiscrétions firent que Fouché fut averti. Il fallut vite partir, et ne plus se risquer désormais à ces promenades le long des quais, du ruisseau favori et autour de cette place Louis XV si familière à Delphine. —

Sainte-Beuve.

* Les provinces ont un caractère si servile qu’elles se croient honorées quand on leur enlève quelque artiste ou quelque monument pour orner Paris, qui les persifle. — Fourier.

* Paris ressemble au duc de Vendôme : épicurien, cynique, paresseux, se levant à midi, mais pour aller vaincre. — Benjamin Constant.

* Cher Paris ! il est encore, à tout prendre, ce qu’il y a de mieux dans cette Europe si corrompue. Sans doute il renferme beaucoup de mal, mais le mal y est moins mauvais qu’ailleurs, et c’est beaucoup. —

Lamennais.

* Paris n’a pas de politique, mais des coups de tête qui sont des coups de maître. — Armand Carrel.

* Hors de Paris, penseurs et poëtes mènent une misérable vie d’isolement… Imaginez-vous, au contraire, une ville comme Paris, où les hommes les plus remarquables d’une grande nation, réunis sur un seul point, sont en rapport journalier, où les luttes et l’émulation amènent la réciprocité des lumières et des progrès ; une ville où ce qu’il y a de plus parfait dans tous les règnes de la nature, dans les arts de l’univers entier, est chaque jour offert en spectacle au public ; représentez-vous cette métropole du monde, où chaque pas que l’on fait sur un pont, sur une place publique, rappelle quelque grand événement du passé ; où chaque coin de rue a servi de théâtre à quelque épisode historique. Et, pour compléter cet ensemble, faites surgir devant vos yeux non pas le Paris d’une époque de ténébreux obscurantisme, mais bien le Paris du xixe siècle, dans lequel, depuis trois générations d’hommes, et grâce à des hommes de génie, une telle abondance d’idées a été mise en circulation que, sur la surface du globe, on n’en saurait trouver autant sur un seul point, et vous comprendrez ce qu’il y a là d’esprit infus, de force d’impulsion pour aider le talent à se déployer et à prendre son essor. — Goethe.

Ris et chante, chante et ris ;
Prends tes gants et cours le monde ;
Mais la bourse vide ou ronde,
Reviens dans ton Paris.

Béranger.

* Notre beau pays a un immense avantage : il est un. Trente-quatre millions d’hommes, sur un sol d’une moyenne étendue, y vivent d’une même vie, y sentent, y pensent, y disent la même chose presque au même instant. Il n’a cet avantage qu’à la condition d’un centre unique d’où part l’impulsion commune et qui meut tout l’ensemble. C’est Paris, qui parle par la presse, qui commande par le télégraphe ; frappez ce centre, et la France est comme un homme frappé à la tête. (1840.) —

A. Thiers.

* Paris est une république. L’homme qui a de quoi vivre et qui ne demande rien n’y rencontre jamais le gouvernement. — Stendhal. (1833.)

* À Paris il y a moins d’envie que dans les provinces ; quelque bonne disposition que l’on ait, on ne peut pas haïr un inconnu. —

Stendhal.

* Pauvre provincial qui avez quitté vos champs, votre ciel, votre maison et votre famille, pour venir vous enfermer dans ce cachot de l’esprit et du cœur, voyez Paris, ce beau Paris, que vous aviez rêvé si merveilleux ! voyez-le s’étendre là-bas, noir de boue et de pluie, bruyant, infect et rapide comme un torrent de fange ! — George Sand.

C’était un débauché de la ville du monde
Où le libertinage est à meilleur marché,
De la plus vieille en vice et de la plus féconde ;
Je veux dire Paris.

A. de Musset.
APRÈS UNE REPRÉSENTATION DU MISANTHROPE.

Quel grand et vrai savoir des choses de ce monde !
Quelle mâle gaîté, si triste et si profonde !
..................
S’il rentrait aujourd’hui dans Paris, la grand’ville,
Il (Alceste) y trouverait mieux pour émouvoir sa bile
Qu’une méchante femme et qu’un méchant sonnet ;
Nous avons autre chose à mettre au cabinet.

Alfred de Musset. (1840.)

* Il n’y a pas d’endroit sous le ciel où l’on s’occupe autant de son voisin qu’à Paris. — Alfred de Musset.

* Paris a d’inexplicables caprices de laideur et de beauté. — Balzac.

* Paris n’est pas la demeure de l’ennui ; si parfois on l’y rencontre vous pouvez en accuser une négligence de l’octroi. — L. Jan.

* À Paris, dans cette ville d’élégance perfectionnée et de luxe merveilleux, il n’y a que deux saisons : celle où la boue est involontaire, c’est la mauvaise saison ; celle où la boue est volontaire, c’est la belle saison, le temps des arrosages. — Mme  de Girardin.

* En fait de commérage, il n’existe pas dans tout l’univers une ville qui soit plus petite ville que Paris. Rome n’est rien en comparaison, c’est une petite ville simple, tandis que Paris est une collection de petites villes qui luttent entre elles d’imagination et de curiosité. À Paris, les commérages se compliquent et se multiplient à l’infini ; on devine ce que peut produire l’esprit de rivalité appliqué au commérage. Chaque quartier a la prétention de connaître l’aventure du jour mieux que tous les autres quartiers, et chaque narrateur, pour prouver qu’il en sait plus que personne, ajoute au récit qui court un détail nouveau de son invention. L’histoire ainsi défigurée fait son chemin sans obstacle. Le contrôle est impossible dans un si vaste empire. Le mensonge circule librement, protégé par l’immensité. — Mme  de Girardin.

* La passion du luxe qui s’est manifestée depuis quelque temps à Paris est précisément la passion des gens qui n’ont point de fortune. N’est-ce pas un des effets bizarres de l’esprit de contradiction, qu’on ne sente le désir d’avoir le superflu que lorsqu’on manque du nécessaire ? À Paris, les millionnaires sont fort tristes : une seule chose les fait rire, c’est la prodigalité des pauvres diables. Ici, moins on possède et plus on dépense. Avec deux mille livres de rente on mange vingt mille francs par an. On fait le contraire en province : avec vingt mille livres de rente on mange deux mille francs par an. — Mme  de Girardin.

* Paris, à force d’être l’Eldorado, est un gouffre où chacun se précipite tout comme on se précipitait dans la rue Quincampoix, au bon temps du système de Law. — Jules Janin.

* L’homme de génie, à Paris, c’est celui auquel le plus de gens ressemblent. — Désiré Nisard.

* À Paris, nous sommes bien toujours la société qui croit à ce qui l’amuse, et qui s’amuse surtout de sa propre diffamation. Nous aimons mieux notre caricature que notre portrait. — Cuvillier-Fleury.

* Paris est l’échanson universel : il goûte et essaye les us et les idées, A. Karr.

* À Paris, c’est le mot qu’on ne dit pas qui est le mot dangereux.
Théophile Gautier.

* Paris est à proprement dire toute la France ; celle-ci n’est que la grande banlieue de Paris. — Henri Heine.

* L’amour pour Paris est pour beaucoup dans le patriotisme des Français, et si Danton ne prit pas la fuite, « parce qu’on ne peut emporter la patrie aux semelles de ses souliers, » cela voulait dire qu’on ne trouve pas à l’étranger l’équivalent de Paris. — Henri Heine.

* Quand Paris prend du tabac, toute la France éternue. — Gogol.

* Qui n’a pas passé une soirée à Paris n’a pas vécu. — Louis Blanc.

* Paris est d’absolue nécessité ; une Europe où Paris manquerait serait fragile et ne tiendrait pas. — Varnhagen d’Ense.

* À Paris, en vieillissant, le bon devient meilleur. — Alex. Dumas.

* De tous les livres qu’ait encore écrits la main de l’homme, Paris est le plus intéressant. — A. Esquiros.

* Paris n’est pas un pays, mais le résumé du pays. — Michelet.

* Qui dit Paris dit la monarchie tout entière ; il en est le grand et complet symbole. — Michelet.

PARIS
opinion d’un vieux gentilhomme de province.

Ah ! ce n’est plus Paris, la belle capitale,
Éblouissant les yeux du luxe qu’elle étale,
Où les arts, apportant leurs chefs-d’œuvre divers,
Se donnaient rendez-vous des bouts de l’univers.
— Les magasins sont clos ; plus d’art, plus de négoce ;
C’est un événement que le bruit d’un carrosse ;
Chacun craint son voisin et reste en sa maison ;
On rêve en s’endormant qu’on s’éveille en prison ;
Tout se tait ; les passants glissent comme des ombres ;
Quelquefois seulement on entend des bruits sombres….
L’avenir ne promet que de pires fureurs.

F. Ponsard.

* Paris ne sait plus rien apprécier avec le regard d’une raison indépendante et moqueuse. Nous ne rions maintenant ni des autres ni de nous : en perdant notre esprit, nous avons perdu notre liberté. — Proudhon.

Paris a le calme et l’orage,
Le bien au mal entrelacé :
C’est un gouffre pour l’insensé,
C’est une oasis pour le sage.

Cte  de Gramont.

« Ô Athènes, c’est pour toi que je combats, » disait Alexandre. À combien plus forte raison le surnuméraire de la gloire le dirait-il aujourd’hui de Paris ! — E. Pelletan.

* La Rome de Néron… une ville comme Paris de nos jours, artificielle, bâtie par ordre, où l’on a visé surtout à obtenir l’admiration des provinciaux. — E. Renan.

* L’embryon fait l’homme : il le construit molécule à molécule par l’évolution continue de l’idée qui est en lui. C’est ainsi que Paris a fait la France. — M. Berthelot.

* Paris ! formidable auberge ! — L. Veuillot (1866).

* Paris n’est et ne sera jamais que la grande auberge de l’Europe. Barrère (1790).

Être peu dans Paris, c’est n’être rien du tout,
Et, sans un piédestal, nul n’y semble debout.

Émile Augier

* S’amuser est un mot français et n’a de sens qu’à Paris. — H. Taine.

* La Province et Paris ! un escargot traîné par un papillon. — H. Taine.

* On dit vulgairement que Paris n’a pas été fait en un jour. Nous le voyons bien aujourd’hui, puisque voilà quinze ans qu’on est occupé à le refaire, et que les maçons n’ont pas mis encore le bouquet sur l’édifice. — Auguste Villemot.

* Combien sont venus tenter la gloire à Paris qui sont repartis en disant : « Il est trop difficile d’être Parisien ! » — Alex. Dumas fils.

* Ô Paris, tu es facile à l’homme qui débute, terrible à l’homme qui a réussi. On dirait, Dieu me pardonne ! que tu prends de la jalousie contre ceux qui t’ont forcé à l’admiration et que tu te venges sur eux de tout le plaisir qu’ils t’ont donné. — Edmond About.

* Un riche impertinent est ridicule, à Paris. — A. Morel.

* Paris trouve un mot pour chaque idée. — A. Morel.

* C’est comme une noblesse d’être né Parisien ou de l’être devenu.
A. Morel

* À Paris, il est difficile de placer son cœur et de garder son argent.

Nestor Roqueplan.

* Paris n’est plus une ville, c’est une gare. — V. Sardou.

* À Paris souvent le ménage, tel que le produit le nouveau train de la vie mondaine, est une espèce de raison sociale où le mari représente la recette et la femme la dépense. Ils ne se rencontrent guère plus que ne ferait une calèche lancée à grandes guides côtoyant une locomotive emportée par un train express. — Paul de Saint-Victor.

* À Paris, lorsqu’un homme possède une femme, il n’a plus qu’une idée : c’est de la quitter pour en choisir une autre. — Henri Rochefort.

* Paris est la capitale des sept péchés capitaux. — Siebecker.

* Ce qui pousse les étrangers, les jeunes surtout, vers Paris, c’est — qu’ils s’en rendent compte ou non, — le secret désir d’y découvrir enfin le vrai mot de l’énigme humaine. Paris ne le donne pas plus que toute autre ville ; mais ne l’ayant pas trouvé là, on ne le cherche plus ailleurs, et l’on se laisse aller au scepticisme, à l’indifférence, à la résignation. Cette résignation, muette et comme honteuse d’elle-même, tout Parisien, — le plus évaporé aussi bien que le plus important, — la porte cachée au fond de son être, et elle en dit plus à qui sait entendre que les déclamations chagrines ou violentes des misanthropes. — Tourgueneff.

* Sois trois fois maudit, Paris, repaire immonde, où les amis se déchirent, où les ennemis s’embrassent, où l’on peut voir assis et dînant à la même table les insulteurs et les insultés de la veille ! — Jules Sandeau.

* Il faut vous avouer que ce beau Paris n’est pas parfait, et que je découvre peu à peu des taches dans ce soleil. Paris est un lieu admirable, c’est dommage seulement qu’il y ait des habitants : non qu’ils ne soient pas aimables, ils le sont trop ; mais ils sont aussi trop distraits, et, autant que je puis le croire, ils vivent et meurent sans penser à ce qu’ils font. Ce n’est pas leur faute, ils n’en ont pas le temps. Ils sont, sans sortir de Paris, des voyageurs éternels, incessamment dissipés par le mouvement et la curiosité. Les autres voyageurs, quand ils ont visité quelque coin intéressant du monde et oublié pendant un mois ou deux leur maison, leur famille, leur foyer, rentrent chez eux et s’y assoient ; les Parisiens, jamais. Leur vie est un voyage. Ils n’ont pas de foyer. Tout ce qui est ailleurs le principal de la vie y devient secondaire. On y a, comme partout, son domicile, son intérieur, sa chambre : il le faut bien. On y est, comme partout, époux et père, épouse et mère, il le faut bien encore, mais tout cela aussi peu que possible. L’intérêt n’est pas là ; il est dans la rue, dans les musées, dans les salons, dans les théâtres, dans les cercles, dans cette immense vie extérieure qui sous toutes les formes s’agite jour et nuit à Paris, vous attire, vous excite, vous prend votre temps, votre esprit, votre âme, et dévore tout. C’est le meilleur lieu du monde pour y passer, et le pire pour y vivre. — Octave Feuillet.

* Il y a quelques jours, j’accompagnais aux buttes Chaumont un homme d’État illustre, dont j’ai l’honneur d’être l’ami, M. Gladstone. Devant ce grand spectacle de Paris étendu sous nos yeux, il fit cette observation tout anglaise : « Il n’y a pas assez de fumée. » Cela choquait ses idées d’homme pratique, de ne pas voir plus de fabriques, ses idées d’homme qui ne comprendrait pas Londres sans le bruit des machines et les panaches de fumée des usines. — Jules Simon.

* On compare Paris à Londres. Chaque ville a ses destinées, ses besoins, son caractère. Suivez les bords de la Tamise : vous voyez sur ses deux rives des magasins et des manufactures. Suivez les quais de la Seine : vous voyez que Paris est la ville des arts. Non, Paris ne doit pas être une ville manufacturière, Paris doit être le grand centre de consommation des produits manufacturés du reste du pays. Le pays produit, Paris consomme. — Mis d’Havrincourt.

* Chamfort disait : « J’ai connu une femme qui m’a gâté toutes les autres. » Paris est la ville qui gâte toutes les autres. À Londres, à Berlin, à Vienne, à Rome même, la ville aux parfums, on regrette Paris. Les odeurs de Paris n’ont empêché personne d’y revenir.

* Londres écrase. Paris dilate. Les poitrinaires de l’esprit y guérissent.

* Vous vous plaignez de Paris ? — Quittez-le. Vous y reviendrez, et bien content.

* Le vrai Parisien, hors de Paris, c’est le poisson hors de l’eau. Et n’en riez pas, c’est la gloire de Paris que, loin de lui, la vie soit impossible à quiconque l’a connu.

* Paris ne peut faire d’ingrats que parmi les sots ou les culs-de-jatte : ceux que l’esprit ou ceux que le mouvement gêne

* Les jours de révolution, c’est Paris qui a le mal et c’est la province qui fait les soupirs.

* Paris est si fort qu’après l’avoir pris, l’Europe coalisée n’a même pas pensé à le garder.

* Ce qui fait la force indestructible de Paris, c’est qu’il est et sera toujours plein de gens intelligents qui aiment mieux y mourir de faim que d’aller vivre en paix dans le plus beau lieu du monde.

* Paris est le jeune-premier de l’Europe. Les femmes le savent bien. Ce n’est qu’à Paris qu’il fait tout à fait bon d’être belle.

* Paris porte bien ses défauts et fait bon marché de ses qualités. C’est la ville la moins gourmée, la moins empesée, la moins amidonnée de l’Europe. Paris a assez d’esprit pour être tout, même bête, même fat sans être sot. La fatuité de Paris, quand Paris a la lubie d’être fat, n’est jamais longue, et ne monte pas jusqu’à la morgue. C’est la qualité de Paris d’avoir un si bon caractère, qu’il peut rire d’autrui aussi bien que de lui-même sans se fâcher. Il est tout juste assez content de lui, pour n’être jamais tout à fait mécontent des autres.

* Quand Paris prend le galop, l’Europe se met au trot. L’Europe ne rattrape Paris que quand Paris s’arrête, ou recule. Mais sitôt que Paris se voit rattrapé, Paris, repart. C’est pourquoi l’Europe s’est toujours défiée de la France endormie. — P.-J. Stahl.

* Paris dort comme tout le monde, mais il se réveille toujours à l’heure et n’est jamais en retard pour dire le mot qui est l’avance du progrès. Paris, soldat téméraire, quand il le faut, vous dira très-bien un beau jour : « La guerre, c’est trop bête. Le progrès n’est plus là ! »

* Il ne faut pas éveiller le chat qui dort. C’est le fond de la politique de tous les gouvernements à l’égard de Paris. Heureusement Paris ne dort jamais que d’un œil.

* En France toutes les villes pensent de même. La campagne ignorante retarde seule sur Paris. Grâce aux chemins de fer, qui mettent du soir au matin Paris dans les départements et les départements dans Paris, par l’échange des journaux, des idées et des personnes, par l’émulation des goûts, des curiosités, des manies, et même des ridicules si vous voulez ; grâce au télégraphe, qui rend la même pensée, la même lubie électrique et instantanée, sur toute la surface du territoire, l’antagonisme de Paris et des autres villes de France n’existe plus. Vous habitez Lille, Strasbourg, Nice, Marseille, Lyon, Bordeaux, Nantes, Cherbourg, le Havre, Dunkerque, Pontoise ou Carpentras, etc., vous êtes des Parisiens, car vous vivez de l’air de Paris.

* La province fournit tout à Paris : le pain, le vin, les fruits, les légumes, les poissons, les beefsteaks, les côtelettes, le gibier, la volaille, la houille, les métaux, le bois, ses grands hommes, toutes les matières premières. Paris ne donne en échange de tout cela à la province, qu’une chose : « l’éclairage ; » et c’est assez pour que des deux parts on soit quitte.

* La province rejette sur Paris quelqu’un dont elle ne savait que faire, un homme singulier, embarrassant, qui ne pouvait être ni notaire, ni avoué, ni marchand. Paris lui apprend que « ce bon à rien » était un homme de génie et le lui rend célèbre. Voilà comment la province fournit ses grands hommes à Paris.

* L’Europe même ne croit à ses gloires que quand Paris les a signées et paraphées. — P.-J. Stahl.

* La province se console de n’être pas Paris en se laissant dire qu’elle lui fournit tous ses grands hommes. On la trompe. À l’heure qu’il est, on peut compter sur les registres de l’État civil de Paris trois cent vingt huit hommes célèbres à divers degrés, contrôlés par Vapereau, en attendant le jugement probablement plus sévère de la postérité : 67 peintres, 50 hommes de lettres, 36 auteurs dramatiques, 32 savants, 28 hommes politiques, 12 officiers généraux, 3 voyageurs, 4 avocats, 5 architectes, 12 musiciens, 15 sculpteurs, 6 journalistes, 4 graveurs, 12 industriels, 1 empereur, 1 cardinal, 1 pasteur, 31 artistes dramatiques, et 8 médecins. N’est-ce pas une réponse victorieuse à cet administrateur de Paris né à Paris, qui prétend qu’il n’y a pas de Parisiens ?

Jules Verne.

* Dans l’état actuel des choses, prêcher des croisades contre Paris, c’est tout simplement conspirer contre la vie nationale, je parle de la vie de l’intelligence, puisqu’elle s’est concentrée là et qu’on l’attaque dans sa place de refuge. — Jean Macé.

* Londres me semble inférieur à Paris sous plusieurs rapports. La grandeur même, quand elle est comme illimitée, nuit à la beauté. — Lacordaire.

* Paris est la seule ville du monde où la royauté appartienne à l’esprit. L’esprit y court les rues. Les titis en ont plein leurs poches. Les femmes de la halle l’emploient pour enguirlander leurs discours en guise de persil, et ne le font pas payer. — Toussenel.

* Là où l’esprit est roi la femme est reine, et seule distribue les couronnes. Toutes les femmes voudraient venir à Paris, si elles étaient maîtresses de leurs destinées. — Toussenel.

* Avez-vous été exilé de Paris ? vous a-t-on ôté Paris ? vous l’a-t-on arraché ? Non. Eh bien, vous ne savez pas ce que vaut Paris ! Il n’est que la force, ou que la conscience du plus dur devoir qui puisse retenir un vrai Parisien loin de Paris. Ah que l’on aime Paris, sitôt qu’on l’a perdu !

Qui est-ce qui a le plus magnifiquement, le plus profondément, le plus tendrement, le plus amoureusement dit, chanté, célébré, pénétré Paris ? C’est un exilé, un homme qui, depuis dix-sept ans, n’y a pas mis les pieds, mais de qui évidemment la pensée n’en a pas été absente un seul jour. Prenons au hasard quelques lignes, quelques traits épars, dans l’éblouissant tableau de Paris que Victor Hugo vient de publier dans Paris-Guide :

« Qui regarde Paris a le vertige. Rien de plus fantasque, rien de plus tragique, rien de plus superbe. — Paris est le semeur. — La fonction de Paris, c’est la dispersion de l’idée. — Paris travaille pour la communauté terrestre. — Paris est le condensateur. — Le mouvement est français, l’impulsion est parisienne. — Le magnifique incendie du progrès, c’est Paris qui l’attise. — Paris a sur la terre une influence de centre nerveux ; s’il tressaille, on frissonne. — Paris est l’enclume des renommées. — Bien des choses seraient ou voudraient être ; mais le rire de Paris est un obstacle. — La gaieté de Paris est efficace.

« Vouloir toujours, c’est le fort de Paris. Vous croyez qu’il dort, non, il veut. La volonté de Paris est en permanence. C’est là ce dont ne se doutent pas assez les gouvernements de transition. Paris est toujours à l’état de préméditation. Il a une patience d’astre mûrissant lentement un fruit. Les nuages passent sur sa fixité ; un beau jour, c’est fait. Paris décrète un événement : la France, brusquement mise en demeure, obéit.

« Paris n’est pas une ville, c’est un gouvernement. — Qui que tu sois, voici ton maître. » — Victor Hugo.

* L’âme de l’auteur de Notre-Dame de Paris, le Paris ancien, et des Misérables, le Paris d’hier, n’a jamais quitté Paris. Paris s’en doutait.

P.-J. Stahl.

« Monsieur, dit Baptiste, je conviens qu’il y a, par-ci par-là, dans le paquet du petit homme des choses qui étonnent, mais si à présent, pour nous distraire, nous lisions quelques histoires ! Dans les histoires, les auteurs mettent tout de même des réflexions, de ça on ne peut pas les empêcher, mais ça passe mieux avec le reste. Voyez-vous, les idées des auteurs, quand c’est à part, je n’aime pas beaucoup ça ! Il faut presque travailler pour les comprendre, et les vrais livres ne doivent être que pour amuser, bien certainement.

— Un bon maître doit toujours obéir à son domestique : Je serais désolé de vous contrarier, monsieur Baptiste, dit Flammèche. Voyons donc ce que vous avez à m’offrir en fait d’histoires, et cætera.

— Nous ne manquons de rien, dit Baptiste : tenez, voilà d’abord les Drames invisibles de Frédéric Soulié. Les drames invisibles, c’est toujours ceux-là qu’on a envie de connaître, n’est-ce pas, monsieur ? L’homme est curieux de ce qu’on lui cache, le titre déjà est donc bien trouvé. M. Soulié, qui a fait les Mémoires du Diable, que monsieur devrait bien connaître, doit avoir fait sous ce titre-là quelque chose qui mérite d’être lu, bien sûr. Et puis voilà les Billes d’agate de M. Eugène Sue, l’auteur des Mystères de Paris, un auteur étonnant, monsieur ! et puis les Amours d’un Pierrot, et une chose qui s’intitule Appartement de garçon à louer. Mais ces deux-là, c’est de celui dont nous venons de lire les Passants, ce serait trop tôt du même. Monsieur préférerait peut-être : Paris marié, philosophie de la Vie conjugale, de M. de Balzac. M. de Balzac a fait bien du tort aux maris, en faisant tourner la tête à leurs femmes, à ce que m’a dit un de mes anciens maîtres, qui n’était pas garçon comme monsieur. Aimez-vous mieux quelque chose de M. Jules Sandeau, ou de M. Octave Feuillet, ou de Charles Nodier, ou de George Sand ? Monsieur ne se fâchera pas d’apprendre que cet écrivain-là c’est une dame : les femmes de génie, il n’y en a pas par douzaines. MM. Gautier, Méry, Gustave Droz, Rochefort, Villemot, Texier, Kaempfen, ont bien voulu nous envoyer déjà des articles, c’est bien aimable à eux d’avoir été si exacts. Je vois que nous ne manquerons de rien ; et comme tous les jours il va nous arriver quelque chose de nouveau, comme nous pouvons compter sur les vignettes de Gavarni, de Granville, de Bertall, de Cham et de Dantan, sur les vues de Paris, ancien et nouveau, de Clerget et de Champin, il est clair que nous allons amasser là peu à peu un livre vraiment beau et très-riche. Tiens, voilà quelque chose de M. Gozlan, un homme extrêmement fin ; les titres plairont à monsieur, avec les idées que je crois qu’il a : Ce que c’est qu’une Parisienne ; les Maîtresses à Paris. Mais, si monsieur veut m’en croire, nous commencerons tout de même par l’histoire de Mademoiselle Mimi Pinson, de M. Alfred de Musset : cela me fait l’effet d’être une histoire d’amour — des étudiants et des grisettes, — et cela n’est pas en vers, quoique M. de Musset en ait fait qui doivent être bien bons, puisqu’ils ne me déplaisent pas. Oh, monsieur, lisons Mademoiselle Mimi Pinson !

— Va pour Mademoiselle Mimi Pinson, dit Flammèche ; je vois, Baptiste, que vous avez des idées en littérature, et que vous prendriez goût au métier de rédacteur en chef.

— Oh, monsieur, » dit Baptiste en rougissant…